Durant la guerre d'Algérie, les autorités militaires françaises mirent en place des camps de regroupement destinés à contrer la lutte pour l’indépendance en déplaçant des populations de leurs terres d’origine.
La guerre d’Algérie qui mena à l’indépendance du pays en 1962 constitue une rupture dans les trajectoires individuelles de milliers de ruraux algériens. On estime qu’un quart de la population algérienne fut en effet déportée dans des CRP, les camps de regroupements de population.
Gardiennes de traditions millénaires, coupées de leurs terres et de leur moyens de subsistance, ces populations relativement pauvres, pour l’essentiel des femmes, des enfants et des personnes âgées, furent explusées de leurs terres et confinées dans des camps de fortune où elles durent recréer de nouvelles vies.
Cet ouvrage reconstitue la trajectoire de certains de ces témoins, autour de la
région de Cherchell, et apporte, à travers cette série de récits, une pierre essentielle à l’édifice d’une mémoire souvent oubliée ou occultée.
Emportés collectivement dans les secousses de la guerre, ces femmes et ces hommes ont vécu, chacun à leur manière, des parcours qui les ont menés dans des directions différentes.
Les auteurs ont minutieusement récolté ces récits de vie, ces parcours cassés, qui malgré la douleur et l’arrachement ont pu, quelquefois, engendrer aussi de belles histoires.
Dès 1955, en Algérie, les chefs militaires français amorcent des opérations de regroupement des populations civiles algériennes. Si ces opérations concernent d’abord les zones de combat, elles sont ensuite étendues à l’ensemble du territoire : les populations rurales sont, en effet, considérées « comme les bases arrières des insurgés algériens », et il s’agit de « déstabiliser, voire de supprimer, tout ce qui pouvait être perçu comme soutien à ces mouvements insurrectionnels ». Jusqu’au moment de la déclaration de l’indépendance de l’Algérie, en 1962, un quart de la population indigène a été déplacée et cantonnée dans des camps de regroupement.
2L’ampleur de ce chiffre, et des drames qu’il ne peut manquer d’évoquer, contraste avec le vide historiographique et mémoriel qui l’entoure, en France comme en Algérie. Face à ce constat les trois hommes à l’origine de cette étude – Kamel Kateb, chercheur démographe à l’Ined, Nacer Melhani, agronome, et M’hamed Rebah, écrivain – décident de partir d’une région précise (Cherchell, au Nord de l’Algérie) et de donner la parole à ceux qui ont vécu dans les camps qu’elle a abrités, afin de mieux cerner cette réalité essentielle de la guerre et comprendre ses conséquences sur la société algérienne après l’indépendance.
3L’étude s’est fondée sur les témoignages, recueillis en 2012 et 2013, de trente-huit personnes ayant séjourné dans treize centres de regroupement de la région de Cherchell. L’idée était « de partir de leurs conditions de vie et de travail (petits paysans pauvres) avant le regroupement et de saisir les transformations de leur vie individuelle et collective, induites par les années passées dans le centre de regroupement. » Car l’histoire de ces camps de regroupement est aussi celle de la fin d’un monde, rural et montagnard, basé sur une structure familiale de type patriarcal et une agriculture d’auto-subsistance. En suivant le fil des récits de vie et en les croisant avec des archives institutionnelles, l’ouvrage parvient ainsi à saisir l’évolution de cette histoire et à l’apprécier dans sa durée comme dans sa violence. À l’évocation d’une société tribale ancestrale, dont le processus colonial a amorcé l’érosion, succèdent les descriptions de la brutalité des expulsions et de la vie dans les camps, d’autant plus que les populations concernées sont majoritairement composées de femmes et d’enfants. Enfin, les chapitres finaux permettent d’appréhender l’impossibilité, tant matérielle que psychologique, de faire revivre « le monde d’avant », et ce malgré les directives et les aides financières du FLN. Alors que l’Algérie accède à l’indépendance et entame une nouvelle page de son histoire, les stigmates de la guerre en accélèrent les bouleversements sociaux : « Les trajectoires individuelles, jadis scellées par des traditions communes, ont éclaté en une multitude de parcours où chacun devait trouver sa place. » Relater ces parcours, dans ce qu’ils ont d’intime et de particulier, c’est donc dépeindre tout un pan de l’histoire rurale et migratoire de l’Algérie, française puis indépendante. C’est également, pour les trois auteurs, un devoir, sinon de mémoire, du moins d’humanité : « Retracer les trajectoires de gens simples entraînés dans le chaos d’une guerre qui ne disait pas son nom, dont ils subirent la violence et les contraintes et dont ils ne maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants nous a paru presque comme un impératif. »
Yasmine Achouche
https://journals.openedition.org/hommesmigrations/6970
Voir aussi : https://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2018/08/lhistoire-des-camps-de-regroupement-est-encore-méconnue-en-algérie.html
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