Interpellée chez ses parents, à 22 ans, dans la nuit du 10 au 11 février 1960, suspectée d’avoir posé une bombe à la Brasserie des Facultés à Alger, elle a été brusquement réveillée par des militaires qui l’ont entraînée dans la cour sans lui laisser le temps de s’habiller. Là, un capitaine « m’a frappée », dit-elle, « m’a giflée à plusieurs reprises, me portant des coups de poing au corps, pour ensuite me demander si je connaissais Si Djamal et Si Mourad, deux »frères« . (…) Ils m’ont ensuite conduit sur la route où j’ai été à nouveau maltraitée (…) J’ai été amenée dans une 403 au centre de tri d’El Biar, où le même capitaine m’a encore giflée (…) et m’a encore porté des coups de poing. Un ou deux jours après, un capitaine parachutiste que je voyais pour la première fois m’a porté des coups, m’a saisie par les cheveux, tordu le cou. Tombée à terre, j’ai reçu sur la poitrine des coups de talon ».
Examinée quatre jours plus tard par un médecin militaire, elle est ensuite conduite à la caserne du Génie à Hussein-Dey. « C’est dans cette caserne que j’ai été soumise au courant électrique. Un fil, maintenu par du scotch, a été placé sur mes seins, mes jambes, à l’aine, et aux parties génitales. J’avais été préalablement attachée avec des sangles sur un fauteuil de bois très incliné. Les inspecteurs me posaient des questions sur mes »frères« . j’ai déclaré avoir reçu des »frères« et leur avoir fourni des médicaments ». A nouveau soumise à la magneto et aux brûlures de cigarettes, torture répétée le lendemain matin, elle a été traînée dans une nouvelle salle : « j’ai été attachée aux poignets, , tandis qu’un bâton était glissé entre mes avant-bras et mes genoux. Ce bâton devait ensuite être placé au-dessus d’une baignoire pleine d’eau. En me faisant pivoter autour de ce bâton, ils me plongeaient par intervalles la tête dans l’eau… pour me demander où se trouvaient les frères, ce que j’ignorais… ils m’ont jetée à terre, j’étais nue, les bras relevés et maintenus au sol. Une bande de toile me serrait à la ceinture. Ces hommes m’ont introduit successivement dans le vagin le goulot d’une bouteille de bière et une brosse à dents, j’ai perdu connaissance ». Interrogée à nouveau, elle a cité son père Abdelaziz comme témoin. « En sa présence, j’ai été frappée par le même capitaine ».
Abdelaziz Boupacha a ensuite témoigné, le 29 mai 1960, à Beni-Messous, des violences subies par lui, Djamila et sa famille, le jour de l’arrestation de sa fille. Lui aussi a été maltraité, emprisonné et torturé durant plusieurs semaines. Il lui en est resté des séquelles importantes.
Les récits de Djamila et de son père ont été publiés pour la première fois dans la revue Vérité Liberté de juillet/août 1960 (d’où est extrait cet article), ce même numéro dans lequel Pierre Vidal-Naquet a signé son article intitulé « La justice hors-la-loi ».
A lire : Djamila Boupacha, Gisèle Halimi, éd. Gallimard, 1962,
A voir : Pour Djamila, téléfilm réalisé par Caroline Huppert et diffusé pour la première fois le 20 mars 2012 sur France 3.
Djamila Boupacha
Merci à Jacques Pradel pour nous avoir signalé cette chanson. Djamila a été créée par Francesca Solleville en 2000. Composée par Bernard Joyet, elle évoque la vie et l’action de Djamila Boupacha, résistante algérienne arrêtée en 1960, torturée, violée, condamnée à mort en 1961, et libérée le 21 avril 1962.
extrait du texte de la chanson :
Paraît que Djamila, ça signifie “La Belle”
Limpide traduction, pléonasme élégant !
Le thème ou la version, ça te va comme un gant
La belle, Djamila, Djamila, la rebelle
Aux sous-sols d’El-Biar, ils traînaient leurs captures
On surnommait aussi l’endroit « centre de tri »
Quelques soldats chantaient pour étouffer les cris
De ceux qu’on remontait, meurtris par la torture
Ceux qui t’ont abîmée de manière indicible
Tu les reconnaîtrais sur la moindre photo
Mais le juge impartial te demande plutôt
De délivrer leurs noms, la Cour est impassible
Djamila
On fait taire les voix, on censure les lignes
De Sagan, Signoret, Halimi, de Beauvoir
Ou Germaine Tillion, dont le crime est d’avoir
Dénoncé haut et fort ces pratiques indignes
On t’éloigne d’Alger, on se voile la face
Au-delà de la mer, loin du cœur, loin des yeux
De Barberousse à Pau, et de Fresnes à Lisieux
Croit-on qu’en voyageant le souvenir s’efface ?
On te relâche enfin, au seuil de la victoire
Mais, dès le lendemain du grand référendum
Les hommes te prieront de quitter le forum
Comme s’ils étaient seuls à écrire l’histoire
Djamila
Madame à la maison, monsieur gagne la guerre
Tout sera comme avant, selon l’ordre établi
Elle aura des petits, dans l’ombre et dans l’oubli
Qu’importent les combats qu’elle entreprit naguère
Que sont ils devenus, bourreaux et tortionnaires ?
Joyeux drilles ? Artisans ? Notables ? Intelligents ?
Médecins réputés ? Arbitres intransigeants ?
Ou grand-père idéal ? Amnésiques ordinaires ?
Je pense à leurs enfants ; le mal que je leur souhaite
C’est d’avoir dans l’esprit, loin de ces philistins
Plein d’espoir et d’envie de changer le destin
La soif de devenir utopistes, poètes (…)
jeudi 22 août 2019, par ,
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