Et c’est France qui a eu la garde des gosses. ». Une blague racontée récemment par un copain. Juste une petite vanne de comptoir. La réalité est beaucoup plus complexe que sa réduction à un divorce. Pas une blague ni un billet d’humeur pouvant résoudre une telle problématique. Réconcilier l’irréconciliable après tant de sang et de larmes versés ?
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Et c’est France qui a eu la garde des gosses. » Une blague racontée par un copain. Elle circule dans un bar où il a ses habitudes. Juste une vanne de comptoir qui peut prêter à sourire, rire, ou se foutre en rogne. La réalité évidemment beaucoup plus complexe que sa réduction à un divorce. Un sujet fort douloureux où se mêlent les violences coloniales plus celles de la libération d'un peuple. Algériens, harkis, pieds-noirs, français nés en métropole... Tous ont un point de vue bien sûr différents, souvent antagonistes, sur ce drame individuel et collectif. Chacun voit la guerre d'Algérie de sa porte ou celle de sa famille à tous les sens du terme. Réconcilier l’irréconciliable après tant de sang et de larmes versés ? Quasiment impossible mais espérons réalisable au minimum pour pouvoir cohabiter. Revenons à notre vanne. Sans doute que, derrière la dérision, se profile une part de la réalité. Des femmes et des hommes susceptibles, toutes proportions gardées, de ressentir un déchirement proche de celui de gosses de divorcés. Le cœur entre deux très proches. Avec souvent l’injonction, perverse, violente, parfois simplement maladroite, de choisir l’un ou l’autre. Devoir en aimer un plus que l'autre. France ou Algérie ?
Combien de gosses issus du «divorce» de France et Algérie ? Des millions. Un certain nombre, de part et d'autre de la méditerranée, semblent déboussolés. Même les gosses avec des cheveux blancs et ayant atteint l’âge de la retraite. En général, les retraités de l’exode rural repartent pour leurs vieux jours dans une maison de famille. Ou en rachètent une dans le village de leur enfance. Des immigrés organisent de la même manière leur retraite. Mais, contrairement aux habitants de zones rurales exilés dans de grandes villes, ils ne sentent plus vraiment chez eux sur le territoire de leurs premiers pas. Ni d’ici, ni de là-bas. Pareil pour les harkis et les pieds-noirs: tous des êtres comme assignés à résidence sur l'entre deux rives. Le regard inquiet en permanence sur les eaux tumultueuses de l’Histoire. Un fleuve se souciant guère de la trajectoire individuelle des uns et des autres. L'exilé, tel un copeau soumis au vent mauvais, pourra survivre. Alors que son voisin d'infortune, trop usé et lourd, sombrera corps et âme. La loterie macabre du flux et reflux meurtrier de l'Histoire quand elle se déchaîne. Elle emporte tout sur son passage. Sans pitié pour les plus fragilisés.
Les petits-enfants et même arrière-petits-enfants, issus de ce «divorce» de plus d’un demi-siècle, semblent plus en souffrir que leurs aînés. Comme si la proximité de la déchirure permettrait paradoxalement de prendre un peu plus de recul. Tenir à distance la réalité vécue dans sa chair. Même sans avoir été un acteur engagé dans tel ou tel camp. Juste contemporain d'événements se déroulant devant ses yeux ou retransmis par le transistor sur la table de cuisine. Alors que les jeunes d'aujourd'hui ne peuvent que les fantasmer. Porteurs d’une situation dramatique qu’ils n’ont jamais subie. Leur douleur difficile à localiser. Pourtant la violence de la guerre et les morsures de l’exil sont gravés à jamais sur le papier peint familial. Incontournable. L'Histoire coloniale si loin, si proche. La leur sans être réellement la leur. Toutefois impossible de complètement s'en détacher pour se consacrer au présent. Le passé revient sans cesse s'inviter à leur table. Héritiers de l’indicible ?
Parfois on croise des boules de nerfs - aux prénoms défrisant certains très bons vendeurs de haine- dans nos quartiers populaires. Une nervosité dont les racines leur échappent bien souvent. Certaines se trouvent dans leur quotidien mal vécu ou dans un passé très proche. D’autres très éloignées dans le temps. Des racines invisibles mais très présentes dans le regard absent ou blessé d’un père, d’une mère, d’un grand-père…. La majorité de cette jeunesse cohabite pas trop mal avec les fantômes du passé. Une Histoire non reniée mais qui n’empêche pas pour autant de vivre. Et pouvant être aussi très enrichissante. Tandis que d’autres, une minorité, n’arrive pas à transcender ce trouble. Déchirés par une douleur ricochet. Quelques-uns, les plus violents, basculent dans la délinquance ou l’intégrisme. Une bascule inexcusable et à combattre. La misère et de subir le rejet d'une partie d'une population ne peuvent pas tout expliquer. Fort heureusement tous ne se font pas manipuler par des dealers de religion frelatée. Toutefois très important d'étudier le terreau de l'obscurantisme pour éradiquer les pépinières de la haine. Encore du blabla… Que faire concrètement pour ces jeunes tentés par le pire ?
Nombre d'enseignants, de travailleurs sociaux, de flics, de psy, etc, abattent un énorme boulot. Des historiens cherchent à apporter leur regard documenté pouvant faire évoluer la situation. Plus d’autres, professionnels, parents ou amis, œuvrant à différents niveaux pour empêcher ces jeunes de sombrer dans la folie meurtrière. Sans oublier les artistes qui apportent leur vision du monde. Notamment des écrivains. La lecture ? Vous rigolez ou quoi ? Vous êtes complètement hors-sol. C’est comme pisser dans un violon. Les jeunes dont on s’occupe ne lisent pas. J’entends souvent des éducs pousser des soupirs de découragement. Ils savent de quoi ils parlent. Pas comme nous absents du terrain au quotidien. Mais je persiste et pense que le boulot de transmission de la culture est nécessaire. Comme celui du comédien Erick Auguste, apportant jusqu'aux oreilles de ces gosses des cités populaires, les très beaux textes de la poésie arabe. Pas que des joueurs de foot ou des comiques sur l’arbre d'or généalogique de ces troisièmes ou quatrièmes génération. Il y a aussi entre autre le grand Kateb Yacine. Sa littérature mêlant la rage et la poésie du monde. Un immense poète sans peur du jugement des hommes et de leurs représailles. Ni soumis à un dieu auquel il ne croyait pas. Un homme, solaire et solitaire, électron libre et ivre de beauté et de vin, parti en nous laissant son testament d'une voix sans concessions. C'était son ultime combat pour nous mettre en garde contre un des désormais grands fléaux de notre siècle. Le testament d'un athée en colère.
De l’autre côté de la page algérienne, il y avait Albert Camus. Kateb Yacine et lui eurent d’indéniables différents. La querelle de deux grands auteurs et personnalités. Mais avec une valeur commune et essentielle: la littérature. Plus le doute qui les a toujours habités. Et un regard sur l'humanité, surtout sur celle hors des salons cossus. Leurs textes continuent de nous interroger sur les relations de ces deux pays. Des peuples, qui le veulent ou non, sont intimement liés depuis bientôt deux cents ans. Pour le meilleur et le pire. Mais aussi pour la beauté des mots nés sous le ciel méditerranéen. Des phrases, trempées dans l’ombre et la lumière, qui vous invitent à essayer d'interroger encore plus le monde dans lequel nous vivons. Jusqu'à se méfier de certaines de ses certitudes. Savoir se remettre en cause. Être capable de douter de soi et des versions officielles.
Comme l'instituteur de la nouvelle « L’hôte » relue il y a quelque temps. Fiction très forte avec une chute incroyable. La phrase finale comme un coup de poing au lecteur. Cette nouvelle me semble intéressante à faire lire dans les cités où vivent de nombreux jeunes citoyens issus de l'immigration entre autre algérienne. Vous le faites exprès ou quoi ? Je vous répète qu’ils ne lisent pas. D’accord mais cette nouvelle a été mise en images par Jacques Ferrandez. Avec une économie de mots. Sans pour autant une réduction du sens et de l'intensité du texte de l'auteur. Au contraire. Une adaptation très fidèle au propos de Camus. La vision d'un homme et auteur qui me paraît nécessaire pour éclairer notre époque de confusion et le retour de toutes sortes d'impasses. Une période d’incertitudes profitant hélas beaucoup aux vieux démons que nous pensions endormis à jamais. Les effets soporifiques de la douce démocratie ? La bête au bois obscurcissant ne dort que d'un œil.
Une fiction, aussi forte soit-elle, ne changera en rien la situation actuelle des tensions issues de la colonisation et de la décolonisation. Des dégâts collatéraux d'une guerre achevée officiellement en 1962. Avec des plaies que certains politiques et intégristes musulmans ne cessent de vouloir rouvrir. Empêchant la cicatrisation des corps de deux peuples déjà si meurtris. Le classique jet d'huile sur le feu pour pouvoir prospérer sur les divisions. Les plus manipulables se trouvent surtout parmi la jeunesse. Pourquoi pas faire circuler le plus possible cette BD auprès des jeunes et des moins jeunes ? Même si elle ne va pas pouvoir effacer des décennies d’une Histoire toujours pas digérée. Quel est alors l'intérêt de cette fiction et d'autres sur les relations de France et Algérie ?
Interroger les silences du «divorce» encore à vif.
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