SOUVENIRS, SOUVENIR
Deux mil quatorze, année de quatre anniversaires :
Des Allemands, d’abord, farouches adversaires,
Ensuite les nazis et un débarquement,
Pour sauver une France au bord du reniement.
Puis la fin des combats dans cet Extrême-Orient
Dont on parle si peu, vu son éloignement.
Enfin, la « Der des Der » comme nous l’espérons !
Celle qui nous concerne et n’avait pas de nom ;
« Evénements » d’abord et puis « Maintien de l’ordre »
Puis « Pacification » mais toujours la discorde
Cette guerre qui dure et qui ne finit pas
Porte des souvenirs qui sonnent comme un glas,
Laissant sur le terrain trente mille soldats
Dans cette guerre atroce aux horribles combats !
Je me souviens très bien l’Ecole d’Officiers
Où l’on nous apprenait à tuer sans pitié,
Et moi, j’avais vingt ans, je ne comprenais rien
Et je m’exécutais en faisant mieux que bien.
Je sors sous-lieutenant, choisis mon régiment
J’opte pour l’Allemagne où nous sommes présents :
C’est vous dire l’envie de l’Algérie française
Et de donner ma vie pour défendre une thèse !
Je passe à Tübingen et comme aide de camp
Auprès d’un général direct et compétent
Dix mois à dialoguer avec des étudiants
Et à perfectionner ainsi mon allemand !
Avril soixante et un : retour en Algérie
Dans ce si beau, si grand et si rude pays.
La guerre va cesser restent les attentats ;
F.L.N, O.A.S, pieds-noirs et fellaghas.
« Barrage » face à moi, et puis la Tunisie
Et des « harcèlements » entrecoupent nos nuits
Seul avec mon radio qui, près de moi, mourra
Et vingt-deux autres gars, braves petits soldats.
Attente et déception durent quatorze mois
Pendant lesquels la vie nous file entre les doigts.
Notre cessez-le-feu, si cher à notre cœur
Passa inaperçu dans notre sous-secteur !
Et c’est le lendemain par message radio
Que j’apprends la nouvelle et transmets illico
En juin soixante deux je rentre donc en France
Ne croyant plus en rien, ni foi, ni espérance
Il me faut bien six mois pour retrouver l’espoir
D’un monde un peu moins triste et qui se laisse voir.
Le travail me reprend et la chance un beau jour
Me fera rencontrer Les Parapluies d’Cherbourg !…
Derrière mon récit, banal en quelque sorte
C’est la vie de chacun que le souvenir porte :
Tous, nous avons vécu, selon nos régiments,
Bien sur dans d’autres lieux et dans d’autres moments
Que la vie militaire et la guerre mêlées
Nous ont fait vivre hélas ! sans l’avoir désirée,
Cette aventure inouïe et qui nous dépassait
Dont on voyait pourtant paraître les effets.
Sans espoir, sans pitié, nous étions les pantins
D’un théâtre effrayant qui paraissait sans fin.
Il reste près de nous nos trente mille morts
Que nous n’oublions pas dans ce triste décor,
Unis pour aborder cette année dans l’action
Afin que nos souhaits, nos revendications
Soient accueillis enfin sous un ciel tutélaire
Et nous fassent rester ensemble solidaires.
Ne lâche rien, mon gars, demeure vigilant
Et que l’année en cours te conserve vivant
Prêt à intervenir, à défendre tes droits
Pour notre dix neuf mars, la FNACA et la loi !
A DJILALLI ZIOU
Mais qu’est donc devenu mon compagnon, mon frère
Partageant avec moi, les joies et les misères !
Moi, gars de métropole, et lui, bon musulman,
Nous venions de quitter tous deux notre maman.
Il avait un prénom musical et discret,
Et un nom qui claquait comme un coup de mousquet :
Djilalli ZIOU, ainsi s’appelait mon ami
Tout droit venu de son étrange Kabylie,
Montagneuse et secrète, ambitieuse et loyale,
Un peuple à elle seule, isolée et royale.
Il aimait comme moi Debussy et Ravel
J’admirais avec lui les couleurs du djebel
Lorsque la nuit venait emportant avec elle
Des éclats de soleil aux teintes irréelles.
C’est à Cherchell, alors école d’officiers
Que nos deux jeunes vies se sont alors liées :
La même compagnie et la même section
Très naturellement scellèrent notre union,
Exercices de tir, marches forcées de nuit
Compensaient largement tout sentiment d’ennui
Surtout exécuter et ne pas réfléchir
Et puis, par-dessus tout : obéir, obéir !
Ainsi, rapidement, nos six mois prirent fin
Et l’on se retrouva sous-lieutenant ….enfin !
Fidèle à ses valeurs, il choisit la légion
Moi, en bon Alsacien, j’optais pour ma région !
L’éloignement, hélas, joua son rôle amer
Quelques courriers anxieux, des lettres éphémères,
Puis un silence lourd, plus un mot, plus un signe,
La guerre se poursuit, impudique et maligne,
Du « je vous ai compris » au quarteron perfide,
De « valise ou cercueil » à l’OAS avide !
Entretemps l’Algérie m’avait récupéré :
Barrage tunisien, blockhaus et barbelés,
Nuits de veille et d’attente, harcèlements torrides,
Lourde promiscuité, solitude morbide.
Et le temps qui s’écoule et qui traîne avec lui
Ou bien un fol espoir, ou bien un lourd ennui.
Il était plus qu’un frère, il était mon ami,
Le temps a fait son œuvre et généré l’oubli.
Mes recherches poussées restent infructueuses
Le souvenir demeure, objet des heures creuses
Et puis soudain, un signe, oh certes, minuscule
D’un « copain » oublié qui un jour me bouscule
Au détour d’une rue, et qui me reconnaît !
Il cherche des contacts, renouer les lacets,
Et nous voilà partis, retrouvant le passé,
Evoquant souvenirs et jeunesse brisés ;
Et puis, un nom qui perce, au fond de ma mémoire,
La bouteille à la mer, dernier et fol espoir :
« Te souviens-tu de Ziou ? « son prénom » ? Djilalli !
Et l’image sortie peu à peu de l’oubli,
On consulte l’armée, on monte des recherches,
On tresse des filets et on lance des perches,
Notre ténacité fut bien récompensée :
Enfin on retrouva les traces effacées :
Djilalli le Kabyle habite à Annaba
Où il a retrouvé son bordj et sa casbah,
Il attend son ami, ses souvenirs, son frère,
Pour retracer aussi nos deux itinéraires,
Pour renouer les liens qui unissent deux vies
Et, pourquoi pas, enfin, relier nos deux pays.
Un poème sur la mort d’une jeune soldat halluinois, Régis Verschae, Maréchal des Logis au 30ème Régiment des Dragons, survenu le 22 janvier 1961 durant la Guerre d’Algérie, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, et qu'il aurait dû être libéré dix jours plus tard.
Poème que l’on peut dédier à la mémoire de tous les combattants qui y ont laissé leur vie.
Sur la mort d’un soldat
Il était jeune et beau, son âme restait tendre.
Il git sous un ciel bleu. Serait-il mort en vain ?
Il ne connaîtra plus les ciels brumeux de Flandre
où le pain ne pourrait être bon sans levain.
Les kabyles, là-bas, l’ont connu sous les armes,
ils l’ont vu professeur et puis encor soldat.
Ils surent qu’un Français ne verse pas de larmes
mais qu’il n’en aime point pour autant le combat.
Il n’est pas ici-bas de souffrances stériles.
« Heureux chantait Péguy, les épis moissonnés ».
Sont-ils heureux vraiment ? Du moins ils sont utiles
et sous la faux ils sont parfois prédestinés.
«Une âme, tu le sais, ne meurt pas toute entière ».
Ainsi parlait jadis le poète latin.
Pour toi, jeune Français, est close la carrière
dans l’orbe où s’est inscrit, hélas, ton court destin.
En mon pays natal, des amours m’étaient chères
et dans mon bled lointain formaient mon seul avoir.
Adieu ! Qu’à ces amours ma voix familière
Redise encor ces mots : amour, espoir, devoir ! »
Ta tombe va s’ouvrir un jour au cimetière
où, petit enfant, tu trottais d’un pas léger ;
en la glèbe d’argile et sous une bruyère,
il te sera, crois-nous, un frais et doux verger.
Régis, ô notre ami, tu n’avais pas de frère.
Se brise une lignée où manque un seul chaînon.
Dis-nous. Que restera-t-il de toi sous la pierre ?
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« Sur une croix de bois, mon nom, mon simple nom ».
Charles DEREU
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