Le 11 juin 1957, Maurice Audin, jeune mathématicien en cours de doctorat, militant communiste, fervent partisan de l’indépendance algérienne, était arrêté à son domicile par l’armée française ; sa famille ne l’a plus jamais revu.
Tant a été écrit sur la guerre d’Algérie que l’on n’imagine que trop bien le sort de Maurice Audin : comme tant d’autres, il a subi interrogatoires, torture, assassinat, disparition. Mais le fait qu’Audin soit d’origine européenne, son militantisme généreux, en ont fait, très tôt, un symbole aussi bien en France qu’en Algérie. Pendant plus d’un demi-siècle, l’État français prétendra qu’Audin a déserté… Une version qui ferait rire, si cette disparition n’était si tragique.`
Le temps a passé et l’affaire Audin aurait pu se perdre dans les oubliettes de l’histoire, n’était la force de ce qu’il représente, la détermination de sa famille et de ceux qui l’ont soutenu. J’ai moi-même appris son histoire par les écrits de mathématiciens de l’époque : Laurent Schwartz, célèbre mathématicien engagé en politique, décrit l’affaire dans ses mémoires, et particulièrement la cérémonie de soutenance de thèse en l’absence du candidat. Cette cérémonie avait attiré une foule considérable et contribué au débat sur la terrible guerre d’Algérie qui à l’époque ne disait pas son nom.
Ma sensibilité au sujet a été renforcée par d’autres facteurs. D’abord mes contacts personnels avec Michèle et Pierre, enfants de Maurice Audin, qui ont tous deux fait de beaux parcours en mathématique : Pierre, vulgarisateur de talent, a fait sa carrière au Palais de la Découverte ; Michèle est experte en systèmes dynamiques et en histoire des sciences. Elle a d’ailleurs récemment écrit un ouvrage sur son père, intitulé Une vie brève.
Ensuite, de façon déterminante pour moi, il y eut le Prix Maurice Audin. Fondé par Laurent Schwartz, tombé en désuétude du fait de son mélange des genres entre science et politique, il fut ressuscité par le mathématicien Gérard Tronel, humaniste infatigable, contestataire au service de toutes les nobles causes jusqu’à sa mort. Ce dernier prit soin de distinguer la récompense scientifique du combat militant.
Le Prix Maurice Audin récompense simultanément un lauréat (ou une lauréate) en Algérie, et de même un lauréat en France : il suit ainsi une logique de coopération. Avec une limite d’âge, il récompense la jeunesse. Adossé à l’Institut Henri Poincaré, il est soutenu par des institutions stables et prestigieuses. C’est ainsi que je fus appelé pour servir comme président du jury, à plusieurs reprises. Ce fut pour moi aussi l’occasion de donner quelques discours publics en la mémoire de Maurice Audin.
L’État doit reconnaître cet assassinat
Parallèlement au prix scientifique, l’idée faisait son chemin que l’État français devait évoluer sur cette question, pour participer au travail de réconciliation de sa mémoire, et pour contribuer à assainir les relations entre France et Algérie. La famille Audin a travaillé sans relâche dans ce but. En 2014, au cours de la cérémonie du Prix Audin, je lisais une lettre adressée par le Président Hollande : il y admettait, pour la première fois, que Maurice Audin était mort en détention. Il donnait également instruction au ministre de la Défense, Jean‑Yves Le Drian, de rendre accessibles toutes les archives classifiées en la matière.
Un grand pas certes, mais un progrès incomplet ! Il faut dire que les plaies de la guerre d’Algérie sont encore si vives pour notre nation, et si mal refermées, que chaque pas est complexe et peut donner lieu à polémique. Cependant l’engagement du Président Macron dans le dossier algérien laissait espérer que l’État puisse aller plus loin et enfin reconnaître sa responsabilité dans ce qu’il faut bien appeler l’assassinat de Maurice Audin. Et en janvier dernier, à l’occasion d’une cérémonie en l’honneur de Gérard Tronel, je recevais du chef de l’État la mission de faire part de sa conviction personnelle qu’il s’agissait effectivement d’un assassinat.
Depuis lors, les appels se sont multipliés – encore tout récemment par une pétition que j’ai co-signée dans l’Humanité – pour qu’un dernier pas soit franchi afin que cette reconnaissance faite à titre personnel devienne enfin une reconnaissance officielle, historique.
La famille attend depuis si longtemps !
Dans le même temps, le travail des historiens continuait, avec son lot d’incertitudes, pour faire la lumière sur l’affaire Audin. C’est un travail ingrat, où parfois des documents nouvellement trouvés ouvrent de nouvelles pistes, et où parfois ces pistes aboutissent sur des impasses, soit par manque d’indices, soit par disparition des témoins. Dire que c’était il y a 60 ans et que l’on n’est toujours pas au clair… Et dire que la famille attend depuis si longtemps !
Au-delà de la difficulté à trouver la vérité et les mots justes, l’affaire Audin nous rappelle combien la guerre d’Algérie s’est achevée sans être véritablement achevée. Mal enseignée dans les cours d’histoire, elle a laissé dans le désarroi des pans entiers des nations française et algérienne. Le travail de mémoire sur ses épisodes les plus tragiques n’est toujours pas abouti. Plein de non-dits en France, le débat est au contraire presque omniprésent en Algérie. Les situations politiques des deux nations sont très différentes, et mériteraient de longues analyses ; mais à coup sûr l’une et l’autre aspirent à retrouver un sens politique et le destin international dont elles ont rêvé. Peut-être les deux destins sont-ils liés, pour notre bénéfice mutuel. Et sans doute la mise au clair de l’affaire Audin fait-elle partie des obstacles à franchir pour permettre cette bonne coopération.
Les livres d’Albert Bensoussan prennent naissance dans le terreau judéo-arabo-berbère de son Algérie natale, en particulier dans la blanche et inoubliable Alger d’avant la guerre d’indépendance, comme il l’a si bien raconté tout au long de ses romans et récits, en particulier dans ses derniers textes, « La Véranda » et « L’Anneau ». Avec «Le vertige des étreintes », Albert Bensoussan nous offre peut-être le plus accompli de ses textes, baroque et poétique, flamboyant et déchirant, puisé dans cette mémoire méditerranéenne qu’il n’a cessé de chanter, et enchanter, depuis près d’un demi-siècle.
« Le vertige des étreintes » prolonge, une fois encore, cette veine, où se mêlent longs ou brefs moments de la vie d’Albert Bensoussan, réels ou fantasmés, en un permanent écheveau kaléidoscopique et un tournoiement vertigineux de la mémoire qui lui fait revivre l’éblouissement des rencontres, la sensualité des corps, l’amertume des abandons, la cruauté des déclins, l’horreur d’inéluctables fins de vie et les deuils, « le poids des morts, père, mère, frère, figés en mémorieuse douleur ». Cette mortqui sera sienne, un jour peut-être proche, redoute-t-il, achevant la funèbre litanie familiale des disparus : « Chaque jour qui passe me fait perdre de la hauteur. Il faut s’habituer à remplacer le vertical par l’horizontal.[…] J’apprivoise la posture qui sera bientôt la mienne…pour l’éternité ».
Ce nouveau texte, peut-être plus encore que les précédents, est habité de la présence essentielle des femmes qui ont jalonné et nourri sa vie. Celle de Lalla Sultana, sa grand-mère, sorte de guérisseuse dans son village natal des hauteurs de Tlemcen dont il apprit les gestes simples qui soulagent. Sa mère ensuite, cette autre sultane, que Lalla avait nommé Aïcha, de ce prénom arabe qu’elle n’a jamais aimé porter et que le marbre noir qui ferme sa tombe a définitivement traduit en Alice. Personnage central de sa mémoire, Albert entendra toujours les youyous sortis de sa gorge quand la joie s’emparait d’elle au milieu du bonheur de ses enfants.
Le premier amour d’Albert fut Dihya, bienheureuse rencontre d’une malencontreuse péripétie, quand le petit Albert, cinq ans, perdit la main de sa maman dans la foule des ruelles d’Alger et du marché Randon, enfant désemparé et récupéré par le geste secourable d’un vieil arabe qui confia aux soins attentionnés de sa toute jeune enfant, Dihya, le gamin brièvement orphelin. Premières émotions vers cette fillette plus âgée que lui et qui devint pour le petit Albert, chaque semaine qu’ils se retrouvèrent, la « maîtresse du jeudiqui m’apprit à lire, à compter, à chanter et à rire». Une enfant miraculeusement revue en son adolescence, une enfant devenue femme. « Dans cet Alger d’avant le basculement. Et là la femme m’était apparue, brûlant mes pupilles. Ses yeux, quelle couleur ? Moi je les voyais topaze, et sans doute étaient-ils entre vert et bleu, mais je savais qu’elle avait des yeux de miel. La déesse levait le regard sur moi, plissant ses paupières comme une chatte ». Réalité, fantasme du souvenir ? La mémoire d’Albert s’embrase, avec les accents du Cantique des cantiques : « Nous avons appris ensemble le baiser, Dihya, et je t’aimais […] à cause de ton teint de figue sombre et ta pulpe de fève. […]. Un miel d’aloès jaillissait de tes seins. L’agave peuplait ton aisselle. L’âcre musc de tes reins me soulevait d’ardeur. […]Quelle est forte l’odeur qui me reste de toi ! ». Ainsi Dihya, mais aussi Ghalia, Bertille et ses « yeux de miel », Maya, Garance, Mélinée la Bretonne, «avec sa belle tête d’Arménienne», autant de femmes, d’Algérie et d’ailleurs, autant de vertiges nés d’autant d’étreintes qui font chavirer la mémoire d’Albert.
Coup de dés de son existence (« mon histoire a toujours été hasardeuse »), Albert rencontre, dans un total foudroiement, celle qui fut sa première épouse, qu’il nomme Dores venue de la Corogne. La Corogne, vraiment ? « Tout en elle était mystère. Je n’ai jamais su quand elle était née ni même où ». Deux exilés, « deux déclassés et c’est pour cela que nous nous étions trouvés », l’une de l’Espagne républicaine, l’autre de l’Algérie française. Il la rejoint à Paris, s’unissent avec passionet vont faire route ensemble pendant un demi-siècle. « Jusqu’aux portes de la vieillesse cet amour me donna des ailes ». La maladie s’empara de Dores, « Dolores », et, implacable, dix années durant, un mal parkinsonien et aphasique gagna, qui rongeait ce qui lui restait de mémoire et lui donnait « ce masque d’hébétude qui peu à peu collait à ses traits, naguère si vifs ». Albert, « l’amant ardent », se fit garde-malade. Étreinte de la douleur, vertige du deuil qui guette, « non, querida, ce n’est pas ainsi qu’il faut partir ». Albert ne s’épargne rien, ne nous épargne rien de l’atroce déchéance de sa dolente épouse, de son désarroi et de son chagrin qui lui tirent, qui nous tirent des larmes.
« Dores est morte, le soleil a plongé, le ciel s’est éteint. J’ai épousé Leah et la lune était pleine ». Leah, après Dores l’inoubliable (« j’ai tant vécu avec elle »), est l’épouse ultime, « haut bout du voyage ». Leah l’emmènera en Provence, « tirant un immense rideau de clartésur l’opacité des jours ». Marseille sera le nouveau port d’attache, avec Alger à nouveau à l’horizon. Brièvement toutefois. Rapide retour en Armorique.
« Je ne sais plus à cette hauteur scinder le rêve du réel » avoue Albert, qui se nomme lui-même « Benyamine », benjamin d’Aïcha, dans ce texte dont son auteur ne dit jamais qu’il est autobiographie. La vie est un songe, Calderón dixit. Et Albert tire –presque- le rideau sur sa vie de hasards, « rocambole de fractures », mémoire et tissu de rêves et de fantasmes, envolées de bonheurs aux ailes coupées par la douleur et la mort, et « le couperet des ans ».
Le vertige des étreintes est magnifique, et nous emporte, une fois encore.
Chronique livresque. On dirait que Mohamed Lemkami, officier du plus secret des services du MALG, le fameux service spécial S4, ne s’est tu hier que pour mieux se répandre aujourd’hui. Pas pour livrer des secrets, pour ça on peut lui faire confiance, mais pour dresser, par petites touches surprenantes, parfois désopilantes, le portrait d’une génération qui a combattu pour l’indépendance et qu’on retrouve aux commandes d’une Algérie libérée qui faisait ses premiers pas. la voit cette génération, on la fréquente même, on s’étonne des manies des uns, de la brutalité des autres, de la petitesse de certains et de la grandeur de quelques-uns. A ma connaissance, jamais récit n’est allé aussi loin dans la franchise, et quelle franchise !, si bien que parfois on a même droit à des détails qui ne sentent pas bon. Comme les pets de certains compagnons, ou l’odeur d’ail d’autres. A se tordre de rire.
Si la vérité est amère, ce livre en a le goût. Amer sans amertume. Jouissif, écrit à la diable, d’une rare truculence, il nous donne envie de connaitre Lemkami, ce guide unique, qui nous prend par la main pour nous montrer les hommes tels qu’ils étaient pendant la guerre et tels qu’ils étaient devenus après avec l’air de nous dire : « La vie est une comédie, à vous d’en faire ce que vous voulez : du drame ou du mélo ou les deux entremêlés. Mais ne vous laissez jamais marcher sur les pieds. »
Quand Boussouf gifle Boumediène
Faisant l’impasse sur sa jeunesse sur laquelle il s’étend longuement. Elle ressemble à celle de millions d’Algériens modestes. Loin du fils du pauvre. Avec cette différence, c’est qu’il sera, lui, bachelier. Un exploit à l’époque. L’enfant de Khemis, dans la région de Tlemcen, sera affecté comme instituteur stagiaire à Zoudj Beghal, pas loin des frontières marocaines.
Sans avoir encore rejoint les rangs de l’ALN, il était souvent en mission secrète à Oujda, Maghnia et Tlemcen. Un jour, invité à diner, il rencontra une vieille connaissance, Si Lahbib, et un jeune très blond, mutique aux yeux perçants, qu’il avait pris pour un légionnaire allemand. C’est ce soir qu’il découvrit que Si Lahbib n’était pas qu’un simple taleb étudiant le Coran à la grande mosquée de Khemis, mais l’un des chefs de la Révolution, Si Mabrouk en personne, de son vrai nom Boussouf Abdelhafid.
Quelques jours plus tard, il céda sa chambre à l’école où il était instituteur à Boussouf accompagné du légionnaire allemand qui n’était autre que…Boumediène. Il fut alors témoin d’une scène humiliante pour le terrible colonel qui dirigea l’Algérie d’un froncement de sourcils. « Je n’avais jamais rien entendu de ce qui se passait dans cette chambre, sauf un matin de bonne heure. Je venais de préparer le café et de le déposer devant la porte de la chambre comme d’habitude. En le faisant entrer, Si Mabrouk avait oublié de refermer la porte à clé comme il le faisait régulièrement. Elle était restée entrouverte. De la cuisine, j’entendais uniquement la voix de Si mabrouk qui semblait très en colère contre son compagnon. Il l’avait apparemment giflé et traité de tout. »
Terrible humiliation qui nous renseigne sur la brutalité de Boussouf et la maitrise de soi de Boumediène qui se vengera à sa manière d’animal à sang froid: il écartera son mentor du pouvoir à l’indépendance.
De Boussouf, Lemkami ne dira pas un mot de trop. Bien au contraire, selon lui c’était un homme de rigueur, de devoir, de discipline et d’organisation qui a créée de toutes pièces Boumediène dont le portrait est tout en contraste, comme on le verra plus loin. La question que pourrait se poser tout lecteur curieux sur l’énigme de l’ascension fulgurante à l’ALN de Boumediène, Lemkami la posera à l’indépendance à Boussouf : « Pourquoi tout au début de 1955 et dès leur arrivée au maquis, avait-il donné une grande responsabilité à Boumediène en tant que Contrôleur Général de l’ex-Zone V de l’Oranie en accord avec Larbi Ben M’Hidi alors que les trois autres compagnons du yacht de la princesse Dina n’étaient relégués qu’à des responsabilités subalternes ? » Oui, pourquoi lui et pas les autres ? Qu’avait-il de plus qu’eux ?
La réponse de Boussouf explique bien des choses : « Seul Boumediène avait une recommandation personnelle de Ben Bella, qui était alors l’un des premiers dirigeants de la Révolution du 1er Novembre. » Sans doute la recommandation a son importance, mais sans doute aussi Boumediene a-t-il laissé entrevoir d’autres qualités qui faisaient de lui un élément sur lequel Boussouf pouvait compter. La pâte était là. Il lui suffisait de la pétrir. On a vu que c’est à coups de gifles et de réprimandes que Boussouf la pétrissait. C’était sa manière de former ce qui allait le réformer.
En attendant, dans les maquis, « Boumediène fumait et buvait du café sans arrêt et aimait discuter toute la nuit, mais dormait toute la journée. (…) S’adressant à chacun d’entre nous et à tour de rôle, Boumediène avait posé la question de savoir à quoi chacun d’entre nous pensait quand il mettait sa tête sur l’oreiller avant de s’endormir. Chacun avait sa réponse (…) Toutes nos réponses n’avaient apparemment pas satisfait Boumediène. Il avait alors développé un véritable scénario : l’Algérie allait avoir bientôt 10 millions d’habitants. Si chaque Algérien, avant de s’endormir chaque soir, pensait à un même thème et que la guerre de libération allait durer au moins 10 années, au lendemain de l’indépendance, les Algériens seraient regroupés en fonction du thème qu’ils avaient imaginé, développé et muri durant 10 ans. Chaque groupe établirait une synthèse consensuelle. L’ensemble des synthèses constituerait la politique de l’Algérie souveraine. »
L’auteur ajoutera que ce projet cogité dans les maquis se concrétisera par la Charte nationale 18 ans plus tard. Conclusion de Lemkami : « Donc dès cette période, Si Boumediène avait un projet : le pouvoir. Il avait besoin d’un projet : ce sera la fameuse « charte nationale ».
Avoir une ambition masquée, une vision, un projet, telles ont été les qualités qui ont fait de Boumediène le patron de l’armée avant d’être celui du pays. C’est un redoutable joueur d’échec qui calcule tout. On comprend ici que si Boussouf lui a donné un coup de pouce, il portait en lui toutes les qualités d’un leader.
Boumediene et le mal (MALG)
Au maquis de la Wilaya V, Lemkami croisera la route d’un héros de passage : Abane Ramdane. A propos de la traversée du barrage frontalier du côté de Boubekeur ou Lemkami devait prendre en charge Abane et Saad Dahlab, il entendit l’impétueux chef kabyle traité les Oranais de froussards ! Lemkami ne pouvait pas laisser pareille insulte sans réponse. Dispute. C’est Dahlab qui réconciliera les deux moudjahine à coups de blague. Abane offrira son arme de poing chromé Largo à Lemkami. Dans cette anecdote on retrouve tout Abane résumé : langue blessante et cœur d’or.
En 1957, à l’issue de la réunion de tous les capitaines chefs de zone de la wilaya V, Boumediène succédera à Boussouf devenu membre titulaire du CCE (Comité de Coordination et d’Exécution), organe central de la direction du FLN qui sera remplacé en 1958 par le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne). En 1959, en raison de relations tendues avec son chef direct, un ancien d’Indochine, Lemkami alias Abbes se fait muter au service de renseignement en liaisons de la wilaya V grâce au colonel Lotfi alors patron de cette wilaya à la place de Boumediène qui a été désigné à la tête du COM-Ouest (Commandement des opérations Militaires de l’Ouest).
Affecté dans la SAP (section de l’Action de Propagande), puis quelques semaines plus tard, le voilà à la SMG (Section Militaire Générale) dirigée par « un jeune, grand de taille et avec un long nez ». Ce jeune s’appelle Kasdi Merbah. Chargé par Boumediène de régler un différend en Zone 8 entre le commandant Farradji, membre du commandement général de la wilaya V et le capitaine Abdelghani (Mohamed Ben Ahmed), il nous dresse un portrait haut en couleur de ce dernier: « Abdelghani était un maniaque connu par tout le monde dans sa façon de s’habiller (…) Il se rasait de près tous les matins, cirait ses bottes, portait une cravate comme s’il allait à une réception officielle (…) Il dormait toujours sous une moustiquaire. Cette manie désespérait Farradji, un homme très traditionnaliste avec son côté fermé et intransigeant, mais courageux et brave. Il le qualifiait de « soldat parfumé ». Dans la base du MALG l’esprit était sain, et « la vie dure voire insupportable » : bouffe infecte, punaises, scorpions aux aguets, chaleur, manque de sommeil à cause de la rigidité des horaires, ennui…
Le voilà directeur-adjoint du fameux Service Spécial S4, le dernier né des services et le plus secret à tel point que « beaucoup de cadres des services du MALG avaient ignoré et ignorent encore à ce jour son existence. » Le mot d’ordre de Boussouf entourant ce service a été : ni vu, ni connu, ni entendu. Le secret le plus total. Ce service avait une double mission : faire passer les armes aux différentes wilayas dans les délais les plus rapides d’une part et « décharger Boussouf de certains réseaux très importants de renseignement et de liaison qu’il avait toujours gérés personnellement. » d’autre part. C’est Lemkami lui-même qui aura à gérer cette partie dont certains réseaux étaient implantés en France, en Espagne et au Maroc.
Rendant hommage à Boussouf, il témoignera de sa qualité d’homme à principe et de rigueur, de militant convaincu de la cause nationale ainsi que de sa vision au service de la future Algérie indépendante : « Après sa mort un certain 31 décembre 1980, il serait injuste à présent de lui imputer des velléités de prise de pouvoir à l’indépendance du pays sans lui permettre de se défendre. Si c’était le cas, il n’aurait jamais permis à d’autres que tout le monde connait, de devenir ce qu’ils étaient devenu. » Boumediène en premier évidemment. Boumediène qui avait l’habitude d’interpeller les moudjahidine par la même expression : « Oh Les arabes ! » avait ajouté une autre phrase lourde de sens : « comment se porte le mal ? » Comprendre le MALG.
Lemkami n’avait pas besoin de dessins pour comprendre qu’il y avait de l’eau dans le gaz entre Boussouf et son ex-adjoint Boumediene devenu le patron de l’état-major. La confirmation lui viendra d’une rencontre fortuite avec Boumediène et son staff dans un café de Rabat. Il fut invité à s’assoir par Boumediene qui le bombarda de questions sur le MALG. Lemkami, forte tête et enfant de la balle, ne donna aucune information. C’est alors que Boumediene lui demanda devant son staff : quand est-ce qu’il allait rejoindre sa mère l’ALN ? Il lui répondit du tac au tac qu’il ne l’avait jamais quitté. Lemkami a compris que pour Boumediène le MALG était une entité différente de l’ALN, donc une entité en laquelle il ne pouvait avoir tout à fait confiance. Pour lui le MALG, c’est le mal, c’est Boussouf.
Ingrat Boumediène? L’histoire nous l’explique. Pour régner, il faut d’abord s’affranchir de son maitre. César ne peut souffrir son bienfaiteur.
En fermant le chapitre sur sa période d’agent de l’ombre, Lemkami ne manque pas de poser, tête haute et avec défi, quelques questions dont il avait les réponses : « Au fait qui avait fait fonctionner la radio et la télévision algérienne après la désertion des techniciens français ? qui avait pris en main le système des transmissions nationales et du chiffe au niveau des nouvelles institutions de l’Etat : la présidence de la république, la défense nationale, le ministère de l’Intérieur et ses démembrements, le ministère des affaires étrangères ? Qui avait pris en main les services dde sécurité de l’armée et de la police ? Qui avait organisé les services des douanes nationales, etc… » Pour finir, il dira que les hommes de l’ombre n’avaient jamais pensé à un problème de pouvoir. Il a raison Lemkami. Avec cette nuance : ils ne pensaient pas au pouvoir parce qu’ils étaient le Vrai pouvoir.
La leçon à « Hamid La science », ministre de la Planification
Dans la deuxième partie, concernant l’indépendance, Lemkami nous raconte avec truculence, ses tribulations dans cette nouvelle Agérie où l’opportunisme et le clientélisme l’emportaient sur le mérite et le patriotisme. La lecture vaut le détour pour tout lecteur qui souhaiterait apprendre comment les révolutionnaires finissent en fonctionnaires avachis et comment les coups tordus ont commencé à pleuvoir et comment les commissions financières ont commencé à fleurir. Nous étions partis du mauvais pied.
Heureusement que des hommes comme Mohamed Lemkami ont sauvé ce qui pouvait l’être en ne transigeant jamais sur les principes, se permettant le luxe d’engueuler quelques ministre dont Mahroug et Ait Messaoudène qu’il « traita de tous les diables. Après avoir vidé mon sac, je l’avais quitté sas égards même pour la fonction qu’il occupait. » Il faut dire qu’Ait Messaoudène qui venait d’hériter du poste de ministre de la Santé avait eu « à mon égard un comportement qui n’était pas admissible ».
Lemkami n’a peur de rien. Il défia Merbah et refusa des postes proposés par Boumediène en personne. Quel diable d’homme ! Quant à Abdelhamid Brahmi, alors ministre de la Planification, il lui fit la leçon avec beaucoup de dédain. Il ne l’estime pas, c’est clair. L’échange mérite qu’on s’y arrête, car il résume, mieux que tout, le caractère intraitable de Lemkami alors député. De quoi se dérider en ce ramadan tristounet : « A l’Assemblée, j’avais trouvé la commission économique présidée par Abbes Dilmi en train d’étudier deux projets de loi…(…) J’avais noté entre autres, un article de l’un des deux projets qui faisait une page et demie sans point, ni point-virgule, ni même une virgule. Quand on le lisait d’un trait, il fallait avoir du souffle…(…) J’avais assisté tout l’après-midi au débat de cette commission. A la fin j’avais demandé la parole pour faire mes observations notamment au sujet de ce long article que j’ai cité plus haut et en expliquant qu’il fallait le restructurer et peut être même le couper en deux ou trois articles, car tel qu’il était rédigé, il n’était pas clair. Quel sacrilège ! Qu’est-ce que j’avais dit ? La foudre de Hamid la science m’était tombée sur la tête : « non, Monsieur le député, m’avait-il répliqué, notre politique est très claire. Ne faites pas l’amalgame : » J’avais alors répondu que si sa politique à lui était très claire, son français ne l’était pas du tout, que je ne parlais pas de politique, mais de rédaction et que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. » Après cette tirade de Boileau, il quitta la salle.
Ces mémoires fourmillent de mille anecdotes qui renseignent sur les hommes et les guerres de tranchées. Encore cette autre pour le Ramadan :
Alors qu’il était conseiller du ministre des Finances, il vit une situation cocasse digne de l’Inspecteur Tahar. Qu’on en juge. Cherif Belkacem, ministre d’Etat chargé des finances avait le même conseiller que Belaid Abdeslam, ministre de l’Industrie et de l’Energie. Ces deux ministres se détestaient à ne pouvoir se voir en peinture. Ce conseiller, un français du nom de Georges Simon, se coupait en deux : il travaillait le matin au ministère de Belkacem et l’après-midi à celui de Belaid. Incroyable ? Oui, mais vrai. Le matin le conseiller Simon, répondait par télex au nom de Belkacem au télex de Simon au nom de Belaid. Kafka n’aurait pas mieux trouvé.
« Chaque télex mesurait au moins deux mètres et le contenu ne se rapportait ni aux problèmes financiers, ni aux problèmes énergétiques, ni même à des problèmes politiques. C’était des insultes avec un vocabulaire très recherché pour abattre l’autre. » Ces échanges faisaient la joie de Lemkami ainsi que les autres conseillers et secrétaires qui lisaient les télex avant les ministres. Ces ministres, pince sans rire, savaient au moins faire rire à leurs dépens.
Pourquoi l'histoire a failli oublier le massacre des Algériens du 17 octobre 1961
Le 17 octobre 1961, au moins une centaine de manifestants algériens pacifiques ont été tués par la police parisienne. En ce jour de commémoration, Konbini vous raconte pourquoi c'est arrivé, et pourquoi l'histoire l'a trop souvent oublié.
Ce 17 octobre 1961 marque un triste anniversaire, celui d'un des épisodes les plus honteux de la seconde moitié du XXe siècle en France. Au soir du 17 octobre 1961, une répression sanglante d'une manifestation d'Algériens, sur le pont de Neuilly mais aussi sur le pont Saint-Michel, fait des dizaines de morts ainsi que des centaines de blessés.
Or cet événement est passé aux oubliettes de l'histoire pendant de nombreuses années. On vous explique.
Un contexte explosif
1961, la guerre d'Algérie dure depuis 1954. Les tensions entre policiers français et Algériens à Paris comme dans toute la France sont à leur comble : alors que le Front de libération nationale (FLN) a appelé depuis 1958 à la lutte armée en France métropolitaine, les forces de l'ordre sont de plus en plus régulièrement visées par des attentats meurtriers.
Pour donner le change et empêcher que les agents se sentent lâchés par leur hiérarchie, le préfet de police de Paris, un certain Maurice Papon, laisse entendre qu'il "[couvrirait] les excès qui pouvaient se produire" dans le cadre d'arrestations de "Français musulmans d'Algérie" (FMA) comme on les appelle alors, d'après l'historien Jean-Paul Brunet qui raconte ces faits dans son ouvrage Police contre FLN (éd. Flammarion, 1999). Une phrase interprétée par de nombreux fonctionnaires comme un permis de tabasser.
La police exerce alors des violences sur de nombreux suspects algériens appréhendés pour de simples contrôles d'identité. Les plaintes auprès de l'Inspection générale des services (IGS, la "police des polices") se montent alors à plus d'une centaine.
Couvre-feu raciste
Devant cette recrudescence de violences de part et d'autre, le ministre de l'Intérieur Roger Frey et le préfet de Paris décident d'un couvre-feu adressé aux Algériens, et eux seuls, "dans le but de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes algériens". Voilà ce qu'il dit :
"Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin."
La manifestation pacifique dégénère
À l'appel du FLN, qui compte envoyer une réponse pacifique contre ce couvre-feu raciste, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent le 17 octobre. Ils sont vingt, trente, quarante mille... certains parlent même de 50 000 personnes qui auraient défilé ce soir-là. La plupart sont vêtus d'habits du dimanche, rasés de près, afin de montrer qu'ils manifestent pour leur dignité. Il y a des hommes, mais aussi des femmes et des enfants.
Alors que les manifestations sont prévues dans trois endroits distincts de Paris, près de 10 000 personnes en provenance des bidonvilles et des quartiers populaires de la banlieue ouest (Nanterre, Bezons, Courbevoie, Colombes et Puteaux) s'engagent sur le pont de Neuilly afin de gagner la place de l'Étoile et faire jonction avec d'autres colonnes de manifestants. Les policiers les arrêtent et, chauffés à blanc par des rumeurs inquiétantes (manifestants armés de couteaux, morts parmi les rangs de la police ailleurs dans Paris...), cédant à la pression, frappent la foule avec leurs "bidules" (longue matraque de près d'un mètre) et les premiers coups de feu sont tirés. Il n'est pas encore 19 heures.
Cette colonne est bloquée par la police au pont de Neuilly. Les affrontements les plus violents auront lieu là.
Le troisième lieu d'affrontement entre les forces de l'ordre et les manifestants algériens se trouve entre les boulevards Saint-Germain et Saint-Michel. Les manifestants sont encerclés et tabassés par les policiers, certains tombent dans la Seine du pont Saint-Michel, ou préfèrent y sauter, certains se noient. Tout comme au pont de Neuilly.
Plus d'une dizaine de milliers d'Algériens internés
Plus d'une dizaine de milliers de manifestants sont emmenés par la police dans des centres d'internement, à Coubertin, Beaujon, au palais des Sports et à Vincennes. Ils sont nombreux à subir des sévices de la part de la police, certains plusieurs jours durant, du 17 au 20 octobre, mais ils ne seront jamais racontés dans les journaux : les journalistes subissent une censure qui les interdit de se rendre dans ces lieux de détention.
Ce qu'on nomme aujourd'hui le massacre du 17 octobre 1961 est également "la répression d'État la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine", d'après deux historiens britanniques, Jim House et Neil MacMaster, auteurs du livre Les Algériens, la terreur d'État et la mémoire (éd. Taillandier). Or personne n'en a alors conscience en France.
Dans les journaux du lendemain, on reproduit la version de la préfecture de police de Paris, qui évoque deux morts parmi les manifestants et fait part de rassemblement "violents" et d'"attaques de commandos" contre la police. En substance, les journaux écrivent presque que les Algériens n'ont que ce qu'ils méritent.
Il n'y a que L'Humanité et Libération pour dénoncer les violences policières sur les manifestants et s'inquiéter du sort des détenus. Libération (journal homonyme du quotidien qu'on connaît aujourd'hui, d'inspiration anarchiste et fondé en 1927) titre "6 300 Algériens parqués comme des bêtes". En vérité, la police arrête 11 730 Algériens sur environ 20 000 manifestants.
Un bilan final impossible à établir
Bien loin des deux morts évoqués par la préfecture de Paris au lendemain des événements, les historiens évaluent aujourd'hui le bilan humain du massacre entre 150 et 200 morts chez les manifestants, un chiffre qui fait encore débat aujourd'hui, tant les bilans officiels oscillent entre une trentaine d'Algériens tués et plus de 200. Signe d'autant plus révélateur de la tentative d'étouffement par l'État de ce massacre.
Le lendemain de la manifestation fleurit un graffiti resté célèbre et immortalisé par le photographe Jean Texier : "Ici on noie les Algériens". Touché.
"Phénomène d'occultation" dans l'histoire
Aucun responsable n'est jamais désigné par la justice. Une soixantaine d'instructions judiciaires sont menées auprès de policiers ayant participé aux violences de la nuit du 17 octobre, mais toutes aboutissent à des non-lieux. Dans Le Monde, en 2011, l'historien Gilles Manceron explique :
"Une volonté d'oubli judiciaire, qui s'est combinée avec les décrets d'amnistie, qui couvraient les faits de maintien de l'ordre en France, une difficulté à accéder aux archives, l'épuration d'un certain nombre de fonds... tout cela a contribué à ce phénomène d'occultation jusqu'à la fin des années 1970."
Côté responsabilité politique, il y a pourtant de quoi faire. Mais ni Maurice Papon, préfet de police de Paris, ni Roger Frey, ministre de l'Intérieur, ni Michel Debré, Premier ministre, ni même Charles de Gaulle, président de la République, ne sont jamais inquiétés. La version officielle est que tout s'est passé dans les règles et qu'aucun débordement n'a entaché la répression de cette manifestation – qui d'ailleurs n'était pas autorisée.
Mathilde Larrère rappelle qu'interrogé le 27 octobre par le Conseil de Paris au sujet du massacre, M. Papon répond : "La police parisienne a fait ce qu'elle devait faire."
D'après Jean-Paul Brunet, le 19 octobre, Roger Frey prend la parole devant l'Assemblée nationale et fait valoir qu'on "aurait pu liquider l'affaire en moins de deux heures de temps. Un régiment de paras aurait en effet flanqué 500 musulmans par terre. C'est pourquoi on n'a pas fait venir les paras pour ne pas avoir 500 musulmans tués". Malgré les protestations de certains parlementaires qui jugent que la lumière n'a pas été faite sur les violences, notamment Eugène Claudius-Petit (centriste) qui déclare dans l'hémicycle "la bête hideuse du racisme est lâchée", l'événement sera finalement oublié bien vite.
Redécouverte de l'événement à la fin des années 1980
Comme la professeure d’histoire-géo en lycée et docteure en sciences de l’éducation Laurence De Cock l'explique à la suite de Mathilde Larrère, "la mémoire du 17 octobre est longtemps restée cantonnée à la sphère militante de gauche", et il faut attendre de longues années pour qu'un travail de mémoire soit fait. Elle ajoute que si la guerre d'Algérie est depuis longtemps présente dans les manuels d'histoire-géographie, "le massacre du 17 octobre y est très peu présent" mais "Nathan se distingue en 1989 : 'Les forces de l’ordre tuent à Paris plus d’un centaine d’Algériens'".
Il faut attendre le 17 octobre 2001 pour que la ville de Paris et son maire Bertrand Delanoë apposent une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel.
En fait, la mémoire du 17 octobre 1961 est souvent occultée, voire même confondue avec un autres événement tragique : les violences qui ont eu lieu à l'issue d'une manifestation des organisations de gauche contre la guerre et les violences de l'OAS. Le 8 février 1962, neuf personnes acculées dans le métro Charonne sont mortes des causes de violences policières, étouffées ou tabassées, certaines avec des grilles d'arbre en fer arrachées par les policiers eux-mêmes pour s'en servir de projectiles contre les manifestants.
Fruit de l'émotion suscitée par cette choquante répression, une gigantesque manifestation rend hommage aux victimes dès le lendemain. La préfecture compte 125 à 150 000 manifestants, Le Monde300 000, le Times 400 000. D'après Laurence De Cock, les manuels d'histoire du lycée des années 1980 citent souvent les événements de "Charonne", mais pas ceux du 17 octobre 1961. De fait, les dizaines de morts algériens du 17 octobre n'ont pas déclenché l'émotion suscitée par les neuf décès du métro Charonne.
La dichotomie entre les deux événements se remarque particulièrement dans ce mini-documentaire de Robinson Stévenin pour l'Ina :
51 ans après, l'Etat reconnaît officiellement le massacre
"La République reconnaît avec lucidité" la "sanglante répression" de la manifestation d'Algériens à Paris le 17 octobre 1961, c'est en ces termes que le président François Hollande a reconnu le massacre. Un communiqué de l'Elysée publié le 17 octobre 2012 déclare :
"Des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes."
Il a donc fallu plus d'un demi-siècle pour que la République française retrouve la mémoire. Comme le dit la légende accolée à cette photo d'un Algérien embarqué ce 17 octobre 1961 :
"Il est possible que l'on apprenne davantage sur une société en considérant ce qu'elle ne commémore pas que ce qu'elle commémore."
Alger, capitale, au commencement des « sixties » Les pieds-noirs quittent le navire, les colons dératisent 1961, période estivale, c'est la guerre d'Algérie et son festival Et son lot de discrimination, de tortures, d'exactions tout un ramassis d'ordures Quelques degrés au Nord de l'équateur Je quitte l'Algérie française, un pincement dans le coeur Voici mon parcours Ahmed, fils de Mohamed Gangrené du corps par la misère du Maghreb Par les meurtres les soirs de couvre-feu, par la peur du soldat français qui ouvre le feu Ouvre les voiles petit paquebot libérateur Emmènes moi au pays des employeurs Loin de l'inactivité beur algéroise Loin de ceux qui transforment nos mosquées en paroisses Basilique de Notre-Dame d'Afrique s'éloigne de mon regard lorsque les mouchoirs s'agitent Verse une larme dans la méditerranée Une goutte d'eau dans la mer contient la peine de ma terre damnée .
Accoste a Marseille, port autonome, Citée Phocéenne un étranger parmi les autochtones Direction Saint Charles gare ferroviaire embarquement quai 7, voiture 6, wagon fourrière Croise le regard des îlotiers me foudroyant le coeur comme un tir de mortier Reçoit la flèche de la haine par les appelés du « Contingent » "Tes papiers! - Je suis français missié l'agent " Chemin de fer, terminus Paris Gare de Lyon La métropole et son peuple par million Quelques dizaines de francs serrés dans un poing Serviront de premier contact au café du coin Moi qui cherchait de la chaleur j'eu le sang glacé Quand mes yeux rencontrèrent les leurs couleur iceberg bleuté Bluffé par leur manque d'hospitalité ainsi sont-ils? Moralisateurs sans moralité Démoralisé je reprends le chemin lequel me conduira dans les quartiers maghrébins Nanterre, monticule de bidonvilles habitation précaire pour mon entrée en vie civile
"Je ne laisserais pas les coeurs du FLN faire la loi dans Paris! A partir de maintenant pour un coup reçu vous en rendrez 10! "
Ici rien de bon pour les ratons m'a dit le commissaire sanguinaire de mon canton Après m'avoir uriné sur les mains, le gardien de la paix casse du cru au quotidien 17eme jour du mois d'octobre, le FLN a décidé de mettre fin a l'eau propre En effet, le journal de la veille titrait: "COUVRE-FEU RECOMMANDÉ POUR LES IMMIGRÉS" Non! La réaction ne s'est pas faite attendre Algériens de France dans les rues nous allons descendre Protester contre leurs lois discriminatoires Investissons leurs ponts et leurs centres giratoires Embarqué dans un cortège pacifique, nous réclamons justice pour nos droits civiques Mais la police ne l'entend pas de cette oreille En cette période nous sommes un tas de rats rebelles Marchons en direction du pont Saint-michel Nous verrons bien quelle sera l'issue de cette querelle Une fois sur la berge j'aperçois le cortège d'accueil Qui souhaite faire de ce pont notre cercueil Les camps s'observent et se dévisagent Un silence de mort s'installe entre les deux rivages Puis une voix se lève, scande " A bas le couvre-feu " et ouvre le feu La première ligne s'écroule et commence la chasse à l'homme Je prends mes jambes à mon cou, comme un pur-sang je galope Mais le pont est cerné, nous sommes bernés Dans une prison sur pilotis nous sommes enfermés Pas une, pas deux mais une dizaine de matraques viennent me défoncer le crâne Et mes os craquent sous mon anorak Ma bouche s'éclate bien sur le trottoir Leurs bouches s'esclaffent bien grandes de nous voir " Nous allons voir si les rats savent nager Au fond de la Seine vous ne pourrez plus vous venger " Inconscient, gisant dans mon propre sang Les brigadiers en chef par tous les membres me saisissant Amorce ma descente là où passent les péniches S'assurent de ma mort frappant ma tête sur la corniche Je tombe comme un déchet au vide-ordure Dans la chute violemment ma nuque a touché la bordure Liquide poignardant tout mes orifices, le fleuve glacial un bûcher chaud pour mon sacrifice Monsieur Papon a jugé bon de nous noyer Aucun pompier pour étouffer le foyer On n'éteint pas des braises avec un verre de GASOLE Sans penser aux tirailleurs et combattants zouaves Mon cadavre emporté pas le courant Seras repêché dans les environs de Rouen.
D'étranges nénuphars flottent sur la Seine Séquence long métrage les yeux plongés dans la seine Dégât des eaux pour les gens des humans-zoo Déshumanisés les basanés ne font pas de vieux os
D'étranges nénuphars flottent sur la Seine Séquence long métrage les yeux plongés dans la seine Dégât des eaux pour les gens des humans-zoo Déshumanisés les basanés ne font pas de vieux os Un sceau de pisse dans lequel on nois des rats Octobre noir, ratonnade sur les boulevards Ici rien de bon pour les ratons m'as dit le commissaire Maurice Papon 4 mois plus tard on ratonne a Sharon Les "crouilles" et les "cocos" qui aident les "bougnoules" 132 ans d'occupation française ont servis à remplacer nos coeurs par des braises Algérie en vert et blanc, étoile et croissant Devoir de mémoire grandissant. Jezzaïre.
Dieu est mort selon Nietzsche « Nietzsche est mort » signé Dieu On parlera laïcité ente l'Aïd et la Saint-Matthieu Nous sommes les gens du Livre Face aux évangélistes d'Eve Angeli Un genre de diable pour les anges de la TV Reality Je porte la barbe j'suis de mauvais poil Porte le voile t'es dans de beaux draps Crucifions les laïcards comme à Golgotha Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn Cherche pas de viande Halal dans tes lasagnes c'est que du cheval Au croisement entre le voyou et le révérend Si j'te flingue dans mes rêves j'te demande pardon en me réveillant En me référant toujours dans le Saint-Coran Si j'applique la Charia les voleurs pourront plus faire de main courante Ils connaissent la loi, on connait la juge Pas de signe ostentatoire, pas même la croix de Jésus J'suis une Djellaba à la journée de la jupe Islamo-caillera, c'est ma prière de rue
[Refrain] Ta barbe, rebeu, dans ce pays c'est Don't Laïk Ton voile, ma sœur, dans ce pays c'est Don't Laïk Ta foi nigga dans ce pays c'est Don't Laïk Madame monsieur, votre couple est Don't Laïk On ira tous au paradis, tous au paradis on ira On ira tous au paradis, tous au paradis incha'Allah On ira tous au paradis, tous au paradis on ira On ira tous au paradis, enfin seulement ceux qui y croient
[Couplet 2] Ils n'ont ni Dieu ni maître à part Maître Kanter Je scie l'arbre de leur laïcité avant qu'on le mette en terre Marianne est une femen tatouée "Fuck God" sur les mamelles Où était-elle dans l'affaire d'la crèche ? Séquestrée chez Madame Fourest
Une banane contre le racisme, du jambon pour l'intégration Pour repousser les nazislamistes, on Ferme les portes de l'éducation Ah bon ? Pardon patron, moi y'a bon Vas-y Youss', balances le billet J'mets des fatwas sur la tête des cons Religion pour les francs-maçons, catéchisme pour les athées La laïcité n'est plus qu'une ombre entre l'éclairé et l’illuminé Nous sommes épouvantail de la République Les élites sont les prosélytes des propagandistes ultra laïcs Je me suffis d'Allah, pas besoin qu'on me laïcise Ma pièce de boeuf Halal, je la mange sans l'étourdir À la journée de la femme, j'porte un Burquini Islamo-racaille c'est l'appel du muezzin
[Refrain] [Outro] Que le mal qui habite le corps de Dame Laïcité prononce son nom Je vous le demande en tant qu'homme de foi Quelle entité a élu domicile dans cette enfant vieille de 110 ans ? Pour la dernière fois ô démons, annoncez-vous ou disparaissez de notre chère valeur Nadine Morano, Jean-François Copé, Pierre Cassen et tous les autres, je vous chasse de ce corps et vous condamne à l'exil pour l'éternité Vade retro satana
Ces paroles, quelles sont-elles précisément ? Dans le morceau «Dont Laïk», issu de son EP «Démineur» (2015), on entend le couplet suivant :
Dieu est mort selon Nietzsche «Nietzsche est mort» signé Dieu On parlera laïcité ente l’Aïd et la Saint-Matthieu Nous sommes les gens du Livre Face aux évangélistes d’Eve Angeli Un genre de diable pour les anges de la TV Reality Je porte la barbe j’suis de mauvais poil Porte le voile t’es dans de beaux draps Crucifions les laïcards comme à Golgotha».
Sur le morceau lui-même, «Dont Laïk», jeu de mot qui fait référence au titre «Dont Like» du rappeur américain Chief Keef, Médine s’est déjà exprimé à plusieurs reprises. Aux Inrocks, en janvier 2015, il disait :
«Je voulais absolument parler de la façon dont est manipulée aujourd’hui une valeur républicaine comme la laïcité alors que dans son esprit et sa lettre, la laïcité est faite pour réunir les gens». Il prend l’exemple de la journaliste et essayiste Caroline Fourest, qui selon lui, fait partie des gens qui «prennent en otage la laïcité pour diaboliser l’islam».
Sur le «Crucifions les laïcards comme à Golgotha», en particulier, qui fait référence au lieu où Jésus a été condamné à mort selon les Évangiles, Médine s’était aussi longuement justifié sur le plateau d’Arrêt sur images en janvier 2016 :
«Crucifions les laïcards comme à Golgotha, c’est clairement un oxymore, dans ce qui est proposé comme image. On ne crucifiait pas les laïcards à Golgotha. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas de crucifier à proprement dit les laïcards. Il y a un déroulé d’absurdités, d’oxymores jusqu’à la fin du morceau, qui amène vers l’exorcisme de la laïcité. Et c’est ça qui est le plus important. Parce qu’à la fin, je rappelle que la laïcité est possédée par un certain nombre de gargouilles de la République».
Dans le dernier couplet de la chanson, on peut en effet entendre :
«Que le mal qui habite le corps de Dame Laïcité prononce son nom Je vous le demande en tant qu’homme de foi Quelle entité a élu domicile dans cette enfant vieille de 110 ans ? Pour la dernière fois ô démons, annoncez-vous ou disparaissez de notre chère valeur Nadine Morano, Jean-François Copé, Pierre Cassen et tous les autres, je vous chasse de ce corps et vous condamne à l’exil pour l’éternité».
Les paroles de «Dont Laïk» avaient déjà fait polémique en janvier 2015, le clip de la chanson ayant été publiée six jours avant la tuerie de Charlie Hebdo, obligeant le chanteur à se justifier. Libé l’avait rencontré à l’époque. Il déplorait alors que «les débats actuels aillent dans le sens d’une propagande laïque complètement antireligieuse». Pour en parler, il utilisait l’expression «laïcisme», et assurait le combattre au même titre que tous les extrémismes.
En mars 2017, lors d’une conférence à l’École normale supérieure de Paris, Médine, venu expliquer ses textes et ses références, avait reconnu «être allé trop loin» avec son le clip de «Dont Laïk» :
«La provocation n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer. Avec Dont laik, c’était inaudible, et le clip a accentué la polémique. J’ai eu la sensation d’être allé trop loin».
Retour d'une autre (fausse) polémique
D’autres paroles du rappeur ont été exhumés depuis ce week-end sur Twitter. Elles concernent le morceau «Angle de tir (Acte 1)», tiré de l’album collectif Table d’écoute volume 2 (2011). Où l’on peut entendre :
«Ces porcs blancs vont loin Passe moi une arme de poing J’vais faire un pédophile de moins»
En 2014, la chanson avait déjà fait polémique, certains internautes accusant le rappeur de racisme anti-blanc. Mais comme l’avait expliqué Francetvinfo à l'époque, le morceau est découpé en trois actes (et autant de chansons), qui racontent tous la découverte d’un corps calciné dans le coffre d’une voiture au Havre.
Dans le premier, Médine interprète un jeune noir qui accuse violemment les blancs d’être les auteurs du meurtre. Dans le second, un autre rappeur, Brav, incarne un homme blanc, persuadé que «c’est des bougnoules qui l’ont tué». Enfin, dans le troisième acte d’Angle mort, on apprend que que la victime avait un père noir et une mère blanche.
Sur sa page Facebook, le chanteur s'était justifié ainsi :
«Ils n’ont pas réussi à me faire passer pour un anti-sémite, ils ne réussiront pas à me faire passer pour un anti-blanc, moi petit-fils de Marcelle et de Mohammed».
Sur son compte Twitter, ce 11 juin en fin de journée, l'artiste a réagi à cette nouvelle polémique. En ces termes :
«Avant tout, afin de lever toutes ambiguïtés, je renouvelle mes condamnations passées à l’égard des abjects attentats du 13 novembre 2015 et de toutes les attaques terroristes (...) Voilà 15 ans que je combats toutes formes de radicalisme dans mes albums».
Il conclut son communiqué en posant la question suivante : «Allons-nous laisser l’extrême droite dicter la programmation de nos salles de concerts voire plus généralement limiter notre liberté d’expression ?».
Cordialement
Edit du 11/06 à 14h55 : ajout de la partie sur «Angle de tir (Acte 1)»
Edit du 11/06 à 19h : ajout de la réaction de Médine
Les archives étaient prêtes : début 2015, une semaine avant l'attentat de "Charlie Hebdo", Médine avait déjà suscité la polémique avec son titre "Don't Laïk", notamment pour les mots "crucifions les laïcards comme à Golgotha" (il s'en était expliqué sur Le Plus).
Ce lundi soir, le rappeur accuse l'extrême droite de vouloir "dicter la programmation de nos salles de concerts" et "plus généralement limiter notre liberté d'expression". "Je renouvelle mes condamnations passées à l'égard des abjects attentats du 13 novembre 2015", écrit également le chanteur dans un message publié sur Twitter.
Pour que chacun se fasse son opinion, dressons ici quelques éléments de compréhension sur la trajectoire du rappeur.
Souvent catégorisé sous une étiquette qu'il réfute, celle du "rap conscient", Médine Zaouiche est en tout cas un rappeur politique, voire "géopolitique" comme le présente un reportage de France 3. Ce Normand à la voix rauque de 35 ans entend s'inscrire dans une tradition du rap français qui n'est "pas une machine à sous, mais une machine à penser". Dans ses textes souvent fleuves et protestataires, il multiplie les références à la mythologie grecque, à la Bible, aux personnages historiques, mêle littérature et culture pop. Voyant le rap comme "un moyen d'éducation populaire", il chante "Heureusement que j'ai connu l'Histoire avant de connaître Fernand Nathan". Ironie du sort, le texte de sa chanson "17 octobre" figure dans le chapitre sur la guerre d'Algériedu dernier manuel d'histoire de terminale ES... Fernand Nathan.
"La spiritualité a sa place dans le rap. [...] Dire que Médine est un rappeur musulman, c'est faux. Je parle du fait religieux, de la situation des musulmans dans un contexte", déclare-t-il dans une interview à Clique TV début 2017. Certes, le rappeur a longtemps affiché une barbe imposante. Médine (son vrai prénom) est une des villes saintes de l'islam. Son premier album (2004) évoque le 11-Septembre, son second (2005) s'intitule "Jihad" : malgré des textes qui dénoncent régulièrement le prosélytisme religieux, il n'en fallait guère plus pour en faire un prêcheur islamiste aux yeux de certains. Venir chanter "Jihad" sur une scène ensanglantée par des djihadistes ? A première vue, la démarche pourrait ressembler à une provocation énorme.
"Il faut tenir compte de la psyché générale d’une nation, résiliente, mais meurtrie par le terrorisme", observe l'islamologue Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, auprès de "l'Opinion". "Le mot 'djihad' a pris une tournure nouvelle : il est désormais synonyme de barbarie, d'épouvante et de tuerie. Le sens premier du djihad semble perdu à jamais. [...] En réalité, ce mot ne signifie rien d’autre qu''effort'. Dans le champ sémantique de la langue arabe et dans le Coran, il n’a pas d’autre sens."
Pieux effort de maîtrise de soi, de ses vices et de ses désirs, que Médine illustre via le sous-titre "Le plus grand combat est contre soi-même". L'album paraît dix ans avant les attentats de "Charlie Hebdo" et du 13-Novembre, dans un contexte différent. Néanmoins, le glissement sémantique avait déjà commencé à s'opérer, dès les années 1990, sous l'impulsion d'Oussama Ben Laden et de l'idéologue Ayman al-Zawahiri. Au milieu des années 2000, "djihad" est déjà, pour une grande partie de l'opinion, un synonyme de guerre sainte.
Le titre de l'album de Médine peut être "une réponse aux terroristes d'Al-Qaida qui réduisaient le vocable au seul champ guerrier", note Ghaleb Bencheikh. Dans la chanson-titre "Jihad", Médine écrit d'ailleurs, sans référence à l'islam : "Aucun combat exercé de l'intérieur, aucune leçon tirée de toutes les erreurs antérieures [...] Ceux qui choisissent la solution militaire / n'ont-ils pas vu qu'elle nous dessert beaucoup plus qu'elle nous sert [...] Ma richesse est culturelle, mon combat est éternel / C'est celui de l'intérieur contre mon mauvais moi-même."
Un autre élément d'ambiguïté subsiste : le sabre qui tient lieu de majuscule au mot "Jihad" sur la pochette de l'album, et sur le t-shirt avec lequel Médine se met en scène sur l'affiche de promotion. "C'était en 2005, dans un autre contexte. Dix ans en arrière, je vois les discours changer dans mon quartier, une espèce de fascination qui est en train de s'opérer autour d'un phénomène qui n'est pas du tout compris", s'explique Médine auprès de Clique TV. "Mon message, à ce moment-là, s’adresse à ceux qui seraient tentés de partir combattre et en même temps à ceux qui ont une définition de ce terme complètement galvaudée. Aujourd’hui, sortir un album avec ce titre-là, c’est impossible."
Une seule autre chanson de Médine, sortie quelques années plus tard, comporte le mot dans son titre. "Entre les lignes / ma part de Jihad" ("Don't Panik Tape") ressemble plus à un hymne au vivre-ensemble qu'à la violence religieuse :
"Ecoute ! Mon combat c'est les autres Vivre ensemble de l'Aïd à la Pentecôte Qu'on arrive à s'comprendre sans se piéger Je sais que c'est un rêve et que beaucoup l'ont déjà fait [...]
C'est mon djihad à moi et à mes frères C'est mon conflit contre moi-même et ma guerre"
De "Don't panik" à "Don't laïk"
A plusieurs reprises, Médine, qui se présente comme un "démineur qu'on prend pour un poseur de bombes", brouille les pistes sur son positionnement. En octobre 2012, il publie un ouvrage sur la situation des musulmans en France, fruit d'un dialogue avec le géopolitologue spécialiste du monde arabe Pascal Boniface, "Don't panik : n'ayez pas peur !", (éd. Desclée De Brouwer). "Ce bouquin, c’est l’histoire d’un dialogue entre un rappeur musulman, et un géopolitologue athée, préfacé par une juive [Esther Benbassa, NDLR], et édité par une maison d’édition chrétienne", décrit Médine.
"Don't panik" ? Le credo du rappeur, à la fois le nom d'un de ses opus, d'une de ses chansons et de l'association qu'il a fondée au Havre en 2009 et qu'il préside, avec un club de boxe à succès à la clé. N’ayez pas peur : "des jeunes de banlieues, même s’ils sont musulmans, même s’ils sont d’origine arabe, même si leurs mots, leurs musiques ou leurs vêtements dérangent", résume la quatrième de couverture. "Bien sûr que je me sens patriote", dit Médine à France 3. "Mais quand la République n'assure pas ma protection sur tous les terrains, j'ai le droit de la critiquer. C'est parce que je suis patriote que j'ai le droit de reprocher à la République ses manquements."
Mais deux ans plus tard, Pascal Boniface apprend avec stupeur que Médine a assisté à une conférence du suprémaciste noir multi-condamné Kémi Séba, au Théâtre de la Main d'Or, alors fief de Dieudonné. "Au beau milieu de sa conférence, Kémi himself demandera à son public de faire un tonnerre d’applaudissements pour 'son ami' Médine", raconte StreetPress. "Incompréhension et désarroi", tweete Pascal Boniface. Médine rétorque dans une tribune : "Voilà dix ans que j’étudie la question du communautarisme, de la radicalisation au sein de nos quartiers, non pas de façon traditionnelle mais avec une méthode qui semble avoir disparue : LE TERRAIN. Etre sur le terrain, c’est être amené à comprendre les problèmes de l’intérieur", argue-t-il.
"Un chercheur qui l’après-midi assiste à une conférence de Kémi Séba et le soir emmène son équipe assister à celle de Lilian Thuram sur l’égalité. Etre dans le dialogue, c’est avant tout ne pas en avoir peur. Voilà tout le sens de 'Don’t Panik', n’ayons pas peur de dialoguer."
Autre gros malentendu : à la même époque, en septembre 2014, Médine chante "Angle de tir" à la Fête de l'Huma. Une chanson où on peut entendre ces mots : "Ces porcs de Blancs vont loin, passe-moi une arme de poing, j'vais faire un pédophile de moins" / "Je hais les Blancs depuis Rodney King, j'ai besoin d'une carabine." Aussitôt, un billet intitulé "Médine chante sa haine de la France" éclot sur un blog d'extrême droite.
Sauf que la chanson est issue d'une trilogie narrant un fait divers survenu au Havre (la découverte d’un corps calciné dans le coffre d’une voiture). Dans le premier titre, Médine interprète un jeune Noir qui accuse violemment les Blancs d’être les auteurs du meurtre. Dans le second, un autre rappeur, Brav, incarne un homme blanc, persuadé que "c’est des bougnoules qui l’ont tué". Dans le troisième acte, on apprend que la victime avait un père noir et une mère blanche.
"Je suis Franco-Algérien, petit-fils de Marcelle, profondément enraciné dans ma Normandie natale", écrit Médine en réaction à la polémique.
"Mes derniers mots sur la grande scène de la Fête de l’Huma étaient : Ne vous radicalisez jamais !"
Auprès de la revue "Ballast", il met en avant le rôle du prédicateur musulman Tariq Ramadan dans son parcours : "Ramadan m’a permis de ne pas sombrer dans le radicalisme", affirme-t-il. "On ne cesse, en France, de le diaboliser, mais il faut bien entendre que sans lui, et d’autres, on serait sur une vraie poudrière dans tous les quartiers. Ils seraient à l’heure qu’il est en proie à l’islam le plus radical et le plus rigoriste." Celui qui se dit à mi-chemin entre "Georges Brassens, Edgar Morin et Edwy Plenel" renvoie aujourd'hui dos à dos Caroline Fourest et Alain Soral, pour prôner une troisième voie :
"Ils surfent tous sur les frustrations des gens. C’est un business lucratif, la peur. L’un de mes combats, c’est justement de la refuser."
Au cœur de l'ambiguïté de son positionnement, un goût assumé pour la provocation et un certain hiatus entre la modération de son discours et la violence de certains de ses textes. Auprès de Clique TV, il résume :
"Il y a des sujets tellement sensibles qu'aujourd'hui le simple fait de dire qu'on va les évoquer crispe tout le monde. [...] La provocation, ça marche dans une temporalité, et surtout ça ne sert qu'à provoquer le débat derrière. Si la provocation fait en sorte qu'on reste dans des postures et qu'on perd le dialogue, elle ne sert plus."
"J'ai volontairement joué avec des représentations, avec des iconographies, dans le but de tendre un piège à ceux qui s'arrêtent à une image, à un style de musique, et qui sont sûrement ceux qui vont aussi s'arrêter dans la rue à une origine, à une confession", ajoute-t-il. "Il y avait quelque chose de l'ordre du piège positif, et j'ai calculé les risques sur le fait que certaines personnes pouvaient être rebutées par ma musique."
En termes de provocation, la chanson "Don't Laïk" (jeu de mots qui fait référence à Don't Panik et au titre "I Don't Like" du rappeur américain Chief Keef) va très loin :
"Dieu est mort selon Nietzsche 'Nietzsche est mort' signé Dieu On parlera laïcité ente l’Aïd et la Saint-Matthieu Nous sommes les gens du Livre Face aux évangélistes d’Eve Angeli Un genre de diable pour les anges de la TV Reality Je porte la barbe j’suis de mauvais poil Porte le voile t’es dans de beaux draps Crucifions les laïcards comme à Golgotha"
Pour autant, la cible de Médine ne serait pas la laïcité mais ce qu'il appelle le "laïcisme", "version dévoyée de la laïcité, qui se drape dans la notion d’égalité en stigmatisant le religieux". Dans une interview aux "Inrocks" en 2015, il fait l'exégèse de son propre texte :
"Je voulais absolument parler de la façon dont est manipulée aujourd’hui une valeur républicaine comme la laïcité alors que dans
"Crucifions les laïcards comme à Golgotha, c’est clairement un oxymore, dans ce qui est proposé comme image", se justifie-t-il sur le plateau d'Arrêt sur images en 2016. "On ne crucifiait pas les laïcards à Golgotha. Et d’ailleurs, il ne s’agit pas de crucifier à proprement dit les laïcards. Il y a un déroulé d’absurdités, d’oxymores jusqu’à la fin du morceau, qui amène vers l’exorcisme de la laïcité. Et c’est ça qui est le plus important. Parce qu’à la fin, je rappelle que la laïcité est possédée par un certain nombre de gargouilles de la République".
Lesdites "gargouilles" le lui rendent bien : Alain Finkielkraut l’accuse de faire l’apologie d’Oussama Ben Laden, l'hebdomadaire "Marianne" de faire le "marketing du djihadisme", Caroline Fourest d'être "ultra-réac" et "intégriste". Quant au magazine conservateur "Causeur", il l'accuse carrément de vouloir instaurer la charia en France.
En mars 2017, lors d’une conférence à l’Ecole normale supérieure de Paris, Médine, venu expliquer ses textes et ses références, reconnaît de nouveau "être allé trop loin"avec le clip de "Don't Laïk" :
"La provocation n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer. Avec 'Don't Laïk', c’était inaudible, et le clip a accentué la polémique. J’ai eu la sensation d’être allé trop loin."
Pourquoi le Bataclan ?
Le choix du Bataclan, où 90 personnes avaient péri sous les balles de djihadistes le 13 novembre 2015, est l'élément qui choque le plus ceux qui appellent à l'annulation des concerts. Cette salle est réputée pour sa programmation rock mais aussi rap, ce que rappelle Médine dans la chanson "Bataclan" de son dernier album :
"Quand j'connaissais pas le statut d'intermittent Que ma pauvreté, c'était mon taf à plein temps Y'avait qu'une seule chose qui changeait le mal en patience Tout ce que je voulais faire, c'était le Bataclan"
Des scènes du clip ont d'ailleurs été tournées dans le Bataclan, signe que le rappeur et la direction de la salle étaient déjà en contact. Médine donne plus de détails sur sa page Facebook :
"En 1999, mon frère Alassane, dit Sals’a, rappait justement 'Mon but, c’est de faire le Bataclan, pas d’voir les clans s’battre'. 19 ans plus tard, on sort le clip 'Bataclan', tourné en partie dans cette salle parisienne emblématique. Tout un symbole pour nous et pour les artistes qui voyons la scène comme le meilleur endroit où exercer notre passion."
Le rappeur est néanmoins critiqué pour ne jamais évoquer l'attentat du 13-Novembre dans le texte de la chanson. Lorsqu'il fait référence à un attentat, c'est en rapprochant le 11-Septembre et l'incendie qui a ravagé la salle de L'Elysée-Montmartre en 2011 : "Une salle qui brûle, c'est une époque qui meurt / Quand l'Elysée-Montmartre est parti en feu / J'crois que j'ai vécu mon World Trade Center / La Mecque des rappeurs, 72, boulevard Rochechouart."
Deux jours après le 13 novembre 2015, Médine avait cosigné une tribune dans "Libération" intitulée "Nous sommes unis", aux côtés de 80 personnalités associatives, politiques, juives, catholiques, musulmanes. Un texte qui appelait à "ne pas tomber dans le premier piège tendu par le terrorisme : la division". La tribune, au texte très consensuel, s'était pourtant attirée les foudres du Premier ministre Manuel Valls qui reprochait au président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco de l'avoir paraphée. En cause : la présence parmi les signataires de militants supposés proches des Frères musulmans.
Comment réagissent les victimes ?
Au lendemain de l'éclatement de la polémique, les réactions du monde politique sont aussi diverses que celles des associations de survivants du 13-Novembre. "Nous sommes deux fois victimes", estime ainsi sur RMCle président de l'association 13 Onze 15 Fraternité et Vérité Philippe Duperron, qui espère une annulation des deux concerts.
"Nous avons pris contact avec la direction de la salle du Bataclan pour comprendre comment cette programmation avait pu être organisée. [...] Le personnage est éminemment contestable, probablement y a-t-il des paroles discutables, qu'on pourrait ne pas entendre. Respect des victimes, respect de la mémoire."
Mais cette ligne ne fait pas l'unanimité parmi les survivants du Bataclan. L'ex-vice-président de l'association Emmanuel Domenach a ainsi vertement interpellé Marine Le Pen et Laurent Wauquiez sur Twitter. "Je n'ai pas d'avis sur la polémique, je n'ai jamais écouté ce rappeur. Mais ces élus n'ont que faire des victimes 99% de l'année et là on monte une affaire en épingle pour apparaître dans les médias", dénonce-t-il auprès de LCI. "Qu'on laisse les victimes là où elles sont. Elles n'ont rien demandé."
Une autre survivante du Bataclan, Sophie, a dû temporairement suspendre son compte Twitter après avoir elle aussi critiqué les récupérations politiques et reçu des injures. "Ça va très loin, je reçois des messages du genre 'dommage que tu n'aies pas crevé', 'tu as le syndrome de Stockholm'", raconte-t-elle à LCI.
L'association de victimes Life for Paris estime de son côté dans un communiqué que le Bataclan "est complètement libre de sa programmation, sous contrôle de la préfecture de police de Paris".
"Notre association n'est pas un organe de censure, elle est et restera apolitique et ne laissera personne instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins politiciennes, comme c'est le cas dans cette affaire."
Le président de Life for Paris Arthur Dénouveaux a par ailleurs indiqué à l'AFP que sur les pages de discussion internes à l'association (notamment sur Facebook), "il n'y a pas ou peu de discussion, de commentaire ou d'émotion" autour de la programmation de Médine.
Dévoilements, viols, émasculation… Un ouvrage collectif revient sur les violences réelles ou fantasmées durant le conflit.
Pendant la guerre d’indépendance algérienne, les violences sexuelles étaient monnaie courante. Comme viennent encore le souligner, après les travaux pionniers déjà très documentés de l’historienne Raphaëlle Branche sur la torture et les viols, publiés depuis le début des années 2000, divers essais de chercheurs, notamment ceux de toutes origines qui ont contribué à l’ouvrage collectif Guerre d’Algérie – Le sexe outragé, dirigé par Todd Shepard et Catherine Brun.
Presque jamais ouvertement admis, car contraires à la loi du pays colonisateur, donc impossibles à évaluer quantitativement, les viols ou la réduction forcée de femmes « indigènes » à l’état de prostituées ont été pratiqués à une assez grande échelle entre 1954 et 1962 par des membres de l’armée française. Sans même parler des BMC, ces fameux bordels militaires de campagne dont « bénéficiait » parfois la troupe.
Des témoignages dès le début des années 1960
Les témoignages individuels – le plus souvent très tardifs – de soldats français admettant avoir participé activement ou passivement aux violences sexuelles imposées aux Algériennes pendant les opérations militaires ou lors d’interrogatoires assortis de torture sont suffisamment nombreux pour le prouver.
Certains récits de femmes torturées et violées après leur arrestation firent grand bruit. Comme celui de Djamila Boupacha, grâce à l’acharnement de son avocate, Gisèle Halimi, et au soutien de Simone de Beauvoir, dès le début des années 1960.
CHEZ NOUS LA PLUPART DES JOLIES FEMMES ONT SUBI LES MILITAIRES
Louisette Ighilahriz a pour sa part raconté courageusement et en détail, notamment au journal Le Monde, puis dans un ouvrage cosigné avec Anne Nivat paru en 2001, ce qu’elle avait subi quarante années auparavant.
En 1959, déjà, dans son fameux Journal publié peu après son assassinat par l’OAS en mars 1962, l’instituteur et écrivain algérien Mouloud Feraoun écrivait des lignes accablantes sur l’armée du colonisateur.
À la date du 20 février, évoquant des informations qui circulent dans la région de Kabylie, il affirme ainsi : « À Aït Idir, descente des militaires pendant la nuit. Le lendemain, douze femmes seulement consentent à avouer qu’elles ont été violées. À Taourirt-M., les soldats passent trois nuits comme dans un bordel gratuit. Dans un village des Béni-Ouacif on a compté cinquante-six bâtards. Chez nous la plupart des jolies femmes ont subi les militaires. Fatma a vu ses filles et sa bru violées devant elle. »
La signification du viol
Le simple compte rendu des exactions – dont la plus répandue, même si elle ne fut pas la plus cruelle, a été la mise à nu quasi systématique des femmes arrêtées, en général simplement suspectées de sympathie pour les indépendantistes – ne rend cependant compte que de l’aspect immédiat, mais certes abject, de la dimension sexuelle de la guerre en Algérie.
Pour comprendre l’importance du phénomène, les raisons de son existence et la profondeur de ses effets, il faut s’interroger plus avant. Ce que fera notamment dans bon nombre de ses écrits le psychiatre et compagnon de route du FLN Frantz Fanon. Traitant relativement peu du viol comme acte « physique » réel mais plutôt de son statut symbolique et des fantasmes qu’il suscite, le Martiniquais a mis en avant la question du voile des Algériennes, ou plutôt le désir irrépressible de dévoilement de celles-ci par les colons et l’armée française.
LE VIOL DE LA FEMME ALGÉRIENNE DANS UN RÊVE D’EUROPÉEN EST TOUJOURS PRÉCÉDÉ DE LA DÉCHIRURE DU VOILE
Dans Les Damnés de la terre, Fanon dit en citant Sartre que « l’évocation du voile a un “fumet de viol” ». Auparavant, dans L’An V de la révolution algérienne, il affirmait que « le voile fonctionne comme un signifiant exotique, investi de toutes les propriétés d’un fétiche sexuel ». Une « exotisation » aux yeux des Européens qui renvoie à une « érotisation » et ramène à la problématique du viol : « Le viol de la femme algérienne dans un rêve d’Européen est toujours précédé de la déchirure du voile. On assiste là à une double défloration. » Il s’agit là, écrit‑il encore en poursuivant la même idée, d’un « support de la pénétration occidentale dans la société autochtone ».
Fantasmes sexuels
Impossible de parler du sexe et de la guerre coloniale sans s’interroger sur la problématique de la virilité et même de cette véritable « obsession virile », « celle du gain ou de la perte de la puissance », que Todd Shepard et Catherine Brun repèrent comme centrales dans toutes les recherches qu’ils ont rassemblées ou consultées.
À travers les violences physiques ou symboliques que l’homme peut faire subir à la femme en temps de guerre coloniale, le premier se rassure sur sa virilité et situe la seconde comme « conquise ». Bien souvent d’ailleurs, comme le souligne Raphaëlle Branche, quand la femme est visée, « le désir est moins sexuel que la volonté de possession et d’humiliation ». À travers ce qu’on lui fait subir, on « atteint sa famille, son village, et tous les cercles auxquels elle appartient jusqu’au dernier : le peuple algérien ».
Mais les hommes algériens eux-mêmes, indépendamment des fantasmes des Européens concernant leur sexualité supposée exacerbée, ont aussi été concernés par le « virilisme » en tant qu’acteurs de la guerre. Les combattants, et plus encore ceux qui ont été torturés et ont pu ensuite témoigner, se présentent toujours comme des hommes vaillants et virils qui ont fait face à des ennemis qui, eux, « ne sont pas véritablement des hommes ».
Ce qui, indirectement, fait écho à l’obsession française des « couilles coupées » des soldats tués pendant la guerre d’Algérie par des indépendantistes, émasculations réelles ou supposées selon les cas qui renvoyaient toutes à un insupportable imaginaire, celui de la « dévirilisation » voire de la « féminisation » du colonisateur.
« Toute guerre est guerre des corps »
Une « politique de l’injure », selon l’expression du chercheur algérien Abderrahmane Moussaoui, qui vise à l’anéantissement symbolique de l’ennemi. Un anéantissement qui était aussi celui recherché dans le camp d’en face par ceux qui, en pratiquant la torture, s’acharnaient principalement sur les organes sexuels de leurs victimes.
Il existe bien d’autres aspects du lien entre sexe et guerre d’Algérie analysés dans les travaux des chercheurs. Comme les conséquences des viols après la guerre (le sort des enfants qui en sont issus, l’attitude des familles vis‑à-vis des femmes victimes, etc.), la problématique de l’honneur, la résurgence d’exactions liées au sexe du temps de la guerre d’indépendance lors de la décennie noire dans les années 1990, la vision du sujet dans la littérature des deux côtés de la Méditerranée, les liens entre jouissance du bourreau et jouissance sexuelle pendant les séances de torture, etc.
Diverses façons de nous rappeler que, en attendant qu’un jour peut-être tout se passe par drones interposés, comme le rappelle l’historienne et spécialiste des questions coloniales et postcoloniales Zineb Ali-Benali, « toute guerre est guerre des corps ».
Aujourd’hui, des chiffres effrayants
Depuis la Seconde Guerre mondiale, et en particulier lors de tous les conflits coloniaux puis des guerres civiles, les violences sexuelles ont eu tendance à se généraliser. Le rapt et le viol des femmes, notamment, sont devenus de plus en plus souvent des armes de guerre et de véritables composantes de la stratégie militaire.
L’ONU a publié dès 2004 quelques estimations effrayantes : au moins 60 000 femmes violées entre 1991 et 2002 pendant la guerre civile au Sierra Leone, 40 000 au Liberia entre 1989 et 2003, 60 000 pendant les affrontements en ex-Yougoslavie et au-delà de 200 000 depuis 1998 en République démocratique du Congo. Aurait pu être ajouté plus récemment le Nigeria, où Boko Haram, on le sait, a pratiqué des enlèvements massifs d’adolescentes victimes ensuite de viols.
Les représentations sexuelles sont omniprésentes dans les figurations de la guerre dite « d’Algérie » côté français, « de libération nationale » côté algérien. Viols, tortures, émasculations, commerce des corps : cet ouvrage, qui mêle histoire, littérature, arts plastiques, anthropologie, psychanalyse et sociologie, interroge le rôle de ces actes dans l’imaginaire du conflit, dans sa mémoire, dans l’organisation de la nation. Il invite ainsi à reconsidérer la question de la violence coloniale.
Plus qu’une étude historique des exactions pendant la guerre, cet ouvrage se veut une analyse de l’omniprésence de la question sexuelle dans ce conflit, visant à féminiser l’ennemi et surviriliser le pouvoir.
À travers l’alternance de textes critiques et de fragments fictionnels, apparaît ce que fut cette guerre des sexes, et la politique des genres qui prétendit la réguler et pèse encore sur nous.
Le deuxième tome de l’ouvrage de Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora, "La guerre d'Algérie vue par les Algériens", éclaire d’un jour nouveau plusieurs énigmes et zones d’ombre d’un conflit qui n’a toujours pas révélé tous ses mystères.
Au cimetière d’El-Alia, dans la banlieue est d’Alger, il existe un carré où officiels algériens et hôtes étrangers viennent se recueillir et déposer une gerbe de fleurs : l’ossuaire des martyrs de la révolution de novembre 1954. Parmi les tombes d’illustres maquisards qui reposent dans ce vaste cimetière, le visiteur peut s’arrêter devant celle d’Abane Ramdane, architecte du congrès de la Soummam de 1956.
La mystérieuse disparition d’un héros
Mais, contrairement aux sépultures de ses camarades de combat, celle d’Abane est vide. Pas d’ossements ni de restes. Juste de la terre et une stèle en marbre jaunie par le temps. Cette tombe sans occupant renvoie à l’une des plus grandes énigmes d’une guerre qui aura mis fin à cent trente ans de colonisation française. Officiellement, Abane Ramdane est mort « au champ d’honneur » en décembre 1957, quelques jours après avoir été blessé dans un accrochage avec l’ennemi.
Pendant des années, cette version des faits n’a été que très rarement contestée par les dirigeants de la révolution. Dans les manuels scolaires algériens, elle est toujours tenue pour une vérité sacrée. Pourquoi les circonstances de la mort d’Abane Ramdane dérangent-elles au point que le mensonge officiel perdure ? Pourquoi demeure-t‑elle une énigme cinquante-neuf ans plus tard ?
Paru tout récemment, De la bataille d’Alger à l’indépendance, le deuxième tome de La Guerre d’Algérie vue par les Algériens, cosigné par notre collaborateur Renaud de Rochebrune et l’historien Benjamin Stora, éclaire d’un jour nouveau l’affaire Abane. Et d’autres zones d’ombre. Reconnus pour leur expertise en matière d’histoire coloniale, les deux auteurs se sont attachés à défricher des épisodes clés de ce terrible conflit, livrant des témoignages peu connus ou inédits. Comme dans le premier tome, l’Histoire est racontée à travers six événements qui ont marqué la seconde moitié de la guerre.
Une part d’ombre encore importante
Encore un livre sur cette guerre ! diront certains. Pourtant, malgré plus de trois mille ouvrages parus sur le sujet, la connaissance des événements demeure à ce jour parcellaire. En Algérie, le récit officiel de la révolution a tellement romancé, édulcoré, biaisé et manipulé la réalité qu’il faudrait bien des ouvrages encore pour s’approcher de la vérité. La tâche est d’autant plus ardue que les principaux protagonistes, des deux côtés de la Méditerranée, ne sont plus de ce monde ou sont d’un âge très avancé.
Elle l’est encore davantage quand on sait que des pans entiers des archives françaises ne sont pas encore accessibles. La restitution de ces archives reste d’ailleurs un sujet de crispation entre Paris et Alger. Aussi l’originalité de cet ouvrage réside-t‑elle dans le fait que cette guerre est racontée par les Algériens qui l’ont faite et vécue.
Il ne s’agit pas d’une succession de regards croisés entre sources et acteurs français et algériens, mais plutôt d’une enquête menée principalement du côté de la rive sud de la Méditerranée. Pour conduire le lecteur au cœur des événements, les auteurs ont donc privilégié le récit plutôt que l’analyse, tout en usant de flash-back, de mises en perspective et de rétrospectives qui aident à la compréhension.
PAssassinat et tabous
Artisan du congrès de la Soummam, qui a instauré « la primauté du politique sur le militaire », Abane Ramdane, 37 ans, est à Tunis en ce mois de décembre 1957 lorsqu’il reçoit un message d’Abdelhafid Boussouf, membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Dans cette missive secrète, Boussouf enjoint à Abane de rejoindre le Maroc pour une rencontre avec le roi Mohammed V.
Depuis quelque temps, ce dernier est en effet passablement agacé par les accrochages récurrents entre les soldats de l’armée algérienne et les troupes marocaines. La présence d’une « personnalité civile » comme Abane, explique encore Boussouf, est « indispensable » pour rétablir la confiance avec le souverain marocain. Vendredi 27 décembre, Abane débarque à Tétouan en compagnie de Krim Belkacem et de Mahmoud Chérif, membres éminents du Comité de coordination et d’exécution (CCE). Boussouf les accueille. La délégation se dirige vers une maison éloignée de Tétouan appartenant au FLN.
Aussitôt arrivé, Abane est poussé de force dans une pièce par des hommes de Boussouf. Que s’est-il passé ensuite ? Selon des témoignages corroborés, il aurait été rapidement étranglé. Par qui ? Par Boussouf lui-même ? Par ses sicaires ? En présence de Belkacem et de Chérif ? Dans quel endroit du Maroc son corps a-t‑il été jeté ou enterré ? Rochebrune et Stora reconstituent avec minutie ce crime qu’ils qualifient de « meurtre shakespearien » qui engage la responsabilité directe et indirecte de hauts dirigeants du FLN.
Si la mort d’Abane est un mystère, le napalm est plus encore : c’est un tabou. Pendant des années, la France a refusé de reconnaître l’utilisation intensive, dès 1956, de cette arme incendiaire contre les maquisards, voire contre des civils. Si la torture, le viol, les exécutions sommaires, les déplacements forcés ou les camps d’internement sont largement documentés, tel n’est pas le cas pour le napalm.
Le déni quant à l’usage de cette arme de destruction massive est tel que les pilotes chargés de larguer les bidons funestes sur les zones de combat, les grottes, les mechtas et les villages, peuplés ou abandonnés, avaient reçu l’ordre de ne jamais mentionner le mot « napalm ». Ils devaient expressément user des termes « bidons spéciaux ».
Le témoignage de Lucien Robineau, alors commandant d’un escadron de chasse, est glaçant. Pour les aviateurs français, raconte-t‑il, le napalm était une arme comme une autre. Elle était même « commode car la moins chère », « dégueulasse mais efficace ». Au largage, « si vous êtes dessous, la température passe immédiatement à 1 000 degrés, vous êtes morts. »
Le recours intensif au napalm entre 1959 et 1961, lors du plan Challe, correspond à la période où la guerre était presque gagnée militairement par la France, mais perdue politiquement et diplomatiquement. Et c’est à ce moment que la possibilité de mettre fin aux combats se fait jour.
Echec diplomatique
Un épisode marquant se déroule dans le plus grand secret entre l’Élysée et les maquis du Centre. Nous sommes en juin 1960. Si Salah, de son vrai nom Mohamed Zamoum, dirige la Wilaya 4, qui regroupe les zones de l’Algérois. Devant le rejet par le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) de la « paix des braves » proposée par le général de Gaulle, Si Salah décide d’ouvrir une brèche pour dialoguer avec les Français. Un émissaire de l’Élysée se rend à Médéa pour préparer le terrain avec un représentant local de Si Salah.
Le 10 juin, ce dernier et deux de ses adjoints rencontrent longuement de Gaulle dans son bureau élyséen. Le général évoque la possibilité de proposer un cessez-le-feu afin d’ouvrir la voie à des négociations directes avec les dirigeants du FLN. Si l’offre est refusée, il poursuivra le dialogue avec Si Salah. La suite est tragique. De retour en Algérie, les adjoints de Si Salah sont exécutés par leurs compagnons d’armes. Lui trouve la mort une année plus tard alors qu’il se rend à Tunis pour s’expliquer sur son initiative devant les membres du GPRA.
A-t‑il trahi la révolution ? Rares sont les dirigeants algériens à le penser, quand bien même on lui impute une « erreur de jugement » ou une « faute politique ». Preuve de sa volonté de ne pas agir à l’insu du FLN : à la fin de son entretien du 10 juin avec de Gaulle, Si Salah aurait demandé à pouvoir rendre visite aux cinq historiques (Ben Bella, Aït Ahmed, Khider, Boudiaf et Lacheraf) détenus en France. Refus du général au motif qu’une telle visite éventerait le secret des discussions.
Peu après l’affaire Si Salah, des pourparlers directs vont quand même s’ouvrir pour aboutir à un cessez-le-feu. Au cœur des négociations, l’avenir du Sahara et les essais nucléaires que l’armée française y mène secrètement. L’histoire dit que c’est à l’opiniâtreté des ingénieurs français que l’on doit la découverte du gisement de Hassi Messaoud, lequel assure aujourd’hui aux Algériens des milliards de dollars de revenus en devises. Après avoir creusé un puits qui s’était révélé décevant, ils décident de prolonger le forage de quelques mètres.
Dès 1960, le pétrole de Hassi Messaoud couvre 10 % des besoins de la métropole. On comprend pourquoi le maintien du Sahara sous pavillon français revêtait pour de Gaulle une importance hautement stratégique. La position algérienne, Krim Belkacem, chef des négociateurs, la synthétise en ces termes : « Les Français voudraient amputer l’Algérie indépendante de ses quatre cinquièmes. Il n’y a pas de problème de Sahara. Il y a un seul problème : l’Algérie. »
Mais l’immense désert n’était pas stratégique uniquement pour les richesses de son sous-sol. Il était aussi primordial pour l’armement nucléaire. Depuis 1960, la France y a effectué plusieurs essais, notamment dans la région de Reggane. La question est tellement sensible qu’elle constitue encore un sujet de controverse cinq décennies plus tard, des Algériens continuant de réclamer à la France des indemnités pour avoir été contaminés.
« À ce jour, il reste à décontaminer diverses installations », écrivent Rochebrune et Stora. C’est dire si, cinquante-quatre ans après la fin du conflit, ses dommages collatéraux se font encore ressentir.
L’indépendance assurée dès la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962, qui sera appelé à diriger le jeune État ? C’est que, avant même que les Algériens ne goûtent à l’indépendance au terme de plus de sept ans d’une guerre meurtrière, leurs dirigeants s’entre-déchirent autour de la conquête du pouvoir. Les appétits des uns et des autres, les désaccords entre civils et militaires, les rivalités entre différents chefs pulvérisent l’unité de façade que présentaient les dirigeants de la révolution.
Durant l’été, des affrontements meurtriers éclatent entre différentes factions, poussant les Algériens à descendre dans la rue aux cris de « sept ans, ça suffit ! ». Allié au colonel Houari Boumédiène, qui dirige l’armée des frontières, Ahmed Ben Bella rentre à Alger en septembre 1962, escorté par les chars de l’Armée de libération nationale (ALN). Une année plus tard, il devient le premier président de l’Algérie indépendante, avant d’être destitué en juin 1965 à la suite d’un coup d’État mené par son ex-allié Boumédiène. La révolution a-t‑elle été détournée ?
Le commandant Azzedine, membre du Conseil de la révolution, résume la situation par cette formule : « L’indépendance, elle était penchée, elle était mal partie. » À l’heure où l’on célèbre le 62e anniversaire du début de l’insurrection, La Guerre d’Algérie vue par les Algériens est une invite à replonger au cœur de ces années de fureur, de sang et de larmes.
Le 15 avril 1958, les meilleurs footballeurs algériens du championnat de France quittent la métropole pour former ce qui deviendra la fameuse équipe du FLN.
A l’hôtel Majestic de Tunis où ils ont élu domicile, les joueurs se préparent déjà à affronter l’équipe du pays hôte. C’est le début d’une longue équipée. Boumezrag et ses hommes vont alors sillonner les continents pour porter haut la voix de la Révolution. Dans le groupe, Mustapha Zitouni, arrière central de l’équipe de France, sans doute le meilleur à son poste, fait ses adieux à la Coupe du monde que les Tricolores vont disputer en Suède. Il a conscience de la gravité de son geste, mais il a choisi son camp, et rien n’indique aujourd’hui qu’il regrette sa décision.
Au contraire, le joueur en tire un certain orgueil dès lors qu’il considère cette étape comme l’une des plus importantes de sa vie. «Si c’était à refaire, je le referai sans l’ombre d’un doute, car lorsque Bentifour et Boumezrag m’avaient contacté à Monaco en pleine gloire, j’ai estimé que je devais accomplir mon devoir sans regarder le rétroviseur.» Pourtant, quel bel horizon s’ouvrait devant ce talentueux défenseur chouchouté par toute la France et qui a eu le culot de détrôner, en équipe de France, le grand, «l’empereur» Robert Jonquet du Stade de Reims.
Le dernier match des Bleus auquel a pris part Zitouni, son coéquipier de l’équipe du FLN, Mohamed Maouche s’en souvient comme si c’était hier. «C’était en 1957, au Parc des Princes. J’y étais. La France affrontait l’Espagne et Mustapha avait subjugué les foules par sa classe.
A telle enseigne qu’à la fin du match, Di Stefano, meilleur joueur du monde, qui n’en a pas touché une durant la partie, est venu le féliciter et lui proposer de porter les couleurs du Real Madrid.» Mais ni le chant des sirènes ni la griserie de la gloire, encore moins la folie des grandeurs n’ont pu ébranler les convictions du jeune Mustapha, qui se résoudra à endosser le maillot vert et blanc de l’Algérie, frappé du croissant et de l’étoile, dont il a fait connaître la juste cause à travers le monde.
Tout a commencé à Notre-Dame
Né le 19 octobre 1928 à Notre-Dame d’Afrique, à Alger, Mustapha est issu d’une famille modeste. Comme tous les enfants de l’époque, il fit la connaissance du sport dans le quartier qui l’a vu naître, chemin de Carmel à «Madame l’Afrique». Un de ses vieux amis se rappelle qu’«il n’a pas suivi le chemin classique en passant par les catégories d’âge. En réalité, Mustapha est venu sur le tard au football, où son incorporation à l’OMSE s’est faite sans aucune transition. Ses galons gagnés en juniors deuxième année, il fit merveille en équipe fanion, où il s’imposa comme titulaire indiscutable dans le dispositif mis en place par le regretté El Kamal».
Pourtant, à Saint-Eugène, ce n’étaient pas les talents qui manquaient à l’époque, avec des joueurs doués comme Boubekeur, Maouche, Zouba, Defnoun, Abdallah... Maouche qui l’a beaucoup côtoyé témoigne : «Sincèrement, on a rarement vu un joueur de la trempe de Zitouni. C’était le roi de l’interception. Jamais il ne commettait de faute sur l’adversaire et ses interventions étaient marquées du sceau de l’élégance. Il a une technique en mouvement exceptionnelle et une vision du jeu extraordinaire.
A Cannes, où il a signé sa première licence pro en 1953, il a été l’un des premiers défenseurs à monter en attaque, alors que les arrières à l’époque étaient tenus de ne pas quitter leur camp.» D’autres témoignages élogieux sont distillés, sans complaisance, par des journalistes français de l’époque, qui ont consacré à Mustapha les hommages qu’il mérite.
Albert Batteux, entraîneur français de renom, même contrarié par la défection de Zitouni en 1958, n’en a pas moins gardé l’image «d’un footballeur doté de qualités exemplaires et qui était quelque part en avance sur ses équipiers». Un autre coach, bien de chez nous celui-là, Khabatou, pour ne pas le nommer, le patriarche du foot algérien, comme certains aiment affectueusement l’appeler, a eu ces mots forts pour Zitouni : «C’est l’intelligence du football.»
L’adieu à la Suède
Pour qui connaît le vieux technicien du MCA et sa sévérité, cette appréciation prend l’allure d’un compliment méritoire et mérité... En tout cas, les connaisseurs apprécieront. Abdelkader Aouissi a eu à arbitrer à maintes reprises Zitouni. Il garde le souvenir «d’un gentleman sur le terrain qui nous facilitait la tâche par sa correction et son comportement exemplaires. Je ne me rappelle pas avoir vu un arbitre lui brandir un quelconque carton ou lui infliger un avertissement. Sa forte personnalité et son caractère trempé déteignaient sur ses coéquipiers», reconnaît-il.
Face à cette gerbe de louanges, notre homme reste serein, avec cependant cette propension à triturer le souvenir. Mustapha peut vous raconter à satiété la belle épopée de 1958, le départ précipité, les manchettes de journaux, les lendemains de la fugue, la solidarité de groupe à Tunis, le Mondial 1958 en Suède... Est-ce sa manière à lui de conjurer le sort ? Nul ne le sait. Cette époque mouvementée et fertile continue de bercer les souvenirs de Mustapha, qui reste persuadé que «l’Algérie avait une équipe exceptionnelle qui aurait pu gagner la Coupe du monde en 1958».
Pas moins que ça... Est-ce son tempérament de battant et de gagneur qui l’autorise à une prospective aussi osée ? Sa sœur cadette Selena, qui vit toujours dans la maison familiale, nous a raconté les bons et mauvais moments passés ensemble.
Elle nous parle respectueusement des dons de son frère dans le domaine du sport. «Il s’est mis au basket d’abord, avant de jeter son dévolu sur le football qu’il n’a plus quitté. Je pense qu’il avait des prédispositions pour ce sport qu’il a su honorer avec les résultats que l’on sait. Il aurait pu aspirer à une vie douillette et tranquille, mais il a préféré les défis en optant pour une cause juste qui a fini par triompher», suggère-t-elle avec assurance. Le ton de Selena devient plus grave lorsqu’elle évoque l’attitude changeante des gens. «Ils lui ont fait un jubilé. C’est bien, mais Mustapha, sans forfanterie, méritait largement mieux.
Par exemple, un grand tournoi avec de grandes équipes organisé par les autorités sportives, à la mesure du talent de Mustapha et des grands sacrifices qu’il a consentis au service du football et de la patrie», note-t-elle avec une pointe de regret. Selena a horreur des promesses non tenues et il se trouve que dans ce registre, elle a été flouée. Elle explique qu’à l’occasion du dernier jubilé consacré à son frère, des gens importants sont venus à la maison et ont constaté l’état de délabrement de la demeure famillale suite aux inondations de 2001.
«Des promesses m’ont été faites pour réhabiliter l’habitation, mais depuis je ne vois rien venir. Mustapha, qui n’a pas de pied-à-terre à Alger, avait l’habitude de venir à la maison durant ses séjours. Or, depuis quelques mois, il est obligé d’aller chez des amis ou des parents», confie-t-elle.
Son nom est lié au RCK
Quand il est à Alger, il ne manque pas de se rendre dans sa deuxième famille, à Kouba, où les Aït Chegou, par exemple, le considèrent comme l’un des leurs. C’est là qu’il a fait les beaux jours du club banlieusard avec les Amirouche, les cinq «frères» Aït Chegou, le regretté Mauro, Benyahia, Haddadi Touta et les autres.
Mustapha classe la période koubéenne parmi ses meilleurs souvenirs. «J’ai participé à la montée du RCK avec lequel j’ai disputé une finale de coupe d’Algérie mémorable au stade El Annasser, perdue face au grand Chabab de l’époque. Il y avait en plus un match dans le match à travers le duel que j’ai livré à Lalmas au summum de sa gloire. Les anciens s’en souviennent.» Avant le RCK, il avait entraîné l’OMSE dans l’euphorie de l’indépendance.
Lui, il voulait renouer avec le football pro, mais sa prise de position pendant la Guerre d’Algérie lui vaudra des représailles, puisqu’en 1962 la Fédération française de football refusa de lui délivrer une licence.
Les Français n’oublieront jamais le «coup» qu’il leur a fait avec ses frères avant le Mondial suédois. Mustapha met définitivement un trait sur le football tricolore, rentre au bercail et continue à jouer à un haut niveau jusqu’à l’âge de… 46 ans ! Ce qu’il n’aime pas par-dessus tout ? L’ingratitude. Les traits de son visage trahissent la douleur contenue face à des gens qui, après l’avoir encensé, se détournent lorsqu’il leur fait part de ses déboires et ennuis. Et on verra par la suite que, hélas, il n’en a pas manqué… Continuons à l’entretenir du football cette passion qui lui colle à la peau et dont il n’est pas près de se séparer.
Dites-lui de vous faire part de l’état des lieux du foot algérien et voilà qu’il vous dresse un tableau pas du tout reluisant. «Le foot a beaucoup régressé en Algérie à cause d’une instabilité chronique et cyclique, mais aussi en raison d’une politique qui ne fait pas la part belle aux jeunes. Sans assises, on ne peut rien faire, encore moins inverser la pyramide comme ça a l’air d’être le cas actuellement», dit-il, amer, sans aller trop loin dans le raisonnement, lui l’observateur lointain mais avisé.
«Qui n’avance pas recule, dit-il ; alors que les autres nations font des avancées spectaculaires, nous restons dans nos schémas étriqués.» Il se réfère à la Coupe d’Europe qu’il suit assidûment à la télé.
«Comment un mordu comme moi peut-il se passer d’un tel spectacle ? C’est un jeu d’une autre dimension. Quand je vois ce qui se passe chez nous, je mesure le fossé qui nous sépare des grandes nations. Il faut travailler, travailler. Moi, avant d’arriver au sommet, j’ai dû trimer…»
Une manière aussi de dire que le football doit être l’affaire de tous ceux qui l’aiment et pas seulement de ceux qui en vivent. Les pages tournées ne doivent jamais être oubliées, dit-on. Nostalgique et rêveur, Mustapha a traversé des périodes difficiles. Ce qu’il n’a jamais osé dire, d’autres le feront pudiquement à sa place.
Le drame familial qui l’a secoué a rompu brutalement le fil des jours heureux. Cela l’a inévitablement changé. Dans l’adversité, nous dit un de ses anciens compagnons, il s’est battu avec courage et dignité aux côtés de son épouse Ghislaine qui partage sa vie depuis plus d’un demi-siècle. A la retraite à Nice, après de loyaux services à Air Algérie, il ne s’est pas départi de sa démarche altière, mais le moral n’est pas le même. Lui qui a réussi à dompter tous ses adversaires a dû se résigner devant le mal qui le ronge et qui s’est attaqué au point sensible qui est sa raison d’être : la mémoire.
Car, soudain, c’est toute une époque enfouie qui est pulvérisée. Mais Mustapha, comme lors des jours fastes, tente de dépasser ces contingences avec la force de sa foi, même si on n’est pas maître de son destin. La vie de Zitouni, faite toute de paraboles, en est peut-être un exemple édifiant. Il finira par céder face à la Faucheuse le 5 janvier 2014 à Nice des suites d’une longue et éprouvante maladie.
Parcours :
Naissance en 1928 à Alger. Sa carrière sportive débute en 1945 à l’Olympique musulman saint-eugénois. De 1948 à 1951, il s’engage pour 3 ans dans l’armée, joue en équipe militaire et remporte le doublé. Durant cette période, il est transféré à l’Institut national des sports de Paris. Il participe aux Jeux olympiques d’Helsinki en 1952.
En 1953, il est sollicité pour la première fois par un club pro, Cannes en l’occurrence. En 1954, il joue dans la sélection d’Afrique du Nord. Dans la même année, il est transféré au club de la Principauté avec un contrat de 4 ans.
Quatre sélections en équipe de France A (Belgique, Hongrie, Angleterre et Espagne). Sélectionné en équipe de France pour la Coupe du monde de Suède (1958). 1958-1962, défenseur central de l’équipe du FLN. A l’indépendance, il est joueur-entraîneur à l’OMSE. De 1963 à 1972, il joue le même rôle au RC Kouba. Finaliste de la coupe d’Algérie en 1966 (RCK-CRB).
Une guerre sans front La vraie guerre quand même Par des héros sans nom, A l’âge des « je t’aime ».
Ils ont dormi longtemps, ces maux de l’Algérie, Comme un bruit défendu, un flot que l’on charrie. Nous étions jeunes alors, nous étions au printemps. Notre automne est venu : de parler il est temps.
Un siècle avait coulé où nous étions les maîtres, Ce jour de la Toussaint vint secouer nos êtres. O le déchirement du bateau qui partait ! Entre le ciel et l’eau l’inconnu s’apprêtait.
Au-delà des ses peurs chacun a trouvé place Et les coeurs ont battu et vieilli les audaces. Le premier blessé, le sang qu’on a frôlé, Les retours de nos morts, les cris des rappelés !
Si l’on fait le bon cidre en broyant tant de pommes, Quel fut le résultat... en broyant tous ces hommes ? Les rires ou colères ont-ils vu augmenter, Avec notre amitié, la part d’humanité ?
Tandis que cheminaient nos consciences et l’Histoire, Dans la brume de guerre, s’emplissaient nos mémoires. Puis nous avons connu, au milieu des périls, Le non des transistors aux félons de l’Avril.
Vint un signe de l’eau : Evian, pour le silence, Pour des soupirs de mère et le retour en France. Certains ont cru ce jour aube de libertés mais il menait encor à d’autres cruautés.
Autre guerre sans front Mais la guerre quand même - par des ombres sans nom A l’âge des « je t’aime ».
Maxime Becque, (2 000) Ancien d’Algérie
Pourquoi voyons-nous tant d’injustices et misères ? Sur tous les continents des gens souffrent sur terre. Chacun trouve mille raisons d’avoir raison Car l’humain n’aime pas se remettre en question. Sa fierté accepte mal les remises en cause Malgré son savoir et les moyens dont il dispose. Tares et mille boulets le freinent en son essor Depuis la nuit des temps, il est frêle et se croit si fort !
Nuit algérienne
La guerre faisait rage en terre algérienne, Le djebel hostile dressait ses cimes nues, La lune dans le ciel immobile et sereine, Eclairait le désert de sa lumière crue, Que coiffaient çà et là quelques rares palmiers, Les armes des soldats, vigilance opportune, Rappelaient les dangers à ne pas oublier ! Soudain la palmeraie, oasis de quiétude, Résonna sèchement de rafales multiples, d’une soirée troublée véritable prélude, Des rebelles hardis nous avaient pris pour cible ! L’ambiance changea presque instantanément, Les balles à présent sifflaient à nos oreilles, Subirions-nous l’assaut qui semblait imminent, Que chacun redoutait après des nuits de veille ? L’alerte fut rapide et la réponse franche, Des éclairs maintenant jaillissaient du fortin, Semant la confusion, là-bas, entre les branches, Et peut être la Mort, nous le saurions demain ? Le ciel s’illumina de fusées éclairantes, Causant à l’ennemi un désarroi certain ; Elles montraient pour moi lenteur désespérante, Avant de disparaître, ailleurs, dans le lointain ! Pour un temps plus de tirs, plus de coups menaçants, Un silence imprévu autant qu’inexplicable, Questionnement soudain, sans réponse, agaçant Ennemis disparus ou desseins insondables ? Pas plus tôt le fortin plongé dans la pénombre, Un feu nourri reprit presque immédiatement, Des rebelles tapis nous ignorions le nombre, Nos soldats faisaient front très courageusement ! Je connus un moment de rare indécision, Mesurant d’un seul coup dangers environnants, Dans mon esprit troublé désordre et confusion, Quand le présent requiert des ordres pertinents ! Fallait-il regagner les postes de combat, Entourant la mechta pour plus de protection, Ou rester dans nos murs, impérieux débat, Subir possible assaut, lourde interrogation ? Mon adjoint, vieux briscard rescapé d’Indochine, Me tira, Dieu merci, de ce grand embarras ; Nous resterions sur place et sans courber l’échine, Ensemble et bien groupés poursuivrions le combat ! Quand le silence vint après de longs échanges, Quand le désert reprit son aspect fascinant, Mes hommes dont je veux chanter haut les louanges, Retrouvèrent sang froid et calme impressionnant ! Seul je m’interrogeai sur la folie des hommes, Sur la Guerre stupide et sur tous ses méfaits, Elle qui de malheurs n’est jamais économe, Aurai-je assez de voix pour mieux la dénoncer ?
Sous-lieutenant Durando René ; Aïn Bou Zenad, le 30 septembre 1960.
Fellagah mon frère,
Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours Dans la faible clarté du petit jour ! S'annonçait un beau jour d'hiver Près du village de Zérizer. C'était, si ma mémoire ne flanche, Au lieu-dit de la « ferme blanche ». Ô Fellagha, mon frère, je te revois tous les jours Dans la faible lueur du petit jour ! Les chasseurs de Morritz t'ont tiré hors de la Jeep Où tu gisais, mains liées dans le dos Et le nez contre les rangers des soldats. A quoi pensais-tu, pendant cet ultime voyage ? A tes soeurs, à tes frères, à tes parents, A ton épouse, à tes enfants Restés seuls là - bas dans la mechta ? Pensais-tu à tes compagnons d'infortune Aux vies sauvées par ton mutisme, Ou bien priais-tu, Allah ton Dieu ? Un des soldats t'a bousculé jusqu'au milieu de la cour. Le P.M a aussitôt craché sa salve mortelle. Tu t'es affaissé sans un cri. Dans un gourbi proche, des enfants, Dérangés dans leur sommeil, se mettent à pleurer. Une à une les étoiles s'éteignent Dans le ciel sans nuage La journée sera belle ! Ô Fellagha, mon frère, je te reverrai toujours Gisant au milieu de la cour Dans la faible clarté du petit jour.
A. Roulet, appelé du contingent.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois, ta guerre. Elle revenait te hanter souvent, les longs soirs d'hiver. Je sens encore le parfum des orangers, la chaleur du désert, Mais aussi les horreurs qui t'ont fait oublier tes prières.
J'étais enfant et j'écoutais tes récits, sagement, Ils m'ont fait comprendre combien l'homme est un tyran, M'ont donnés des frissons avant que j'ais l'âge de raison. Les tortures, les gamelles, tirailleurs marocains, rations.
Tes mots raisonnent encore en moi, et j'ai vu ton regard, Cent fois, mille fois tes yeux étaient repartis là-bas, hagard. Des scènes indescriptibles, le goût de la mort te poursuivra A jamais. Dépression post-algérie, les soldats ne parlent pas de ça.
Tu étais beau jeune homme et la vie devant toi, pleine de promesse, Mais cette guerre t'a maudit, fait tourner la tête, rempli d'ivresse. Je me demande parfois pourquoi les chants arabes me plaisent tant, Quelques mots me reviennent aux senteurs des parfums d'orient.
Tu m'a si bien dépeint ce pays aux accents de velours, Que tu as embrassé de tes bras de vingt ans avec amour Après une longue traversée un cargo vous déversant Ondée de jeune recrue à ces nouveaux vents grisants.
Mon père, je l'ai écoutée cent fois, mille fois ta guerre. Je n'ai d'elle que quelques photos et des récits les longs soirs d'hiver, Où je t'écoutais sagement avec mon regard d'enfant, innocent. Tes récits de l'enfer où tu t'en est sorti, psychologiquement, survivant.
J'aime:Aubépin des Ardrets et CHENNOUFI
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Paisible paysage
Où les combats font rage
Un pays aux multiples facettes
Où la mort nous guette
La mer, le désert, la montagne
Tout cela ne ressemble pas à la Bretagne
Tout là bas, est plus grand
Tout là bas est tellement différent
Un pays si somptueux que l’on prive de liberté
Pourtant leur indépendance est purement méritée
Ce pays garde sa splendeur
Malgré le froid parfois et la chaleur
Ces femmes aux visages si noirs
Qui vivent dans la peur et le désespoir
Elles ne demandent qu’une vie tranquille et paisible
Mais l’espoir ne suffit plus, leur vie est désormais horrible
Jamais je n’oublierai ces regards de détresse
Qui ne demandent que de la tendresse
Je ne saurais apporter ce qu’ils veulent
Car désormais chacun est seul
Dans ce combat, dans cette violence
Ce pays obtiendra son indépendance
Coralie
1-Au travail, c’était l’esclavage, Dans la rue, c’était la répugnance, En famille, c’étaient des dommages, Partout, étaient mauvaises les circonstances. Le colonialisme profitait davantage En croyant à l’éternité de l’ignorance.
Nulle patience ne peut résister aux effets de l’injustice.
Le chemin de l’indépendance
1-Au travail, c’était l’esclavage, Dans la rue, c’était la répugnance, En famille, c’étaient des dommages, Partout, étaient mauvaises les circonstances. Le colonialisme profitait davantage En croyant à l’éternité de l’ignorance.
Nulle patience ne peut résister aux effets de l’injustice.
2-Mais, quand on a trop attisé la flamme, La glace s’est fondue et a débordé le bol. Rien n’a pu arrêter la colère et le drame, Une fois le liquide a atteint le sol. Le corps s’était imaginé sans âme Et la peur était devenue sans rôle.
L’oppression, excite, réveille et active-les soumis.
3-C’est ainsi que s’est manifesté la sagesse, En évoquant le mot ; INDÉPENDANCE. L’objectif circulait avec tact et finesse Et promenait la nation dans tous les sens. Unanimes sur le but et sa noblesse, La minorité n’avait point d’importance.
Rien n’est insurmontable, quand l’imagination épouse la réalité.
4-Nul prétexte n’a pu vaincre la détermination et la foi, Pour renoncer à la décision. Comme un seul homme, le peuple s’est levé à la fois, Dont le support était l’union. L’objectif n’est dominé ni par la force, ni par la loi. Le seul chemin c’est l’action. La détermination est le chemin idéal vers l’objectif.
5-L’action sera accompagnée de misère, Mais dotée de dignité et d’espoir. La patrie qui a appelé, c’est la mère. Qui dit à ses fils : « pas de blanc, sans noir. ». Même durable, la souffrance sera temporaire. Ce qui aura comme âge l’éternité, c’est la gloire.
La privation a toujours donné goût à l’obtention.
6- Elle n’est plus utile la patience, Une patience déjà vieille et séculaire. Se disait l’intelligence, En traçant, telle une araignée, ses repères. L’Algérie ne peut être la France Et la France doit rejoindre son repaire Ephémères, les délices de l’égoïsme se transforment en amertume durable.
7-C’est le 1er novembre 1954, à minuit, Que les vrais appels sont lancés. Des bouches de fusils sortaient des bruits Intelligibles comme des paroles sensées. Le passé et sont contenus sont déjà cuits, La voie du futur, avec du courage, est tracée.
Il suffit de vouloir, le savoir et le pouvoir s’invitent automatiquement.
8-Aucun algérien, digne de ce nom, N’était resté inerte à ces appels. Les fellahs, les ouvriers, les étudiants… Qui jette sa plume, qui jette sa pelle… Pour se jeter eux même dans un camp Menant vers la paix, malgré conflictuelle.
Solides, nulle force ne peut délier les anneaux de la chaîne.
9-Les discours flatteurs et trompeurs Que les colons prenaient pour nécessaires Ne faisaient qu’aiguiser les cœurs Et exciter la maudite mais utile guerre. Les esprits n’étaient fixés que sur l’heure Où l’Algérie et l’algérien, formeront la paire.
La vérité est lumière, le mensonge est obscurité, c’est clair.
10-Le 5 juillet 1962, sonna cette heure, En apportant tristesse et gaieté. Joyeux d’être de sa maison, le seul possesseur Attristé, par ceux qui, à vie, l’ont quitté, L’algérien, a gonflé son cœur En l’emplissant d’amertume et de fierté.
Si les absents étaient présents, « l’utilité serait liée à l’agréable. »
11-Le héros de la révolution, dans sa multiplicité, est unique. Il s’appelle le vrai ALGÉRIEN. Avec du sang, sueur, sacrifices…est écrit son historique, Que rien ne peut décrire aussi bien. Concevant une victoire sûre, réelle et non utopique, Avec le courage, il était toujours en lien.
Quand c’est toute la foule qui chante, identifier les chanteurs, c’est risquer de léser certains. 12– Illogique de méconnaître les morts, S’étant donnés pour que vive la patrie. Omettre de les citer est un tort, Leurs valeurs dépassent tous les prix. Hommage à leur courage si fort. Hommage à leurs parents, veuves et enfants aussi.
Nulle conscience n’égale celle des morts pour la patrie.
13 -Une guerre sans saccages, manque de sens, Et sa cessation ne signifie pas confort. Après elle, une autre guerre commence, Dont le sacrifice est intense et fort. Pour parfaire et bien asseoir notre indépendance, Cessons d’attacher à l’autrui notre sort. Récupérer ses biens, c’est l’idéal, les délaisser, c’est infidèle.
14- Entre la paix et la guerre, La différence est de grande taille, C’est comparer un champ en jachère A un jardin où les fruits se chamaillent. Nous devons être contents et fiers. Être satisfait, peut engendrer des failles.
Qui dit jour, dit nuit dissoute.
15– Tout se fait entre algériens, A l’école, dans l’administration, à l’hôpital… C’est par un langage commun Que le gouvernant et le gouverné se parlent. Si hier, nous étions traités de vauriens, Aujourd’hui nous tenons le croissant et l’étoile.
A nous de les placer haut dans le ciel. 16- Des centaines de milliers de martyrs Est, à notre mémoire, un indice. C’est un nombre qui doit nous unir En nous rappelant leur sacrifice. Leur âme, ne cessera jamais de nous dire : « Il ne faut pas que notre honneur se salisse. » L’ingratitude obstrue les chemins de la bénédiction.
Ils sont tous venus ce jour là Des banlieues du nord de Paris Des bidonvilles de là-bas Nanterre, Bezons, ou Clichy - Ils sont venus manifester En costume du dimanche Pacifique et non armés Aucun esprit de revanche - Capitale des droits de l’homme Ils espéraient être entendus Liberté pour tous les hommes Même immigrés bien entendu - Mais le préfet de police En a décidé autrement Ordonnant quelle injustice Le massacre des innocents - Leurs corps flottants sur la Seine Sont maintenant dans l’histoire Une image très obscène Qui noircit nos mémoires - Une date de la honte Dont doit se souvenir chacun Ce sale temps qui remonte Dix sept octobre soixante et un.
Gérard Bollon-Maso
SOLEIL A MA TERRE
Paix au chemin des lavandières sous l´orgueil noir des pins.
Paix sur le silence tiède des betes au midi de l´abreuvoir.
Paix a l´enfant nomade écrivant ses reves sur les murs.
Paix au pas du mulet,secret dans ses peines,
Paix au plus loin de l´ombre,sur le sel paresseux des chotts.
Paix a la flute acide de Taguine,amoureuse des espaces.
Paix sur les matins de Blida,de jasmin exprimés.
Paix sur les filles de l´été aux cheveux de cannelle.
ILS SONT LES HAUTES CEREALES PROMISES APRES L´ORAGE.
Paix sur les vallées prochaines et les figuiers bleus.
Paix au raisin perdu sous les lenteurs de l´automne.
Paix sur le limon craquelé dans l´été du Chélif.
Paix sur l´orge d´un hiver au pied de l´ane gris.
Paix sur les transhumances,aux feux près du fleuve épuisés.
Paix au fellah distrait par l´odeur des sillons.
Paix au potier taciturne derrière son argile de longtemps.
Paix au marcheur Chergui,ami des forets et de l´oiseau sans nid.
ILS SONT L´INSTANT DE TOUS.
Paix au solitaire sur la grève dérisoire.
Paix aux premières fiancées,attentives au pas.
Paix aux yaouleds des places et des souffrances adultes.
Paix a nos femmes près du puits,a leur ruban de joie.
Paix au docker Bougiote,le dos livré a l´aube.
Paix au mendiant d´hiver,à sa bure froide.
Paix au vagabond sans besace dans le jour arreté.
Paix au fugitif,surpris a l´approche des villes.
ILS SONT L´HERBE NEUVE SOUS LE CIEL ENNEMI.
Paix sur les criques de Collo,au bruit de soie déchirée.
Paix au saisonnier du Sersou jusqu´au soir sur Vialar.
Paix sur Djidjelli,au parfum de liège entêté.
Paix sur l´Ouenza de phosphate subjuguée à coup de tumulte.
Paix sur ma Mitidja frileuse et ses orangers oubliés.
Paix toute musicale sur le cèdre vif de l´Ouarsenis.
Paix sur Chiffalo au gout de sel dans le jour continué.
Paix au travail, à l´amour jusqu´au dernier sommeil.
ILS SONT LA JUSTICE DE MA TERRE A SES PREMIERES SYLLABES.
Paix a Guelma féminine et Tebessa la jalouse.
Paix sur mon Zaccar définitif,cadet immédiat du Djurdjura.
Paix sur Marengo aiguë dans la vérité des vendanges.
Paix sur Tlemcen l´insoupçonnée,égrenant ses jardins.
Paix sur Mascara la haute,lascive sur ses pairies.
Paix sur Perregaux au prénom de pastèque.
Paix sur Arzew ouverte en bracelet d´épousailles.
Paix sur Mers-El-Kebir étirée en épée de Tolède.
Paix sur Bel-Abbes rentrée de ses tambours sanglants.
ILS SONT LA NUIT FERTILE REDOUTEE AU PLUS LOIN.
Paix sur Cap Matifou,de lumière dite,comme un silex oublié.
Paix sur Ghardaia reculée,rauque dans son exil.
Paix sur Cherchell dispersée à l´heure des poudrières.
Paix sur les monts du Dahra,frissons et gloires associés.
Paix sur le galop furieux au détour de Morsott.
Paix sur l´aube sauvage du Guergour vers les caroubiers éclairés.
Paix sur les Bibans hauts de silence et de climats passionnés.
Paix sur les soirs citadins au bord des rancunes d´un jour.
ILS SONT LA VIE DE TOUTES LES VIES.
Paix au courage réuni des tribus du sud.
Paix a l´angoisse reconnue au réveil des fourrés.
Paix au sang national,l´hiver surgi des grottes.
Paix au fusil lisse crevant le ciel du Djorf.
Paix aux nuits pleines d´orties,de cris et de couteaux.
Paix sur les brunes N´Mancha et les Aurès lyriques.
Paix sur le geste général par les vies résume.
Paix sur ma patrie qui monte au milieu des fusils.
ILS SONT LE SERMENT FIXE LE LONG DES LAURIERS-ROSES.
Paix au deuil le plus proche et au-dedans des larmes.
Paix a l´orphelin encore de douleur étonné.
Paix sur le blessé que la mémoire égare.
Paix a l´infirme trop précis,avant la foule reconnu.
Paix a la sentinelle des Attafs,frère rugueux sous l´eucalyptus.
Paix a la fille fragile de Ténès,son fusil sous la pluie.
Paix au franc-tireur,complice de l´aube dans le défile de Tagdent.
Paix au brancardier,de temps et de fraternité jaloux.
ILS SONT LA FIBRE INNOMBRABLE DE MEME ESPOIR VALABLE.
Paix au Douar Kimmel,premier enfant de la Révolution.
Paix au saboteur,près du soir,solitaire en son acte.
Paix au gavroche surgi du bivouac derrière son signal de cailloux.
Paix aux embuscades échevelées a coups de sang prodigue et de terre rouge.
Paix sur Miliana la douce pleurant Ali-la-Pointe et
Maillot rejoints dans la fraternité des sillons.
Paix sur la jeunesse d´Akli,abîmée au carrefour du Chenoua.
Paix sur Yveton nommé a l´aube sales des polygones.
Paix sur Mustafa du littoral,emporté dans une odeur de prairie de printemps.
ILS SONT LA MAIN UNANIME SUR LES MAQUIS REUNIS.
Paix sur Alger la berbère et du C.R.U.A. secret.
Paix sur mes frères emportés,sang reconstruit,fibre à fibre.
Paix ALGERIENNE,toute de nom surveillé,corolle écarlate et rebelle.
PAIX SUR MON PEUPLE ABSOLU.PAIX-PEUPLE
ALGERIE de Djamila Bouhired,guitare dechirée au-dedans d´une rose.
Algérie des soirs magiques en Fadhila Drif enchainée.
Algérie de Germaine Guerrab,de Toury,d´Améziane.
Algérie des précieux fils plongés dans tes moles acides.
ILS SONT LE VENT NATIONAL APRES LA DIGNITE DU JOUR.
Alger des larmes dans ton port vite contenues.
Alger de la croix et des menottes,des bottes et des paras.
Alger du même Alger,des haines officielles.
ALGER D´HIER,CAPITALE DU MEPRIS.
Algérie des fusillés face a la mer qui les vit naître.
Algérie des juges aux yeux rétrécis par la honte.
Algérie des bourreaux jurant de s´éblouir.
ALGERIE DU PLUS DIFFICILE D´ETRE ALGERIEN QUE COLON.
ILS SONT L´INSOMNIE VITALE ALLAITANT LES NUITS ADVERSES.
Algérie des nuits partisanes,écoute les mitrailleuses hostiles de Novembre.
Prépare ta voix pour le tortionnaire,le mouchard,le flic et le traître.
Frappe et frappe dans ta volonté de frontière.
Mais frappe jusqu´à ta justice de haute écume.
Pour toute l´hypothèque sur les vies,les vieillesses au taudis.
Pour la tribu déracinée,hors du cheval et du code,
pour le fellah voûté,déjà griffes contre terre,
pour l´ouvrier sans chemise,converti en rides,
pour l´artisan obscur dans l´angoisse des faubourgs,
pour l´enfant aux cotes pales,d´école et de joie affamé,
pour l´étudiant traîné aux murs des polices racistes,
pour chaque solitude précise,chaque espoir interdit,
pour chaque regard sans voix,chaque patience égarée,
pour chaque larme écoutée,chaque mot retenu,
pour chaque odeur de haine,chaque soif enfoncée,
pour chaque soleil perdu,chaque plaie à peine vieille,
pour chaque réveil anéanti,chaque deuil appelé,
pour chaque insulte bourdonnée,chaque doute étendu,
pour chaque nuit féodale,chaque inexistence assignée,
pour ceux d´Ain-Naga,de Tablat,d´El-Halia,dans le sang enfoncés,
pour les polygones et la morgue,les chambres de tortures,les dachras ratissées.
POUR TOUT L´AIR COLONIALISTE RESPIRE.
POUR LA LIBERTE INSULTEE,
POUR TOUTE LA TERRE VOLÉE.
Ecris Algérie du jour immense:
ILS SONT LA NUIT IRREFUTABLE AUX HAINES,PLUS HAUTS QUE LES LIVRES.
ILS SONT L´AVENIR COMMENCE,FUSIL-PEUPLE REVENU DES FUSILLADES.
ILS SONT LES RACINES NOCTURNE,COLERE DU TERRITOIRE.
ILS SONT LA NATION PRECIPITEE,COULEUR DE MIEL NOIR.
ILS SONT LE REFUS NU AU MALHEUR D´OBEIR.
ILS SONT L´HISTOIRE REVEILLEE,SIGNIFIEE JUSQU´A EUX.
ILS SONT LES HEROS DE TOUS,AU PEUPLE ENTRELACES.
ILS SONT L´HONNEUR PHYSIQUE,FILS DES CICATRICES
ILS SONT LE PEUPLE LARGE AU RETOUR DES CROSSES.
ILS SONT POUDRE ET CHANSON DE MA PREMIERE PATRIE.
ILS SONT DRAPEAU REPARTI DANS L´HERITAGE FURIEUX DE L´AURORE.
Romancier, dramaturge et poète visionnaire, par la radicalité de sa critique KATEB Yacine est considéré, grâce à son roman «Nedjma», comme le chef de file de la littérature algérienne. Tout est sorti de la prison et de l'amour, les deux sources de l'œuvre de KATEB Yacine. Il porte un regard lucide sur le drame du peuple algérien vivant entre la cruauté inouïe du colonialisme et le rejet du fondamentalisme religieux. Dans la colonisation, l’esclave en arrive à aimer ses chaînes, car après la conquête militaire, il a été entrepris l’assimilation et l’acculturation. Faisant appel à Tacite, à l’histoire de l’Antiquité, KATEB constate que Numides et Gaulois ont été vaincus par les Romains, dont le vaste empire a fini par s’effondrer. Ecrivain réaliste, il voulait transformer le monde. «Je suis Algérien par mes ancêtres, internationaliste par mon siècle» et il précise : «Ni musulman, ni arabe, mais algérien». Ecrivain engagé, il estime que «le rôle de l’écrivain consiste à prendre position». En effet, «Nedjma» dénonce la colonisation et se situe dans «la période de l’affirmation de soi et du combat» écrit Jean DEJEUX. Poète rebelle, adversaire du colonialisme et partisan de l’indépendance, KATEB occupe en Algérie «la place du mythe ; comme dans toutes les sociétés, on ne connaît pas forcément son œuvre, mais il est inscrit dans les mentalités et le discours social». «Nedjma», conçue dans une grotte par un Algérien et une Française d’origine andalouse et juive islamisée, vivant en marge d’un monde perturbé, est le symbole d’une Algérie meurtrie et divisée par la guerre entière, mais toujours unie par l’amour de sa terre. La femme occupe une place de choix dans la libération de l’Algérie : «Gloire aux cités vaincues ; elles n’ont pas livré le sel des larmes, pas plus que les guerriers n’ont versé notre sang : la primeur en revient aux épouses, les veuves éruptives qui peuplent toute mort, les veuves conservatrices qui transforment en paix la défaite, n’ayant jamais désespéré des semailles, car le terrain perdu sourit aux sépultures, de même que la nuit est qu’ardeur et parfum, ennemie de la couleur et du bruit, car ce pays n’est pas encore venu au monde : trop de pères pour naître au grand jour, trop d’ambitions déçues, mêlées, confondues, contraintes de ramper dans les ruines» écrit-il dans«Nedjma». KATEB milite pour une Algérie libre, sans détour : «La grande importance de Kateb Yacine, c’est qu’il ne construit pas des ponts entre Orient et Occident, il a plutôt tendance à les miner ces ponts, à montrer que ces ponts ce sont des ponts artificiels, et que la réalité c’est celle du conflit» dit Gilles CARPENTIER. Par conséquent, «Nedjma» s’identifie aux héroïnes de la guerre de libération : «Elle fut la femme voilée de la terrasse, l’inconnue de la clinique, enfin femme sauvage sacrifiant son fils unique, sa noirceur native avait réapparu, visage dur, lisse et coupant. Nous n’étions pas assez virils pour elle. (…) Et le colt sous le sein». Par la dimension métaphorique de sa contribution littéraire, KATEB Yacine reste ainsi l’une des figures les plus importantes et révélatrices de l’Histoire douloureuse de l’Algérie. «L’Auteur de Nedjma manipulera la plume à l’encontre de l’oppression comme d’autres manipuleront les armes pour combattre l’oppresseur» écrit le professeur Benaouda LEBDAI. «Nedjma, c’est l’héroïne du roman, qui d’ailleurs… enfin, ne domine pas tout à fait la scène, qui reste à l’arrière plan. C’est d’ailleurs le personnage symbolique de la femme orientale, qui est toujours obscure et qui est toujours présente également. Nedjma, c’est aussi une forme qui se profile, qui est à la fois la femme, le pays, l’ombre où se débattent les personnages […] principaux du roman, qui sont quatre jeunes Algériens dont je raconte les aventures et mésaventures. Algérie qui est actuellement noyée dans une espèce d’opacité, l’opacité d’un pays qui est en train de naître et dont les acteurs projettent des lueurs et finalement montrent le visage» dit KATEB Yacine. Aussi libre et libertaire, insolente et provocante, indéchiffrable et éblouissante que son œuvre, fut la vie de KATEB. Militant de toute son âme pour l’indépendance, au sein du Parti populaire algérien, puis du Parti communiste, il s’engage avant tout avec les «damnés de la terre», dont il est avide de connaître et faire entendre les combats : «Pour atteindre l’horizon du monde, on doit parler de la Palestine, évoquer le Vietnam en passant par le Maghreb» dit-il. Ainsi, «L’Homme aux sandales de caoutchouc» est, en 1970, une vaste fresque historique sur Ho-Chi-Minh et du Vietnam. Ecrivain réaliste, KATEB Yacine est adoubé par les «Lettres françaises» que dirige Louis ARAGON : «Yacine Kateb a 18 ans. Il est parti en France, il y a quinze jours. Conférences à Paris. Visites à Eluard, Aragon. M’a écrit une lettre enthousiaste. Je serais heureux qu’il réussisse à s’imposer. Il a un réel talent», écrit Emmanuel ROBLES qui l’a fortement soutenu. Pour Jean GRENIER, dans une lettre du 10 août 1951, de recommandation à Albert CAMUS, notre auteur est «enthousiaste et brûlant comme la poudre», Jean SENAC le présente en un écrivain qui «parle plus haut que le mot». KATEB Yacine est convaincu que les mots sont une arme contre l’oppression : «Beaucoup (…) n’ont pas besoin de livres pour vivre. Pauvres idéalistes ! Ils ne savent pas que les livres, à la fin des fins, resteront la dernière propriété de l’homme, propriété rarissime… Les révolutions commenceront plus que jamais dans les bibliothèques» dit-il.
SENAC qualifie «Nedjma» d’une allégorie en prise avec l’Histoire de l’Algérie en train de se faire (1er novembre 1954), un éclatement du récit réaliste s’opposant au nouveau roman code déjà dominant, une unicité d’une œuvre à venir. N’appartenant à aucune école de pensée, même s’il a lu William FAULKNER, James JOYCE, John DOS PASSOS et Bertolt BRECHT, le style de KATEB Yacine peut être parfois sinueux ; son récit n’est pas linéaire, les histoires s’enchevêtrent. «Ce qui fait la force du texte katébien, c’est sa non-transparence ; il n’est jamais de grandes proclamations de foi dans Nedjma, c’est dans la construction même du texte, dans la stratégie discursive que s’affirme l’indépendance» écrit Geneviève CHEVROLAT. Fragments, bourgeonnements, variantes, éclatement de la narration traditionnelle, par sa structure innovante et par sa densité poétique, le récit de KATEB écrit par spasmes et construit avec des guenilles comme des morceaux de jarre cassée, innove et déroute le lecteur. «Moi, j'ai choisi la Révolution. Je suis prêt à sacrifier beaucoup de recherches de formes pour atteindre les objectifs de fond, vitaux pour la littérature (...) Nous avons une réalité qui demande d’être appréhendée directement de façon vierge (…) il y a des gens qui parlent de [la Révolution] comme s'ils étaient des esthètes. Ils ne se rendent pas compte que c'est odieux ou ridicule. (…) Il faut tout repenser, il faut se libérer des tabous universitaires, ne pas se préoccuper d’être toujours à la mode» dit-il. C’est donc en raison de son refus perpétuel du conformisme que la biographie de KATEB nous éclaire sur le sens de son message : «La mémoire n’a pas de succession chronologique. En cela l’œuvre de Kateb Yacine est doublement œuvre de mémoire : elle est éclatement et récupération du passé, dans le cercle du temps et dans le polygone étoilé de l’espace. Mais pour approcher cet éclatement poétique et politique, constaté et refusé, il est utile en raison notamment de l’importance du contenu biographique de l’œuvre et parce que cette vie est significative de l’évolution suivie par la plupart des écrivains de la même génération de recomposer cette succession chronologique que la mémoire et l’écriture décomposent» écrit Gérard FAURE. KATEB Yacine décrit une sédimentation d’histoires, de drames et de conquêtes accumulées, enfouis, recouverts, mais jamais effacés. Brassant l’histoire depuis les temps reculés, KATEB estime que la colonisation française a été sanglante et destructrice : «Ni les Numides ni les Barbaresques n'ont enfanté en paix dans leur patrie. Ils nous la laissent vierge dans un désert ennemi, tandis que se succèdent les colonisateurs, les prétendants sans titre et sans amour» écrit KATEB Yacine. Les envahisseurs avaient «la hache d’une main, le sabre de l’autre» écrit-il dans «Nedjma». Mais dans leur tentative de dépersonnalisation de l’homme algérien, celui-ci s’est révélé d’une grande capacité de résistance : «La peuplade égarée se regroupait autour du bagne passionnel qu’ils appellent l’Islam, Nation, Front ou Révolution, comme si aucun mot n’avait assez de sel» écrit-il dans le «Polygone étoilé». KATEB Yacine dresse aussi, de façon critique, l’histoire du mouvement national algérien en faisant référence à l’élimination du M.L.T.D Messali HADJ : «On n’en finissait pas avec les crimes de Raspoutine. Il avait torpillé l’ancien parti du peuple» écrit-il dans le «Polygone étoilé». Et il y évoque aussi, «la vieille tyrannie» reprenant «pied, sous le costume national». La révolte de la jeunesse d’octobre 1988, mettant fin à l’hégémonie du parti unique, lui donnera raison.
Publié en 1956, au moment où la guerre d’Algérie est encore une plaie ouverte, Nedjma est une œuvre hermétique, mais c’est le fil conducteur de la contribution littéraire de KATEB Yacine, son noyau dur, en raison de sa force et de sa richesse. La construction du roman ne peut que désorienter le lecteur : la chronologie est fortement brouillée, les points de vue narratifs sont multiples, partagés entre celui d’un narrateur extérieur et ceux des quatre personnages principaux dont le roman épouse le flux et le reflux des prises de position. En fait, KATEB s’engage délibérément dans l’Histoire et s’engage pour l’Algérie indépendante. «Nedjma» ou en arabe, «l’étoile» symbolisant l’idéal nationaliste, rayonne et domine sur toute l’œuvre de KATEB Yacine : «Ce qui fait tenir le tout, c’est une sorte de vertige, cette ivresse qu’on éprouve à courir dans le grand vent : le centre vide du Polygone, l’Algérie rêvée à l’image du monde» dit Gilles CARPENTIER dans la préface du «Polygone étoilé». KATEB Yacine écrivait : «Il n’y a plus alors d’Orient, ni d’Occident». Tout ça c’est du vent. L’Esprit souffle où il veut. «Pour écrire Nedjma, il m’a fallu sept ans. C’est que l’art, comme le bon vin, exige beaucoup de temps» dit-il. KATEB Yacine se définit comme l’homme d’un seul livre, toute sa contribution littéraire pouvant se rattacher aux thèmes de l’amour et de la révolution dans «Nedjma». En effet, le «Polygone étoilé» constitue les fragments n’ayant pas trouvé leur place dans «Nedjma», les personnages sont les mêmes. On retrouve dans «le Polygone étoilé», poésie, théâtre, récit historique et chronique de presse, mais aussi cette constante d’une «Algérie rêvée, une Algérie plurielle, de par ses langues, ses races, ses religions, ses aspirations» écrit Mohand KHERROUB. On a reproché à KATEB de publier sous des formes différentes, le même récit obsessionnellement repris et déplacé d’un texte à l’autre. En fait, en rupture avec ses prédécesseurs, et ses contemporains (Mouloud FERAOUN, Mohamed DIB et Mouloud MAMMERI), en écrivain réaliste, il insiste sur la dimension mythique et s’est arrogé le pouvoir de dire l’Histoire. S’insurgeant contre l’injustice et la tyrannie, il décrit «une Algérie multiple et contradictoire, agitée des soubresauts de sa longue et violente histoire, une Algérie jeune et âgée, musulmane et païenne, savante et sauvage» écrit Gilles CARPENTIER. Son héroïne, «Nedjma», se présente sous des facettes multiples. Tout d’abord, elle est la femme fatale, belle, perverse et dangereuse poussant ses prétendants à s’entredéchirer : «Et si loin qu’on remonte, une femme sauvage est occupée à dévorer les hommes, sans haine et sans pitié. De la vie à la mort, son choix reste équivoque. Elle est originaire de la tribu de l’aigle et du vautour» écrit dans «les Ancêtres redoublent de férocité». Ensuite, «Nedjma» est aussi la femme sauvage, mystérieuse et fuyante sachant diriger les hommes vers le combat : «Naïves et redoutables sont nos armes, comme le peuple qui accourt gagné par la prophétie, oui elle sera lavée de la défaite séculaire. Et notre terre, en enfance tombée, sa vieille ardeur se rallume» écrit-il. KATEB réaffirme que la littérature n’appartient pas seulement qu’aux Français. De même que «Nedjma» n’appartient ni à son père, ni à son mari, mais existe surtout dans le regard des quatre soupirants qui la convoitent la désirent. Enfin, Nedjma est la femme symbole de l’identité algérienne, Nedjma c’est l’Algérie. Nedjma est assimilée à Salammbô, personnage d’un roman historique de Gustave FLAUBERT ; il retrace cette atmosphère de violence folle, irrationnelle et paroxystique des scènes de bataille et de massacres. KATEB fait une allusion directe aux massacres du 8 mai 1945. Par ailleurs, «Nedjma» est la femme mythique, la Kahina, reine Berbère. Comme Madame Bovary de FLAUBERT qui s’est suicidée, «Nedjma» signe la mort d’un mythe, celui d’une France civilisatrice et bienfaitrice. Par conséquent, la contribution littéraire de KATEB est justement une laborieuse et chaotique reconquête de la mémoire, une nécessité de combattre cette histoire falsifiée, et d’inventer la Révolution. En effet, les autres principales œuvres de KATEB Yacine «Le Polygone éclaté» et «Le Cercle des représailles» tentent précisément de répondre à ce mal historique par le biais d'un univers violemment poétique, voué à la discontinuité et à l'errance. «Il n’y a rien d’autre : amours, misères, mort de l’Algérie colonisée ou de l’Algérie renaissant dans le sang et l’horreur» écrit Yves BENOT. Mélange de biographie et d’histoire, les personnages Rachid, Mourad, Lakhadar et Mustapha, ainsi que Nedjma sont encore condamnés à l’impuissance en raison des dissensions entre mouvements nationalistes. Le réel est transformé et prend une dimension mythique, collective et épique. KATEB dépeint la dignité et la tragédie des hommes dominés. Le choix de la polyphonie et de la pluralité des genres correspond ainsi à l'image d'une Algérie dispersée par la guerre et par l'émigration, mais que le «chaos créateur» se donne pour vocation de refaçonner, à la recherche de l'origine perdue. KATEB a dit lui-même que ses poèmes «Soliloques» sont liés au massacre à Sétif : «Ces poèmes ont été écrits alors que j’avais 15 ans, avant et après la manifestation du 8 mai 1945. J’étais interne au collège de Sétif. Ce jour-là c’était la fête, la victoire contre le Nazisme. On a entendu sonner les cloches, et les internes ont été autorisés à sortir. Il était à peu près dix heures du matin. Tout à coup j’ai vu arriver au centre de la ville un immense cortège. C’était mardi, jour de marché, il y avait beaucoup de monde, et même des paysans qui défilaient avec leurs vaches. A la tête du cortège, il y avait des scouts et des camarades de collège qui m’ont fait signe, et je les ai rejoints, sans savoir ce que je faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade suivie d’une cohue extraordinaire». Il ajoute «le 13 mai, au matin, j’ai été arrêté par des inspecteurs qui m’ont conduit à la prison de la gendarmerie. Autour de la prison, on entendait des coups de feu, les exécutions sommaires avaient lieu en plein jour. Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux». Ces massacres du 8 mai 1945 font basculer KATEB Yacine dans le camp de la révolution : «Et quand je suis devenu collégien, plus tard au collège de Sétif, c’était beaucoup plus dur parce que là les camarades se moquaient du poète qui s’enfermait ou qui écrivait des vers, enfin qui n’était pas comme les autres. À ce moment-là il y a eu pour moi une espèce de nuit, de solitude qui a commencé jusqu’au moment où j’ai découvert les idées révolutionnaires, jusqu’au moment où en classe on a commencé à se passer les premiers journaux progressistes, révolutionnaires, nationalistes, communistes, etc. Ça a été comme une flamme dans un baquet d’essence, tout de suite ça m’a pris. Puis les événements se sont précipités, il y a eu les manifestations de 1945, je me trouvais dans la rue, j’ai été pris, emprisonné, toute ma famille a été profondément bouleversée par ça. Du point de vue personnel j’ai basculé vers la politique, si vous voulez. J’ai basculé vers ce qui était pour moi la révolution, mais encore très théorique, et surtout livresque, parce que je vivais dans un monde français, je lisais des livres français, lorsque je pensais à la révolution, je ne sais pas, je pensais à Napoléon ou Kléber mais je ne voyais pas le peuple algérien qui était devant moi tous les jours, c’est en prison que je l’ai vu»dit-il.
De son vrai nom, Mohammed KHELLOUTI, il a pris le pseudonyme de KATEB Yacine, parce que l'administration coloniale appelait les indigènes par leur patronyme suivi de leur prénom. KATEB, qui signifie «écrivain» en arabe, était issu d’une famille de lettrés de la tribu des Keblout du Nadhor (Est algérien). Le 8 mai 1945, il n’a pas encore 16 ans, il participe aux soulèvements populaires du Constantinois pour l’indépendance. A Sétif, les policiers tuent le porte-drapeau Bouzid et trois Algériens. En représailles, la population tue 74 Européens. La loi martiale est instaurée et le grand massacre va commencer. Arrêté à Sétif, KATEB Yacine est incarcéré durant trois mois à la suite de la répression, qui fait 45 000 morts. Sa mère, à laquelle il est profondément attaché, c’est elle qui l’a initié à la tradition orale et à la poésie, sombrera dans la folie. Cette date du 8 mai marquera l’élément déclencheur de sa vocation littéraire. C’est en septembre 1945, à Annaba, qu’il tombe éperdument amoureux d’une de ses cousines, Zoulheikha, qui va inspirer «Nedjma» (étoile), rédigé en français, œuvre fondatrice qui a totalement bouleversé l’écriture maghrébine. «A ma libération, j’ai traversé une période d’abattement. J’étais exclu du collège, mon père agonisait, et ma mère perdait la raison. J’étais resté enfermé dans ma chambre, les fenêtres closes, plongé dans Beaudelaire. Puis, mon père m’a persuadé, pour changer d’air, d’aller à Annaba, où nous avions des parents. Là, ce fut le deuxième choc, l’amour. J’ai rencontré Nedjma. J’ai vécu près de 8 mois avec elle. C’était le bonheur absolu. Mais, en même temps, j’étais fasciné par les militants, les gens que j’avais connus en prison, et que je retrouvais, immanquablement. Il y a eu en moi un déchirement entre Nedjma et mes camarades. Et puis, elle était déjà mariée, j’étais trop jeune pour elle, je savais bien qu’il fallait rompre, mais c’était difficile»dit-il. KATEB rencontre au bar, un éditeur qui accepte de publier «Soliloques» ses poèmes de jeunesse, «on y retrouve deux thèmes majeurs : l’amour et la révolution» dit KATEB. «Soliloques» n’est pas encore «Nedjma», mais son acte de naissance. Dans cette histoire métaphorique où quatre jeunes gens, Rachid, Lakhdar, Mourad et Mustapha, gravitent autour de Nedjma en quête d’un amour incestueux, impossible et d’une réconciliation avec leur terre natale et les ancêtres, la jeune fille, belle et inaccessible, symbolise aussi l’Algérie résistant sans cesse à ses envahisseurs, depuis les Romains jusqu’aux Français. La question de l’identité, celle des personnages et d’une nation, est au cœur de l’œuvre, pluridimensionnelle, polyphonique.
«Nedjma» deviendra une référence permanente dans l’œuvre de KATEB, amplifiée en particulier dans «Le Polygone étoilé», mais aussi dans son théâtre «Le Cercle des représailles» et sa poésie. Pour Moa ABAID, comédien qui l’admirait, il était«un metteur en scène génial, proche de la réalité, qui a vraiment travaillé sur la construction du personnage pour parler au public, sans camouflage ni maquillage. Son utilisation de la métaphore et de l’allégorie n’est pas un évitement, puisqu’il a toujours dit haut et fort ce qu’il pensait, mais provient du patrimoine culturel arabo-musulman».
KATEB Yacine est né le 6 août 1929, Condé Smendou (Zirout Youcef), dans le Nord Constantinois, mais cette naissance a été déclarée le 26 août 1929. Il est issu d’un milieu qui sut lui apporter, avec le sentiment de son appartenance tribale, un contact familier avec les traditions populaires du Maghreb. Originaire d’un «lieu de séisme et de discorde ouvert aux quatre vents», il est passionnément attaché à retrouver ses racines et celles de son peuple. KATEB Yacine est un «Keblout», sa famille est issue d’une lignée berbère installée près de Nadhor, dans l’est du pays. Keblout, chef d’une tribu racine du peuple algérien, renvoie à l’image d’Abdel El Kader, ce nationaliste algérien brisé par le colonialisme. Keblout pourrait aussi se rattacher aux Almoravides qui ont islamisé le Sénégal ou aux origines du Maghreb entier, dans sa période la plus glorieuse. L’ancêtre Keblout est un Diogène oriental, «un sage paradoxal, poète et buveur, amoureux des belles étrangères» écrit Gilles CARPENTIER. Les Berbères, souvent tentés par la migration, doivent se rattacher à la famille, à la tribu, pour conserver leur patrimoine culturel : «Nous ne sommes que des tribus décimées. Ce n’est pas revenir en arrière que d’honorer notre tribu, le seul lien qui nous reste pour nous retrouver, même si nous espérons mieux que cela» écrit-il dans «Nedjma». Son père et sa mère, «un véritable théâtre arabe», sont cousins germains. «Mon père était avocat, mon père et ma mère, mon grand-père et ma grand-mère, mes oncles, mes tantes, tout ça, ça vient de la même tribu et nous sommes tous issus de mariages consanguins» écrit-il. Pourfendeur du système colonial, il estime que «la Justice n’est juste que pour les hommes égaux». Le colonialisme, assimilé au vautour, c’est la loi du plus fort : «Je suis de la tribu de l’aigle. Mais l’aigle a disparu. Un vautour le remplace. Les Ancêtres nous ont prédit que lorsque sonneront les dernières heures de la tribu, l’aigle noble et puissant devra céder sa place à l’oiseau de la mort et de la défaite» écrit-il dans «la poudre d’intelligence». Dans le processus de libération de l’Algérie, il assigne un rôle particulier aux Ancêtres : «Ce sont des âmes d'ancêtres qui nous occupent, substituant leur drame éternisé à notre juvénile attente, à notre patience d'orphelins ligotés à leur ombre de plus en plus pâle, cette ombre impossible à boire ou à déraciner, l'ombre des pères, des juges, des guides que nous suivons à la trace, en dépit de notre chemin» écrit-il dans «Nedjma».
Le jeune Yacine a vécu une enfance insouciante, heureuse et vagabonde. «La plus grande époque de ma vie, je crois que c’était quand j’étais gosse. Tout homme est dans l’enfant» dit-il. KATEB Yacine avait puisé dans sa famille, composée de gens lettrés, un goût prononcé pour les livres et la lecture. Son grand-père maternel était auxiliaire de justice. Son père, avec une double culture, française et musulmane, était un avocat indigène qui a travaillé à Sédrata, à Sétif et à Lafayette (Bougaâ). «Mon père était oukil, c’est-à-dire qu’il était une sorte d’avocat en justice musulmane, et il était appelé à souvent changer de résidence, de sorte que nous avons beaucoup déménagé pendant ma jeunesse. Mon père était aussi voyageur par tempérament. J’ai tenu déjà de lui et de ma mère une espèce de pratique quotidienne de la poésie, qu’on retrouve dans toute notre tribu. Ce qui est caractéristique de cette tribu c’est précisément que dans son sein un filon poétique qui se retrouve chez presque tous ses membres, de façon naïve, de façon plus approfondie, de façon plus ou moins affirmée» dit-il. Sa mère, Yasmina, «Elle, la source de tout. Elle se jetait dans le feu, partout où il y avait du feu. Ses jambes, ses bras, sa tête, n'étaient que brûlures. J'ai vécu ça, et je me suis lancé tout droit dans la folie d'un amour, impossible pour une cousine déjà mariée». KATEB lui a consacré, un poème, «La Rose de Blida» et se fait promoteur, à travers elle, du féminisme : «La question des femmes algériennes dans l'histoire m'a toujours frappé. Depuis mon plus jeune âge, elle m'a toujours semblé primordiale. Tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai fait jusqu'à présent a toujours eu pour source première ma mère. C'est ma mère qui a fait de moi ce que je suis. Je crois que c'est vrai pour la plupart des hommes. Certains le disent, d'autres l'ignorent, mais s'agissant notamment de la langue, s'agissant de l'éveil d'une conscience, c'est la mère qui fait prononcer les premiers mots à l'enfant, c'est elle qui construit son monde» dit dans «Parce que c’est une femme». Son nationalisme, il le doit en partie, aux histoires que lui racontait sa mère : «Ma mère lorsque son mari s’absentait, avait peur la nuit. Pour me tenir éveillé, elle contait d’interminables légendes nationales où Abd-El-Kader se mêlait aux héros anciens qui tous évoquaient nostalgiquement la grandeur passée des Arabes aujourd’hui asservis» écrit-il.
Après l'école coranique, qu'il apprécia peu, KATEB fréquenta l'école française, sur insistance de son père : «La langue française domine. Il te faudra la dominer et laisser en arrière tout ce que nous t’avons inculqué dans ta plus tendre enfance. Mais une fois passé maître dans la langue française sans danger revenir avec nous à ton point de départ». Cependant, KATEB nourrit des sentiments contradictoires à l’égard de la langue française : c’est un moyen de perdre sa personnalité, ses racines culturelles et religieuses ; on est «dans la gueule du loup», mais, en même temps, KATEB y découvrit la vertu libératrice de l'esprit critique. Très tôt, il est témoin de la colonisation de sa terre natale, et en subit les conséquences. L’apprentissage de la langue française est une première déchirure, mais aussi premier combat de sa vie. Il aura cette phrase : «La francophonie est une machine de guerre néocoloniale, qui ne peut que perpétuer notre aliénation, mais l’usage de la langue française ne signifie pas qu’on soit l’agent d’une puissance étrangère, etJ’écris en français, mieux que les Français, pour dire que je ne suis pas français». Pour lui, la langue française est un butin de guerre : l’écriture est une lutte, et le poète, un «boxeur». «Je pense que la phrase de KATEB Yacine est encore d’actualité. Pourquoi ? Parce qu’elle signifie bien que si on a imposé une langue par la fameuse politique d’assimilation culturelle, dont il faut rappeler qu’elle ne s’adressait qu’à une minorité, l’apprenant colonisé, en choisissant d’être écrivain, en a fait son arme de révolte et de remise en cause du système, en la travaillant à partir de son imaginaire, de sa culture, de sa langue d’origine. J’aime bien dire que si la langue a été imposée au petit colonisé à son corps défendant, il n’est devenu écrivain, usant de cette langue, qu’à son corps consentant. La langue appartient à celui ou celle qui la travaille avec les instruments qu’il ou elle se forge», dit Christine CHAULET ACHOUR.
KATEB luttait sur tous les fronts et disait qu’il fallait «révolutionner la révolution». Il considérait qu’il ne pouvait pas renoncer au «chaudron» (la langue française) : «J'ai honte d'avouer que ma plus ardente passion ne peut survivre hors du chaudron. C'est pourquoi, plutôt que de te promener au soleil, je préférerais de beaucoup te rejoindre dans une chambre noire, et n'en sortir qu'avec assez d'enfants pour être sûr de te retrouver. Et seule une troupe d'enfants alertes et vigilants peut se porter garante de la vertu maternelle» écrit-il. En effet, s’il considérait le français comme un «butin de guerre», il s’est aussi élevé contre la politique d’arabisation et revendiquait l’arabe dialectal et le Tamazight (berbère) comme langues nationales. Pour KATEB Yacine, libérer l'Algérie, c'était lui rendre sa véritable langue et son histoire. Écrivain d'abord de langue française, langue dans laquelle il a découvert le sens du mot «Révolution», il se met rapidement à l'arabe dialectal algérien pour se faire entendre de son peuple. À partir de l'Indépendance, il s'engage pour la reconnaissance du Tamazigth (berbère), langue d'avant la colonisation arabo-islamique. «Il faut créer un arabe moderne et rajeunir certains dialectes» dit-il.
En 1945, l'expérience de la prison lui a révélé «les deux choses qui [lui] sont les plus chères : la poésie et la Révolution». De retour en Algérie, en 1948, il entre au quotidien Alger Républicain et exerce divers métiers. Il est alors docker, puis il revient en France où il exerce divers métiers, publie son premier roman et part à l'étranger (Italie, Tunisie, Belgique, Allemagne...). Ensuite, il poursuivra ses voyages avec les tournées de ses différents spectacles. Proche des milieux nationalistes, inscrit au Parti communiste, il travaille un temps comme journaliste, notamment à «Alger républicain», seul journal de gauche géré en ces années-là par Henri ALLEG ; ce journal interdit en 1955, mais réhabilité en 1962, sera interdit en 1965, sous BOUMEDIENE, puis autorisé, à nouveau, à la suite des émeutes d’octobre 1988. Il collaborera avec «Mercure de France», la revue «Esprit» et les «Lettres françaises». En 1950, son père meurt, et ayant la charge de ses deux jeunes sœurs et sa mère malade, KATEB s'exile en Europe, où il fait éditer romans et pièces de théâtre. Il vit dans une extrême précarité jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance (1954-1962), principalement en France, harcelé par la direction de la surveillance du territoire (DST), et voyageant beaucoup. Dans le bouleversement terrible et euphorique de 1962, il rentre en Algérie, mais déchante rapidement. Il s’y sent «comme un Martien» et entamera une seconde période de voyages (Moscou, Hanoï, Damas, New York, Le Caire) : «En fait, je n’ai jamais cru que l’indépendance serait la fin des difficultés, je savais bien que ça serait très dur» dit-il.
KATEB Yacine est un poète du réalisme. «La réalité exprimée ici est celle du peuple algérien. (…) Il est permis à Nedjma du «Cadavre» de s’accomplir souterrainement jusqu’à devenir la femme des «Ancêtres», c’est l’Algérie, dramatique et toujours présente, qui anime la scène» écrit Edouard GLISSANT dans sa préface sur le «Cercle des représailles». KATEB revient à Paris, et monte la pièce «La femme sauvage», un autre nom de Nedjma. Il rentre en Algérie en 1972, où il dirige une troupe théâtrale que les autorités préfèrent reléguer à partir de 1978 au théâtre régional de Sidi-bel-Abbès, dans l'Ouest algérien. Il est confronté au manque d’actrices, de femmes qui travaillent au théâtre, ainsi qu’au manque de moyens financiers ; ce qui limite les déplacements, l’intendance (logement, nourriture), les décors, les costumes, la documentation et même la lumière. Mais il a pu toucher un public nouveau, notamment les jeunes. Fondateur de l’Action culturelle des travailleurs (A.C.T.), il joue dans les lieux les plus reculés et improbables, usines, casernes, hangars, stades, places publiques, avec des moyens très simples et minimalistes, les comédiens s’habillent sur scène et interprètent plusieurs personnages, le chant et la musique constituant des éléments de rythme et de respiration. «Lorsque j’écrivais des romans ou de la poésie, je me sentais frustré parce que je ne pouvais toucher que quelques dizaines de milliers de francophones, tandis qu’au théâtre nous avons touché en cinq ans près d’un million de spectateurs. (...) Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple ; je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier, même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes. Il faut faire une véritable révolution culturelle» dit-il.
KATEB Yacine abandonne l’écriture en français et se lance dans une expérience théâtrale en langue dialectale dont «Mohamed, prends ta valise», sa pièce culte, donnera le ton. «Nous travaillons toujours en arabe dialectal, pour la bonne raison que nous voulons toucher l’ensemble du public et pas seulement une partie du public. C’est-à-dire les gens du peuple, le grand public» dit-il. A travers son théâtre, il a voulu sensibiliser les Algériens sur l’Apartheid, ainsi que la guerre palestino-israélienne, et montant une pièce «Palestine trahie» qui retrace et remonte à l’histoire des religions, de manière à éclairer le présent. Il a été bouleversé par le massacre de Sabra et Chatilla. «Le Roi de l’Ouest» est un clin d’œil au conflit du Sahara Occidental. «Lorsque je suis allé au Vietnam, j’ai été frappé par le fait que les Vietnamiens ont porté presque toute leur histoire au théâtre, depuis l’invasion chinoise, il y a bien longtemps, plus d’un millénaire. Je voudrais faire la même chose en Algérie, c’est-à-dire porter notre histoire, ainsi que notre histoire brûlante actuelle, parce que là je touche à des thèmes d’actualité» dit-il.
Ses premières œuvres ont accompagné l'insurrection nationaliste contre le colonialisme français. Mais l'arrivée au pouvoir d'une bourgeoisie arrimée à l'arabe classique et à l'islam le conduit vers un autre combat. Surnommant les islamo-conservateurs les «Frères monuments», il appelait à l’émancipation des femmes, pour lui actrices et porteuses de l’histoire : «La question des femmes algériennes dans l’histoire m’a toujours frappé. Depuis mon plus jeune âge, elle m’a semblé primordiale. Tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai fait jusqu’à présent a toujours eu pour source première ma mère (...). S’agissant notamment de la langue, s’agissant de l’éveil d’une conscience, c’est la mère qui fait prononcer les premiers mots à l’enfant, c’est elle qui construit son monde». En lisant «l’histoire des Berbères et des dynasties» d’Ibn KALDOUN (1332-1406), il écrit et monte «La voix des femmes», présentée pour la première fois, le 3 juillet 1971, à Tlemcen. Cette pièce relate le rôle des femmes dans l’Histoire en partant de la Kahina (début du VIIIème siècle), également appelée Dihya, la Yemma ou la maman, une reine berbère, symbole de la résistance Amazigh aux conquêtes étrangères (Romains, Arabes, Turcs, Français). Il fut une époque où les femmes avaient voix au chapitre. Peu à peu, la voix des femmes disparait et il ne reste plus que le lointain écho qui s’éloigne de plus en plus de son émetteur. KATEB retrace le siège de Tlemcen, par les Mérinides et la fondation du Maghreb central (aujourd’hui l’Algérie), par la tribu des Béni Abdelwed, originaire des Aurès, dont le chef Yaghmoracen résista victorieusement aux rois de l’Est et de l’Ouest.
Ses prises de position, toujours attendues et toujours fidèles à l'esprit du soulèvement de 1954, n'ont jamais cessé d'appeler à la libération de l'Algérie. Ainsi en octobre 1988, quand il proteste contre la répression des manifestations algéroises «Moi, je veux être perturbateur, même au sein de la perturbation. Il faut révolutionner la Révolution. Elle a des ornières» dit-il. Il constate, dépité, que l’indépendance a été décevante : «Tout ce que je peux dire, c’est que rien n’a changé pour le prolétaire émigré, même si son pays est indépendant, bien au contraire». Il écrit en Arabe, une pièce «Mohamed, prend ta valise» L’engagement politique de KATEB détermina fondamentalement ses choix esthétiques : «Notre théâtre est un théâtre de combat ; dans la lutte des classes, on ne choisit pas son arme. Le théâtre est la nôtre. Il ne peut pas être discours, nous vivons devant le peuple ce qu’il a vécu, nous brassons mille expériences en une seule, nous poussons plus loin et c’est tout. Nous sommes des apprentis de la vie». Libérer l’Algérie, c’était lui rendre sa véritable langue et son histoire. Écrivain d’abord de langue française, langue dans laquelle il a découvert le sens du mot «Révolution», il se met rapidement à l’arabe dialectal algérien pour se faire entendre de son peuple. En effet, KATEB reconnaît, à son époque, que l’arabe littéraire n’était pas maîtrisé par la grande masse de la population, et cette langue s’est sclérosée et ne s’est pas modernisée, suffisamment. De sorte qu’écrire en Arabe n’est pas forcément un gage de l’accès à une audience plus grande. Il s’engage donc dans la valorisation de l’Arabe dialectal. En 1967, il décide de ne plus écrire que pour le théâtre et parcourt l’Algérie, à partir de 1970, avec sa troupe de théâtre La Mer de Bab El-Oued. Sa rencontre, grâce à Jean-Marie SERREAU, avec Bertolt BRECHT, a été celle d’un jeune dramaturge, doué mais encore peu connu, et d’un grand maître de la scène, sûr de lui et euro-centriste sans le sentir. Ce fut un échange court, un dialogue de sourds : A BRECHT, qui avait alors dit à KATEB que le temps de la tragédie était fini, le dramaturge algérien répondra avec aplomb que son pays était justement entrain d’en vivre une. Ils finiront cependant avec le temps par se rencontrer dans le monde des idées et tendre vers la convergence : BRECHT qui voulait un théâtre marqué par le sérieux et la «distanciation» finira par ouvrir son théâtre au rire et au chant comme moyens didactiques tandis que KATEB abandonnera lentement le monde du tragique pour s’orienter vers un théâtre populaire qui, utilisant les mêmes armes et outils, se voudra une leçon de sciences politiques. Il écrira le «Cadavre encerclé».
Pour KATEB, seule la poésie peut en rendre compte ; elle est le centre de toutes choses, il la juge «vraiment essentielle dans l’expression de l’homme». Avec ses images et ses symboles, elle ouvre une autre dimension. «Ce n’est plus l’abstraction désespérante d’une poésie repliée sur elle-même, réduite à l’impuissance, mais tout à fait le contraire (...). J’ai en tous les cas confiance dans[son] pouvoir explosif, autant que dans les moyens conscients du théâtre, du langage contrôlé, bien manié». Un «pouvoir explosif» qu’il utilisera dans «Le Cadavre encerclé», où la journée meurtrière du 8 mai 1945, avec le saccage des trois villes de l’Est algérien, Guelma, Kherrata et Sétif, par les forces coloniales, est au cœur du récit faisant le lien entre histoire personnelle et collective. KATEB a fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme mais aussi de la dictature post-indépendance qui n’a cessé de spolier le peuple. Il dénonce, avec férocité le fanatisme arabo-islamiste : «Les ennemis de la philosophie ont inventé le turban comme un rempart, protégeant contre toute science, leurs cranes désertiques» dit-il dans sa pièce, «la poudre d’intelligence». Et il dira, «le doute n’est qu’un grain de sable dans le désert de la foi».
Prix Jean AMROUCHE de 1963, KATEB Yacine obtient le Grand Prix national des lettres par l’Académie française en 1986. «Un grand écrivain ? Je suis un mythe plutôt. Je représentais jusqu’à présent un des aspects de l’aliénation de la culture algérienne. J’étais considéré comme un grand écrivain parce que la France en avait décidé ainsi» dit-il. Décédé en exil, le 28 octobre 1989, à Grenoble, sans avoir pu terminer les émeutes algériennes de la jeunesse du 5 octobre 1988 (contre le parti unique, la vie chère et la raréfaction des denrées de première nécessité ; les années 90 seront tragiques (plus de 150 000 morts, basculement dans le libéralisme), KATEB Yacine est inhumé au cimetière El Alia, dans la banlieue d’Alger, Oued Smar. Il avait trois enfants (Hans, Amazigh et Nadia). Dans le cortège où figurent des étudiants en lutte et des amis qui seront assassinés au cours de la décennie suivante, on chante l’Internationale en Tamazight. KATEB Yacine connaît toujours une popularité certaine en Algérie, où un colloque international lui a été consacré. En France, une bibliothèque municipale, au 202, Grand Place, à Grenoble, porte son nom. Ce «poète en trois langues», selon le titre du film que Stéphane GATTI lui a consacré, demeure un symbole de la révolte contre toutes les formes d’injustice, et l’emblème d’une conscience insoumise, déterminée à rêver, penser et agir debout. «Le vrai poète, même dans un courant progressiste, doit manifester ses désaccords. S’il ne s’exprime pas pleinement, il étouffe. Telle est sa fonction. Il fait sa révolution à l’intérieur de la révolution politique ; il est, au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur. Son drame, c’est d’être mis au service d’une lutte révolutionnaire, lui qui ne peut ni ne doit composer avec les apparences d’un jour. Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion» écrit-il. Rebelle à tous les pouvoirs, pourfendeur du colonialisme, de l'impérialisme et de tous les intégrismes, tout ce que la mort a fait de lui, c'est de le transporter du monde de la prétention à celui de la consécration. «Notre peuple sait bien qu’une guerre, comme la nôtre, n’ayant jamais cessé, ne sera jamais finie» écrit-il. Pour Edouard GLISSANT, KATEB Yacine n’est pas simplement un écrivain algérien, mais un écrivain du monde, il est l’un des plus grands écrivains du XXème siècle aux côtés de James JOYCE et William FAULKNER. Le temps serait-il donc un long mensonge ?
KATEB était avant tout un génie de la poésie, et il vouait une grande admiration pour l’émir Abdelkader (1808-1883), le nationaliste algérien.
J’ai caché la Vie d’Abdelkader.
J’ai ressenti la force des idées.
J’ai trouvé l’Algérie irascible. Sa respiration…
La respiration de l’Algérie suffisait.
Suffisait à chasser les mouches.
Puis l’Algérie elle même est devenue…
Devenue traîtreusement une mouche.
Mais les fourmis, les fourmis rouges,
Les fourmis rouges venaient à la rescousse.
Je suis parti avec les tracts.
Je les ai enterrés dans la rivière.
J’ai tracé sur le sable un plan…
Un plan de manifestation future.
Qu’on me donne cette rivière, et je me battrai.
Je me battrai avec du sable et de l’eau.
De l’eau fraîche, du sable chaud. Je me battrai.
J’étais décidé. Je voyais donc loin. Très loin.
Je voyais un paysan arc-bouté comme une catapulte.
Je l’appelais, mais il ne vint pas. Il me fit signe.
Il me fit signe qu’il était en guerre.
En guerre avec son estomac, Tout le monde sait…
Tout le monde sait qu’un paysan n’a pas d’esprit.
Un paysan n’est qu’un estomac. Une catapulte.
Moi j’étais étudiant. J’étais une puce.
Une puce sentimentale… Les fleurs des peupliers…
Les fleurs des peupliers éclataient en bourre soyeuse.
Moi j’étais en guerre. Je divertissais le paysan.
Je voulais qu’il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant mon père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière.
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Nedjma, c'est un amour d'enfance, c'est la femme éternelle, c'est l'Algérie. Nedjma, c'est l'obsession du passé, la quête de l'inaccessible, la résurrection d'un peuple. Nedjma, c'est la femme-patrie. Publie en pleine guerre d'Algérie, Nedjma échappe cependant, comme toutes les œuvres majeures, aux circonstances de sa naissance et s'impose quarante ans après, comme l'un des romans contemporains les plus forts.
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