Le chef d’état-major Gaïd Salah s’obstine à imposer, le 12 décembre, une présidentielle très contestée, au risque d’une abstention massive.
Détournement d’un panneau électoral, le 17 novembre à Alger (Ramzi Boudina, Reuters)
Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major depuis 2004, a beau n’être officiellement que vice-ministre, il est bel et bien l’homme fort de l’Algérie et il entend le rester. C’est lui qui, en poussant à la reconduction du président Bouteflika pour un cinquième mandat, a jeté en février dernier des millions d’Algériennes et d’Algériens dans la rue. Ce fut le début du Hirak, littéralement le « Mouvement » contestataire, qui est entré dans son dixième mois sans montrer le moindre signe d’essoufflement. Bien au contraire, c’est l’obstination de Gaïd Salah et son refus du dialogue qui prolonge la crise et risque, lors de la présidentielle du 12 décembre, d’entraîner une abstention massive.
TOUJOURS TROP PEU TROP TARD
Le général Gaïd Salah aurait pu comprendre le caractère provocateur de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat. Il l’a pourtant confirmée, malgré les foules qui ont commencé de manifester vendredi après vendredi pour rejeter un tel diktat. Il a finalement consenti à suspendre cette réélection, mais tout en maintenant Bouteflika à la présidence, une demi-mesure qui n’a évidemment pas suffi à apaiser la contestation. Ce n’est qu’en avril que Gaïd Salah a contraint Bouteflika à démissionner, à charge pour le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, d’organiser une sortie de crise durant un intérim constitutionnel de 90 jours à la tête de l’Etat. Mais Gaïd Salah a balayé toutes les propositions, pourtant constructives, que l’opposition mettait en avant pour aller vers une authentique transition.
Le chef d’état-major porte ainsi l’entière responsabilité du vide constitutionnel dans lequel il a plongé l’Algérie depuis le mois de juillet. Bensalah continue d’exercer un intérim présidentiel de fait, plutôt que de droit, depuis l’expiration de son mandat légal. Gaïd Salah, non content de refuser tout geste d’apaisement, a tenté d’étouffer la contestation par l’arrestation de plus d’une centaine de détenus d’opinion et par des restrictions croissantes aux libertés de manifestation, de réunion et d’expression. Affichant publiquement son arbitraire, le chef d’état-major a décidé la tenue d’un scrutin présidentiel avant la fin de l’année, décision que les branches exécutives et législatives des institutions de façade se sont empressées d’appliquer. D’où cette échéance du 12 décembre, dont Gaïd Salah espère la restauration du confortable statu quo où un président civil et élu lui laisse la réalité du pouvoir en Algérie.
UN REFUS POPULAIRE ET MASSIF
Rares sont les Algériens à s’interroger pour savoir qui sera leur prochain chef d’Etat en titre. Même le débat télévisé entre les cinq candidats (dont deux anciens Premiers ministres de Bouteflika et deux de ses anciens ministres) n’a pas relancé une campagne ostensiblement boycottée par la population. Le seul véritable enjeu de la présidentielle du 12 décembre sera l’ampleur de l’abstention, tant le vote ce jour-là est de plus en plus assimilé à un acte anti-patriotique. C’est proclamé en français sur le panneau électoral détourné en photo ci-dessus, avec en arabe cet engagement: « Pas d’élections avec les bandes ». Ce slogan a résonné avec force toutes ces dernières semaines dans les rues d’Algérie, la clique au pouvoir étant stigmatisée comme un agrégat de « bandes » manipulatrices et corrompues. C’était particulièrement vrai lors des appels à une « nouvelle indépendance » qui ont scandé les défilés du 1er novembre, vendredi où le Hirak s’est réapproprié l’anniversaire du déclenchement en 1954 de la guerre de libération anti-coloniale.
Contesté sur le terrain même de sa légitimité, le général Gaïd Salah s’épuise à dénoncer, lui aussi, une « bande » aux obscures ramifications internationales qui chercherait à déstabiliser l’Algérie. Il a d’ores et déjà décrété que la participation à la présidentielle serait « massive », s’exposant à un désaveu cinglant de sa propre personne en cas d’abstention spectaculaire. Il a publiquement donné, le 4 décembre, des « instructions fermes » aux forces armées et aux services de sécurité pour « empêcher quiconque de perturber ce processus électoral de quelque manière que ce soit ». La veille, le ministre de l’Intérieur avait, devant le Sénat, qualifié les contestataires de « faux Algériens, traîtres, mercenaires, pervers et homosexuels ». Malgré le tollé provoqué par de telles insultes, le ministre a maintenu ses injures dans une nouvelle charge à l’encontre des « relais de la France coloniale ». Le discours menaçant de Gaïd Salah et les insanités proférées par son ministre révèlent le trouble qui a gagné la clique au pouvoir face au risque désormais très sérieux d’une élection vidée de sens comme de portée.
Le 12 décembre, nul ne sait si les Algériens iront vraiment voter. Il est revanche certain que le 13, ils seront toujours aussi nombreux à manifester, comme tous les vendredis, pour exiger leur droit à une transition effective vers une authentique démocratie. Espérons que Gaïd Salah entendra cette fois le message, quel que soit le nom du président aussi mal « élu ».
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