La face barbare de la France coloniale
"Le Boucher de Guelma", un des premiers romans retraçant les massacres du 8 mai 1945
L'un des premiers écrivains à avoir retracé le comment et le pourquoi de cette répression dans un roman historique, en appuyant sa fiction sur un travail d'investigation, est le romancier et journaliste Francis Zamponi.
Le 8 mai 1945 marque le début d'un des plus sanglants épisodes de notre histoire contemporaine, durant lequel pendant un peu plus d'un mois à Guelma, Sétif et Kherrata, d'innommables massacres ont été perpétrés par les colons de cette période, et leurs autorités, contre les habitants de cette région. Une violence inqualifiable, et qui demeure non-qualifiée à ce jour par le gouvernement français qui s'abstient de nommer et de reconnaître officiellement la dimension génocidaire de ces massacres alors que de hauts fonctionnaires et dignitaires, diplomates et ministres, ainsi que historiens et chercheurs l'ont reconnue et en ont avérés les faits.
L'un des premiers écrivains à avoir retracé le comment et le pourquoi de cette répression dans un roman historique, en appuyant sa fiction sur un travail d'investigation, est le romancier et journaliste Francis Zamponi.
Zamponi est né à Constantine en 1947. Il quittera l'Algérie à l'âge de onze ans. Devenu journaliste, il se spécialise en histoire. A partir de 1978, il va s'appliquer à retracer et à raconter dans ses romans les abus des autorités françaises durant la colonisation et leurs conséquences sur le présent. Deux de ses romans, Mon Colonel (1999) dont l'histoire se situe à El Eulma, et Le Boucher de Guelma situé entre 1945 et le milieu des années 90 à Guelma et Sétif (ouvrages parus respectivement en 1999 et 2007) revisitent les tabous de l'histoire officielle des deux rives. Des œuvres de fiction certes, mais dans lesquelles sont aussi conservées tout un vécu et une mémoire.
C'est en procédant à une archéologie du passé, que Zamponi nous raconte l'histoire du Boucher de Guelma.
Le Boucher de Guelma
Le roman s'ouvre sur le personnage de Maurice Fabre, un vieux monsieur acariâtre et hautain, qui se retrouve bien malgré lui arrêté et placé en garde à vue dans un hôpital pénitentiaire de Sétif. C'est en rageant intérieurement contre la juge en face de lui, et ce qu'il considère comme un pseudo-système judiciaire, qu'il se rappelle l'excès de colère qui l'a mené jusqu'ici. Parti le plus tranquillement du monde depuis la France vers la Tunisie en avion pour des vacances, Fabre et les autres passagers se retrouvent à faire une escale imprévue en Algérie. L'avion a besoin de se réapprovisionner en carburant. Il est demandé aux passagers de patienter, caractéristique qui ne correspond pas trop à Fabre.
Hors de lui, il le dit, par le manque de respect eut égard à son « étoile d'ancien préfet honoraire », à sa « médaille de la Résistance », à sa « croix du Combattant avec palmes », et à sa « médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l'ordre », Fabre force l'équipage à le laisser sortir de l'avion pour se plaindre à la police et réclamer de l'eau.
Amusés par le personnage, mais consciencieux, les gendarmes algériens vérifient l'identité de cet ancien combattant. Abasourdis, ils réalisent que l'homme en face d'eux est le boucher de Guelma, le préfet qui avait ordonné et orchestré les viols et assassinats systématiques des algériennes et algériens de Guelma, Sétif et Kherrata en mai 1945.
Fabre est immédiatement arrêté et mis sous surveillance dans un hôpital le temps de préparer une prison. Son dossier est envoyé devant le barreau de Sétif pour que commence un procès pour crime contre l'humanité et génocide, un procès qu'aucun des deux pays concernés, la France et l'Algérie, ne veulent vraiment ouvrir.
D'abord récalcitrant à parler de cette période et de son rôle, Fabre comprend rapidement qu'au pire il sera fait bouc émissaire et qu'au mieux il sera présenté comme totalement gâteux s'il se tait. Comme aucune des deux options ne l'inspire, il décide de révéler ce qui a véritablement motivé les répressions et massacres de mai 1945 sans rien cacher. Pour s'expliquer, il nommera tous ceux qui les avaient minutieusement orchestrées.
Réussira-t-il à parler ou sera-t-il passer sous silence par les émissaires des autorités des deux rives ?
Dans ce petit roman de 300 pages narré à la première personne, Zamponi fait parler ce tortionnaire pour nous dévoiler, non seulement les pensées et secrets que cet homme cache depuis plus de 50 ans, mais aussi pour nous montrer comment un père, mari et amant par ailleurs tout à fait humain, peut si on lui en donne l'autorité, se transformer en un boucher qui ne voit l'autre que comme un amas de chair.
Le romancier-historien et sa fiction-investigation
Ce très bon roman, qui se doit d'être lu ou à défaut connu, a saisi à l'écrit la mémoire immatérielle d'un épisode de notre histoire. En tant que tel, c'est un ouvrage important. Mais un roman, c'est avant tout une fiction, le produit d'une imagination stimulante, une écriture travaillée et enrichissante, qui nous fait voir le monde autrement.
Le roman historique est un genre qui se prolonge autant dans l'imaginaire que dans le réel de faits vérifiés. La toile sur laquelle ces romans racontent une histoire dans une Histoire, montre bien toute l'importance de l'écrivain comme capteur de mémoire.
Cependant, un écrivain n'est pas un historien, ni un journaliste. Les journalistes et historiens sont tenus de respecter une éthique, et de suivre une structure d'exposition et de récit.
La seule obligation de l'écrivain est de suivre le génie de ses langues, et le souffle de l'irréel, pour nous inspirer.
https://www.huffpostmaghreb.com/nadia-ghanem/le-boucher-de-guelma_b_9901112.html?fbclid=IwAR1S-45kG6sE4sh1pEemRl3JdexV-a2OymWDH1AX8LHRK7KAl4IHtsnEC2g&ncid=fcbklnkfrhpmg00000008&fbclid=IwAR1ANGkmBS7FI1D0UYh757-CE_aWLvr2ywskNNP5f1J9YNQHdmZ1VH0MM94
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