Ils ont eu 20 ans, entre 1954 et 1962. Comme deux millions de jeunes Français, leur service militaire ce fut la guerre d’Algérie. La torture, les « corvées de bois »… sont les blessures dont leur génération n’a pas pu parler.
50 ans plus tard – à l’heure de toucher leur retraite du combattant – certains, sortent de ce long silence. Ils se regroupent en association et refusent – pour eux-mêmes – cet argent de la guerre. Ils le collectent et le redistribuent à des associations algériennes. Puis, affrontant leur douleur et leur honte, ils parlent.
Le documentaire « Retour en Algérie » d’Emmanuel Audrain donne la parole à ces hommes simples et remarquables qui ont dû faire face à l’horreur de la guerre et à la culpabilité : « Les cris des torturés – pendant des mois – c’est vraiment ce qu’on a vécu de plus dur » témoigne Pierre ou encore Rémi : « Quand j’ai été appelé à témoigner, j’ai été « emporté » par tout ce que cette guerre avait enfoui en moi. La peur, l’incompréhension, les cris des prisonniers… C’est sorti d’un coup ! »
Recueillir cette parole, raconter la création de cette association « 4ACG », retourner en Algérie avec ces anciens combattants, c’est toute cette histoire émouvante que retrace dans son documentaire Emmanuel Audrain, un film-mémoire nécessaire qui permet de tourner une nouvelle page de cette histoire, de leurs histoires, cette fois-ci « solidaire et fraternelle ».
Réalisé sur 3 années et sorti en 2014, « retour en Algérie » n’a jamais cessé d’être projeté dans des salles de cinéma. Ainsi, plus de 150 séances ont déjà eu lieu partout en France et avec succès. En octobre, c’est en Loire-Atlantique qu’une tournée démarre avec des projections toujours accompagnées par le réalisateur et certains protagonistes du film.
Parfois, le film semble se prolonger dans la salle. C’est fort – Emmanuel Audrain
https://france3-regions.blog.francetvinfo.fr/mumufaitsoncinema/2018/09/28/retour-en-algerie-le-film-memoire-sur-la-guerre-revient-sur-nos-ecrans.html
Gérard, technicien des forages
Ce que je n’avais jamais pu dire à ma femme, mes enfants ou mes proches, j’ai enfin pu le partager.
Stanislas, séminariste
J’ai compris - en pleine nuit - que les cris que j’entendais, n’étaient pas ceux d’un chacal égaré dans le camp… Mais, ceux d’un jeune homme de 14 ans, torturé à l’électricité. Le jeune « Boutoute », que je connaissais.
Cet événement m’a révolté et marqué « à vie ».
Gilles, agriculteur
J’ai été chauffeur au Deuxième Bureau, le service des Renseignements…
Quand, à la demande de mes enfants, j’ai voulu écrire… Je n’y arrivais pas.
Sans l’aide de ma femme et de l’Association, j’aurais renoncé.
Georges, agriculteur
L’Armée française a vidé les montagnes d’Algérie, pour mieux les contrôler.
Deux millions de personnes déplacées, sur huit millions.
Quand j’ai revu l’un de ces villages, aujourd’hui abandonné et en partie détruit, je me suis senti mal. Je revivais ces faits. Ces femmes, ces enfants, ces vieillards, « déportés » dans le camion que je conduisais.
Gérard, travailleur social
Ce « Retour en Algérie » a été exceptionnel. Quel accueil !
« Soyez les bienvenus », disent-ils. Pas de haine chez ce peuple qui a beaucoup souffert.
« Nous n’avons pas fait la guerre au peuple français, précisent-ils, mais au colonialisme. »
Aujourd’hui, ils attendent de la France - qu’au plus haut niveau de l’Etat - elle ait l’honnêteté, de « reconnaître les faits. »
Documentariste passionné actif depuis le milieu des années 80 en toute discrétion, Emmanuel Audrain a abordé au cours de sa carrière des thématiques diverses, avec comme point central deux préoccupations majeures : la mer d’une part et la rencontre entre les peuples d’autre part. Retour en Algérieappartient plutôt à la seconde catégorie puisque le cinéaste est allé à la rencontre d’anciens appelés de la guerre d’Algérie faisant partie de l’association 4ACG (Anciens Appelés de la guerre d’Algérie et leurs Amis Contre la Guerre). Ces hommes refusent d’utiliser leur pension d’ancien combattant pour leur propre compte et choisissent de collecter cet argent qu’ils estiment mal acquis afin de mettre en place des opérations de valorisation et de restauration de villages algériens. Leur but est également de témoigner de leur expérience durant cette guerre sans nom comme l’a très bien signifié Bertrand Tavernier dans son documentaire devenu aujourd’hui un incontournable du genre. Ces personnes s’impliquent également dans des rencontres avec la jeunesse dans les collèges et lycées, en prenant soin d’associer à leurs témoignages des anciens membres de l’ALN (Armée de Libération Nationale algérienne), ainsi que des pieds noirs.
Le documentaire ne revient pas sur l’histoire de la guerre d’Algérie, largement vue dans d’autres productions, mais préfère aller à la rencontre de ces hommes qui ne sont jamais parvenus à s’exprimer sur leur vécu, leurs douleurs et leur trauma avant de se retrouver au sein de cette association où la parole est reine. Entrecoupé d’images du voyage du groupe en Algérie, le documentaire propose d’écouter ces témoignages bouleversants grâce à un dispositif sobre (chaque intervenant s’exprime devant un fond noir) qui ne vire jamais à l’austérité tant leur vécu, souvent terrible, parvient à animer l’écran de toute l’horreur de la situation. Aucun d’eux ne cache les tortures infligées par l’armée – et donc par des appelés qui n’avaient rien demandé – aux populations algériennes. Ils évoquent l’horreur des massacres, la souffrance de voir leurs camarades décimés par le FLN (Front de Libération Nationale) dont les crimes sont également signalés, mais aussi cette impression de vivre un enfer et de ne pouvoir rien faire pour s’extirper de cette situation.
Ils en profitent tous pour dresser un portrait laudateur du général Jacques de Bollardière, seul officier supérieur à avoir condamné de manière officielle l’usage de la torture durant la guerre. Le témoignage de sa veuve est particulièrement efficace, notamment lorsqu’elle fait l’éloge de l’insoumission devant un parterre de lycéens estomaqués devant cette femme de 90 printemps toujours remontée contre la hiérarchie militaire. On apprécie également le témoignage bouleversant de Stanislas Hutin qui évoque les tortures subies par un jeune berger algérien de 14 ans qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Autant de moments forts qui font de ce court documentaire de 52mn un incontournable. Signalons toutefois qu’il ne fera certainement pas l’unanimité tant la mémoire de la guerre d’Algérie suscite encore le débat.
A l’heure où la parole raciste semble se libérer, où l’on débaptise des rues pour leur donner le nom d’anciens militaires ayant eu recours à la torture dans certaines villes du sud de la France, où certains parlent avec nostalgie de la colonisation, le ton humaniste du documentaire et sa volonté de rapprochement des peuples tranchent fortement. Et de faire le procès de toute forme de guerre, qu’elle soit de décolonisation ou autre. En cela, Retour en Algérie est une œuvre incontournable.
Notes : Depuis 2014, Emmanuel Audrain accompagne son documentaire lors de projections-débats dans toute la France.
https://www.avoir-alire.com/retour-en-algerie-la-critique-du-documentaire
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