Le 11 juin, un cénotaphe en hommage au mathématicien communiste assassiné par l’armée française pendant la guerre d’Algérie sera inauguré à Paris. Entretien avec son fils, Pierre Audin.
Mardi prochain, 62 ans jour pour jour après l’enlèvement de votre père par les parachutistes français à Alger, un cénotaphe sera inauguré (voir encadré) au cimetière du Père-Lachaise. Qu’est-ce que cela symbolise pour vous ?
Pierre Audin Au sens propre du terme, cela permet de graver dans le marbre la déclaration du 13 septembre du président de la République, qui reconnaît l’utilisation généralisée de la torture pendant la guerre d’Algérie, non pas dans le but de déjouer des attentats, mais afin de terroriser la population. À proximité du mur des Fédérés et des monuments élevés pour les victimes de la barbarie nazie, la mairie de Paris écrit le nom de Maurice Audin non loin de la tombe de Paul Éluard, c’est un acte qui a un sens historique. Peu de temps après la Seconde Guerre mondiale, l’affaire Audin a révélé les méthodes utilisées par la France en Algérie, Maurice Audin apparaissant comme un symbole, représentant les milliers d’Algériens qui comme lui ont subi arrestation arbitraire, tortures et exécution sommaire.
Cette cérémonie rendra également hommage à Josette Audin, disparue en février dernier, après avoir consacré sa vie à ce que la vérité soit faite sur l’assassinat de son mari mais aussi sur la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie. Elle espérait en connaître un jour les circonstances précises et le nom des assassins. Avez-vous engagé de nouvelles démarches à ce sujet ?
Pierre Audin Ma mère disait qu’on ne saura jamais la vérité et pour le moment elle a toujours raison. Pourtant, pendant 61 ans 7 mois et 3 semaines, elle a lutté pour Maurice Audin, souvent seule ou peu accompagnée, d’abord pour essayer de le retrouver, ensuite pour faire condamner les coupables, et finalement, seulement pour savoir et faire savoir la vérité.
Sans doute Maurice Audin était aussi un symbole pour les pouvoirs politique et militaire de l’époque, puisque le secret a été bien gardé, au point que même le président de la République n’a pas réussi à savoir la vérité. Dans sa déclaration, il annonçait l’ouverture de toutes les archives concernant tous les disparus de la période de la guerre d’Algérie. Cela semble compliqué et long à mettre en œuvre, car on touche là au « secret défense », qui est une habitude bien française, qu’il est important de faire évoluer. L’affaire Audin est une des 16 affaires traitées par le Collectif secret défense et pour lesquelles la vérité se heurte souvent à l’impossibilité d’accéder aux archives. La déclaration présidentielle libère aussi la parole des témoins de l’époque, ou de leurs héritiers, mais la tradition du silence complice est forte chez les militaires et leurs héritiers, et il reste à faire la publicité nécessaire autour de cet appel à témoignages, pour obtenir au moins la communication des archives privées. Un levier que nous continuerons d’utiliser avec l’Association Maurice-Audin, mais aussi avec le prix Maurice-Audin, sur une idée du mathématicien Gérard Tronel, qui récompense deux mathématiciens, un en France et un en Algérie, permettant à l’un et à l’autre de présenter ses travaux à ses collègues de l’autre pays. En France comme en Algérie, c’est toujours l’occasion de rappeler cette exigence de vérité sur le sort de Maurice Audin.
Maurice Audin était un visage parmi des milliers d’autres victimes algériennes de la torture pratiquée par l’armée française. La reconnaissance d’Emmanuel Macron a-t-elle permis d’aider les familles des disparus de l’autre côté de la Méditerranée ?
Pierre Audin Je ne crois pas que les Algériens aient vraiment confiance dans les promesses du pouvoir politique. Mais avec l’aide de plusieurs associations dont l’Association Maurice-Audin, et de journaux comme l’Humanité, le site 1000autres.org a été ouvert dès la publication de la déclaration présidentielle. Il permet aux Algériens de faire part de ces disparitions et, effectivement, beaucoup ont commencé à alimenter ce site, qui a déjà permis d’identifier 144 disparus. Connaître et faire connaître la vérité, c’est l’aide la plus importante que puissent espérer les familles des disparus.
La place Maurice-Audin, à Alger, a été l’épicentre des mobilisations d’un peuple qui veut reprendre la main sur son destin. Quel regard portez-vous sur ce moment historique en Algérie ?
Pierre Audin La place Audin est un lieu central à Alger, il est normal qu’elle soit un des lieux où le peuple souhaite s’exprimer, et la police tente régulièrement d’en empêcher l’accès aux manifestants. En même temps, la justice incarcère les opposants politiques, comme Louisa Hanoune, et l’un d’eux, Kamel Eddine Fekhar, vient de mourir en prison à l’issue d’une grève de la faim. Les Algériens sont dignes et décidés, il me plaît qu’ils se réfèrent aux héros de la guerre de libération nationale, qui ont su chasser ceux qui avaient colonisé leur pays, pour chasser aujourd’hui ceux qui ont confisqué leur victoire d’alors. L’Algérie pourrait être un pays riche, qui fasse partager cette richesse à toute la population. Mais ils ne sont que quelques-uns à en profiter. Vendredi après vendredi, et mardi après mardi pour les étudiants, les Algériens marchent pour dégager le système actuel, pour construire une deuxième République, en douceur mais avec fermeté. Ils sont admirables, et il faut le faire savoir, malgré le silence de notre télévision nationale par exemple.
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