L'ex-dictateur a été hospitalisé en Arabie Saoudite, où il vit en exil, à quatre jours du premier tour de la présidentielle en Tunisie. Son passage au pouvoir, de 1987 à 2011, lui a permis d'instaurer un système quasi-mafieux pour amasser une fortune considérable.
Zine el-Abidine Ben Ali a été hospitalisé pour de graves problèmes de santé en Arabie Saoudite, a déclaré par téléphone son avocat, Mounir Ben Salha, le 12 septembre 2019. Il vit en exil dans ce pays depuis le mouvement révolutionnaire du 14 janvier 2011. Son passage au pouvoir, de 1987 à 2011, a été enrichissant... au sens propre du terme. Et lui a valu des condamnations par contumace à plus d'un demi-siècle de prison pour corruption, torture, meurtre, pillage... Ni son avocat, ni sa famille n'ont communiqué publiquement sur son état de santé.
L'ancien président n'a jamais fait de déclaration publique depuis sa fuite dans le royaume wahhabite. Il s'est manifesté à trois reprises, dont la dernière fois le 7 janvier 2019, une semaine avant la commémoration du 8e anniversaire de sa chute. Il était alors apparu diminué sur un message Instagram à l'
La famille… là où la vie commence, et où l’amour ne s’épuise jamaisSur son post Instagram
La phrase du gendre résume assez bien la manière dont Zine Ben Ali a exercé le pouvoir... En famille et avec celle de sa femme, Leïla Trabelsi.
Une fortune colossale
Quelques semaines après la révolution, la télévision tunisienne avait montré le pactole accumulé par le couple présidentiel dans leur résidence privée à Sidi Bou Saïd, dans la banlieue de Tunis... Les téléspectateurs avaient alors découvert les liasses de billets, les pièces en or dissimulées dans un immense coffre, mais aussi… dans des plis de rideaux. Sans compter les bijoux, les ceintures en or. Et même deux kilos de haschich dans le bureau présidentiel. Il y en avait au total pour 25 millions d’euros.
Mais ce n'était là que la partie émergée de l'iceberg. En fait, le pactole amassé par l'ancien président pourrait se chiffrer en milliards d'euros !
Un système mafieux
Pour détourner autant d'argent, le très affairiste Zine el-Abidine Ben Ali avait organisé, lors de son arrivée au pouvoir en 1987 (après avoir déposé le président Habib Bourguiba), un système lui permettant de mettre en coupe réglée des pans entiers de l'économie de son pays. En 2011, il se murmurait, dans les allées du pouvoir issu de la révolution, que l'une des premières actions du dictateur avait été de "réorganiser" les marchés publics. L'entourage de Ben Ali est une "quasi-mafia", dénonçaient des documents diplomatiques américains obtenus par Wikileaks du temps de la dictature...
Au sommet de la pyramide, il y avait d’abord "l’ancien président, sa femme et leurs familles. Mais le mal a aussi touché des politiques, des fonctionnaires, des juges jusqu’à M. Lambda. Il faut bien comprendre que tous les secteurs de la société étaient concernés : immobilier, banques, douanes, transports… La corruption avait fait main basse sur toute la société et les instances de l’Etat", racontait en octobre 2011 à franceinfo Afrique Abdelfattah Amar, alors président de la Commission nationale d'établissement des faits sur les affaires de corruption (M. Amar est décédé l'année suivante).
L'un des neveux de Leïla Trabelsi, Imed Trabelsi, condamné à 108 ans de prison dans des affaires de malversation, a soulevé le voile de ce système lors d'une audition devant l'Instance vérité dignité (IVD), chargée de juger les crimes de la dictature. Il a ainsi fait fortune en touchant à la promotion immobilière, au commerce de fruits (il possédait un quasi-monopole de la banane), d'alcool (dont il aurait obtenu 30% du marché en deux ans). Et en bénéficiant de la franchise de l'enseigne Bricorama. Mais ses domaines d'activité ne s'arrêtaient pas là. Il a aussi œuvré dans le trafic de climatiseurs, de vaisselle, d'import-export de cuivre... Tout cela grâce à ses liens familiaux. Et aussi à des pots-de-vins adroitement distribués.
"Toutes les portes m’étaient grandes ouvertes. Si vous avez quelqu’un aux douanes, vous n’avez aucun problème", a-t-il déclaré, cité par Le Monde. "Les douaniers qui travaillaient avec nous se consacraient à notre bateau (...), ils bloquaient les intérêts de beaucoup de gens et on ne sortait que notre marchandise, avant tout le monde", a-t-il ajouté.
L'alcool "rapportait un argent faramineux. Je n’imaginais pas que les Tunisiens buvaient autant.cité par Le Monde
De l'argent très bien caché
Le neveu n'est pas le seul à avoir "croqué". En 2014, un tribunal de Tunis a ainsi condamné 25 membres de la famille de l'ex-président Ben Ali et de son épouse Leïla Trabelsi à des peines de prison allant de quatre mois à six ans pour tentative de fuite et possession illégale de devises. De nombreux autres ont réussi à quitter la Tunisie.
De son côté, Zine Ben Ali a été condamné en 2011 par contumace, à 35 ans de prison pour de multiples charges, dont corruption et torture, et l'année suivante à 20 ans de prison supplémentaires pour meurtre et pillage. Il a aussi été jugé pour détention d'armes, de stupéfiants et de pièces archéologiques.
Lors de son premier procès, il avait fait savoir, par l'intermédiaire de son avocat cité par Le Monde, qu'il ne possèdait "pas à titre personnel de compte bancaire hors de Tunis". "Concernant les quantités de billets de monnaie, dont les images ont été diffusées à la télévision officielle, qui se trouvaient à sa résidence personnelle après son départ, elles sont une preuve supplémentaire d'une mise en scène frauduleuse." Selon l'ex-président, ces actions viseraient à "représenter la période précédente comme le mal absolu en vue de préparer les Tunisiens à accepter un nouveau système politique élaboré à leur insu et par des extrémistes."
L'Union européenne a décidé de geler l'argent de la famille Ben Ali. Mais les intérêts de cette dernière ne sont pas faciles à tracer. Notamment parce que ses membres, sans doute bien conseillés, "n'achetaient jamais de biens directement en leur nom propre". En 2014, de l'argent dormait en Suisse. Il a notamment séjourné sur les comptes de la filiale helvétique de la HSBC.
"Certains biens ne seront jamais identifiés. Il y a tellement de sociétés écrans et de prête-noms !", estimait Abdelfattah Amar en 2011. Et le président de la Commission nationale d'établissement des faits sur les affaires de corruption d'ajouter : "De par mes activités passées, j’avais déjà quelque idées. Mais là, j’ai pu vérifier que la nature humaine est insondable. On peut imaginer du bon, mais aussi le pire. Et il y a des fois où l’on va au-delà du pire. C’est absolument invraisemblable. Parfois, je me demande ce que certains donnent comme sens à leur vie en accumulant de telles richesses !"
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