Longtemps, il n'y eut pas de mots pour qualifier, raconter, nommer la guerre d'Algérie, dont on marque ce 1er novembre 2014, le 60ème anniversaire du déclenchement avec la Toussaint rouge, ou sanglante, du 1er novembre 1954. Conflit emblématique de la décolonisation, un colloque pluridisciplinaire et international qui s'est déroulé à Paris à la mi octobre a révélé l'omniprésence du sexe et du corps des femmes dans les actes et les discours de ces huit années de violences de part et d'autre de la Méditerranée. Ces viols, dévoilements forcés, et autres tortures spécifiques infligées aux combattantes algériennes hantent encore les deux pays, la France et l'Algérie.
Viols
C'était en 1981, à Washington. Tourya, juriste algérienne à la réputation internationale, était allée voir "Les désarrois de l'élève Törless", un film du cinéaste allemand Völker Schlöndorff, adapté du roman éponyme de Robert Musil, récit de tortures dans un collège, sous l'oeil indifférent des élèves. Ce fut comme un déclic et cette femme délicate se mit à raconter les sévices des tortionnaires de l'armée française qu'elle avait affrontés durant la guerre d'Algérie. Cette ancienne combattante du FLN (Front de libération nationale) avait été arrêtée alors qu'elle transportait des documents pour le compte des indépendantistes. En détention, à l'isolement, lorsqu'elle avait ses règles, on lui interdisait de se laver, et elle restait des jours durant ainsi souillée. Soumise à la question, elle subissait des actes de torture spécifiques, sur ses seins et son sexe de femme. Mais ce qui la déstabilisait par dessus tout, c'était la galanterie avec laquelle son tortionnaire lui offrait sa main pour l'aider à descendre de la table des horreurs. Elève de Germaine Tillion, elle appela à l'aide l'ancienne résistante, l'ethnologue des Aurès, favorable à l'indépendance de l'Algérie. C'est ainsi que Tourya fut sauvée.
Comme elle, près de 11 000 combattantes algériennes (chiffre du recensement proposées par la chercheure Emilie Goudal) affrontèrent la sanglante répression coloniale, aux côtés de leurs frères, maris ou pères. Le viol fut utilisé contre elles (et parfois aussi contre les hommes) comme arme de guerre. Comme le dit l'universitaire Catherine Brun, coorganisatrice du fort stimulant colloque Guerre d'Algérie, le sexe et l'effroi, et qui étudie les résonances entre littérature et politique, en particulier au temps de la guerre d'Algérie, "cette arme-là n'est pas spécifique à la guerre d'Algérie, la plupart des guerres passent aussi par la sexualité. Comme les viols génocidaires en Bosnie par exemple. Mais en Algérie, la guerre a réactivé des germes existants, ceux d'un discours raciste sur les indigènes, ces sauvages, qui fantasme une hystérie des femmes et une hyper-virilité des hommes. Ces viols étaient aussi intégrés dans une stratégie militaire de terreur. Et de ces exactions là, les Algériennes, telles Louisette Ighilahriz, qui finit par briser le silence dans la douleur, n'ont pu parler pendant des décennies."
Affiche destinée à convaincre les Algériennes de se dévoiler en 1958
Voiles
Mais ce qui fit l'une des spécificités de cette guerre de décolonisation, se cache dans les replis d'un vêtement, comme l'avait écrit Frantz Fanon, installé à l'hôpital psychiatrique de Blida, dans le premier chapitre de sa "Sociologie d’une révolution" : "L'Algérie se dévoile". Dans ce texte, qui fut critiqué par des féministes américaines comme Diana Fuss ou Gwen Bergner parce que trop fondé selon elles sur un relativisme culturel, le psychiatre montre comment le voile est instrumentalisé par l'administration coloniale pour assoir son pouvoir.
"Nous allons voir que ce voile, élément parmi d’autres de l’ensemble vestimentaire traditionnel algérien, va devenir l’enjeu d’une bataille grandiose, à l’occasion de laquelle les forces d’occupation mobiliseront leurs ressources les plus puissantes et les plus diverses, et où le colonisé déploiera une force étonnante d’inertie. La société coloniale, prise dans son ensemble, avec ses valeurs, ses lignes de force et sa philosophie, réagit de façon assez homogène en face du voile. Avant 1954, plus précisément depuis les années 1930-1935, le combat décisif est engagé. Les responsables de l’administration française en Algérie, préposés à la destruction de l’originalité du peuple, chargés par les pouvoirs de procéder coûte que coûte à la désagrégation des formes d’existence susceptibles d’évoquer de près ou de loin une réalité nationale, vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile, conçu en l’occurrence, comme symbole du statut de la femme algérienne. Une telle position n’est pas la conséquence d’une intuition fortuite. C’est à partir des analyses des sociologues et des ethnologues que les spécialistes des affaires dites indigènes et les responsables des Bureaux arabes coordonnent leur travail. À un premier niveau, il y a reprise pure et simple de la fameuse formule : « Ayons les femmes et le reste suivra. »"
Une bataille homérique qui se poursuit sur le sol français 50 ans après la fin de la guerre, mais aussi en Algérie.
Les Algériennes furent ainsi incitées, pour ne pas dire obligées, de se dévoiler au nom de l'émancipation des femmes par des associations féminines qui se voulaient charitables. Le 13 mai 1958, des musulmanes sont installées sur un podium à Alger, place du Gouvernement. Dans une mise en scène très orchestrée, elles brulent leur voile. (En 1960, le photographe Marc Garanger, alors jeune appelé, fut bouleversé par le travail qu'on lui imposa : faire des photos d'identité de Kabyles, voile arraché.) Jusqu'à ce que les gouvernants découvrent que derrière ces jeunes femmes "européanisées" pouvaient se cacher des combattantes déterminées.
Un soldat français utilise un détecteur de mines sur les passantes le 16 janvier 1957, dans le cadre d'une opération de fouille systématique de la partie basse de la Casbah, pendant la bataille d'Alger. (AFP)
De modèles promues, elles devinrent cibles pourchassées. Alors, elles se couvrirent à nouveau, pour passer plus inaperçues. Fanon raconte ce corps qui se plie à ces aléas vestimentaires :
"Il faut revenir à cette jeune fille, hier dévoilée, qui s’avance dans la ville européenne sillonnée de policiers, de parachutistes, de miliciens. Elle ne rase plus les murs comme elle avait tendance à le faire avant la Révolution. Appelée constamment à s’effacer devant un membre de la société dominante, l’Algérienne évitait le centre du trottoir qui, dans tous les pays du monde revient de droit à ceux qui commandent. Les épaules de l’Algérienne dévoilée sont dégagées. La démarche est souple et étudiée : ni trop vite, ni trop lentement. Les jambes sont nues, non prises dans le voile, livrées à elles-mêmes et les hanches sont « à l’air libre ». Le corps de la jeune Algérienne, dans la société traditionnelle, lui est révélé par la nubilité et le voile. Le voile recouvre le corps et le discipline, le tempère, au moment même où il connaît sa phase de plus grande effervescence. Le voile protège, rassure, isole. Il faut avoir entendu les confessions d’Algériennes ou analyser le matériel onirique de certaines dévoilées récentes, pour apprécier l’importance du voile dans le corps vécu de la femme. Impression de corps déchiqueté, lancé à la dérive ; les membres semblent s’allonger indéfiniment. Quand l’Algérienne doit traverser une rue, pendant longtemps il y a erreur de jugement sur la distance exacte à parcourir. Le corps dévoilé paraît s’échapper, s’en aller en morceaux. Impression d’être mal habillée, voire d’être nue. (.../...) Le corps de l’Algérienne qui, dans un premier temps s’est dépouillé, s’enfle maintenant. Alors que dans la période antérieure, il fallait élancer ce corps, le discipliner dans le sens de la prestance ou de la séduction, ici il faut l’écraser, le rendre difforme, à l’extrême le rendre absurde. C’est, nous l’avons vu, la phase des bombes, des grenades, des chargeurs de mitraillettes."
Cette dialectique autour du voile s'est poursuivie au lendemain de l'indépendance : les anciennes maquisardes défilèrent alors tête nue pour rappeler au nouveau pouvoir leurs droits acquis à l'occasion de cette lutte pour l'indépendance à laquelle elles avaient pris part...
Le 4 juin 1958, le général de Gaulle lance son fameux “je vous ai compris“ aux Français d'Algérie, à Alger. Les terroristes de l'OAS après sa “trahison“ le surnommeront “la grande Zohra“.
Mots
Paradoxe : alors que pendant longtemps on ne trouva pas le vocabulaire pour identifier ce qui se passait en Algérie après le 1er novembre 1954, "les événements" ou "les opérations de maintien de l'ordre", "pacification", disait-on alors, rarement les mots furent autant utilisés pour détruire l'ennemi. Les extrémistes de l'Algérie française, membres de l'OAS, utilisaient le surnom "la grande Zohra" pour parler de Charles de Gaulle, qui finit par négocier un cessez le feu et à renoncer à "l'Algérie française". Un prénom féminin arabe, un double mépris pour désigner le "traitre".
Une autre expression très populaire sur le terrain des "opérations" : BMC - "bordels militaires de campagne", destinés à assouvir les "besoins" supposés et induits des appelés, ou parfois les prostituées algériennes étaient violées. "Bons pour le service, les hommes qui partent en Algérie sont aussi “bons pour les filles” - selon l’expression populaire que les jeunes appelés arborent parfois cousue dans un macaron sur leur poitrine. L’acte sexuel est programmé, passage obligatoire pour tout militaire, sur le chemin d’une virilité que la guerre est censée tremper", écrit l'historienne Raphaëlle Branche dans un article consacré à "La sexualité des appelés en Algérie".
Gégène, corvée de bois, gangrène, question, crevettes Bigeart, ces mots, genre féminin, pour désigner les méthodes de torture, inventés par les militaires français…
Les Algériennes dans leur appartement, l'oeuvre d'Eugène Delacroix à gauche, un tableau réinterprété au XXIème siècle par l'artiste algérienne Houria Niati http://www.hourianiati.com/
Représentations
Dans l'imaginaire oriental européen, ce qu'on a appelé l'orientalisme, les femmes arabes sont souvent représentées en simples objets du désir masculin, lascives recluses dans leur harem ou leur foyer, ou bien en esclaves enfermées sous leurs voiles, derrière leurs moucharabiehs, volets clos. Il n'y a qu'à contempler les "Femmes dans leurs appartements à Alger" d'Eugène Delacroix, peint en 1834.
Ces images aveuglent les protagonistes français de la Guerre d'Algérie. Ils ne voient pas la moujahida décidée comme les hommes à arracher l'indépendance. Depuis une quinzaine d'années, des artistes, plasticiennes, peintres, photographes redonnent leur place à ces guerrières oubliées. Comme Zineb Sedira qui se définit "gardienne d'images" et qui fit parler sa mère. Un projet d'abord censuré parce qu'on y évoquait les viols, tabou des tabous… Comme Halida Boughriet qui immortalise des figures féminines de la résistance algérienne allongées dans des intérieurs traditionnels, détournement de l'orientalisme, pour "Mémoire de l'oubli ".
Réappropriations
C'est que l'heure est à la réappropriation de ces oubliées de l'histoire, le plus souvent par leurs filles, qui font exploser les tabous. Oui les Algériennes, entre le 1er novembre 1954 (Toussaint rouge, début de la guerre) et le 18 mars 1962 (accords d'Evian) prirent une part active à leur lutte de libération. La romancière et réalisatrice Nora Hamdi est partie sur les traces de sa mère, qui eut 16 ans en Kabylie, tandis que le feu de la guerre brûlait à sa porte. Avec son frère et son fiancé, elle s'engagea dans les maquis. Le livre, décliné à la première personne, l'auteure se glissant dans les pas de sa mère, paru au printemps 2014, est dédié à "toutes les femmes disparues, oubliées, de la guerre d'Algérie."
Extrait de La maquisarde : "Je ne dis toujours rien. Je sais que dans tous les foyers, le sujet est abordé. C'est une lourde décision. Beaucoup de familles ne supportent pas de voir leurs filles, femmes, mères, soeurs prendre les armes. Tous ont peur de terribles représailles. Celles qui s'engagent risquent le viol et la torture. Elle (la voisine dans le camp de détention, ndlr) termine en m'apprenant que l'ensemble des femmes qui sont là viennent de son village, de l'autre côté du mont, à l'opposé du mien. Elles se connaissent depuis toujours."
La maquisarde, éditions Grasset, Paris, avril 2014, 17 euros
Guerre d'Algérie, deux ouvrages pilotés par Catherine Brun
«Le pouvoir est dangereux : il attire le pire et corrompt le meilleur» Edward Abbé
«On peut toujours construire un trône avec des baïonnettes. Mais il est difficile de rester longtemps assis dessus » aurait dit Boris Eltsine. L'accession à l'indépendance a été le résultat d'une lutte armée. L'armée est devenue le principal garant de cet Etat post-colonial. Le développement du pays, une volonté de l'armée. L'action de l'armée fonde la légitimité du pouvoir. Il est établi que l'armée a régenté l'économie et la société. Le projet étatique réside dans la nature même de l'armée : autorité, obéissance, discipline, rigidité. Le sort de l'Etat est lié structurellement à celui des militaires, car seule l'armée est en mesure de faire un coup d'Etat, c'est-à-dire substituer une équipe à une autre. Le sort du régime algérien est structurellement lié à celui des militaires. L'armée est détentrice d'une légitimité historique qui la place en position de force. Nous nous trouvons, nous semble-t-il, en présence d'un régime politique à hégémonie militaire durable. «En effet, maître de l'arène politique, le militaire devient politicien. A ce titre, il émarge à deux univers normatifs : l'univers militaire et l'univers politique. Or ces deux systèmes de normes sont indiscutablement contradictoires ; l'un est à base de compromis, de contestations, l'autre à base de conformisme et de discipline stricte. Dès lors, cette interpénétration contribue dans une large mesure à paralyser le contrôle social exercé par les normes militaire...».
Bref, l'armée est à l'Etat ce que la colonne vertébrale est au corps humain, et la rente énergétique est à l'armée, ce que la moelle épinière est aux vertèbres. C'est avec le fusil qu'on s'empare du pouvoir ; avec l'argent qu'on le garde et par son abus qu'on le perd. L'argent enjolive les choses et la ruse est sa compagne préférée. Depuis le coup d'Etat du 19 juin 1965 et la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, l'argent et le fusil forment un couple inséparable pour le meilleur et pour le pire. L'argent corrompt et le fusil dissuade. Les deux enivrent. Les hommes sont pour le système politique comme la nourriture l'est pour l'organisme humain : ça rentre propre et ça sort sale. L'Algérie est le pays des tentations. Nous suivons sans nous rendre compte les pas de Satan ; il est un bon conseiller pour nous. C'est un grand séducteur et un grand manipulateur, il inverse les valeurs, enjolive nos actions et prend possession de nos âmes crédules. Satan a plus de pouvoir sur l'homme lorsqu'il a le ventre plein et la poche débordante de monnaie qu'un ventre creux et une tête d'idées. Et Satan dans la stratégie de conservation du pouvoir, c'est le pétrole. Evidemment qui dit pétrole dit dollars. « On ne coupe pas l'arbre qui te donne de l'ombre ».
Pour le gouvernement algérien, après le pétrole, c'est toujours du pétrole ». Ailleurs, la richesse est créée, En Algérie, elle est imprimée. Evidemment la conservation du pouvoir n'a pas de prix. Le pouvoir s'identifie à la vie. La rente pétrolière et gazière empêche quasiment le renouvellement du personnel politique atteint par la limite d'âge, la diversification de l'économie et la renaissance d'une culture ancestrale qu'elle soit ethnique ou religieuse. Elle freine tout processus de développement ou de démocratisation du pays. L'argent du pétrole et du gaz donne l'illusion aux hommes que le pouvoir est «éternel» et qu'il peut se transmettre de père en fils.
Que de questions mais peu de réponse pour une société sans élite ou une élite sans dignité, vieillissante, vivant sur son passé glorieux et ignorant les enjeux du futur, en mal de reconnaissance sociale, imprégnée d'une culture apparente et de bas étage, nourrie au biberon «pétrolier» et non au sein maternel, qu'elle soit d'inspiration occidentale ou orientale, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition, les deux sont déconnectées des besoins réels de leur société, agissent le plus souvent comme sous-traitants des pouvoirs en place en s'inspirant des théories venues d'ailleurs, notamment de l'Occident qui veut que le monde arabe soit à son image et en même temps qui lui soit profitable. Pour se reproduire, le pouvoir est obligé de produire du clientélisme. Le clientélisme occupe une place importante dans les mutations sociales dont l'enjeu principal réside dans le contrôle de l'Etat. Le clientélisme ne peut être viable et notamment rétributif que s'il se greffe sur les structures étatiques. Il perpétue une situation de domination basée sur un accès inégal aux ressources et au pouvoir. En distribuant de l'argent sans contrepartie productive, le pouvoir crée une dépendance pathologique de la population à son égard et donc une assurance vie pour se préserver. On ne mord pas la main qui vous nourrit même si elle est pourrie.
La salarisation en Algérie signifie émargement au rôle de la rente en contrepartie de son allégeance implicite à la classe au pouvoir. La rente pervertit et perturbe le rapport salarial et de profit. Nous ne produisons rien de nos propres mains nous ne créons à partir de notre cerveau. Nous importons tout que nous finançons par nos exportations d'hydrocarbures. Dans un pays chômé et payé où l'argent facile coule à flots, l'économie cède les commandes au politique, le politique à l'incurie et l'incurie à l'écurie qui conduit vers l'abattoir. Est-ce un signe précurseur de la fin des temps ? Difficile d'y répondre dans un monde dépravé où tout s'achète et tout se vend. Au regard de la mondialisation, nous ne sommes plus des êtres humains mais des objets marchands. Une fois la rente pétrolière et gazière épuisée, l'Algérien va-t-il vendre ses organes vitaux et l'Algérienne ses organes génitaux pour survivre dans une Algérie sans pétrole et sans gaz ? Une Algérie dans laquelle des gens insignifiants sont investis de responsabilités dont la plupart n'en sont pas dignes. Dans ces conditions à quoi peuvent servir les élections ? Le plus souvent comme trompe-l'œil ou comme faire-valoir ? Une chose est pratiquement certaine, le peuple a toujours été tenu à l'écart des grandes décisions comme ce fut le cas lors déclenchement de la lutte armée, de la nationalisation des hydrocarbures ou dans les politiques menées aux pas de charge.
Tenir le peuple responsable de la situation actuelle serait lui faire un mauvais procès. Réduit à un troupeau de bétail, il a toujours suivi le berger que le propriétaire a désigné pour le conduire soit à l'abattoir ou aux pâturages. Son destin lui échappe, il est entre les mains des détenteurs du pouvoir qui décident de son sort. Ils se sont emparés du pouvoir et se sont maintenus sans en assumer la responsabilité et sans rendre compte ? Deux moyens ont été mis en œuvre : la carotte et le bâton, c'est-à-dire l'argent et le fusil. L'un ne va pas sans l'autre ; le fusil sans l'argent se rouille ; l'argent sans le fusil se dénude. Chemin faisant, on découvre la violence aveugle du fusil et le pouvoir corrupteur de l'argent. Cependant, l'argent est plus rusé et plus charmeur que le fusil connu pour sa rigidité et sa discipline.
Pour Staline, ce qui compte, ce n'est pas le vote, c'est comment on compte les votes. Les élections ne sont en vérité que des cravates portées par des hommes en djellaba. L'une est formelle, l'autre est fondamentale. Les dirigeants arabes portent des djellabas plus amples pour se mouvoir et plus simple à revêtir qu'un costume de trois pièces indépendantes : le législatif, l'exécutif et le judiciaire. La cravate sur la djellaba, cela fait folklore, un folklore de mauvais goût. Si la djellaba cache les difformités, le costume les met en relief. La Constitution en Algérie n'a ni la rationalité ni l'effectivité, C'est une technique de camouflage d'un régime autoritaire. C'est l'armée qui désigne les dirigeants et c'est l'armée qui les destitue. Le peuple ne croit plus aux résultats des urnes, affirme sa souveraineté, veut reprendre son destin en mains. La rue reprend ses droits et à l'armée d'assumer ses responsabilités devant le peuple.
Le système est périmé. Le pouvoir a vieilli et le peuple a mûri. Il veut vivre et non plus survivre. Les jeunes sont en train d'accomplir un miracle, concilier la foi avec la vie. Leurs aînés sont des mauvais exemples qu'ils ne veulent pas suivre. Ils sont tombés dans le piège de l'argent facile et de la violence aveugle. Ils veulent faire leur révolution pacifiquement, intellectuellement et moralement. Et la moralité n'est l'apanage d'aucune religion. Elle est dans les cœurs et dans les esprits invisibles à l'œil nu. Ils nous fascinent et forcent notre admiration et notre respect. Soyons à la hauteur de leurs aspirations. Aidons-les ! De la légitimité historique à la légitimité populaire le pas est vite franchi pour peu qu'on ouvre les yeux et qu'on écoute leurs appels. Ils ne veulent plus servir de nourriture aux poissons de la Méditerranée. Ils veulent vivre chez eux heureux dans la solidarité, la joie et la bonne humeur. Ne leur mettons pas des bâtons dans les roues. Nous croyons en la mort n'est-ce pas, elle ne nous épargne pas. Ni nos biens, ni les hôpitaux ne peuvent être d'une utilité quelconque.
De la modernité, nous n'avons retenu que les apparences et de l'islam que le rituel. «L'Occident vit sur des mensonges, l'Orient dort sur des vérités». Pour les Occidentaux « deux heures de justice d'un infidèle valent mieux qu'un an de tyrannie en terre d'islam ». Pour les Orientaux « le monde est un jardin dont la clôture est l'Etat. L'Etat est un gouvernement dont la tête est le prince. Le prince est un berger qui est assisté par l'armée. L'armée est faite d'auxiliaires entretenus par l'argent. L'argent est le moyen de subsistance fourni par les sujets. Les sujets sont les esclaves qu'asservit la justice. La justice est le lien par lequel se maintient l'équilibre du monde ».
(*) M. MARTIN, la militarisation des systèmes politiques africains (1960-1972), Editions Naaman de Sherbrooke, Quebec, Canada, 1976 pages 120
«Le pouvoir est dangereux : il attire le pire et corrompt le meilleur» Edward Abbé
Quand la vérité éclate, l'argent se terre, la politique se dénude, les hommes révèlent leur impuissance, les femmes s'indignent, le couple se déchire, la famille s'effrite, la société se meurt, la viande se drogue à la cocaïne, le pain moisit à domicile, le lait bronze au soleil, la plume s'assèche, le fusil se rouille, le pouvoir s'avère inutile. Alors que faire ? Il s'agit d'engager une réflexion collective sur un projet de société consensuel alliant modernité et islam. Une modernité basée sur l'intelligence n'étant l'apanage d'aucune langue, d'aucune région, d'aucune génération. Elle appartient depuis la nuit des temps à l'humanité tout entière et un islam authentique ouvert et tolérant. Il n'a besoin ni d'idéologie pour le véhiculer, ni de clergé pour le représenter, et encore moins de partis politiques pour le défendre. Il est à la portée de tout un chacun, il suffit de croire en l'unicité de Dieu et d'attester que Mohamed est son prophète. Le monde d'aujourd'hui tend à marcher, avec ses deux pieds le spirituel et le temporel, le bien-être matériel et la tranquillité morale sachant que la religion apaise et que la modernité agite, le pied droit ne marche pas sans le pied gauche. Les deux vont ensemble dans une même direction. L'homme est à la fois corps et âme. La vie est faite d'eau et de feu. La paix et la guerre cohabitent dans le même palais. La misère et l'opulence se côtoient au quotidien. L'amour et la haine couchent dans le même lit. Le bien et le mal vivent côte à côte. Le corps est mortel, l'âme est éternelle. «Semer dans la vie d'ici-bas (le bien ou le mal) et récolter dans l'au-delà (le paradis ou l'enfer)», tel est l'enseignement de notre religion. Et nous en sommes encore loin. Nos actes contredisent souvent nos paroles. Dieu est absent de nos cœurs. Le ventre a englouti notre cerveau.
Nous prenons nos rêves pour des réalités. Nous délirons. Ne dit-on pas que «tout pouvoir sans contrôle rend fou». Quand tu as le pouvoir, tu as l'argent, et quand tu as l'argent, tu gardes le pouvoir. A partir de là rien ne change. Pour les détenteurs de l'argent «les chiens aboient, la caravane passe»». Pour ceux qui en bénéficient «tout ce qui rentre fait ventre». Pour les autres «l'argent n'a pas d'odeur». L'argent facile fascine. La violence aveugle et l'argent facile sont les deux facettes d'une même Algérie, celle de l'impunité. Le crime et la corruption se conjuguent au passé, au présent et au futur. Ils cohabitent dans le même palais. Le pouvoir n'est pas prêt à changer. Il ne scie pas la branche sur laquelle il est assis. Il est comme un poisson dans l'eau. Il se nourrit des eaux troubles. Hier c'était la violence armée, aujourd'hui c'est la violence de l'argent. La transparence l'effraie. Une population traumatisée, rebelle et imprévisible l'empêche de dormir. La vérité est comme la femme. Nue, elle fait peur à l'homme, elle révèle son impuissance, habillée, elle le rassure, elle cache ses défauts. La politique est comme la nourriture : on rentre propre, on en sort sale. Le pouvoir tout comme le corps sont corrupteurs. «Le pouvoir absolu corrompt absolument». Sans contrôle, le pouvoir rend fou. Seul le pouvoir arrête le pouvoir. Le pouvoir de l'argent contre le pouvoir de dieu. Qui dira non à l'argent facile ? L'appel du muezzin à l'aube n'est pas entendu par une société endormie dans son immobilité et dans sa continuité. «Dormez, dormez braves gens, leur chuchote-t-on à l'oreille, l'Etat veille sur votre sommeil». Et le peuple poursuit son sommeil, jusqu'à ce que mort s'en suive. Il ne sera plus qu'un corps sans âme, un déchet de l'humanité, un combustible de l'enfer. Autre époque, autres mœurs. Hier, le dirigeant vendait ses propres biens pour libérer le pays ; aujourd'hui, il vend son propre pays pour acheter de la cocaïne.
Déçu par tant de forfaitures et de lâcheté, un poète inconnu aurait lâché ce cri de désespoir au peuple algérien: «pleure comme une femme, un pays que tu n'as pas su bâtir comme un homme». Un pays ouvert aux quatre vents. L'Algérie n'est pas en marge du reste du monde, Elle subit les de plein fouet les influences extérieures. Malgré la fragilité interne de ses institutions, elle résiste farouchement et énergiquement au terrorisme islamique et à la mondialisation sauvage, les deux faces d'une même réalité, celle de la puissance de l'argent. Un argent sale qui colonise le monde. Un argent qui se nourrit de pétrole, de gaz, de sueur, de sang, de drogue, d'armes, de cigarettes, de déchets humains. Cette oligarchie financière mafieuse qui avance masquée. Une guerre clandestine est menée contre les peuples par le terrorisme sous toutes ses formes. Le crime organisé est l'autre facette de la mondialisation. Les Etats-nations sont impuissants face à la corruption mondialisée qui pourrit les sociétés dans le silence et l'opacité. Et cela ne date pas d'hier. «Nous savons maintenant qu'il est tout aussi dangereux d'être gouvernés par l'argent organisé que par le crime organisé» (F. Roosevelt). On dit que l'argent n'a pas d'odeur; le pétrole démontre le contraire, il pollue tout sur son passage. Il est l'urine du pouvoir et l'eau bénite de la modernité. L'argent sale navigue dans les eaux glacées de la corruption comme un poisson dans l'eau. Destruction des richesses par la dilapidation ou déplacement de richesse par la corruption ne sont-ils pas des crimes contre l'humanité ? Que vaut l'opulence d'une minorité au prix de la misère d'une majorité bâti, quel est le mérite d'une fortune bâtie sur le crime économique couvert par le politique dominé par l'armée. L'économie étatique constitue le terreau de la corruption.
Il n'y a pas de crimes sans argent comme il n'y a pas d'argent sans crimes. Crime et argent se conjuguent à tous les temps et à toutes les personnes. Un homme séduit par l'argent facile est presque toujours un homme corrompu et par extension corrupteur. C'est un criminel en herbe. Il n'y a pas d'argent propre ou d'argent sale, il y a de l'argent tout court. L'argent n'a pas d'odeur. Entre le pétrodollar et le narcodollar, le dénominateur commun est le dollar. Il corrompt tout le monde. Nous sommes tous drogués. Elle est dans la farine, dans la poudre de lait dans la viande, dans les médicaments. Elle est dans tout ce que le gouvernement importe et que nous consommons sans sourciller. «On ne crache pas dans la soupe». «Qui rentre fait ventre». Une cure de désintoxication nécessite une hospitalisation or nous n'avons plus d'hôpitaux. Nous tabassons nos médecins. Nous poussons vers l'exil nos cadres. Nous faisons fuir nos enfants dans des embarcations de fortune que nous payons à prix d'or. Nous n'avons pas su offrir des emplois à nos jeunes pour leur éviter de tomber dans le besoin, l'ennui et le vice. Nous sommes des incorrigibles. Nous n'avons construit que des prisons et des casernes. Nous n'avons formé que des policiers, des soldats, des chômeurs en surnombre, des vendeurs à la sauvette des camelotes que nous importions pour faire illusion. Où sont les paysans, les ouvriers, les artistes, les penseurs, les poètes. Nous avons poussé vers l'exil les forces vives de la nation. Le développement a consisté à importer des bâtiments en cartons, des usines tournevis, une autoroute meurtrière. Un Etat constitué de coquilles vides que l'on désigne sous le vocable d'institutions qui obéissent aux ordres et non aux lois. Une économie dans laquelle le dollar est «le seul décideur» de l'Algérie indépendante. Partout il est chez lui. Il circule librement. Il impose sa loi. Il n'a pas d'opposants. Il n'offre aucune alternative. L'humanité entière est à sa dévotion. Nul ne peut lui résister. Tous s'inclinent sur son passage. Il est juge et partie. Qui pourra prétendre laver plus blanc que blanc ? Evidemment personne. C'est une question d'éducation, de moralité, et de justice. Les trois ont perdu leurs lettres de noblesse. L'argent facile a corrompu tout sur son passage. C'est un sport national. Personne n'est épargné. La pollution gagne du terrain et la propreté bat en retraite. Partout la mer est salée. Le seul rempart à la corruption c'est la foi en Dieu. La vie d'ici-bas est un passage vers l'au-delà. Nous appartenons à Dieu et à Dieu nous retournerons. Nous récolterons ce que nous avons semé. Nous n'emporterons pas nos biens mais les crimes que nous avons commis pour les acquérir. C'est une question de conviction et non de raisonnement car «le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas»: être ou ne pas être; croire ou ne pas croire» est une option personnelle. Il n'y a pas de juste milieu ni de demi-Dieu. Il y a Dieu, l'Unique, l'Eternel, le Miséricordieux et c'est tout. Et il se suffit à Lui-même. Il n'a pas besoin de clergé, ni de nourriture. C'est Lui qui pourvoit aux besoins de ses créatures. Des êtres humains à qui Il a accordé le libre choix de lui obéir ou de le désobéir. Il est le plus démocrate, il a créé Satan pour s'opposer à Lui. Satan est devenu plus percutant que par le passé, il ne tente plus par la pauvreté mais par l'argent. Dieu est en haut, l'argent est en bas. L'Algérie serait-elle un paradis pour tous ceux qui vont enfer ou un enfer pour tous ceux qui vont au paradis ? Que doit-on faire pour éviter l'enfer ? Pour les philosophes, c'est de vivre aujourd'hui comme si vous devez mourir demain et mourir quotidiennement comme si vous devez vivre éternellement. Que faire concrètement ? Tout simplement à remplir ses devoirs. Le travail réclame ses droits, l'islam revendique sa spiritualité, ne se contente pas du rituel, il exige un effort exégèse, de la résignation à l'exigence, de l'impunité à la sanction, de la raison d'Etat à l'Etat de raison, le secret d'Etat se banalise, le terrorisme se mondialise, la corruption prospère sous tous les cieux, visible au nord cachée au sud, aussi bien dans les démocraties que dans les dictatures, dans les pays évolués comme dans les pays sous-développés, c'est l'air qu'on respire et l'eau que l'on boit, les deux sont pollués.
Il n'y a pas de corrompu sans corrupteur, le prix du brut grimpe, les coffres se remplissent, tout coffre a une serrure, toute serrure a besoin d'une clé, la clé c'est le pouvoir, l'argent devient roi, les années fric blanchissent les années noires, les Algériens se déchirent, ils ne produisent rien, ils sont en embuscade, s'auto-flagellent mais ne se corrigent pas, le recours à la justice problématique, l'argent facile endort les consciences, l'islamisme se noie dans un baril de 140 $, ce n'est plus l'argent sale qui cherche des banques pour se blanchir mais les banques qui courent derrière l'argent sale pour se renflouer. Leurs clients ne cherchent pas après sa couleur. Ils savent que c'est du papier hygiénique et comme tout papier hygiénique, il est blanc. La société s'y complaît, les réseaux mafieux se forment, l'islamisme se compromet, son discours est inaudible. L'accès au pouvoir interdit. D'autres courants religieux pointent leur nez, le désarroi de la jeunesse une aubaine, le curé refait surface. Il n'est plus en soutane, il porte un costume, les élites se terrent, l'unité religieuse se fissure, la crise morale s'affirme, les scandales se multiplient, l'argent corrompt, tout homme a un prix, un homme sans prix est un homme sans pouvoir et un homme sans pouvoir est un homme inutile. Pour être utile, il faut disposer d'un pouvoir. Il n'y a pas de pouvoir sans argent comme il n'y a pas d'argent sans le pouvoir. Les deux se tiennent la main et font le marché ensemble le plus souvent à l'étranger. Le bateau est en rade, la ménagère s'impatiente, les enfants se lamentent, la marmite bouille, la viande se drogue à la cocaïne, les légumes se nourrissent aux pesticides.
Le cancer se propage, Les hôpitaux se meurent, l'école s'abrutit, l'école assure la garde, le collège bourre, le lycée triche, l'université ronronne, les fonctionnaires se croisent et ne se voient pas, les administrations s'alarment mais ne bougent pas, la folie s'installe, la rue gronde, la violence ressurgit, l'Europe s'inquiète, le silence se rompt, les langues se délient, la politique se dénude, les masques tombent, l'argent sale s'arme, les milices se forment, le peuple se révolte, la répression s'abat, le char de l'Etat navigue sur un volcan, l'Algérie s'effondre. L'Algérie est devenue comme cette poule au lieu de laisser son œuf donner naissance à un poussin préfère le manger. Le pays se dévore lui-même. Il n'offre à une jeunesse débordante d'énergie et de vitalité que la prison, la caserne, l'exil ou le suicide comme perspectives. Le marché pétrolier et gazier fournit au pouvoir en place une assurance vie. Il y va de la pérennité de la civilisation occidentale condamnée au déclin par l'histoire et la géographie. Toutes les ressources de la planète et toute l'histoire de l'humanité ne peuvent combler le vide sidéral spirituel de l'homme moderne car l'être humain n'est sur terre que pour adorer son créateur. Pour l'en empêcher, Satan s'est proposé de le détourner et l'homme s'est prêté à son jeu. L'être humain dispose d'un seul cerveau comme libre arbitre pour décider de son propre chef d'obéir ou de désobéir à son Créateur, seul comptable de ses actes, il possède une seule langue pour parler (dire des vérités ou propager des mensonges) et avaler (le licite et l'illicite) et d'un seul cœur pour agir dans un sens ou dans l'autre. Le cœur irrigue le corps et nourrit l'âme en bien ou en mal. L'homme est à la fois un être temporel et atemporel. Il est fait de matière et d'esprit, il marche avec ses deux pieds (en direction de l'enfer ou du paradis); il travaille avec ses deux mains (Dieu bénit les mains laborieuses et maudit les mains oiseuses) il voit avec ses deux yeux (afin de discerner le vrai du faux), il respire avec ses deux narines (l'oxygène pour vivre et la pollution pour se détruire), il écoute avec ses deux oreilles (le diable et le muezzin). Le muezzin lance son appel cinq fois par jour; il s'adresse aussi bien à l'homme comme à la femme; nous avons cinq doigts dans chaque main et cinq orteils à chaque pied. L'appel du muezzin nous donne de l'espoir. L'espoir d'une vie après la mort, l'existence d'une justice divine contre les injustices de l'homme. On peut faire taire sa conscience, échapper aux filets de la loi, mais on ne peut éviter le châtiment divin. Toutes les religions se sont «modernisées « à l'exception de l'islam qui est resté «barbare» c'est-à-dire hostile à la suprématie de l'homme sur l'homme. Dieu est éternel, l'homme est mortel; «A dieu nous appartenons, à Dieu nous retournerons».
Chronique livresque. Ancien commandant à la Wilaya IV, Lakhdar Bouregaa est un baroudeur qui en a gros sur le cœur. Dans son livre « Témoin sur l’assassinat de la Révolution »*, il « assassine » allègrement tous les chefs qu’il a connus à l’exception de ceux de sa wilaya (Bougara et Bounaama notamment) ainsi qu’Ait Ahmed et Krim Belkacem.
La première partie de l’ouvrage est consacrée à sa vie au maquis qui ne diffère guère de celle des autres moudjahidine. La deuxième partie est plus vivante, car elle met en scène des personnalités nationales sur lesquelles il porte un jugement sévère à la mesure de sa colère. C’est à cette partie que nous allons nous intéresser.
« Boudiaf nous est apparu comme un homme banal, stupide… »
Nous sommes en 1962, Boumediène avance à grands pas à la tête des 30 000 hommes lourdement équipés de l’armée des frontières. Ces soldats qui n’ont pas connu la guerre de libération étaient décidés de passer comme un rouleau compresseur sur les moudjahidine des maquis pour prendre le pouvoir.
Boudiaf, accompagné du colonel Sadek Dehiles, arrive à Berouaghia, fief de la wilaya IV. Selon Bouregaa il proposa aux responsables de cette wilaya de constituer un front unique avec le groupe de Tizi Ouzou pour faire face au groupe de Tlemcen dirigé par Ben Bella et Boumediène. Il reçut un refus net de la part du commandement de cette wilaya.
Au nom de la neutralité et pour ne pas mettre de l’’huile sur le feu, les responsables de cette wilaya ne matchèrent pas avec lui. Il rencontra alors l’un des chefs, Bousmaha, en tête-à-tête. Celui-ci resta sur ses positions. Boudiaf qui n’a pu rallier les combattants de la IV partira la mort dans l’âme.
L’occasion pour Bouregaa de le fustiger dans son ouvrage : « Boudiaf perdit notre confiance. L’auréole qui entourait le personnage avait disparu. Le mythe s’était effondré. Il nous est apparu comme un homme banal, stupide, de peu d’envergure, sans relief. En effet, y a- t-il plus stupide que de vouloir rencontrer en privé Bousmaha, qui faisait partie d’une direction solidaire ».
Terrifiante cette outrance contre le père de la Révolution qui ne méritait pas autant d’insultes gratuites. Qu’a fait de grave Boudiaf pour mériter pareil jugement à part vouloir les rallier pour combattre Ben Bella et Boumediène qu’il tenait pour des imposteurs. Lui reproche-t-il de ne pas faire le mort comme tant d’autres ? Passons.
« Benkhedda n’a aucune envergure »
Mais qu’on se console, Boudiaf ne sera pas la seule victime, Benkhedda, le pieux et pacifique président du GPRA n’échappera pas à sa foudre alors qu’il n’avait demandé qu’un soutien de la wilaya IV pour l’organisation d’un meeting populaire.
Après avoir loué sa sagesse qui lui a permis de ne pas attiser le conflit, il se défoule sur lui : « Benkhedda a toutefois montré que lui non plus n’avait guère d’envergure. Son attitude était indigne d’un homme d’Etat. Il n’avait pas pris de décisions quand il était au sommet de la hiérarchie et qu’il avait encore les rênes en main. Il aurait pu démettre tous les belligérants, notamment les membres de l’état-major. Une fois qu’il a perdu le contrôle du pouvoir, ses ordres sont venus tardifs et hésitants, au point où les aventuriers s’en sont moqués, les considérant comme nuls et non avenus. ».
Qu’il est injuste Bouregaa qui n’a pas connu de l’intérieur les luttes au sein du GPRA pour atténuer ses propos et rendre hommage à la sagesse de celui qu’il pourfend. En vérité Benkhedda, tout comme Abbes avant lui, n’étaient que des présidents de consensus, d’apparat. Le vrai pouvoir était divisé entre les 3 B (Boussouf, Belkacem (Krim) et Bentobbal) d’un côté et de l’autre l’état-major de l’armée des frontières avec à sa tête Boumediène appuyé par le sanguin Ali Mendjli et Kaid Ahmed. Benkhedda était seul, désespérément seul.
Bouregaa avait-il oublié que Benkhedda (ainsi que son ami Saad Dahlab) ont été évacués par les 3 B du deuxième CCE en un claquement de doigt ? Au mépris de toute logique. Cette logique qui reposait sur les armes. Injuste, nous semble-t-il, le fougueux Bouregaa.
Il quittera l’armée malgré l’insistance de Boumediène qu’il n’aime guère, mais qu’il épargne relativement, du moins il n’a pas droit à des attaques. Le coup d’Etat de Boumediène « un calculateur froid, cynique », est l’occasion pour lui de montrer combien le président déchu est décevant : « Ben Bella était un personnage romantique, sentimental, facilement trompé par les apparences. Il était superficiel, n’allant jamais au fond des choses ».
Un fait, quoi. Mais l’accusation la plus grave, il la réserve à un commandant qu’il exècre plus que Boudiaf, le bien nommé commandant Azzedine qui a la même image de baroudeur que lui. Rétroviseur. Accusé d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de Zbiri, Bouregaa est incarcéré puis interrogé par le président de la Cour Mohamed Benhamed Abdelghani.
« Il sortit alors une lettre. Il l’étala devant lui, et commença à en lire des extraits : tu as rencontré Krim Belkacem. Vous avez eu de longues discussions sur l’avenir de son organisation. Après une pause, il ajouta : n’essaie pas de nier. L’auteur de la lettre est un témoin oculaire. Il cita le nom de l’auteur : le commandant Azzedine. C’est l’un des deux hommes qui avaient assisté à ma rencontre avec Krim Belkacem. Parmi ceux que j’avais vus, c’est lui qui se montrait le plus enthousiaste pour pousser Krim à agir contre Houari Boumediène. Je ne fus pas surpris d’entendre ce nom. Je le connaissais bien. Je connaissais son aptitude à la trahison et son opportunisme ».
Après ces accusations, le commandant Azzedine n’a qu’à prendre sa plume pour répondre. Histoire de régler ce vieux contentieux. Encore un mot pour donner un carton rouge à l’éditeur qui a bâclé cet ouvrage : mise en page défectueuse et abondance de coquilles. Tout cela mérite à notre avis un coup de gueule de Bouregaa l’impétueux. Il n’y a pas que les figures de la Révolution qui trinquent.
*Lakhdar Bouregaa Témoin sur l’assassinat de la Révolution Edition Dar ElOkbia PP : 1200 DA
Le désordre colonial. L'Algérie à l'épreuve de la colonisation de peuplement. Essai de Hosni Kitouni (préface de William Gallois), Casbah Editions, Alger 2018, 950 dinars, 378 pages
Un livre qui se limite seulement à la période 1830 - 1900, mais qui suffit amplement à montrer et à démontrer l'ampleur des désastres auxquels ont abouti 70 années de guerre, de dépossessions et de fiscalité prédatrice. Des causes importantes (bien qu'elles ne soient pas les seules) du chaos absolu. Résultat : la création de deux «cas tes», celle des «colons» et celle des «indigènes» (la plupart du temps classés par la suite sous des termes génériques : les «pieds-noirs » et les «Arabes») ; deux castes dont l'une, la première citée, ne pouvait vivre et prospérer qu'aux dépens de l'autre «comme une sangsue de sa bête»... et ce durant plus de 130 ans. Et, au final, deux peuples irréconciliables constitutifs d'une impossible société nourrie de violence, de racisme et d'exclusion politique. Le trauma colonial est tel qu'aujourd'hui encore il «occupe» la sphère mentale des Algériens, y compris bien des jeunes, secoués par le récit des «pères».... et se sentant incompris par une «histoire de la colonisation» (mis à part quelques exceptions à saluer) osant vanter ses «bienfaits».
L'auteur, indépendant des institutions... et des méthodes de recherche académiques souvent (heureusement pas toujours et pas toutes) castratrices, mû par la volonté de continuer l'œuvre de Sahli M-C, pour «décoloniser l'histoire», est donc allé puiser ses informations dans des documents parfois exceptionnels comme ceux relatifs aux opérations militaires et des rapports considérés jusque-là comme ayant totalement disparu. L'ouvrage, en dehors d'une première partie introductive, s'articule donc autour de trois problématiques :
1. «De la guerre coloniale : par le feu et par la faim», avec pour objectif de mettre tout un peuple à genoux : violence débridée et sans but, raids prédateurs et «razzias», une guerre totale contre les populations (120 000 hommes mobilisés, ce qui faisait 1 soldat pour 25 habitants... L'Algérie comptant alors environ 3,5 millions d'habitants... avant 1830 et 2,8 en 1881), des exterminations localisées...
2. « L'Etat colonisateur : séquestre et dépossessions», avec un Etat (français) colonisateur en chef, une boulimie de terres des colons, la ruine de l'économie de montagne...
3. «De la fiscalité ethnique», avec une imitation des Turcs, faire payer les vaincus, la mise place d'une machine à pomper les ressources, une redistribution de la rente fiscale, une fiscalité coloniale et un régime des castes (600 000 Européens jouissant de privilèges de la caste des vainqueurs et 4 millions d'indigènes confinés dans l'état de vaincus)...
L'Auteur : Chercheur indépendant en histoire du fait colonial. Déjà auteur d'une monographie sur la Kabylie orientale dans l'histoire (2013) et de plusieurs études consacrées à la violence et aux changements induits par les dépossessions massives au cours du XIXe siècle.
Extraits : «Les Français ne savent pas coloniser, leur passé milite contre eux : nous sommes allés partout, on nous a chassés de partout. Cela tient au caractère léger, imprévoyant, méprisant, exclusif, destructeur; nous avons tout ce qu'il faut conquérir, et rien de ce qu'il faut pour conserver» (Maurice Allart, extrait de son ouvrage édité en septembre 1830, p 45).
Avis : On en apprend des choses... que même les historiens académiciens n'avaient pu déceler. De plus, les mots utilisés sont justes et forts car dépourvus de la froide rigueur du scientifique. D'où un livre sans ressentiment complètement utile.
Citations : «En raison des désastres humains dont elle a été la cause, la colonisation de peuplement est devenue synonyme de barbarie et de génocide» (p 17). «Il est aujourd'hui admis par le courant des Settler Colonial Studies que génocide et colonisation de peuplement sont des compagnons inséparables. Toute la question étant d'analyser les processus réels par lesquels se réalise cet accouplement mortifère» (p 346). «L'Algérie des colons... ce sont les villes largement ouvertes à la vie et à la lumière... L'Algérie des Arabes, c'est la solitude ambiante qui comble le vide de l'Algérie française... Une minorité européenne hyper protégée et d'une population musulmane hyper exploitée, dominée, déclassée » (Camille Brunel, extrait de son ouvrage édité en 1906, pp 366-367).
Pour retrouver des Maghrébins dans les listes des Brigades internationales, les chercheurs ont dû consulter les listes des Français car l’Algérie et le Maroc sont alors colonie et protectorat français et ceux qui se sont engagés sont ainsi recensés. Avant de présenter le seul roman consacré à un brigadiste algérien et, en contrepoint, la seule nouvelle consacrée à un des 100.000 Moros de Franco, il n’est pas inutile de faire un rappel de l’Histoire.
En 2010 est édité Nouveaux regards sur les Brigades internationales, ouvrage de Rémi Koutelsky qui avait fait paraître, en 1998, L’espoir guidait leurs pas : les volontaires français dans les brigades internationales. En 2016, l’article de Denis Gasquez dans le tome I de l’Encyclopédie de la colonisation française (sous la direction d’A. Ruscio) : « Brigades internationales (les colonisés…) » s’appuyait sur des articles de presse en France et en Algérie et diverses études en Espagne ou au Maroc. L’objectif était de faire sortir de l’invisibilité ces oubliés. La même année, Georges Gonzalez faisait paraître son étude très précise, L’Algérie dans les brigades internationales (1936-1939) et ses lendemains. On y trouve, en particulier une liste des brigadistes arabes établie, en 2004, par Salvador Bofarull.
On sait que la légende dorée des Brigades Internationales a été écorchée par l’essai de Sygmund Stein, Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : la fin d’un mythe(2012). Le film de Ken Loach, Land and freedom (1995), montrait les dissensions souvent meurtrières entre anarchistes et communistes et le dilemme dans lequel se trouve David, ce combattant britannique internationaliste venu se battre aux côtés des Espagnols contre le fascisme. Le film repose sur la recherche du passé de son grand-père par une petite fille qui veut savoir (comme dans les romans dont nous avons parlé précédemment de l’après-Franco). S’il n’hésite pas à montrer les zones d’ombre, le film demeure un beau témoignage de cet engagement international. Car cette participation internationale reste un grand moment de solidarité assez unique en son genre, comme le souligne le résumé du livre de Rémi Skoutelsky : « Qui furent ces 105.000 brigadistes ? Une armée d’intellectuels ? L’armée de Staline ? Les travailleurs manuels, souvent antimilitaristes mais tous antifascistes, y dominent. Certains rêvent de rébellion, mais la plupart sont des militants communistes ou anarchistes. Que devinrent-ils ? Après avoir connu, en 1939, lors de la Retirada, les camps de concentration du Sud de la France, beaucoup rejoindront la Résistance. Les Cubains se battront aux côtés de Castro. Les Yougoslaves poursuivront leurs rêves révolutionnaires dans leur pays d’origine. Mais un grand nombre atterriront, comme en URSS, dans des prisons. Ce livre éclaire, comme jamais encore, l’engagement de femmes et d’hommes ayant lutté pour un monde meilleur ».
Quelques données historiques
Les forces rebelles à la République, dont celles sous les ordres de Franco, sont constituées de militaires de métier, de la guardia civil, du tercio (la légion étrangère), de milliers de Regulares (soldats berbères du Maroc espagnol), d’intégristes, de monarchistes, de carlistes et de la Phalange, l’organisation fasciste. Elles ont l’appui de 20.000 volontaires portugais, d’Irlandais, de 50.000 Italiens motorisés, de 16.000 Allemands (dont 6000 dans l’aviation Condor), de 500 Français. Dès le début donc, Mussolini et Hitler prêtent main forte au coup d’état par l’envoi d’hommes et de matériel important et moderne. Franco disposait des troupes espagnoles rebelles et de soldats de carrière marocains engagés, les « Moros », dont le nombre grossira avec l’élargissement de la guerre pour atteindre 70.000 et plus. La misère sévissait au Maroc et leur enrôlement s’en trouvait fortement facilité par ce besoin basique de pain. L’image dominante du « Moro » est celle du coupable de tous types d’atrocités : pillage, viols, assassinats…
Une nouvelle, écrite par Mohamed Leftah (1946-2008), écrivain marocain de premier ordre, évoque l’un d’entre eux. Elle est intitulée « Un guerrier amoureux » dans le recueil de 2007, Un martyr de notre temps. Le narrateur dresse le portrait tout en positivité d’un artisan qui lui déclare, au cours de l’une de leurs conversations, qu’il a fait partie de la Division Azul : « Avec quelle fierté il prononça ce nom éclatant comme un ciel d’azur, que tout oustaz que j’étais, j’entendais pour la première fois, et dont Bba Ahmed allait m’apprendre la terrible signification». Il raconte son parcours : venu d’une famille de paysans sans terre, il s’est déplacé dans tout le Maroc pour arriver à Tanger et vivre de différents larcins qui le conduisent en prison. « Dans sa prison, il entendit la nouvelle du soulèvement d’un général éloigné par le toute jeune république espagnole dans ces îles. Un gardien qui l’avait pris en sympathie, lui dit qu’il pouvait être libéré s’il s’engageait dans le Tercio, la légion espagnole inspirée du modèle français et qui avait été créée au Maroc en 1920. Le Tercio, et le contingent de soldats marocains, constituaient les unités d’élite que le général rebelle comptait faire passer en Espagne pour abattre la jeune république ». Le jeune homme de 18 ans signe un engagement de huit ans et suit un « entraînement intensif et impitoyable » pour faire de ces engagés « des machines à tuer, des « chiens de guerre » féroces ». Sans état d’âme particulier Bba Ahmed revendique d’avoir combattu « avec les fascistes » à Bilbao, Barcelone, Madrid. Et il prend alors, dans son récit, la tangente de l’Andalousie : « A Madrid, il avait retrouvé Grenade, et toute l’Andalousie arabe, personnifiées dans le corps et les yeux d’une gitane qui vivait dans une minable pension, mais vers laquelle il courait le jour de sa sortie hebdomadaire de la caserne comme vers un palais des Mille et une nuits ».
Ainsi s’achève l’évocation littéraire furtive d’un vétéran marocain franquiste… dont nous n’avons pas trouvé d’autres occurrences dans la littérature francophone. La littérature ne leur a pas fait beaucoup de place. La participation des Moros aux côtés de Franco dans sa croisade contre les rouges a été largement étudiée, tant leur rôle militaire que leur importance pour Franco : il confiera sa sécurité jusqu’aux années 1960 à sa Garde Maure !
Après cette parenthèse littéraire, reprenons nos précisions historiques. Des pourparlers sont engagés entre la République espagnole et la France et l’Angleterre pour avoir des armes. Mais un traité de non-intervention est signé par ces pays, les 7 et 8 août que, bien entendu, l’Italie et l’Allemagne ne respecteront pas. L’Algérien Messali Hadj, dirigeant de l’Étoile Nord-africaine, se solidarise dès le 10 août 1936 avec le peuple espagnol mais n’est pas favorable à l’envoi de volontaires. Le Néo-Destour tunisien n’encourage pas le départ de volontaires, donnant une priorité à la lutte pour l’indépendance. Toutefois un grand meeting à Tunis pour soutenir le peuple espagnol a lieu début septembre 1936. Ce qui explique que trois Tunisiens seulement aient pu être dénombrés parmi les brigadistes. Quant au Maroc, Franco y a fait un travail de propagande très habile contre la République espagnole et fait des promesses politiques et économiques qu’il ne tiendra jamais, pour recruter ces milliers de mercenaires.
Devant l’afflux de volontaires des États-Unis, d’Europe et d’autres pays, le 22 octobre 1936, le gouvernement républicain a officialisé la création des brigades internationales. Les premiers, une centaine, étaient venus pour les spartakiades à Barcelone (réponse aux jeux olympiques organisés alors à Berlin sous Hitler) et sont restés dans le pays après l’annulation de ces jeux et le coup d’état militaire de Franco. Parallèlement, à l’automne 36, les forces républicaines se regroupent. Ainsi plus de 40.000 hommes et femmes quittent leur pays et leur vie pour aider la République. Ils ont entre 16 et 55 ans et, au plus fort de l’engagement, on comptera 51 à 53 pays représentés. Ils sont regroupés à Albacete pour être répartis dans les bataillons. En juin 1937, l’estimation des Brigades internationales est la suivante : 25.000 Français, 5.000 Polonais, 5.000 Anglo-Américains, 3.000 Belges, 2.000 « Balkaniques » et 5.000 Germano-Italiens. Dans cette guerre, en ce qui concerne les non-nationaux dans les deux camps, le rapport est donc totalement en défaveur des Républicains.
En septembre 1938, le gouvernement républicain, dont le Président du conseil est Juan Negrin, décide de mettre fin aux brigades, en espérant, en retour, le retrait des Allemands et des Italiens sous la pression de la SDN, du côté des putschistes. Sur le contingent italien, quelques milliers seulement repartiront. Franco ne peut se passer des fantassins, des tanks et des avions des deux pays étrangers.
Le 28 octobre 1938, deux ans après leur constitution, le défilé des derniers brigadistes à Barcelone est chargé d’émotion. Une partie des brigadistes sera évacuée entre novembre 1938 et janvier 1939. Le 11 novembre 1938, 1500 volontaires français sont accueillis triomphalement à Paris. 5.000 brigadistes (allemands et italiens) ne pourront pas rentrer.
En octobre 1996, pour le 60e anniversaire de leur venue en Espagne, des centaines d’hommes et de femmes (la majorité a plus de 75 ans…) défilent à Madrid devant plus de 50.000 personnes. A la même période, les Cortes accordent le titre d’anciens combattants aux éléments des brigades internationales.
Concernant les Maghrébins, Georges Gonzalez précise : « L’origine algérienne des combattants est multiple (Arabes, Berbères, Juifs, Européens). La remarque se retrouvera concernant les pays arabes où se distingueront parmi les volontaires, des Palestiniens juifs, des Irakiens juifs, ou européens, des Egyptiens grecs, des Syriens arméniens ». Le dénominateur commun de ces volontaires est la lutte contre le fascisme. D’après les documents dépouillés, les volontaires algériens ont plus de 20 ans et ont déjà forgé leur conscience politique au sein de partis (L’Étoile nord-africaine, le PCF, le parti socialistes) et les syndicats (essentiellement la CGT).
Un autre point doit être précisé concernant André Malraux dont l’escadrille ne fait pas partie des Brigades internationales mais témoigne de l’aide des antifascistes à la République. Au lendemain de la révolte de Barcelone, il s’est envolé pour Madrid où il est mis en contact avec les milieux républicains. Les quelques pilotes et leurs avions restés fidèles à la République sont tombés entre les mains des putschistes franquistes, base très rapidement renforcée par les escadrilles de Mussolini et d’Hitler. Il faut donc aux Républicains de nouveaux avions pour enrayer l’avancée vers Madrid de leurs adversaires. C’est la mission de Malraux. Mais, en France, il ne parvient pas à trouver d’aide officielle puisque le gouvernement français est en train de signer un pacte de non-intervention. Malraux parvient à réunir quelques appareils qui formeront l’escadrille de combattants étrangers, « España ». Il faut rappeler que les pilotes sont plus des mercenaires que des antifascistes convaincus. Ce n’est pas le cas de Mohamed Belaïdi, le héros de Malraux dans le film qu’il tournera alors, socialiste algérien qui dit être venu se battre par conviction et qui fut tué par des avions de chasse allemands le 27 décembre 1936 dans le ciel de Téruel. Il avait déclaré : « Quand j’ai su que des Arabes combattaient pour Franco, j’ai dit à ma section socialiste qu’on devait faire quelque chose, sinon que diraient les camarades ouvriers des Arabes ? » Sanchez Ruano souligne que dans les films consacrés à cette guerre civile espagnole, on ne verra qu’une seule image, dans le film réalisé par A. Malraux, projeté à Paris en 1937, celle du « cercueil du milicien algérien recouvert d’un drapeau frappé du croissant musulman, une mitrailleuse posée sur le cercueil ».
«Je suis ici parce que je suis volontaire et je donnerai, s’il le faut, jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour sauver la liberté de l’Espagne et la liberté du monde entier » : Telle était la déclaration signée par chaque volontaire qui rejoignait les brigades internationales exprimant une solidarité inédite, un internationalisme aux accents puissants. Parmi les Maghrébins, les Algériens sont les plus nombreux, entre 500 et 800 volontaires selon les différentes estimations. M’hammed Elmansouri donne le chiffre de 500 Algériens ayant combattu au sein des Brigades (Le Soir d’Algérie, 7 mai 2009). Ils viennent de France ou directement d’Algérie. D’Oran, ils rejoignent Alicante en bateau. Ils sont surtout communistes mais il y a aussi des socialistes, des anarchistes et, à titre individuel, des nationalistes comme Sadek Zenad, garçon de café lyonnais. Denis Gasquez cite Améziane Ben Améziane, militant anarchiste, mécanicien de profession, qui a combattu sous les ordres du leader anarchiste espagnol Durruti. Dans un « Appel aux travailleurs algériens », Améziane, cité par Sanchez Ruano, écrit : « Nous sommes 12 de la CGT dans le groupe international face à la canaille fasciste. Miliciens si, soldats jamais ! Durruti n’est ni général ni caïd mais un milicien digne de notre amitié ».
On cite aussi Lakir Balik, ancien de l’armée française et comptable du Gouvernement général de l’Algérie, membre de la CGT, commandant d’une compagnie de Brigades et qui a adhéré au Parti communiste d’Espagne. Il déclara lors d’un meeting en févier 1937 : « Le peuple de mon pays est aussi opprimé que le peuple espagnol par le Grand Colon qui l’exploite et le ruine… Je donnerai jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour que Algériens, Tunisiens et Marocains puissent un jour secouer leur joug et retrouver leur liberté. »
Approfondir la documentation, creuset de futures fictions
Les brigadistes algériens ne sont pas devenus personnages de fictions. Pourtant, leurs profils se prêteraient au récit de ces parcours singuliers dans l’Algérie coloniale d’alors, qu’ils soient d’origine berbère, arabe ou européenne. Ces toutes dernières années, on commence à sentir naître un intérêt pour leur engagement. Nous en présentons quelques exemples, susceptibles de donner naissance à des personnages de fiction, porteurs de l’espoir d’alors, annonce de la lutte anticolonialiste.
Dans Le Soir d’Algérie du 26 octobre 2014, le journaliste et écrivain, Arezki Metref mentionne l’existence d’un brigadiste, nommé Amar né en 1908 dont la fille a retrouvé les documents dans une malle, dont une tentative d’autobiographie. Originaire de Taksa en Kabylie, il fait le récit de sa vie en France, de son entrée dans une cellule du PCF et de son engagement dans les Brigades internationales. Il donne ses motivations. Il parle ensuite peu de ses compagnons de lutte mais évoque certains camarades illustres : « Aujourd’hui, j’ai rencontré un compatriote algérien, Maurice Laban, un communiste. Il m’a dit qu’il y avait dans les rangs républicains d’autres Algériens ». Est noté encore le rapport qu’Amar établissait entre le combat des Républicains contre le fascisme et le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent, rapport perçu sous l’angle philosophique et pas du tout sous un angle péjoratif. C’est aussi un lecteur de la littérature espagnole et de Borgès. La chronique sur Amar s’arrête là.
Mme. Mechenet Oumassed a adressé une lettre, au début des années 2000, à l’Association des Volontaires/Amis combattants en Espagne républicaine (ACER) pour informer de l’engagement de son mari, Mechenet Essaïd Ben Amar. Il s’est engagé dans la colonne Durruti dès l’été 1936. Il quitte ensuite les unités anarchistes pour intégrer les brigades et participe aux batailles de Madrid, de la Guadalajara, de la Jarama, de Teruel, de Belchite, de l’Ebre. C’est là qu’il est blessé et évacué dans un hôpital à Barcelone. Il est décoré. Le consulat français lui redonne des papiers d’identité qu’il avait perdus. Il est ensuite transféré en France où il rejoint le parti communiste à Marseille puis à Alger. Mobilisé après le débarquement anglo-américain il participe à la campagne d’Italie et est blessé. Il perd la vue en décembre 1950 et meurt le 18 décembre 1986 à Alger.
La famille Carmona d’Oran a eu trois des sept frères qui sont partis en Espagne : deux y laissent la vie ; leur sœur, Joséphine, fera partie pendant la guerre de libération algérienne des Combattants de la Libération et subira une longue incarcération. La figure sans doute la plus connue est celle de Maurice Laban, né à Bisbra en 1914. Après une tentative d’études d’ingénieur à Marseille, il revient en Algérie et lutte contre le régime de Vichy ; il participe, en 1936, à la fondation du Parti Communiste Algérien. Très vite il s’engage pour l’Espagne : au cours de la guerre, il est blessé grièvement par deux fois. A son retour en Algérie, en 1940, il combat le régime de Vichy, est arrêté et condamné aux travaux forcés à perpétuité par la section spéciale du Tribunal militaire d’Alger. Il est libéré le 15 mars 1943. Conseiller municipal à Biskra, il devient membre du Comité central du PCA en 1947 malgré les réticences du parti qui le trouve trop « nationaliste » et lui signifie un blâme. Un de ses camarades, Ahmed Akkache a témoigné de sa profonde intégration à la vie des Algériens avec lesquels il était en plein accord. Lorsque le 20 juin 1955, le comité central du PCA décide de l’engagement des militants communistes dans la lutte armée, il rejoint le maquis de l’Ouarsenis qui est anéanti le 5 juin 1956. Un des survivants a écrit à son propos : « De l’Espagne aux Beni-Boudouane, ça a été toujours le même homme qui n’a pas cédé d’un pousse, qui aimait les hommes droits et méprisait les fausses hiérarchies ». Georges Raffini (1916-1955) a connu une trajectoire semblable à celle de Maurice Laban : de l’Espagne à la résistance française puis à la lutte armée en Algérie.
Lisette Vincent (1908-1999) était institutrice. Elle s’engage dans les brigades internationales à Barcelone, en 1938. En 1942, elle est condamnée à mort par le régime de Vichy. Elle fait partie des communistes exclus en 1944 pour sa trop grande proximité avec les aspirations nationales algériennes. Elle est arrêtée le 31 mai 1956 puis expulsée. De France, elle rejoint le FLN au Maroc et rentre en Algérie à l’indépendance. Jean-Luc Einaudi lui a consacré un livre-enquête.
Roman d’un brigadiste algérien
Il y a pourtant un premier et seul roman (à notre connaissance) consacré à un brigadiste algérien, écrit par Rénia Aouadène en 2015 : Un maure dans la Sierra. Cette écrivaine est originaire d’Aokas et a grandi dans la banlieue marseillaise. Elle a fait des études de Littérature et civilisations hispano-américaines et en sciences de l’éducation à l’université d’Aix-en-Provence. Ensuite elle part pour Cordoue et Grenade comme assistante de français où elle se passionne pour l’Espagne arabo-berbère-musulmane.
La romancière s’est inspirée de la vie de Rabah Oussidhoum né à Darna dans un village de Kabylie. Ayant eu connaissance de son histoire, Rénia Aoudène décide de tenter un roman inspiré de cette histoire méconnue, estimant n’avoir pas assez de matière pour une étude strictement historique. Elle constate : « J’étais surprise que cette histoire ne soit pas connue en Algérie. On la découvre en ce moment. En Kabylie, on m’a parlé d’un anarchiste algérien, qui a combattu en Espagne. Les langues se délient à peine. Pour certains, mon livre a servi de catharsis pour en parler. De plus, il faut savoir que la plupart des engagés maghrébins pendant la guerre d’Espagne sont rentrés en France. Seuls 10 à 15 % d’entre eux sont morts sur le champ de bataille. Ils sont retournés en tant qu’immigrés et n’en ont pas parlé. Il existe potentiellement énormément de témoignages à découvrir sur ce pan d’histoire ».
Rabah Oussidhoum est un des premiers à intégrer les Brigades ; c’est un soldat remarqué puisqu’il a déjà servi dans l’armée. En Espagne, il combattit sur différents fronts et capitaine, il co-dirigea le 12e bataillon. Il déclara que « toute la presse parle des volontaires marocains dans les rangs des rebelles franquistes : moi, personnellement je suis venu combattre avec les Brigades internationales, démontrant ainsi que tous les Arabes ne sont pas fascistes ». Après sa mort en 1938 sur le front d’Aragon, une compagnie porta son nom.
La romancière rappelle les étapes de sa vie : son enfance et sa jeunesse en Kabylie, son exil à l’intérieur du pays pour venir en aide à sa famille, son engagement dans l’armée : « il a décidé de s’engager dans une harka afin d’obtenir la citoyenneté française et fuir ce pays pour aller en France ». Il entre à l’école des sous-officiers. Libéré de l’armée, il réalise son rêve d’émigrer en France. Observateur, il prend son temps pour apprécier la vie ouvrière et finit par adhérer au Parti Communiste. Cette adhésion a son aboutissement provisoire dans les brigades internationales. Auparavant, il retourne dans son village pour voir sa mère et rejoint l’Espagne par Oran pour arriver à Alicante, sur le Jaime II. Avec ses camarades, il se retrouve dans le sud de l’Espagne, formé par des instructeurs soviétiques. Ayant une bonne formation militaire antérieure, Rabah Oussidhoum devient responsable au sein d’un bataillon. Il part dans la région de Cordoue, où il participe à la bataille de Lopera. Il se rend ensuite à celle de Ségovie, où il prend le commandement du 12e bataillon ‘Ralph Fox’, du nom d’un écrivain anglais qui était mort à Lopera. Interviewé sur sa présence pour les brigades internationales, il répond : « Tous les journaux parlaient des Moros qui luttent avec les rebelles de Franco. Je suis venu me battre avec les travailleurs contre la canaille fasciste ». Sur le plateau de Miraflores, au bord de la rivière Guadalope, il se retrouve face aux soldats moros de Franco : « En ce 25 mars 1938, au milieu du brouhaha causé par les bombes, les tirs des mitrailleuses, les grenades lancées par l’ennemi, Rabah armé de son fusil tire dans tous les sens. Il sait qu’il n’y a pas de temps à perdre car les franquistes, remontés à bloc par les batailles gagnées, sont prêts à tout pour en découdre avec ce bataillon. Un tir atteint la poitrine de Rabah qui s’écroule à terre, se vidant de son sang. (…) Rabah ignore que les politiciens qui gouvernent ne sauront jamais que des afro-arabo-musulmans ou chrétiens se sont battus. Ils deviendront des soldats de l’ombre car l’histoire ne retiendra que ce qui l’arrangera ».
L’intérêt de ce roman dans sa mise en relief de ce destin singulier est de nourrir les informations recueillies d’inventions au plus près de ce que l’écrivaine connaît ou recherche sur la Kabylie, l’Algérie coloniale, l’émigration en France et l’Espagne. Elle invente aussi le personnage d’Amalia, en rupture avec les traditions et donc avec sa famille et introduit une histoire d’amour et de passion, nécessairement éphémère en ces temps de guerre. La construction du roman ne rend pas arbitraire l’invention de la possibilité de ce couple car elle a alterné ce que l’on pourrait nommer le récit algérien (sur Rabah) et le récit espagnol (sur Amalia). Quand la jonction se fait sur le front, elle s’impose avec un certain naturel.
Tout au long des deux récits, les informations sur les sociétés et leur histoire sont données avec, sans doute, une présence un peu trop marquée de la voix de la narration qui laisse peu de liberté d’interprétation au lecteur. Mais ce roman est un roman de conviction et on n’est pas étonné qu’il soit, en même temps, un hymne à la civilisation berbère et à ses composantes : les êtres qui la font vivre et qui ont une mémoire historique profonde de ses capacités de résistance, ses manifestations culturelles, son attachement à la terre et à ses paysages. Il est aussi un hommage à une certaine Espagne : celle d’êtres libres qui, comme Amalia, inventent leur vie sans renier les valeurs essentielles de l’humanité.
En ouverture, un extrait d’un poème de 1961, écrit par Bachir Hadj Ali, poète algérien de renom, montre que le protagoniste choisi habite déjà la parole poétique algérienne :
« (…) Alfarez des Brigades, Rabah Oussidhoum, rêvait Comme on va à la fontaine pour n’avoir jamais de rides Son cœur a éclaté sur le cœur de Madrid (…) Il y a vingt cinq ans, comme une grenade mûre. Un cheval hurle la mort dans la gorge percée de Lorca Épouses noires de Guernica vos enfants ont grandi Nous sommes entourés d’orphelins. Épouses noires de Guernica (…) »
Si le cinéma s’emparait de ce personnage, sans doute pourrait-il lui donner le relief du brigadiste américain de Pour qui sonne le glasd’Hemingway. Peut-on dire que Robert Jordan doit autant à Gary Cooper qu’à Hemingway ? Le choix du romancier américain s’est porté sur un jeune internationaliste, professeur d’espagnol qui s’est engagé au sein des brigades internationales. Un documentaire serait en préparation de l’autre côté de la Méditerranée sur « ces Algériens qui ont fait la guerre d’Espagne », à partir des recherches d’Andreu Rosés, avec Marc Almodovar à la réalisation. Une équipe de tournage a séjourné dans la wilaya de Béjaïa à la recherche des descendants de ces héros oubliés.
Abane Ramdane était surnommé « l'architecte de la révolution ». Il avait réussi à regrouper et unir au sein du FLN l’ensemble des courants politiques disparates dont le dénominateur commun était la lutte contre la domination française. Principal organisateur du Congrès de la Soummam, le 20 Août 1956, c’est lui qui avait tracé les grandes lignes du mouvement de résistance visant à créer un état dans lequel l'élément politique l'emporterait sur l'élément militaire, et qui avait opté pour le pluralisme politique et linguistique en Algérie.
Il est mort assassiné en décembre 1957 au Maroc sur fond de querelles de pouvoir au sein du FLN.
Le Congrès de la Soummam avait établi deux principes fondamentaux :
premièrement, la branche politique du parti devrait avoir la primauté sur l'armée
deuxièmement, la priorité devrait être donnée à ceux qui avaient combattu dans le pays pendant la guerre plutôt qu'à ceux qui étaient à l'étranger, perçus comme déconnectés des réalités de terrain..
Il s’agissait d’une approche lucide des rapports de forces et d’une tentative pour mettre fin aux rivalités et consolider un mécanisme de prise de décision politique réellement démocratique.
Hélas, ces principes ont été oubliés très tôt et ce projet du futur état algérien présenté lors du congrès n’a jamais été mis en œuvre au moment de l’accession à l’indépendance de l’Algérie.
Le premier président algérien, Ahmed Ben Bella, qui n’avait pas assisté au congrès, est arrivé au pouvoir en 1963 avec le soutien des forces armées, en écartant des personnalités civiles telles que le président par intérim de l’assemblée constituante, Ferhat Abbas, qu'il avait placé sous assignation à résidence en 1964.
Les méthodes autoritaires de Ben Bella avaient écarté un grand nombre des dirigeants historiques du FLN, si bien qu’en 1965, son ministre de la Défense, le Colonel Houari Boumediene, l'a renversé par un coup d'Etat, mais c’était en fait pour consolider le pouvoir de l'armée. Les troisième et quatrième présidents algériens, Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual, étaient également des personnalités militaires de premier plan.
Ces péripéties sont magistralement analysées par Ferhat Abbas dans son livre : "l’indépendance confisquée".
Etrangement, malgré la tension constante entre les pouvoirs militaires et civils, l'armée algérienne a continué à être perçue comme une armée populaire, même si les soulèvements d'octobre 1988 ont égratigné ce mythe qui a pourtant la peau dure : la foule excédée par l’austérité et la corruption généralisée était descendue et l'armée était intervenue réprimer violemment les manifestations, tuant 500 personnes.
La colère publique grandissante avait pourtant contraint le régime algérien d’alors à mettre en place un système multipartite et à organiser des élections législatives en décembre 1991. Le FLN avait été battu par le Front islamique du salut (FIS). Mais l'armée avait tout simplement annulé le résultat du suffrage et rappelé l'exilé Mohamed Boudiaf, personnage populaire et membre fondateur du FLN, qui s'était opposé à la fois à Ben Bella et à Boumediene, dans l’espoir d’apaiser les tensions. Mais en juin 1992, Boudiaf a été assassiné dans des circonstances mystérieuses, qui ont plongé le pays dans une guerre civile, renforçant à la fois le sectarisme persistant depuis l'indépendance et la suprématie de l'armée.
L’assassinat de Boudiaf a provoqué des tas de rumeurs qui décrivaient l’armée comme une force malveillante contrôlant « l’état profond » algérien. Boudiaf est alors apparu comme un véritable homme providentiel qui tentait de sauver le pays. Bien qu’il fût à l’origine d’une répression impitoyable à l encontre des militants islamistes, il était perçu comme celui qui avait protégé la nation d’un possible coup d’état militaire.
Tout comme Ramdane, Ben M'hidi et d’autres, Boudiaf a laissé derrière lui un héritage historique de gouvernement civil que les manifestants algériens souhaitent aujourd’hui raviver.
Trois jours seulement après la démission de Bouteflika, le fils de Boudiaf, Nacer, et la soeur de Ben M'hidi, Drifa, ont pris part à la manifestation à Alger et ont pris la parole devant une foule enthousiaste : "Nous ne demandons pas que trois personnes seulement partent, ils doivent tous partir !" a dit Drifa. Quelques jours plus tard, la famille Boudiaf a publié une déclaration appelant à un retour aux principes initiaux de la révolution algérienne, déclarant que "l'Algérie [était] une république et non une caserne" et que les intérêts de l'Algérie devaient venir "avant toute chose" .
En évoquant des personnalités historiques comme Boudiaf, Ramdane et Ben M'hidi et en se référant aux principes du Congrès de Soummam, les manifestants algériens ont clairement indiqué qu'ils ne laisseraient pas l'élite dirigeante "confisquer" leur mouvement. S’ils n’ont pas rejeté la légitimité historique de l’armée en tant qu’institution, ils ont néanmoins émis une injonction ferme selon laquelle les dirigeants militaires devaient servir les intérêts du peuple.
La guerre d’indépendance n’est pas seulement dans les livres d’histoire, les clivages qu’elle avait provoqués sont à nouveau apparus dans les rues algériennes ces dernières semaines et l'annonce de la tenue des élections présidentielles le 4 juillet n'a pas fait baisser la mobilisation des manifestations du vendredi.
Gaid Salah a bien tenté d'utiliser la vieille ficelle de l'ingérence étrangère et de la manipulation, mais en fait, aucun pays partenaire de l’Algérie pour des raisons géopolitiques, que ce soit la France, la Russie ou les Etats-Unis, n’a intérêt à bouleverser le statu quo algérien que la rue veut casser. Il ne s’agit pas d’une nouvelle « révolution de couleur ». Par contre, ces accusations ont une nouvelle fois suscité des inquiétudes à propos des intentions de certains éléments du régime algérien qui appellent de leurs vœux une prise de contrôle de fait par l'armée dont le poids est déjà considérable.
C’est pour cela que, ces dernières semaines, les Algériens se sont référés à plusieurs reprises à l' article 7 de la Constitution, héritage direct du congrès de la Soummam, qui stipule qu'en fin de compte, la souveraineté appartient au peuple et que sa volonté est représentée par des institutions civiles.
Cela n’empêche pas que l'armée conserve toujours sa légitimité auprès de la population dont elle a le soutien : après tout, cette armée de conscription a pris la succession institutionnelle de la branche militaire du FLN. Mais les manifestations en cours révèlent que des tensions historiques non résolues entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil ont refait surface, et leurs racines remontent à la lutte pour le pouvoir entre les différentes factions du FLN au cours de la guerre d’indépendance, et les références à cette matrice ont refait surface.
Par exemple, au cours des dernières semaines, les manifestants ont réclamé la démission du président par intérim, Ben Salah, du Premier ministre Noureddine Bedoui et du ministre de l'Intérieur Tayeb Belaiz (qui a démissionné le 16 avril), rejetant leur participation à la période de « transition ». Ils ont été surnommés les "trois B", un rappel symbolique à un autre trio politique qui n’est pas tombé dans l'oubli : Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobal.
Les "trois B" historiques étaient des personnages clés de la résistance algérienne qui représentaient la domination de la branche militaire du FLN sur ses dirigeants politiques pendant la guerre. Les trois sont soupçonnés d'être responsables du meurtre d'Abane Ramdane, membre du FLN et militant révolutionnaire, qui reste très populaire encore aujourd'hui. Son portrait est arboré régulièrement lors des manifestations.
La pyramide des âges algérienne est une des plus jeunes du monde, mais la mémoire n’est pas individuelle, elle est collective. Une société est un être vivant dont les individus qui la compossent assurent la cohérence et la continuité
« Si personne ne t’a déshabillé, je vais le faire moi ! » :)
*Ali Haroun L’été de la discorde Casbah Editions
Ainsi a sonné l'heure de transmettre le message. C'est en effet depuis des décennies que la révolution de confier leur témoignage à l'Histoire tourmente certains de ses dépositaires. D'ailleurs, quelques unes des pages de cet ouvrage attendaient, depuis des années, de pouvoir paraître. Mais les régimes autoritaires, hostiles, à la liberté d'expression et l'opportunité de les révéler, ont imposé et déconseillé de laisser le temps faire son œuvre.
Chronique livresque. Acte I. Le 27 mai 1962, le CNRA ouvrait une session extraordinaire à Tripoli motivée, nous dit Ali Haroun*, membre du Conseil, par la nécessité de préparer l’indépendance imminente de l’Algérie.
Dans l’annexe du document de base rédigé par une équipe à coloration de gauche (Benyahia, Harbi, Lacheraf, Malek, Temmam), l’annexe II comporte une phrase qui sera le détonateur.
Lisons-là : « Dès la fin des travaux du CNRA, le Bureau politique doit entrer en Algérie pour prendre en main l’organisation du FLN et implanter le parti en Algérie ».
Selon l’auteur, ce Bureau politique aura le soin d’installer le parti, de préparer le référendum et d’organiser les élections à l’Assemblée Nationale Constituante. « Faire partie de ce Bureau, c’est effectivement exercer une influence déterminante sur l’avenir immédiat. Aussi, l’homme qui dispose de la majorité est-il pratiquement assuré de détenir entre ses mains le sort du pays. »
Ben Bella-Boumediène VS Krim, Bentobbal, Boussouf Ils sont 52 à débattre du sort de l’Algérie avec comme président de séance Mohamed Benyahia. Tout ce que l’Algérie combattante comptait de chefs étaient présents, certains le couteau entre les dents et les autres, rares, une colombe dans la main.
Il y a Benkhedda, président du GPRA, Ben Bella vice-président, Boumediène, chef de l’état-major général (EMG), Boudiaf, Krim Belkacem, Boussouf, Bentobbal, Kafi, Ait Ahmed, Dahlab, Khider, Mehri et bien entendu l’auteur, Haroun, etc.
Pour la désignation du BP, l’assemblée nomme une commission présidée par Benyahia. Laquelle commission est « chargée de procéder aux consultations pour proposer une liste susceptible de recueillir l’adhésion des deux tiers des votants ».
Les négociations en coulisse commencent. Les alliances se font et se défont. Mais, comme le précise Haroun, la tendance Ben Bella est la plus entreprenante et la plus agressive. Les oppositions et les dissensions creusent le fossé entre les membres.
Haroun, désigné par les membres de la Fédération de France, rencontre Ben Bella dans une chambre de l’hôtel « El Mehari », de Tripoli. Ben Bella l’informe qu’il a proposé à la commission une liste de 7 membres : lui-même Ben Bella, Ait Ahmed, Khider, Bitat, Boudiaf plus Hadj Benalla et Said Mohamemedi. Sur Cette liste, hormis Boudiaf et Ait Ahmed, tous les autres sont acquis à Ben Bella.
Haroun ne l’entendait pas de cette oreille. Il lui semblait indispensable d’ajouter aux « Cinq » » ex-détenus d’Aulnoy, Krim Belkacem, Boussouf et Bentobbal. Arguments développés : « Malgré toutes les critiques encourues (la mort de Abane Ramdane, leur neutralisation réciproque et son impact négatif), ils avaient, au travers des dangereuses tempêtes essuyées mené le bateau « Algérie » à bon port ».
Opposition de Ben Bella qui ne veut entendre parler d’aucun des trois. D’autant plus que son alliance avec Boumediène (qui avait cherché d’abord l’appui de Boudiaf) lui permettait d’avoir sous la main la plus forte armée de l’Algérie : celle des frontières. Politicien madré et impulsif, il savait qu’il ne pourrait être président que s’il s’appuyait sur la seule force organisée. GPRA, et tout le reste ? Pftt…
Boubnider à Ben Bella : « S’il faut te dénuder, nous le ferons ! » Alors que les tractions se poursuivent, Tahar Zbiri, commandant en titre de la Wilaya 1, demande qu’on lui permette de voter par procuration au nom de trois membres de son conseil de wilaya alors même qu’il n’avait pas de procuration écrite comme l’exige l’article 32 des statuts du FLN.
Benkhedda, président du GPRA, s’y oppose. Ben Bella, vice-président du GPRA, intervient pour donner raison à Zbiri. Benkhedda, ulcéré, reproche à Ben Bella de briser la solidarité gouvernementale. Alors Ben Bella en colère interpelle celui qui est censé être son président : « Le plus grand manœuvrier, c’est toi, et si personne, à ce jour, ne t’a déshabillé, je vais le faire, moi ! »
Boubnider contre Ben Bella : « Tu n’as pas à t’adresser de la sorte au président. Et, s’il faut te dénuder, nous le ferons. » A son tour Bentobbal fait entendre sa voix : « Ben Bella, depuis un mois que tu vis parmi nous, tes manigances ont déjà semé la discorde… »
Ça ne vole vraiment pas haut. Triste spectacle où les noms d’oiseaux et même les invectives fusent de toutes parts. Le CNRA se termine en queue de poisson. Les luttes de pouvoir ont eu raison du patriotisme.
La crise entre le GPRA et l’EMG qui soutient Ben Bella atteint son paroxysme quand le GPRA décide : « 1) de dénoncer les activités criminelles des trois membres de l’ex-état-major général ; 2) de dégrader le colonel Boumediène et les commandants Mendjli et Slimane ; 3) de refuser tout ordre venant de ces ex-officiers et de ceux qui s’en réclameraient. »
L’EMG nullement effrayé déclare ce limogeage illégal arguant que seul le CNRA est habilité à prendre pareille décision. Ce qui est parfaitement faux. Le GPRA a les prérogatives de nommer et, par conséquent, de limoger, les responsables politiques et militaires (articles 26 des institutions provisoires de l’Etat algérien). Ben Bella de son côté pousse des cris d’orfraie en ameutant son monde.
Acte II. La deuxième partie de la scène, déterminante celle-là, se passe à Tlemcen, à la villa Rivaud, où se retrouvent l’EMG, Ben Bella et même Ferhat Abbes, Bitat et Ahmed Boumendjel venus l’appuyer.
Il y a aussi le colonel Chaabani, de la Wilaya VI, le colonel Othmane de la Wilaya V, les colonels Zbiri et Hadj Lakhdar de la Wilaya I. Ce groupe, nous dit Haroun, n’est pas seulement représentatif, il est manifestement en mesure de s’imposer en cas d’affrontement armé.
En face, à Alger, le GPRA de Benkhedda est accueilli dans un enthousiasme délirant. C’était la fête. Avant le déluge. Dans cette période de clair-obscure où aucune autorité ne dirige vraiment l’Algérie, ce n’est que vols, viols, kidnapping et meurtres qui sévissent dans tout le pays.
Le 20 juillet le groupe de Tlemcen va franchir le Rubicon. Il se déclare habilité à assurer la direction du pays suite à la réunion du CNRA. Problème : on ne comptait que 39 membres présents alors que le CNRA de Tripoli comptait 69 (avec les votes par procuration) ! L’auteur ajoute qu’en vérité (en soustrayant les 5 voix de la wilaya III et les IV de la wilaya IV) on ne compte d’authentiques signataires que 30 membres. Or l’article 10 des Statuts des Institutions provisoires de l’Etat algérien stipule que « le vote concernant la désignation des responsables se fait à la majorité des deux-tiers des membres présents ou représentés. Soit 46 personnes. D’où l’illégalité de la réunion du CNRA de Tlemcen ».
Ayant donné l’habillage juridique à leur coup d’Etat, le groupe de Tlemcen s’empara du pouvoir après une rapide lutte fratricide qui laissa sur le carreau des centaines de morts. L’Algérie venait d’entamer son indépendance en dévorant ses fils.
Il y a 61 ans, presque jour pour jour, plusieurs stars algériennes du championnat de France quittaient subitement l'Hexagone pour porter l'étendard de l'indépendance de l'Algérie. Une exposition "Foot et monde arabe", qui se tient actuellement à Paris, revient sur cette fameuse "équipe du FLN".
"Neuf footballeurs algériens disparaissent": le mardi 15 avril 1958, le journal L’Equipe fait sa Une sur la secrète "évasion" de vedettes du championnat de France, comme Rachid Mekhloufi et Mustapha Zitouni, qui s’envolent pour former l’équipe du FLN et défendre balle au pied l’indépendance algérienne.
Leur départ - un choc pour l’opinion publique française - et leur aventure sportive jusqu’à l’indépendance sont le temps fort de l’exposition "Foot et monde arabe, la révolution du ballon rond", organisée à Paris (10 avril-21 juillet à l’Institut du monde arabe).
Une trentaine de joueurs quittent la France
Le mouvement de libération algérien "avait besoin de représentants de la nouvelle génération. Nous étions des joueurs de 25 ans en plein boom. Nous étions des VRP, le football algérien c’était politique ! On a représenté le pays dignement", sourit Dahmane Defnoun, 82 ans et les yeux qui pétillent devant les nombreuses archives exposées.
Au total, une trentaine de joueurs professionnels - les "fellaghas" du football comme les surnomme Paris Match - quittent la France entre 1958 et 1960 en quatre vagues, pour rejoindre Tunis où cette équipe du Front de libération nationale (FLN) s’est installée.
"On est parti comme ça, à l’aventure"
En catimini, leurs périples sont dignes de romans policiers. Refoulés une première fois, Jeanne et Saïd Hadad, l’un des joueurs-entraîneurs de l’équipe, retentent leur chance en décapotable Peugeot à la frontière italienne, prétextant un voyage de noces.
"Le douanier allait prendre le téléphone pour appeler la DST. Finalement, il raccroche et il dit: "Monsieur Hadad, je ne vous ai pas vu, circulez, dégagez!" On est parti comme ça, à l’aventure, on ne savait pas où aller, il fallait chercher le réseau", se souvient Jeanne, très émue. A Rome, le couple finit par rejoindre des membres du gouvernement provisoire algérien à l’ambassade de Tunisie, puis trouvera le moyen de gagner Tunis.
Le drapeau algérien apparaît
Pendant que la guerre fait rage en Algérie, la sélection, non reconnue par la Fifa, s’envole pour des tournées dans des pays soutenant sa cause: satellites de l’Union soviétique, Nord-Vietnam, Chine, Irak... Entre deux matches, l’équipe, véritable outil de propagande du FLN, est reçue par les officiels.
"C’est une des premières fois que le drapeau algérien qui était interdit se lève sur les stades de foot, c’est l’un des plus grands exemples de politisation du sport", souligne l’historien Stanislas Frenkiel, auteur d’une thèse sur le sujet.
Une vague de stupéfaction
"Il ne faut pas oublier que le FLN était considéré comme une organisation terroriste. Dans le mouvement sportif, il y a une vague de stupéfaction. La Ligue de football et la Fédération française vont très vite s’organiser pour suspendre les contrats des joueurs", poursuit-il.
A Saint-Etienne, le départ de l’attaquant vedette Rachid Mekhloufi, international français, provoque la sidération. Le club de Monaco perd quant à lui cinq joueurs dont le défenseur Mustapha Zitouni, lui aussi prometteur talent des Bleus, qui disputeront sans eux la Coupe du monde 58, terminée à la 3e place.
"Pas du tout une haine de la France"
"Des coéquipiers qui avaient une certaine notoriété ont compris le geste que nous faisions, c’était un geste d’au revoir, parce que beaucoup, dès le lendemain de l’indépendance, sont revenus en France", raconte l’ancien de Béziers et des Girondins Saïd Amara, canne au poing et veste élégante.
"Dans l’équipe du FLN, à peu près un joueur sur deux était marié à une Française. Ce n’était pas du tout une haine de la France, mais un rejet et une haine de l’oppression coloniale", estime l’historien Stanislas Frenkiel. Une fois l’indépendance acquise, en 1962, "un joueur comme Mekhloufi reviendra à Saint-Etienne, après un passage au Servette de Genève".
Le courage des épouses
Le chercheur insiste sur le "courage exceptionnel de leurs épouses. Souvent, elles s’étaient déjà brouillées avec leurs familles car elles épousaient un footballeur algérien et musulman. Puis elles ont tout quitté, à 20 ans".
"Ca nous a chamboulés, j’ai laissé mes parents... Et se dire bon Dieu, on fait un truc bien, allez on fonce, on y va, on ne cherche pas à comprendre, on s’en va", se souvient Jeanne Hadad, la gorge serrée.
"On a représenté un pays, un peuple"
"C’était beau ce qu’on a montré aux pays de l’Est qui ne savaient même pas situer l’Algérie. On a représenté un pays, un peuple. Quand ils les ont vus jouer... Ils ont fait des cartons là-bas à Moscou, à Prague, partout, partout!".
Outre l’exposition, une bande dessinée retrace cette aventure: "Un maillot pour l’Algérie" (éditions Aire Libre, Dupuis).
En Algérie, les premiers bourgeons d'une démocratie pourraient fleurir après la démission du président Abdelaziz Bouteflika. Son départ, provoqué par la pression de la rue algérienne, pourrait clore une longue période dictatoriale qui, comme le soulignent nos archives, a commencé pratiquement dès l'indépendance du pays en 1962.
Le 27 juin 2002, le correspondant parlementaire Pierre Tourangeau prépare pour le service de l’Information une synthèse de l'évolution de l’Algérie depuis la fin des années 1950.
Ce que raconte le journaliste, c’est l’histoire d’un rêve de liberté brisé.
Car si l’Algérie est sortie du joug colonial français en 1962, c’est pour retomber presque immédiatement dans les griffes d’une dictature corrompue.
Peu après l’indépendance algérienne, le pouvoir est confisqué par une clique qui dirige le pays comme si c’était sa propriété privée.
L’incompétence de cette clique fait sombrer l’économie alors que l’Algérie possède pourtant d’immenses ressources naturelles et humaines.
Pour le peuple algérien, à la misère matérielle s’ajoutent bientôt la guerre civile et la terreur provoquée par l’État et des milices islamistes.
En 1990 et en 1991, les élections municipales et législatives sont remportées par le Front islamiste du salut.
Plutôt que de leur céder la place, « le Pouvoir », comme appellent les Algériens le régime, préfère voir le pays s’enfoncer dans une vague de violence et de terrorisme.
Cette flambée de fureur, qui durera presque une décennie, provoquera la mort de 60 000 à 200 000 Algériens, auxquels s’ajoutent des milliers de disparus et près d’un million de réfugiés.
Cet épisode dans l’histoire de l’Algérie a profondément traumatisé les Algériens. Le régime utilise la commotion pour justifier son maintien au pouvoir.
Le président Bouteflika, symbole d’un régime corrompu
Par sa trajectoire, en raison de ses politiques, l’ex-président Abdelaziz Bouteflika est un puissant symbole des tares du régime qui gouverne l’Algérie.
Montréal ce soir, 16 avril 1999
Sa première élection, le 16 avril 1999, fait l’objet d’un reportage de la journaliste Danielle Levasseur au Montréal ce soir qu’anime Christine Fournier.
Élu avec 74% des voix lors d’un scrutin que ses opposants qualifient de frauduleux et qu’ils boycottent, Abdelaziz Bouteflika promet de revitaliser l’économie et de combattre la corruption.
Du même souffle, il fait cette déclaration surprenante.
Je donnerais des garanties internationales, même à l’argent illicite, s’il devait créer des emplois, faire faire à l’Algérie une épargne de devise.
Pouvait-on croire à la lumière de cette annonce que l’éthique serait placée au cœur du mandat du nouveau président? On peut en douter.
Les milliers d’Algériens qui manifestaient contre l'élection d’Abdelaziz Bouteflika à cette époque-là ne s'illusionnaient guère sur cette question.
Un président muet
En 2011, dans la foulée des printemps arabes tunisien, égyptien et libyen, l’Algérie s’enflamme. Place du 1er-mai à Alger, 10 000 manifestants exigent que le président Bouteflika « dégage ».
Téléjournal, 11 février 2011
La journaliste Émilie Dubreuil relate dans un reportage présenté au Téléjournal du 11 février 2011 qu'anime Pascale Nadeau le soulèvement dans la capitale algérienne.
Mais après quelques jours, l’Algérie retourne dans le silence.
Elle n’est pas la seule.
En 2013, le président Bouteflika est terrassé par un accident vasculaire cérébral.
Cloué dans un fauteuil roulant, il disparaît de la scène publique. Cela ne l’empêche pas de se représenter pour un quatrième mandat en 2014.
Une nouvelle tentative de décrocher un cinquième mandat fait déborder le vase. La rue exige, et obtient, la démission présidentielle.
Le plus difficile reste maintenant à faire.
Comment démanteler un système enraciné si profondément dans les rouages de l’État et qui profite à une puissante minorité? Cela demandera à la fois patience et détermination.
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