La France se doit de regarder son histoire en face, même hideuse, qui a bafoué en Algérie «les droits de l'homme» et de reconnaître ses crimes qui y ont été commis. Le geste fort symbolique du président Macron, qui a reconnu l'utilisation de la torture en Algérie durant la guerre de libération nationale, est un pas important vers ce devoir de mémoire, cette repentance à laquelle une partie de la classe politique française avait appelé. A Alger, l'appel reste ouvert, même après la reconnaissance officielle par la France de l'assassinat du militant algérien Maurice Audin sous la torture en 1957. Ce n'est qu'un tout petit pas vers le rétablissement entier et total de la vérité sur ces dizaines de milliers d'Algériens morts sous la torture.
Il s'agit surtout de rétablir la mémoire de ces dizaines de milliers d'Algériens assassinés dans des conditions terribles, depuis la première minute de l'occupation à la dernière seconde de la présence française en Algérie. Non, la reconnaissance officielle par la France que la torture en Algérie avait été utilisée durant la guerre de libération peut prêter à équivoque, dans la mesure où ce n'est plus l'Etat et le pouvoir alors en place ainsi que la classe politique qui en sont responsables, mais des militaires à Alger qui avaient agi en fonction d'un état d'exception, lui-même voté alors par les politiques à Paris. Un geste donc, s'il contribue à apaiser enfin la douleur de la famille Audin et rétablit une vérité longtemps cachée, n'a pas la portée politique voulue pour que tous les crimes commis par la colonisation française en Algérie soient reconnus et, surtout, bloque le devoir de repentance. Car le geste éminemment conciliateur, courageux de Macron, qui fait en même temps un pied de nez aux extrémistes de tout bord dont les nostalgiques de «l'Algérie française», se doit d'aller encore plus loin, plus profondément dans une plaie encore ouverte, presque 60 ans après la fin de la guerre de libération.
Le devoir de mémoire, ce n'est pas seulement reconnaître une honteuse pratique ramenée par des militaires orgueilleux mais lâches, c'est celui de reconnaître tous les crimes contre l'humanité commis en Algérie par des officiers de la dernière heure revenus sans gloire d'«Indochine». Le tort de la France, qu'elle soit de droite ou de gauche, jusqu'à présent, est de taire ces crimes et de ne pas les reconnaître. Le geste, positif s'il en est vis-à-vis de l'histoire commune des deux peuples, du président français appelle ainsi à d'autres ouvertures, d'autres avancées historiques, politiques, humaines pour cautériser définitivement (?) une blessure encore béante de 130 ans de cauchemar pour les Algériens. Emmanuel Macron doit faire vite et ouvrir les autres portes encore «sous scellés» depuis la fin de la guerre de libération.
Le devoir de mémoire, auquel ont appelé des historiens et des intellectuels des deux bords, est d'aller encore plus loin dans la révélation de ce qu'il s'est passé en Algérie, du 5 juillet 1830 au 5 juillet 1962. Un long travail de mémoire certes, mais il y a des urgences comme une reconnaissance officielle de la France des massacres du 8 mai 1945. Cela apaisera les mémoires meurtries, rapprochera encore plus les deux pays. Et permettra également à la classe politique française, aujourd'hui, de se démarquer officiellement de cette histoire peu glorieuse laissée en Algérie par la France coloniale. Le geste de Macron en appelle d'autres, plus courageux, pour faire un vrai devoir de mémoire sur ce qu'il s'est passé durant la guerre de libération nationale, côté français.
par Mahdi Boukhalfa
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5266228
Depuis, plusieurs personnalités, intellectuels et associations réclament la vérité sur cet assassinat.
Dans le communiqué officiel de l'Elysée, et par rapport à la torture systématique utilisée par l'armée coloniale contre les militants et moudjahidine, le Président Macron a indiqué que les Français, aujourd'hui comme hier, « refusent d'être assimilés à ceux qui l'ont instituée et pratiquée ». Pour lui, la torture s'est instituée « sur un fondement légal » (les pouvoirs spéciaux) qui a donné lieu à un « terreau malheureux d'actes parfois terribles ». « Certes, la torture n'a pas cessé d'être un crime, au regard de la loi, mais elle s'est alors développée parce qu'elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu'elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l'insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l'Indépendance, une arme considérée comme légitime, dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité », a-t-il dit, avant d'appeler à l'approfondissement du travail de vérité lié à la Guerre d'Algérie. « Il importe que cette histoire soit connue, qu'elle soit regardée avec courage et lucidité », a-t-il dit, par ailleurs, dans une déclaration remise à Josette Audin, veuve de Maurice, appelant à l'approfondissement du travail de vérité qui doit ouvrir la voie à une « meilleure » compréhension du passé français et à une volonté « nouvelle » de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien. « Il en va de l'apaisement et de la sérénité de ceux qu'elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu'en France », ajoute le président français, avant de souligner qu'une reconnaissance « ne guérira pas leurs maux ».
Pour le président français, « il restera, sans doute, de l'irréparable en chacun mais une reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient, encore, sous le poids de ce passé ».
«Un pas positif louable»
« Il en va, enfin, du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle, dans ce domaine comme dans d'autres, doit montrer la voie, car c'est par la vérité seule que la réconciliation est possible et il n'est pas de liberté, d'égalité et de fraternité sans exercice de vérité », a-t-il affirmé. Pour lui, la République ne saurait « minimiser, ni excuser » les crimes et atrocités commis durant ce conflit, et « cette reconnaissance vise, notamment, à encourager le travail historique, sur tous les disparus de la guerre d'Algérie». Macron a expliqué qu'une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels, après identification des sources disponibles, « ouvrira à la libre consultation, tous les fonds d'archives de l'Etat qui concernent ce sujet ». Il a appelé, enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer à « se tourner vers les Archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique ». Pour le ministre algérien des Moudjahidine Tayeb Zitouni, « c'est un pas positif louable » que l'Etat français reconnaissance sa responsabilité dans la disparition et la torture, durant la Guerre de Libération nationale, de Maurice Audin. Il a précisé, en marge d'une séance, à l'APN, que les crimes de la colonisation française contre les Algériens « ne peuvent être niés que par un oublieux et un ignorant de l'Histoire », estimant que le geste du président français « est une preuve qu'il y aura, davantage, de reconnaissances ». Tayeb Zitouni a ajouté, par ailleurs, que les commissions en charge des dossiers de restitution des Archives nationales liées à la période coloniale et des crânes des résistants algériens exposés au Musée de l'Homme de Paris, ainsi que l'indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara « sont, encore, à pied d'œuvre et leurs résultats seront connus prochainement ». La reconnaissance officielle des Autorités françaises de l'assassinat, après avoir été torturé, du militant algérien Maurice Audin « laissera une trace ineffaçable », a souligné de son côté Benjamin Stora. Dans une tribune publiée par «Le Monde», Stora a expliqué que la déclaration du Président Macron « fera pousser des cris, dans la droite extrême, de ceux qui diront qu'il s'agit là de -repentance-, et qu'il ne faut pas évoquer la face d'ombre du passé français ». « Pour l'immense masse de ceux qui ont vécu le temps de la colonisation, elle laissera une trace ineffaçable ».
Pour autant, Benjamin Stora estime que la déclaration du président français « n'est pas un verdict définitif, à propos de la Guerre d'Algérie »', car « elle dit des faits, déjà établis par les historiens, maintient ouverte la porte des controverses citoyennes pour sortir de la rumination du passé et des blessures mémorielles, encourage les acteurs et témoins à parler de leurs souffrances ». « Pour les historiens, elle recrée les outils d'un travail de mémoire jamais clos », a-t-il relevé, avant d'affirmer l'impérieuse « ouverture, des deux côtés de la Méditerranée, des Archives de la Guerre d'Algérie ». Cette déclaration (de Macron, Ndlr) est « une libération » pour la veuve Josette et ses enfants, écrit de son côté Sylvie Thénault, historienne et directrice de Recherche, au CNRS. Elle a expliqué, dans une autre tribune publiée, également, par Le Monde' que « la vérité reste à établir n'empêche pas l'essentiel: Maurice Audin est mort du fait de militaires agissant dans un cadre d'exception qui, en tant que dispositif légal, implique les Autorités politiques. Aussi, de l'armée à Alger, la chaîne des responsabilités remonte à Paris. La généralisation est logique, obligatoire », a-t-elle écrit. « La reconnaissance des responsabilités de l'Etat pose la question, au regard des responsabilités individuelles, dans ces tortures et disparitions », ajoute-t-elle, relevant qu' « en l'absence de poursuite pénale, l'amnistie de 1962 les en protège, et il resterait, à chacun d'entre eux, de procéder à son examen de conscience ».
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