Née à Neuilly, morte à Alger, enterrée à Béjaïa, la combattante pour l’indépendance de l’Algérie, Danièle Minne, au nom de guerre Djamila, a revisité notre conscience cette semaine dans le petit bourg de Bordj Mira blotti au cœur des Babors, grâce au Café Littéraire animé par l’association ’’Etoile d’Agrioun’’. La journaliste Nadia Agsous, est venue de Paris, évoquer la vie et l’œuvre de Danièle Minne, cette combattante qui a marquée l’histoire de l’Algérie par son engagement durant la guerre d’indépendance et sa participation active à la reconstruction du pays en tant première femme professeur d’histoire à l’université d’Alger.
Après la guerre, retour derrière les fourneaux
Une femme, Nadia Agsous, nous a parlé, vendredi passé durant deux heures, d’une autre femme qui avait participé physiquement et intellectuellement à la délivrance de l’Algérie du joug colonial et qui nous a laissé de précieux documents sur le combat des femmes durant la guerre de libération nationale. Il n’y avait dans la salle, en plus de la conférencière, que deux femmes parmi une cinquantaine d’hommes. Une preuve, si besoin en est, de l’exclusion de la femme de l’espace public, exclusion portée et entretenue par un discours obscurantiste faisant de la femme un démon porteur de tous les maux de la société, un être satanique à couvrir, d’un haik blanc, d’un hidjab noir annulant son corps et d’un niqab raccourcissant son regard.
Il est temps de produire un contre discours féminin véhiculant les valeurs universelles, basé sur la vérité historique et des faits vérifiables sur la participation essentielle des femmes à la guerre d’indépendance et à la reconstruction du pays. C’est d’autant plus indispensable que la transmission sur ce sujet vital de la place de la femme dans la modernisation du pays, pour l’équilibre et la cohésion de la nation, n’a pas été instituée, bien au contraire, « après avoir porté la guerre à bras le corps, la femme algérienne, a été sommée à l’indépendance de retourner dans sa cuisine ». La guerre qui a libéré le territoire, n’a pas libéré la femme, il y eut la guerre mais pas la révolution. La femme est absente même des mythes fondateurs de l’imaginaire révolutionnaire et dans toute la pensée indépendantiste portée depuis les années 1920 par les militants du mouvement national. Elle n’est nulle part inscrite dans la déclaration de Novembre 54 et les autres textes fondateurs de l’Algérie indépendante ne font de place à la femme qu’en tant que fille de, épouse de, mère de, mais jamais en tant que femme.
Dépoussiérer la mémoire, réhabiliter l’apport de l’Algérienne dans la conscience populaire, en attendant qu’elle le soit dans l’historiographie officielle du pays, tel était donc le thème de ce café littéraire organisé autour de deux ouvrages de Danielle Mine: « Les femmes algériennes et la guerre de libération nationale, 1954-1962 », qui fut son sujet de thèse de doctorat d’histoire en 1989, et « Entretiens avec les femmes algériennes dans la guerre »,paru en 1991. A côté de son apport à la littérature par un puissant recueil de poésies, un troisième livre, « Femmes au combat » complète l’œuvre d’historienne de cette intellectuelle révolutionnaire ayant voué sa vie à la concrétisation de ses idées anticolonialistes.
Engagée à 17 ans dans la Bataille d’Alger
Les femmes ont remplacé les hommes engagés au maquis dans toutes les activités économiques et sociales. Elles ont porté l’effort de guerre et subi les affres de la répression en première ligne, en tant que combattantes, mais surtout en tant que femmes. Un certain nombre a rejoint les hommes sur le front de la guerre. Ces femmes combattantes ont marqué l’histoire de l’Algérie, ce sont les moudjahidates. Elles étaient agents de liaisons, propagandistes ou encore infirmières dans le maquis, enseignantes dans les maisons d’enfants aux frontières. Engagées avec les moudjahidines pour arracher l’indépendance de leur pays. Ces femmes sont effacées de l’historiographie officielle.
Danièle Minne faisait partie de ces figures oubliées. Evoluant durant son enfance dans un milieu anticolonialiste, elle a tété le lait révolutionnaire de Jacqueline Netter, une française juive de Rouen, et tôt intégré la culture humaniste de son papa Pierre Minne, alors professeur de philosophie. En raison de ses origines juives, Jacqueline est internée par les Nazis. Elle réussit à fuir vers la « zone libre » et ainsi échapper à la déportation. Danièle, née à Neuilly sur Seine, avait 10 ans quand ses parents débarquèrent à Alger en 1948 après avoir été expulsés du Sénégal. Deux ans plus tard Jacqueline Netter, divorcée, se remarie avec Abdelkader Guerroudj, militant du Parti communiste algérien. Institutrice près de Tlemcen, elle adhère au parti communiste algérien (PCA).
En avril 1955, Jacqueline et Abdelkader Guerroudj sont expulsés par l’administration coloniale pour leurs activités. Après quelques mois passés en France, ils rentrent à Alger et participent à partir de janvier 1956 à l’organisation des « Combattants de La libération », dite également « Le maquis rouge », aux cotés de Maurice Laban, Fernand Yveton, Henri Maillot et autres Mohamed Hachelaf. Abdelkader et Jacqueline Guerroudj sont tous les deux condamnés à mort comme complices de Fernand Iveton, guillotiné durant la guerre d’Algérie, mais seront graciés, avec Djamila Bouazza et Djamila Bouhired, le 8 mars 1962. Lors de la bataille d’Alger qui dura toute l’année 1957, Jacqueline Guerroudj et sa fille Danièle Minne feront partie du « Réseau bombes » de Yacef Saadi, chef de la Zone autonome d’Alger (ZAA), instituée par la direction du FLN après le congrès de la Soummam du 20 Aout 1956.
« Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins »
A 17 ans, Danielle Minne est engagée dans les rangs du FLN. Elle participe en 1956 à la grève des étudiants et rejoint le FLN sous le nom de Djamila. En 1957, elle fait partie du réseau de la zone autonome d’Alger du FLN chargé de répondre à la férocité des parachutistes auxquels le gouvernement français avait octroyé des pouvoirs spéciaux. Elle a fait partie du premier noyau des femmes choisies par Yacef Saadi pour répondre à la torture en posant des bombes dans lieux fréquentés par les Européens.
Le samedi 26 janvier 1957, Danièle participe à un triple attentat du FLN dans trois brasseries de la rue Michelet située dans le quartier européen. Elle pose sa bombe dans le bar Otomatic à Alger, tandis que d’autres militantes déposaient d’autres engins explosifs au Coq-Hardi et à La Cafeteria. Le Journal d’Alger donnait le bilan de « quatre femmes tuées, 37 blessés hospitalisés dont 21 femmes, dont deux dans un état alarmant ».
Arrêtée en décembre 1957, dans les maquis en compagnie d’autres moudjahidine faisant partie d’un convoi sanitaire, elle a été condamnée à sept années de prison et transférée en France après une incarcération à Barberousse. Larbi Ben Mhidi eut cette phrase circonstanciée :« Donnez nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins ». Larbi Ben M’Hidi, figure emblématique de la guerre d’indépendance algérienne, répondit à la question de savoir pourquoi il eut recours aux attentats à la bombe.
Des femmes algériennes dans la guerre
Les femmes algériennes ont fortement participé à la libération du pays, mais ont été priées de rejoindre leurs cuisines au lendemain de l’indépendance. L’Algérie n’est pas un cas singulier, la femme eut le même sort au Vietnam ou encore en Irlande. « Les digues se sont remises en place pour nous d’une manière terrible, en nous excluant », dit une des ces femmes interviewée par Danièle Minne. Il fallait le ciment de l’engagement militant et de la rigueur du métier d’historienne chez Djamila Amrane pour rendre justice à la femme niée dans la littérature légitimiste à travers les titres phares de l’époque : les Damnés de la terre de Frantz Fanon, L’Algérie, nation et société de Mustapha Lacheraf, Le meilleur combat d’Amar Ouzegane, entre autres ouvrages où le combat de la femme est quasiment absent.
La thèse de Danièle Minne consacrée au combat des Algériennes durant la guerre de libération viendra réhabiliter cet engagement de la femme pour la patrie. La conférencière Nadia Agsous s’interrogera sur le cheminement et les conditions dans lesquels les femmes ont rejoint la lutte armée. ClaudeLiauzu écrira dans un magistral article consacré à la thèse de Djamila Amrane: « (…) Djamila Amrane dans la partie la plus longue, la plus fouillée, la plus originale de sa thèse, et dans les entretiens de son second ouvrage, suit ces itinéraires vers le maquis et la guérilla urbaine. Modèle du père, du frère, rôle des medersas (des écoles primaires influencées par les nationalistes), importance de la sociabilité féminine à travers les fêtes, rôle de la chanson, des orchestres de femmes dans la diffusion de la culture militante, ces vecteurs sont bien montrés. Dans tout cela, il n’y a pas d’affirmation féministe. Les tâches de combattantes les maintiennent dans leur statut traditionnel, dans le cercle de leur condition. Aux maquis, elles sont infirmières, cantinières dirait-on pour les deux tiers ; dans la bataille d’Alger, elles assurent le transport des armes… Mais, même ainsi cantonnée, cette irruption ne pouvait laisser les choses en l’état : les tâches les plus modestes, celle de guide, le ravitaillement, l’hébergement, etc, transgressent les rôles sexuels. Les belles pages consacrées aux prisons, à leurs souffrances mais aussi à la sororité qui nourrit la solidarité montrent que des frontières sont brisées. »
Métropolitaines, juives et «pied-noires»
Nadia Agsous se pose la question : pourquoi cet engagement n’a-t-il pas été assorti d’une modernisation du statut de la femme ? Nous trouvons des réponses dans la contribution de Claude Liauzu : de cet engagement, une fois l’indépendance acquise, il reste « 11 000 fiches, soit 3,1% du total des moudjahidine recensés officiellement. L’Algérie n’est pas, loin de là, un cas unique : que l’on pense à la France de 1789, au Liban…, ni les révolutions ni les mouvements nationalistes n’ont libéré les femmes. Mais le cas algérien a des aspects originaux. Il faut les rechercher dans l’idéologie du mouvement de libération comme le montrent les textes fondamentaux, ceux du Congrès de la Soummam en 1956 et de Tripoli en juin 1962, où sont jetées les bases d’une Algérie bien peu nouvelle pour les femmes. » Djamila Amrane fournit quantité d’exemples du désenchantement national qui suivit la fête de l’été 1962, de ce désespoir qui a conduit certaines femmes au suicide ou à la folie.
La participation des militantes internationalistes est oubliée et souvent lue à la lorgnette réductrice d’un nationalisme sectaire. « Alors qu’il était partie intégrante du mouvement de libération nationale, l’engagement de « métropolitaines », ainsi que des militantes européennes et juives « pieds noires », a lui aussi été occulté. Minoritaire, infime, si on le jauge en termes statistiques, il avait cependant une portée antiraciste, il ouvrait les voies de l’internationalisme et des acquis féministes qui lui étaient liées, ainsi que les horizons de l’universalité qui ont tant fait défaut au nationalisme algérien. Une des limites de la culture politique de l’Algérie indépendante a, en effet, été l’ignorance, le refoulement de la part non arabo-musulmane de son histoire », analyse Claude Liauzu.
Exclue des symboles de la patrie
Danièle Minne a été libérée en 1962 à Rennes, amnistiée à la faveur des accords d’Evian. A l’indépendance, elle opte pour la nationalité algérienne et épouse Rabah Amrane, un professeur de médecine, frère du chahid Khelil Amrane, son premier mari, avec lequel elle eut deux filles et un garçon. Un collège porta le nom de Danièle Minne à Akbou ( Béjaïa) durant une décennie, puis l’infirmière des maquis, la poseuse de bombes de la bataille d’Algérie, la française qui pouvait partir vivre en France après 1962, mais qui demeura fidèle à l’Algérie en optant pour la nationalité algérienne et en arrachant sa place comme première femme professeur d’histoire à l’université, cette femme là fut déchue de cette distinction et son nom fut retiré du fronton du collège d’Akbou suite à une décision d’un obscur bureaucrate misogyne et ignorant de l’histoire de son pays.
Cette « logique » paternaliste d’exclusion est reprise par le courant islamiste intégriste qui s’attaqua aux femmes, cibles faciles et hautement symbolique. Ecraser, dominer, rabaisser, enfermer la femme est le projet islamiste mis en pratique dés les années 90 en Algérie. Universitaire à Alger, Danielle Minne Amrane, a dû fuir le terrorisme islamiste pour se réfugier en France au début des années 1990, où elle continua à enseigner à Toulouse jusqu’à sa retraite. En 1999, elle enseigne l’histoire des études féminines à l’université de Toulouse-Le Mirail, où elle est membre du Groupe de recherche sur l’histoire immédiate. Les déchirures récentes induites par l’émergence du terrorisme islamiste en Algérie imposent une nouvelle lecture de la guerre de libération.
La professeur d’histoire, essayiste, nouvelliste et poétesse, Djamila Amrane, née Danièle Minne nous quitta à l’âge de 77 ans, elle fut enterrée au cimetière Sidi Mhand Amokrane de Béjaïa, où elle fut rejointe par Said Mekbel et tout récemment par Djamal Allam.
Œuvres de Djamila Amrane-Minne
- Les femmes algériennes et la guerre de libération nationale, 1954-1962, 1989 [thèse]
- Les femmes algériennes dans la guerre, Paris, Plon, 1991, 298 p. )
- Femmes au combat, , Alger, Éditions Rahma, 1993, 298 p.
- Des femmes dans la guerre d’Algérie, entretiens, , Paris, Éditions Karthala, 1994, 218
- Poèmes dans « Espoir et Paroles « ouvrage collectif de 26 auteurs anthologie de poèmes algériens écrits durant la guerre d’Algérie » (éditions Seghers 1963)
- Boqala poème paru dans Algérie Actualités
- Nouvelle : Le couscous du Rêve publié par Alger républicain
- Danielle Minne a reçu le Prix « Jeune Afrique » en 1962
Par Rachid Oulebsir 25 DÉCEMBRE 2018
https://www.algeriemondeinfos.com/2018/12/25/portrait-moudjahida-djamila-daniele-minne-revenue-cette-semaine-rachid-oulebsir/
Extrait d’un poème de feu Djamila Amrane Minne :
Non mes sœurs je ne suis pas guérie
J’ai ramené la boqala du puits
Chaque goutte qui en tombait
Portant le nom d’un frère tué
Et chacune de ces gouttes
M’a brûlée pour toujours
Djamila Danièle Amrane Minne, oeuvre de Mustapha Boutadjine
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