Pendant la guerre d’Algérie des viols ont été commis par les soldats de l’armée française. Après quarante ans de silence, les femmes violées et les témoins de cette guerre parlent.- Louisa IGHILAHRIZ, a été torturée et violée pendant la guerre d’Algérie. Elle explique pourquoi elle parle aujourd’hui.- Annick CASTEL PAILLER , mariée à un français communiste et sympathisant de l’indépendance de l’Algérie a été arrêtée et violée. Elle a porté plainte devant la justice en 1958. Le parachutiste violeur a été condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis…
GUERRE D'ALGÉRIE HENRI POUILLOT : L'ENFER DES FEMMES À LA VILLA SUSINI
Incorporé en juin 1961 dans l'un des centres de collecte de renseignements d'Alger, cet ancien appelé témoigne des violences sexuelles et des viols infligés aux femmes algériennes par les militaires français. Entretien.
Appelé en Algérie en juin 1961, incorporé au 184e bataillon du train, une unité disciplinaire réservée, dit-il, " aux fortes têtes ou aux condamnés ", Henri Pouillot révélait en janvier dernier aux lecteurs de l'Humanité comment il fut contraint de servir dix mois durant à la sinistre villa Susini d'Alger. La torture et l'avilissement systématique des prisonniers y constituaient - plusieurs années après la bataille d'Alger - le moyen ordinaire de la recherche et de l'obtention de " renseignements " pour l'armée française. Au-delà de la collecte d'informations, souligne Henri Pouillot - qui était l'un des invités, hier soir, de Mots croisés, l'émission d'Arlette Chabot sur France 2 -, la torture, les exécutions sommaires, le viol furent les instruments d'une guerre totale, d'une politique organisée de terreur visant à faire entendre et imposer le pouvoir de l'occupant à toute la population algérienne. Entretien.
Y avait-il des femmes retenues à la villa Susini et qu'elles étaient leurs conditions de détention ?
Henri Pouillot. Il y en avait nettement moins que d'hommes, ne serait-ce qu'en raison de leur nombre moins important dans les éléments agissants du FLN. Néanmoins celles qui se trouvaient là à la suite d'une rafle sur tel ou tel site d'attentat, d'une opération de représailles ou simplement pour avoir des liens familiaux avec tel ou tel suspect étaient traitées aussi violemment que les hommes. On peut même dire plus violemment à cause de la promiscuité qui leur était infligée : elles étaient enfermées dans les mêmes cellules, mises dans l'impossibilité de préserver leur intimité. Lorsqu'elles étaient considérées ou soupçonnées d'être, elles-mêmes, des activistes, elles subissaient les mêmes outrages physiques que les détenus masculins : coups, privations de nourriture, mise à nu, torture à l'électricité sur les parties génitales, viol à l'aide d'objets et autres horreurs.
Lorsqu'il s'agissait a priori de simples témoins, elles pouvaient subir toute une graduation d'agressions à la fois physiques et morales - arrachage du voile, déshabillage, caresses et attouchements sur la poitrine etc. -, cela en présence d'autres détenus, voire de membres de la famille. Pour ces malheureuses, de telles humiliations ou la perspective de telles humiliations étaient un traumatisme aussi lourd de conséquences qu'un viol. Dans la culture et la société musulmanes de l'époque, elles devenaient inévitablement des proscrites, risquaient la répudiation ou de ne pouvoir jamais se marier. Les militaires français en étaient parfaitement conscients, ils en jouaient constamment comme d'une menace : c'était un moyen de pression psychologique, une arme redoutable entre leurs mains.
Pour les militaires, le viol était une sorte d'instrument ordinaire de torture ?
Henri Pouillot. D'autant plus banal que dans les conceptions sexistes de l'époque, le viol n'était absolument pas considéré comme un crime, a fortiori s'il s'exerçait contre des populations jugées " inférieures " et qui plus est soupçonnées d'en vouloir à votre vie, de comploter contre vous. Malheur donc à la jeune fille, plutôt bien faite de sa personne, qui, embarquée dans une simple opération de police, se retrouvait entre les mains des locataires de la villa. Certaines même n'ont été arrêtées que pour être livrées comme objets sexuels à ces soldats vivant en vase clos, n'osant plus se rendre au bordel et passant leurs seuls moments de loisirs entre les interrogatoires à boire plus que de raison.
À la villa, il était courant que ces femmes, arrêtées quasiment au hasard, passent la journée dans la cave et la nuit dans les chambrées, subissant une trentaine de rapports à chaque fois avant d'être relâchées au bout de quelques jours. Il arrivait même que des soldats basés dans un autre cantonnement, et qui se trouvaient là pour une raison quelconque, " profitent " de ce " défoulement ". Pendant les dix mois de mon séjour à la villa, c'est donc entre une soixantaine et une centaine de femmes qui ont dû subir ces viols collectifs. Je ne crois pas qu'une d'entre elles ait été envoyée à la " corvée de bois ". Ça n'était pas nécessaire : pour les réduire au silence, il suffisait de les relâcher. La seule perspective d'avoir à se rendre à la police pour porter plainte, d'avoir donc à en parler à leurs parents, dans leurs familles, de courir le risque d'être ramenées à la villa en cas d'enquête, les murait dans la honte : les soldats ne risquaient aucune sanction ni de leurs supérieurs, ni de la justice.
Comment expliquez-vous que ces militaires, souvent des appelés aient pu s'abandonner à de tels comportements ?
Henri Pouillot. Il fallait être moralement très fort pour résister de front à la pression qui s'exerçait sur nous : un climat de haine raciste, de mépris de l'autre, soigneusement entretenu et cultivé par la stratégie militaire, qui incitait chacun à prendre sa part du système présenté comme la seule solution naturelle. Ceux qui étaient choqués par cette inhumanité, comme moi qui réussis à me faire affecter à un service administratif, résistaient en silence en s'efforçant d'en faire le moins possible. C'est pourquoi je crois indispensable aujourd'hui que l'occasion arrive de témoigner, comme d'autres, de dire et de réclamer la vérité : je ne voudrais pas que demain mes petits-enfants puissent connaître de telles horreurs.
Entretien réalisé par
Lucien Degoy
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