La « Bleuite » est une opération d’infiltration et d’intoxication montée par le SDECE pendant la guerre d’indépendance contre la wilaya III, Elle vient en vengeance à l’opération « Oiseau bleu » qui a eu lieu en 1956 et dans laquelle Krim Belkacem, alors commandant de la wilaya III a donné une leçon aux services français.
Commencée lors du démantèlement des réseaux du FLN dans l’Algérois, la Bleuite a été dirigée par le capitaine Paul-Alain Leger.
« La bleuïte est la grande purge qui affecta les maquis de l’Armée de Libération Nationale après la bataille d’Alger, dès la fin de l’année 1957. Elle a été dirigée et orchestrée par les Services secrets français, et plus précisément par le capitaine Paul-Alain Léger. Habitué aux techniques de guerre psychologique, de manipulation, d’infiltration, d’intoxication, de « coups tordus », Léger a ciblé le colonel Amirouche, chef de la Wilaya III en Kabylie, réputé déterminé et cruel. En lui faisant croire que son secteur était noyauté par des agents doubles, des maquisards ralliés à la cause française, il a persuadé le leader algérien d’entreprendre dans son propre camp l’extermination, l’épuration de ceux qu’il pensait être des traîtres. Ce « nettoyage » a duré des mois et a eu des effets dévastateurs sur le moral des moudjahidines. Le doute, la suspicion, la paranoïa se sont diffusés comme un poison dans les rangs de l’ALN FLN avec une efficacité redoutable, et se sont étendus dans les wilayas voisines, le tout sans exposer le moindre soldat français », écrit Taos Aït Si Slimane dans la Fabrique de l’histoire.
Dans la même émission Jean-Charles Jauffret explique : « Si vous voulez, je pourrais vous prendre cet exemple que Paul Alain Léger avait développé devant moi et qu’il n’avait jamais évoqué par ailleurs. Il reçoit, un jour, à la fin de la Bataille d’Alger, il ne m’a pas indiqué quand, certainement à la fin d’octobre, quelqu’un qui n’a pas été pris dans Alger même mais dans ce que l’on appelle le grand Alger, certainement à la limite de la Mitidja. Et il se rend compte qu’il a affaire, ce personnage n’a pas été torturé, certainement à un cadre de la Wilaya III. Il ne sait pas qui il est. Il n’a pas encore constitué d’organigramme sûr de cette Wilaya III, mais il pense tenir un gros poisson. Alors, que fait Léger ? Eh bien, c’est l’intelligence à l’état pure. Au lieu de le menacer, il le considère comme son égal. Il établi une sorte de lien de confiance.
Mais il se rend compte, car c’est un fin psychologue, et c’est le propre d’un officier de renseignement digne de ce nom, que de ce cadre de l’Armée de libération nationale, même par les méthodes les plus fortes, on n’en obtiendra strictement rien. Alors, on va arriver au stade ultime de ce qu’est une intoxication. Léger le garde 15 jours, fait en sorte qu’il soit particulièrement bien nourri, à la limite presque choyé, il veille à son confort et puis au bout du quinzième jour il lui dit : écoute, je ne peux rien faire pour toi, tu n’as rien voulu me dire, je respecte ton engagement de combattant, je te remets aux mains des autorités. Et il prononce le mot terrible de la prison de Barberousse, vous savez là où avaient eu lieu, vous le savez, les exécutions capitales et d’autres choses dans le sens de mauvais traitements.
Et là se produit cette mise en scène où – ce n’est pas très loin entre la basse Casbah et la prison de Barberousse qui était dans la haute Casbah – on lui fait tout un tour dans Alger, un jour, vers les midis, dans une 203 avec un gendarme à l’avant qui somnole, il se rend compte que les menottes lui ont été mises certes mais que la porte arrière droite de cette 203, où il y a également un inspecteur de police qui manifestement se cure les dents, il peut s’échapper. C’est ce qui se passe. Il ouvre la porte, se précipite dans la foule, l’inspecteur sort, essaye de l’arrêter, tire un coup de pistolet en l’air et le bonhomme se fond dans la foule. Alors qu’est-ce qui se passe ? La suite est assez facile à imaginer.
Il est réceptionné par son propre réseau tout heureux de le retrouver vivant. Il demande immédiatement à reprendre le combat et il part dans je ne sais plus quelle Zone de la Wilaya III retrouver ses anciens camarades. Là, il tombe sur un des seconds d’Amirouche, l’homme qui avait inventé ce supplice terrible qu’on appelle « l’hélicoptère », je crois de prénom de Hossein, qui a des doutes sur la détention de son camarade. Il pose la question fatidique : Mais tu n’as pas été torturé ? Il constate qu’effectivement il avait pris quelques kilos. La suite est facile à imaginer. Notre cadre a subi des supplices, il est exécuté. Le résultat c’est qu’ensuite ses compagnons veulent se venger. Il y a, à l’intérieur, un règlement de comptes qui vire à une purge pour tous ceux qui ont tourné autour de ce personnage aussi bien à Alger que dans la Wilaya III. C’est le mécanisme des purges telles que les a amorcées Léger, bien qu’il ne soit pas du tout sali les mains.
Pour l’histoire il y a lieu de rappeler qu’un officier a dit non et dénoncé très vite cette opération. Il s’agit de Yaha Abdelhafidh. Sous-officier de l’ALN à l’époque, il a dû répondre de son acte devant le colonel Amirouche qui l’a convoqué sur les hauteurs du Djurdjura pour s’expliquer. Connaissant la valeur de si Lhafidh, le colonel Amirouche a écouté avec attention les explications du premier. Quelques semaines plus tard, les arrestations et assassinats de moudjahidine ont cessé dans la wilaya III.
On ignore les contours exacts et l’ampleur de cette opération d’intoxication. Aussi les chiffres fantaisistes de milliers de moudjahidine tués pendant la Bleuite sont à prendre avec précaution.
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