Deux mil quatorze, année de quatre anniversaires : Des Allemands, d’abord, farouches adversaires, Ensuite les nazis et un débarquement, Pour sauver une France au bord du reniement. Puis la fin des combats dans cet Extrême-Orient Dont on parle si peu, vu son éloignement. Enfin, la « Der des Der » comme nous l’espérons ! Celle qui nous concerne et n’avait pas de nom ; « Evénements » d’abord et puis « Maintien de l’ordre » Puis « Pacification » mais toujours la discorde Cette guerre qui dure et qui ne finit pas Porte des souvenirs qui sonnent comme un glas, Laissant sur le terrain trente mille soldats Dans cette guerre atroce aux horribles combats !
Je me souviens très bien l’Ecole d’Officiers Où l’on nous apprenait à tuer sans pitié, Et moi, j’avais vingt ans, je ne comprenais rien Et je m’exécutais en faisant mieux que bien. Je sors sous-lieutenant, choisis mon régiment J’opte pour l’Allemagne où nous sommes présents : C’est vous dire l’envie de l’Algérie française Et de donner ma vie pour défendre une thèse ! Je passe à Tübingen et comme aide de camp Auprès d’un général direct et compétent Dix mois à dialoguer avec des étudiants Et à perfectionner ainsi mon allemand !
Avril soixante et un : retour en Algérie Dans ce si beau, si grand et si rude pays. La guerre va cesser restent les attentats ; F.L.N, O.A.S, pieds-noirs et fellaghas. « Barrage » face à moi, et puis la Tunisie Et des « harcèlements » entrecoupent nos nuits Seul avec mon radio qui, près de moi, mourra Et vingt-deux autres gars, braves petits soldats. Attente et déception durent quatorze mois Pendant lesquels la vie nous file entre les doigts. Notre cessez-le-feu, si cher à notre cœur Passa inaperçu dans notre sous-secteur ! Et c’est le lendemain par message radio Que j’apprends la nouvelle et transmets illico
En juin soixante deux je rentre donc en France Ne croyant plus en rien, ni foi, ni espérance Il me faut bien six mois pour retrouver l’espoir D’un monde un peu moins triste et qui se laisse voir. Le travail me reprend et la chance un beau jour Me fera rencontrer Les Parapluies d’Cherbourg !…
Derrière mon récit, banal en quelque sorte C’est la vie de chacun que le souvenir porte : Tous, nous avons vécu, selon nos régiments, Bien sur dans d’autres lieux et dans d’autres moments Que la vie militaire et la guerre mêlées Nous ont fait vivre hélas ! sans l’avoir désirée, Cette aventure inouïe et qui nous dépassait Dont on voyait pourtant paraître les effets. Sans espoir, sans pitié, nous étions les pantins D’un théâtre effrayant qui paraissait sans fin.
Il reste près de nous nos trente mille morts Que nous n’oublions pas dans ce triste décor, Unis pour aborder cette année dans l’action Afin que nos souhaits, nos revendications Soient accueillis enfin sous un ciel tutélaire Et nous fassent rester ensemble solidaires. Ne lâche rien, mon gars, demeure vigilant Et que l’année en cours te conserve vivant Prêt à intervenir, à défendre tes droits Pour notre dix neuf mars, la FNACA et la loi !
A DJILALLI ZIOU
Mais qu’est donc devenu mon compagnon, mon frère Partageant avec moi, les joies et les misères ! Moi, gars de métropole, et lui, bon musulman, Nous venions de quitter tous deux notre maman. Il avait un prénom musical et discret, Et un nom qui claquait comme un coup de mousquet : Djilalli ZIOU, ainsi s’appelait mon ami Tout droit venu de son étrange Kabylie, Montagneuse et secrète, ambitieuse et loyale, Un peuple à elle seule, isolée et royale. Il aimait comme moi Debussy et Ravel J’admirais avec lui les couleurs du djebel Lorsque la nuit venait emportant avec elle Des éclats de soleil aux teintes irréelles.
C’est à Cherchell, alors école d’officiers Que nos deux jeunes vies se sont alors liées : La même compagnie et la même section Très naturellement scellèrent notre union, Exercices de tir, marches forcées de nuit Compensaient largement tout sentiment d’ennui Surtout exécuter et ne pas réfléchir Et puis, par-dessus tout : obéir, obéir ! Ainsi, rapidement, nos six mois prirent fin Et l’on se retrouva sous-lieutenant ….enfin ! Fidèle à ses valeurs, il choisit la légion Moi, en bon Alsacien, j’optais pour ma région ! L’éloignement, hélas, joua son rôle amer Quelques courriers anxieux, des lettres éphémères, Puis un silence lourd, plus un mot, plus un signe, La guerre se poursuit, impudique et maligne, Du « je vous ai compris » au quarteron perfide, De « valise ou cercueil » à l’OAS avide ! Entretemps l’Algérie m’avait récupéré : Barrage tunisien, blockhaus et barbelés, Nuits de veille et d’attente, harcèlements torrides, Lourde promiscuité, solitude morbide. Et le temps qui s’écoule et qui traîne avec lui Ou bien un fol espoir, ou bien un lourd ennui.
Il était plus qu’un frère, il était mon ami, Le temps a fait son œuvre et généré l’oubli. Mes recherches poussées restent infructueuses Le souvenir demeure, objet des heures creuses Et puis soudain, un signe, oh certes, minuscule D’un « copain » oublié qui un jour me bouscule Au détour d’une rue, et qui me reconnaît ! Il cherche des contacts, renouer les lacets, Et nous voilà partis, retrouvant le passé, Evoquant souvenirs et jeunesse brisés ; Et puis, un nom qui perce, au fond de ma mémoire, La bouteille à la mer, dernier et fol espoir : « Te souviens-tu de Ziou ? « son prénom » ? Djilalli ! Et l’image sortie peu à peu de l’oubli, On consulte l’armée, on monte des recherches, On tresse des filets et on lance des perches, Notre ténacité fut bien récompensée : Enfin on retrouva les traces effacées :
Djilalli le Kabyle habite à Annaba Où il a retrouvé son bordj et sa casbah, Il attend son ami, ses souvenirs, son frère, Pour retracer aussi nos deux itinéraires, Pour renouer les liens qui unissent deux vies Et, pourquoi pas, enfin, relier nos deux pays.
Un poème sur la mort d’une jeune soldat halluinois, Régis Verschae, Maréchal des Logis au 30ème Régiment des Dragons, survenu le 22 janvier 1961 durant la Guerre d’Algérie, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans, et qu'il aurait dû être libéré dix jours plus tard.
Poème que l’on peut dédier à la mémoire de tous les combattants qui y ont laissé leur vie.
Sur la mort d’un soldat
Il était jeune et beau, son âme restait tendre.
Il git sous un ciel bleu. Serait-il mort en vain ?
Il ne connaîtra plus les ciels brumeux de Flandre
où le pain ne pourrait être bon sans levain.
Les kabyles, là-bas, l’ont connu sous les armes,
ils l’ont vu professeur et puis encor soldat.
Ils surent qu’un Français ne verse pas de larmes
mais qu’il n’en aime point pour autant le combat.
Il n’est pas ici-bas de souffrances stériles.
« Heureux chantait Péguy, les épis moissonnés ».
Sont-ils heureux vraiment ? Du moins ils sont utiles
et sous la faux ils sont parfois prédestinés.
«Une âme, tu le sais, ne meurt pas toute entière ».
Ainsi parlait jadis le poète latin.
Pour toi, jeune Français, est close la carrière
dans l’orbe où s’est inscrit, hélas, ton court destin.
En mon pays natal, des amours m’étaient chères
et dans mon bled lointain formaient mon seul avoir.
Adieu ! Qu’à ces amours ma voix familière
Redise encor ces mots : amour, espoir, devoir ! »
Ta tombe va s’ouvrir un jour au cimetière
où, petit enfant, tu trottais d’un pas léger ;
en la glèbe d’argile et sous une bruyère,
il te sera, crois-nous, un frais et doux verger.
Régis, ô notre ami, tu n’avais pas de frère.
Se brise une lignée où manque un seul chaînon.
Dis-nous. Que restera-t-il de toi sous la pierre ?
…………………………………………………
« Sur une croix de bois, mon nom, mon simple nom ».
L'Algérie européenne occupait les villes, l'Algérie musulmane les bidonvilles.
L'Algérie européenne couvrait les meilleures terres, l'Algérie musulmane prenait les petits champs secs.
L'Algérie européenne avait des routes, des écoles, des services publics, l'Algérie musulmane comprenait des populations non recensées, non administrées, non soignées, non instruites.
C’était le colonialisme français.
Le conflit en Algérie pouvait-il faire l'économie de la violence ?
Chers amis, j'emploie d'emblée cette formule, que certains d'entre vous repousseront avec effroi, mais je persiste à penser qu'avec vous, il faut d'urgence rétablir le dialogue, dévoyé par vos pires ennemis qui se prétendent vos défenseurs, les anciens de l'OAS, terroristes toujours pas à la retraite.
Donc, oui, nous, les citoyens, porteurs d'un regard extrêmement critique sur le bilan du colonialisme, sommes, que vous le vouliez ou non, vos véritables soutiens, vos seuls défenseurs. Car vous avez été des victimes du colonialisme.
Chers amis, donc, connaissez-vous le capitaine Edmond Pellissier de Reynaud ?
Non sans doute, car les manuels d'histoire de l'Algérie en parlent peu. Alors, je vous en prie, reportez-vous à ses Annales algériennes, publiées en... 1836. Il y prône la fin de la violence dans la conquête, puis un rapprochement des peuples « arabe » et français. Faute de quoi, prévient-il, « ce serait entre eux et nous une guerre incessante, où la France dépenserait son sang et son argent. Le système de fusion est donc le seul applicable ; s'il est impossible, il faut s'en aller, et le plus tôt sera le mieux ». La « fusion » des peuples était sans aucun doute une utopie. Mais, cette illusion ôtée, reste le fond du raisonnement : respectons ce peuple. Écrit en 1836!
Ce courant, que ses détracteurs appelaient, avec une nuance de mépris, indigénophile, a toujours existé. Toujours, en Algérie, il s'est trouvé des Français - oui, vos ancêtres, pieds-noirs ! - pour dénoncer la morgue, le racisme, les inégalités, la répression. Toujours, en métropole, il s'est trouvé des politiques, pour (tenter d') esquisser des solutions acceptables par tous, il s'est trouvé des intellectuels pour appeler à la compréhension, à l'estime, au respect des indigènes.
Mais, chers amis, vous savez bien que ce furent des voix criant dans le désert, des protestations brisées sur le mur des certitudes de la majorité de vos aïeux. Est-ce qu'une fois, en cent trente-deux années de domination coloniale, de telles solutions ont été en mesure de l'emporter ? Le royaume Arabe cher à Napoléon III (qui ne fut pas petit en cette affaire) s'est brisé sur l'hostilité des colons. Tout comme la politique de compréhension voulue par Maurice Viollette. Et le grand espoir du Front populaire, si vite brisé, avec ce pourtant si timide Projet Blum-Viollette, mort-né parce qu'une partie de la communauté française d'Algérie criait à la révolution ? Et la terrible réponse de mai 1945 aux premiers drapeaux algériens arborés à Sétif ? Et Ferhat Abbas, le plus modéré des leaders algériens, en prison ? Et le statut de l'Algérie, deux ans plus tard, qui, bien que limité lui aussi dans ses ambitions, ouvrait quelques possibilités d'expression aux Algériens, si vite trahies par le trucage des élections à la Naegelen ?
Entendons-nous bien. Ce pays de coexistence harmonieuse entre les communautés n'aurait en aucun cas fait l'économie de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie. L'Algérie algérienne était inscrite dans l'Algérie française, quelles qu'eussent été les politiques suivies. Mais le racisme ambiant a interdit à la majorité d'entre vous, amis pieds-noirs, d'imaginer même ce type de solution, ce type de société égalitaire. La valise ou le cercueil. Regardez la vérité en face : c'est l'adhésion de certains d'entre vous, la tolérance de beaucoup d'autres, vis-à-vis des thèses et des actions des ultras qui vous ont contraints à ce choix si terrible.
Et aujourd'hui ? Certes, toute généralisation est hâtive. Certes, sans enquête statistique, sans sondage, il est bien difficile de savoir ce que pense la majorité d'entre vous. Mais le moins que l'on puisse écrire est qu'une partie de votre communauté, celle qui s'exprime le plus bruyamment, persiste dans cette attitude. Paraphrasant Prévert, on pourrait écrire : «Depuis dix, vingt, quarante ans, cinquante ans ils cultivent la même idée fixe... et ils s'étonnent de ne pas avancer.» Voire de régresser. Le drame est que ce courant empêche les évolutions nécessaires, quant à l'évaluation du passé colonial ; plus grave : quant à la nature et à la qualité des relations de la France avec ses anciennes colonies. Le laisserons-nous « bloquer l'Histoire » ? (2)
Amis pieds-noirs, encore un effort !
Alain Ruscio
(1) Dernier ouvrage publié : Falsifications et instrumentalisations, les Indes Savantes, 2007 (codirigé avec Sébastien Jahan).
(2) Selon l'expression qu'utilisait Pierre Nora en 1961 (Les Français d'Algérie, Julliard).
Ces témoignages peuvent être complétés
par ce livre
Présentation
Enfance gâchée par la seconde guerre mondiale, bombardements, privations, situations traumatisantes, village occupé par l'armée allemande.
Jeunesse gâchée par la guerre d'Algérie, 15 ans après, opérations inhumaines, actions, missions dangereuses, village occupé par l'armée française, pacifiquement.
A l'effigie de l'auguste Marcel PROUST, qui découvre dans le pouvoir d'évocation de la mémoire instinctive qui réunit le passé et le présent en une même sensation retrouvée, sa "petite madeleine" trempée dans le thé, fait revivre, par le rappel du goût d'une saveur oubliée, toute son enfance.
Dans la préface, il est dit que c'est la "petite mitraillette" à la main en arrivant dans ce bled d'Algérie, qui fait revivre par le rappel du dégoût d'avoir à subir une autre guerre, toute aussi cruelle que celle de son enfance !
Tout au long de ce récit, il a fallu juxtaposer les mêmes événements de 1944 et de 1959. Et c'est très étonnant !
Nous, anciens combattants, ne recherchons plus ce" temps perdu", mais ces années gâchées, le boucan infernal des avions en piqué, du canon et de la mitrailleuse, cette peur quotidienne, nous ne pourrons les oublier.
D'aucuns ont dit que nous avions "un devoir de mémoire".
D'aucuns pourront critiquer cette attitude. Qu'ils essaient d'en faire autant : nous sommes les derniers combattants.
Cinquante-six ans après la signature des accords d’Évian en mars 1962, le documentaire Troufions donne la parole à cinq soldats français qui ont fait la guerre d’Algérie comme simples appelés. Ces hommes âgés aujourd’hui de 75 ans et plus se sont tus obstinément durant toutes ces années, sans rien confier à leurs parents, leurs femmes ou leurs enfants. Ils décident de parler pour la première fois, avant qu’il ne soit trop tard.
Troufions permet de faire remonter à la surface la parole enfouie de ces vétérans, car leur mutisme intime n’est pas une amnésie. Au contraire, le conflit algérien est encore pour eux une plaie ouverte.
Ce film délie ces hommes de leur silence et récolte une parole juste sur leurs souffrances secrètes et leurs blessures invisibles. Il interroge les séquelles et les stigmates d’une guerre si peu racontée. Ces hommes mémoires sont paysans, ouvriers, ou fonctionnaires, ils avaient vingt ans et n’étaient que de simples troufions.
Algérie : des "troufions" bouleversants
Ils avaient 20 ans pendant la guerre d'Algérie. Ils étaient simples soldats et sortent aujourd'hui du silence dans un documentaire poignant.
Il paraît que les hommes qui pleurent ont du charme. Alors vous en aurez en regardant« Troufions » Avec cinq hommes, qui avaient 20 ans quand on les a arrachés à leurs vaches, à leur chantier naval et à leur fiancée, pour aller "pacifier" l’Algérie, puisqu'on ne disait pas "guerre". Cinq hommes qui n'ont jamais parlé et qui parlent. On regarde leurs belles mains qui tremblent, les larmes qui s'allument au fond de leurs yeux. On les écoute raconter le voyage à fond de cale, leur arrivée dans ce pays inconnu où ils prennent les femmes voilées pour des bonnes soeurs et leur candeur vitrifiée par le conflit. Un film de plus sur l'Algérie ? Non, un film sur les hommes et la guerre, sur les choix qu'on fait ou qu'on ne fait pas et qui vous gangrènent la vie. Il est question de "gégène" et de "faire son travail", de "12.7" et de "baignoire", mais surtout des "copains", de la foi en Dieu, de la "trouille" et de l'orgueil, d'un petit garçon qui refuse le bonbon que vous lui tendez et qui vous dit pourquoi : "Vous avez tué mon père hier." Ces hommes sont beaux et brisés. Filmés devant leur établi, sur leur petit bateau, avec leur bétail ou avec le cahier où, d'une écriture fine, ils ont consigné l'horreur, ils disent des phrases simples et superbes sur l'enfer qu'est la guerre à 20 ans et ce à quoi se résume une vie d'homme. On s'excuse, on ne les a pas notés parce qu'on pleurait. Comme eux.
56 ans après l’indépendance et la fin de la guerre, l’Algérie a besoin de mémoire, non pas de la mémoire officielle entretenue des deux côtés mais de la mémoire individuelle, celle des gens qui ont vécu dans ce pays, avant la guerre, pendant ce que l’on appelle l’époque coloniale, puis au moment de la guerre d’indépendance, jusqu’en 1962. La mémoire de l’Algérie a été trop longtemps confisquée par les deux interprétations, voire propagandes, d’une part celle qui chante la civilisation de la colonisation et ses apports, et de l’autre, celle qui dénonce cette colonisation comme un crime. Les historiens des deux côtés n’ont pas manqué de tomber dans la caricature de ce que les Algériens eux-mêmes nomment aujourd’hui, de façon plus neutre, « le temps des Français ». C’est pourquoi la publication depuis quelques années par les éditions Bleu autour d’une série de livres de mémoire autour des individus qui ont vécu en Algérie, en particulier leur enfance, fournit des témoignages précieux qui, bien souvent, vont à l’encontre de ces visions stéréotypées : L’enfance des Français d’Algérie avant 1962 (2014), Une enfance dans la guerre, Algérie 1954-1962 (2016), chaque fois sous la direction de Leïla Sebbar, en sont le meilleur exemple.
Ce nouveau livre, Á l’école en Algérie des années 1930 à l’indépendance, est très important pour mieux comprendre, en toute sérénité et équité, une situation complexe et souvent déformée par le récit historique officiel et même par certains spécialistes institutionnels de l’Algérie : donner une parole libre à plus d’une cinquantaine d’adultes, hommes et femmes, européens ou algériens, de générations et d’origines différentes, qui ont vécu en Algérie, est une entreprise courageuse qu’il faut saluer.
Dans une excellente préface, la coordinatrice de ce volume, Martine Mathieu-Job, souligne le caractère de ce travail de « collecte de mémoire » et rappelle, par ailleurs, ce qui le sépare des travaux antérieurs élaborés par des historiens et des sociologues. Elle met en évidence l’intérêt de ces récits subjectifs, en employant l’expression très heureuse « d’une école française de l’Algérie coloniale » plutôt que le contraire : une école coloniale de l’Algérie française. La nuance est essentielle. Elle traduit le large éventail des représentations, issues des différentes communautés : arabe, berbère, juive, européenne. Elle évoque la variété des situations, l’ambition et l’ambiguïté des projets scolaires de la France en Algérie dans ce contexte colonial qu’elle reflète. Qui se développèrent partout, dans de grandes villes comme Alger, Constantine ou Oran, mais aussi dans des petites comme Orléansville, Tiaret, Djelfa, Sidi bel-Abbès, Messania, Sétif, Bône, Blida ou Tirmitine.
Pourtant, si l’on comprend aisément la coupure finale, en 1962, on peut regretter qu’elle ne justifie pas plus précisément le choix de cette décennie, 1930, pour le début des récits. Probablement la limite imposée par la date de naissance des contributeurs qui ont fourni un récit inédit de leur scolarité.
Ces récits ont tous une grande qualité littéraire, qui s’explique par la réussite sociale de la plupart d’entre eux, comme l’attestent les CV judicieusement placés à la fin de chaque récit. Tous ces enfants d’Algérie sont devenus des écrivains, des universitaires, des scientifiques de renommée. Cela rend d’autant plus intéressante la lecture de ces récits, sortes de mini nouvelles, dont la sincérité et même l’ingénuité contrastent avec le sérieux de leur carrière ou de leurs travaux.
Chaque texte a sa singularité mais ils rendent tous, sans exception, un vibrant hommage à la figure de l’instituteur, profondément respecté, qui recevait une formation pédagogique excellente dans les écoles normales d’Alger (la fameuse école de la Bouzareah) et d’Oran, qui restent des modèles pour les anciens élèves. Ces femmes et ces hommes, en majorité des européens mais aussi quelques musulmans, sont vus et conservés dans leur mémoire, comme des modèles de sérieux, de dévouement et de compétence, des « héros de l’instruction » « des hussards noirs », des « représentants idéaux de l’instituteur laïque français », des « figures tutélaires de l’enfance ». Il est remarquable de constater le souvenir parfait que ces adultes ont de leurs maîtres et maîtresses, de leurs noms, de leur façon de s’habiller, de leurs tics, des leçons qu’ils donnaient. On ressent leur émotion à retrouver ces figures qui les ont marqués à jamais.
Tous les auteurs parlent avec affection des classes, de la cour, de l’ambiance des cours avec les pupitres, l’encrier, les devoirs, le tableau, les récitations, les dictées. On est frappé par la précision des souvenirs, on a l’impression de revivre avec eux ces moments de bonheur et d’apprentissage. La mémoire reconstitue précisément le chemin de l’école, les édifices, les cours. On peut se demander pourtant si on n’aurait pas les mêmes souvenirs avec des récits d’écoliers de n’importe quelle province française, à la même époque.
La spécificité de l’école en Algérie tient en plusieurs points précis et significatifs. On se rend compte, d’abord, que les élèves algériens étaient en minorité, bien que plus nombreux qu’on ne le dit habituellement, et qu’ils ressentaient, plus ou moins consciemment, par ailleurs, comme un manque, avec l’absence de l’enseignement de leur langue et de leur culture. Mais on constate aussi, chez les petits européens, le même phénomène, différent certes mais non moins problématique ou déstabilisateur. En effet, les enfants des maltais, des espagnols, des corses et des exilés de toutes sortes qui constituent l’essentiel de ce que l’on va appeler plus tard le peuple cosmopolite des pieds noirs, éprouvaient la même distance, le même décalage entre ce qu’on leur enseignait et ce qu’ils vivaient au quotidien. La France était pour eux un pays étranger, ils n’en connaissaient ni l’histoire ni la géographie. Ils apprenaient pourtant par cœur le nom des préfectures et des sous-préfectures, les départements, cela constituait un imaginaire étrange. Comme le dit l’un des auteurs « Chaque jour à l’école nous quittions l’Algérie pour quelques heures ». Un autre ajoute : « Je vivais en Algérie mais les livres me racontaient la France »
Une anecdote est significative, quand un jour une institutrice leur demande en rédaction de raconter une promenade au zoo de Vincennes où l’élève n’avait jamais mis les pieds. La France n’existait que dans les livres ou dans la littérature, la France c’était d’abord la littérature avec ses grands auteurs, découverts avec ravissement (La Fontaine, Hugo, Dumas, Verne, Daudet) la langue française qu’on leur enseignait avec amour. On leur parlait de la Loire mais jamais du Rhumel à Constantine. La France apparaissait comme la terre de la verdure, de la richesse. L’un dit « Je suis donc né en France dans un département français d’Algérie comme je croyais que d’autres étaient nés dans le Cantal ». La France c’était d’abord l’école et les maîtres.
La nouveauté de ce livre est de montrer combien était complexe l’enseignement dans l’école en Algérie. Tous les récits soulignent le regret, avoué par les adultes qui racontent avec la distance du temps, de ne pas avoir mélangé les langues, les cultures, les religions. Il souligne le décalage entre la réalité du pays et l’enseignement de l’école. Cela peut être une des clés du problème de la colonisation : la générosité de cet enseignement laïc et républicain et son décalage avec la réalité du pays et des peuples concernés. On constate cette prise de conscience non seulement chez les jeunes algériens, ce qui, somme toute, est logique et provoque une révolte, mais aussi chez les jeunes européens d’origines diverses dont on se rend compte qu’ils étaient assez peu français et qui ne comprennent pas. L’Algérie était française administrativement, architecturalement et politiquement. Elle ne l’était pas humainement ni sociologiquement. On touche là peut-être la source de tout ce qui s’est passé plus tard. Par exemple, quand l’élève algérien dit en regardant la carte géographique de la France « la France, c’est pas chez moi ». Une jeune fille algérienne avoue ne pas avoir compris le célèbre slogan : « la France de Dunkerque à Tamanrasset. Je voyais bien la ligne mais que faire de la mer » et d’ajouter : « J’ai appris l’histoire des gaulois comme une fiction, celle de l’émir Abdelkader comme une épopée »
Apparaît très vite un problème de double identité, surtout pour les musulmans ou les franco-musulmans, une élève dit : « Chaque matin dans ma classe j’ai appris que je n’étais pas vraiment française et pas arabe non plus. » Elle n’appartient à aucun des deux camps, ou alors elle est dans les deux. Elle entend parler français à l’école et arabe à la maison. Au-dessus de tout, en dépit de tout, la langue française est admirée par tous.
On perçoit dans ces récits très personnels, parfois intimes, les clés essentielles pour comprendre l’histoire de l’Algérie et le drame collectif qu’elle a vécu : un jeu d’équilibre et de passage entre deux mondes, et la présence à côté de l’école publique laïque à côté des écoles religieuses : catholiques, juives, coraniques. On redécouvre l’importance de la communauté juive et le traumatisme que représentèrent, pour elle, les décrets de 1940. Et le rôle d’une communauté judéo-arabe, à Constantine en particulier, que la guerre brisa. Bien entendu, à partir de 1954, la guerre avec son cortège d’attentats, de révoltes, de répression envahit l’espace de l’école, sans en ternir l’image, comme si on voulait la protéger de l’horreur. Un des témoignages se termine par cette phrase terrible : « Fini le temps des carreaux bleus et roses, il faut juste éviter de tacher son tablier de rouge sang ». Avec un symbolisme terrifiant, la guerre d’Algérie commença par l’assassinat d’un instituteur européen, Guy Monnerot, le 1 novembre 1954, et dans son final sanglant par celui de l’écrivain algérien Mouloud Feraoun en mars 1962…
Ce beau livre rend un hommage mérité et équilibré à toutes ces femmes et ces hommes de bonne volonté… comme le fit l’écrivain Nourredine Saadi, dans son texte très émouvant, dédié à son ancienne institutrice, Madame Jevakini dans son souvenir, en fait Madame Giovacchini, retrouvée par hasard à Bastia, en 2006, et avec laquelle il eut le temps de correspondre. Nourredine Saadi est décédé quelques semaines avant la parution du livre…
Comme elles en ont l’habitude, les éditions Bleu autour apportent une grande attention à l’iconographie. Les photos qui accompagnent chacune des contributions sont un autre texte : photos traditionnelles de classe, avec les élèves rangés sagement à côté de leurs maîtres, une ardoise au centre indiquant la classe et l’année, photos de l’école elle-même, des groupes scolaires, des distributions des prix, photos des paysages autour de l’école. On y décèle l’origine souvent humble des enfants, fils d’artisans, de mécaniciens, de fonctionnaires, de comptables, d’instituteurs, de paysans, rarement de colons.
Enfin des repères chronologiques précis portent sur l’histoire de l’enseignement en Algérie, depuis 1831 jusqu’en 1955, avec tous ses avatars, qui cherchèrent à corriger les injustices du début par rapport à une population musulmane plus nombreuse mais souvent à l’écart dans des zones rurales et souvent montagneuses. Avec un constant souci pédagogique, parfois d’avant-garde comme le prouvent des annexes illustrées qui présentent quelques exemples d’ouvrages conçus pour un enseignement adapté au contexte algérien, parus dans les années 50 : Je parle et je lis le français, La lecture liée au langage, Salah et Saliha, Lecture et langage, La main dans la main, Les Lectures de l’Afrique du Nord, L’ami fidèle, livre unique de français, L’Algérie, Histoire et Géographie, Histoire de France et d’Algérie de A. Bonnefin et M . Marchand, Arboriculture. Autant de documents pédagogiques précieux.
Publié par Jean-Pierre Castellani
À l’école en Algérie des années 1930 à l’indépendance, coordination Martine Mathieu-Job, éditions Bleu autour, mars 2018, 362 p., 25 €
Jacques de Bollardière, le général qui refusa la torture
C’est dingue ça, le militaire le plus décoré de la Résistance a été le seul à avoir dénoncé la torture en Algérie, il a fait 2 mois de forteresse, a viré non-violent puis anti-nucléaire, et je n’avais JAMAIS entendu parler de lui !
On honore les résistants aux nazis, un petit peu moins à ceux contre Vichy (c’est compliqué etc.), mais il ne faut pas faire trop de pub aux militaires qui ont résisté à l’État tortionnaire (en Algérie ou ailleurs)….
Un héros, super connu il y a 50/60 ans :
et hop, rayé des mémoires !
Après le soldat inconnu, le général inconnu…
Seconde partie du billet sur la quasi-censure du documentaire de 1974 lui ayant été consacré… (dingue, sans Gazut, on n’aurait presque rien sur lui…) Eh, devenez cinéastes les jeunes !
Le documentaire caché : le général non-violent
Eh bien comme les grandes chaînes ont caché ce documentaire pendant 40 ans, on va le montrer ici – et je vous encourage à en faire de même…
Source : Youtube, André Gazut
Il y a cinquante ans, le général Jacques de Bollardière condamnait la pratique de la torture
Jacques de Bollardière est le seul officier supérieur à avoir condamné ouvertement la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie.
En 1957, il tente par tous les moyens de dénoncer “certains procédés” en vigueur dans la recherche du renseignement en Algérie. Sa prise de position publique lui vaut une sanction de soixante jours d’arrêt …
Jacques Paris de Bollardière est né le 16 décembre 1907, à Châteaubriant. Il sort de Saint-Cyr en 1930. En 1939, il est lieutenant à la Légion Étrangère dans le Sud marocain ; il reçoit le baptême du feu à Narvick.
Résistant de la première heure, il rejoint l’Angleterre en juin 1940, et participe à tous les combats des F.F.L. avec la 13e Demi-brigade de la Légion Étrangère. En avril 1944, il commande la mission Citronnelle dans le maquis des Ardennes. Jacques de Bollardière a été le soldat le plus décoré de la France libre : grand officier de la Légion d’honneur, compagnon de la Libération, deux fois décoré du DSO (Distinguished Service Order ) …
Après un commandement en Indochine à la tête des troupes aéroportées, il est instructeur à l’École de Guerre. En 1956, il est muté en Algérie, et, en juillet de la même année, il est nommé général.
Jacques de Bollardière tente par tous les moyens de dénoncer “certains procédés” en vigueur dans la recherche du renseignement.
En mars 1957, il demande à être relevé de son commandement en Algérie – sa lettre à Salan lui demandant de le relever :
Au même moment, Jean-Jacques Servan-Schreiber, redevenu directeur de l’Express, est inculpé d’atteinte au moral de l’armée pour avoir publié plusieurs articles relatant son expérience algérienne et dénonçant l’attitude du gouvernement français. Il demande alors à son ancien chef, de Bollardière, de lui écrire une lettre de soutien ; celle-ci parut dans l’Express du 29 mars 1957 :
Le 21 mars 1957
Mon cher Servan-Schreiber,
Vous me demandez si j’estime que les articles publiés dans « L’Express », sous votre signature, sont de nature à porter atteinte au moral de l’Armée et à la déshonorer aux yeux de l’opinion publique.
Vous avez servi pendant six mois sous mes ordres en Algérie avec un souci évident de nous aider à dégager, par une vue sincère et objective des réalités, des règles d’actionà la fois efficaces et dignes de notre Pays et de son Armée.
Je pense qu’il était hautement souhaitable qu’après avoir vécu notre action et partagé nos efforts, vous fassiez votre métier de journaliste en soulignant à l’opinion publique les aspects dramatiques de la guerre révolutionnaire à laquelle nous faisons face, et l’effroyable danger qu’il y aurait pour nous à perdre de vue, sous le prétexte fallacieux de l’efficacité immédiate, les valeurs morales qui seules ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre Armée.
Je vous envoie l’assurance de mon estime …
Note Berruyer : Il y avait une vraie presse à l’époque…
Sa lettre fait grand bruit et lui vaut, le 15 avril, une sanction de soixante jours d’arrêt à la forteresse de la Courneuve. Après quoi il est mis à l’écart : nommé successivement en Afrique centrale (A.E.F.), puis en Allemagne.
Le putsch d’Alger d’avril 1961 l’amène, à 53 ans, à prendre une retraite prématurée : “le putsch militaire d’Alger me détermine à quitter une armée qui se dresse contre le pays. Il ne pouvait être question pour moi de devenir le complice d’une aventure totalitaire”.
Il s’occupe alors de formation professionnelle des adultes. Quelques années plus tard, il est l’un des fondateurs du Mouvement pour une Alternative non-violente, et publie en 1972 : Bataille d’Alger, bataille de l’homme.
Jacques de Bollardière s’est toujours référé à son éthique chrétienne, pour affirmer le devoir de chacun de respecter la dignité de l’autre. Il a écrit : “La guerre n’est qu’une dangereuse maladie d’une humanité infantile qui cherche douloureusement sa voie. La torture, ce dialogue dans l’horreur, n’est que l’envers affreux de la communication fraternelle. Elle dégrade celui qui l’inflige plus encore que celui qui la subit. Céder à la violence et à la torture, c’est, par impuissance à croire en l’homme, renoncer à construire un monde plus humain.”
Jacques de Bollardière est décédé en février 1986, mais sa veuve, Simone de Bollardière, est l’une des signataires de l’appel des douze : le 31 octobre 2000, douze personnes, dont Henri Alleg qui survécut à “la question” et Josette Audin veuve d’un jeune mathématicien qui succomba, ont demandé une condamnation publique de l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie.
L’inacceptable
« Vers le début de janvier 1957, tout s’accéléra soudain et devint menaçant. Une violente poussée de terrorisme plonge Alger et sa région dans la fièvre. Pour faire face à la situation on met en place une nouvelle organisation de commandement dans laquelle mon secteur se trouve englobé. Le général Massu, commandant la 10ème Division parachutiste, en est le chef. Les pouvoirs civils abandonnent entre ses mains la totalité des pouvoirs de police qu’il décentralise aussitôt jusqu’au dernier échelon de la hiérarchie dans la division parachutiste. […]
Des directives me parviennent, disant clairement de prendre comme premier critère l’efficacité et de faire passer en priorité les opérations policières avant toute pacification. Des femmes musulmanes atterrées, viennent m’informer en pleurant que leurs fils, leur mari, ont disparu dans la nuit, arrêtés sans explication par des soldats brutaux en tenue camouflée et béret de parachutistes. […]
Quelques heures plus tard, je reçois directement l’ordre de faire exécuter immédiatement par mes troupes une fouille de toutes les mosquées du secteur pour y chercher des dépôts d’armes. Je refuse d’exécuter cet ordre reçu dans des conditions irrégulières et que je juge scandaleuses ; j’estime de plus qu’une telle provocation risque de ruiner les efforts de plusieurs mois. Je demande alors à être reçu immédiatement par le général Massu.
J’entre dans son vaste bureau […] Je lui dis que ses directives sont en opposition absolue avec le respect de l’homme qui fait le fondement même de ma vie et que je me refuse à en assumer la responsabilité.
Je ne peux accepter son système qui conduira pratiquement à conférer aux parachutistes, jusqu’au dernier échelon, le droit de vie et de mort sur chaque homme et chaque femme, français ou musulman, dans la région d’Alger…
J’affirme que s’il accepte le principe scandaleux de l’application d’une torture, naïvement considérée comme limitée et contrôlée, il va briser les vannes qui contiennent encore difficilement les instincts les plus vils et laisser déferler un flot de boue et de sang…
Je lui demande ce que signifierait pour lui une victoire pour laquelle nous aurions touché le fond de la pire détresse, de la plus désespérante défaite, celle de l’homme qui renonce à être humain.
Massu m’oppose avec son assurance monolithique les notions d’efficacité immédiate, de protection à n’importe quel prix de vies innocentes et menacées. Pour lui, la rapidité dans l’action doit passer par-dessus tous les principes et tous les scrupules. Il maintient formellement l’esprit de ses directives, et confirme son choix, pour le moment, de la priorité absolue à ce qu’il appelle des opérations de police.
Je lui dis qu’il va compromettre pour toujours, au bénéfice de la haine, l’avenir de la communauté française en Algérie et que pour moi la vie n’aurait plus de sens si je me pliais à ses vues. Je le quitte brusquement.
En sortant de chez lui, j’envoie au général commandant en chef une lettre lui demandant de me remettre sans délai en France à la disposition du secrétaire d’État à la Guerre.
Un faible espoir m’anime encore. Le général Massu n’est pas au niveau de commandement où se conçoit une politique et où se décide l’emploi des forces armées.
Je demande l’audience du Général commandant en chef et du ministre résidant . Je leur parle d’homme à homme et sors de leur bureau tragiquement déçu. J’ai le coeur serré d’angoisse en pensant à l’Algérie, à l’Armée et à la France. Un choix conscient et monstrueux a été fait. J’en ai acquis l’affreuse certitude.
Le lendemain, je prends un avion pour Nantes où m’attend ma famille. »
Guerre d’Algérie. Entretien avec l’une des signataires de l’appel contre la torture, dont le mari fut le premier officier supérieur à en dénoncer l’usage.
En mars 1957, le général de parachutistes Jacques Pâris de Bollardière – quarante-neuf ans, résistant de la première heure, soldat le plus décoré de la France libre – demande à être relevé de son commandement en Algérie. Il refuse la torture, au nom de ” l’effroyable danger qu’il y aurait à perdre de vue […] les valeurs morales qui, seules, ont fait jusqu’à présent la grandeur de notre civilisation et de notre armée “. Publiée dans l’Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber, sa lettre fait grand bruit et lui vaut soixante jours de forteresse. ” Il avait sa conscience pour lui “, et ce temps de détention, ” il l’a mis à profit pour lire, surtout les philosophes “, explique aujourd’hui Simone de Bollardière, sa veuve, qui, ” pour la mémoire du combat de son mari ” et au nom de leur éthique commune, a décidé d’être l’une des douze signataires de l’appel ” à condamner la torture durant la guerre d’Algérie “. Rencontre avec une vieille dame digne, qui appelle un chat un chat…
Dans quelles circonstances avez-vous décidé d’être l’une des signataires de cet appel ?
Simone de Bollardière. Lorsque j’ai été contactée par Charles Silvestre, de l’Humanité, j’ai tout de suite été d’accord pour signer ce texte, surtout quand j’ai vu le nom des autres personnes, que je connais, pour certaines, et que mon mari connaissait aussi. Je me suis dit, sans trop y croire : ” Pourquoi ne pas jeter encore une bouteille à la mer ? ” J’ai donc signé – et pour plusieurs raisons. Tout récemment, j’ai vu le film Warrior, qui montre de jeunes Anglais se retrouvant en Yougoslavie sans y avoir été préparés et qui reviennent totalement chamboulés au bout de six mois, simplement à la vue des horreurs de la guerre. Or, la France, dans le plus grand secret, et sans jamais parler de ” guerre “, a envoyé en Algérie, pendant deux ans et demi, des jeunes de vingt ou vingt-deux ans, qui ont participé à des abominations. Certains ont vu leurs camarades morts, éventrés, et autres choses atroces, mais, eux aussi, ont commis des actes abominables, avec l’autorisation – non dite et non écrite – des autorités, et l’obligation, pour certains, de le faire, sous peine d’être méprisés par des officiers qui sortaient à peine de la guerre d’Indochine. Toute une génération a été sabordée par la guerre d’Algérie : la plupart se sont réfugiés ensuite dans le silence, beaucoup se sont suicidés ou sont devenus alcooliques…
Dans quelles conditions votre mari a-t-il décidé de refuser la torture ?
Simone de Bollardière. Dès que les ordres ont commencé à arriver dans son secteur. Mon mari – vous l’avez mentionné – était le soldat le plus décoré de la France libre. Il a alors écrit – sans permission, mais on n’était pas à l’école maternelle – que la torture était une pratique inadmissible, qui plus est, inefficace. Cela lui a valu deux mois de forteresse, et le reste de l’armée lui a tourné le dos. Ce qui m’a toujours étonnée, c’est que des généraux, des officiers supérieurs, qui se disaient ” bons pères de famille ” et qui, paraît-il, n’auraient pas fait de mal à une mouche, n’aient pas eu alors l’idée que si ce général-là, avec le passé qu’il avait (compagnon de la Libération, deux fois titulaire de la plus haute distinction britannique, etc.) posait une question de cette importance, c’est qu’il y avait un problème que, eux, systématiquement, refusaient de voir en disant : ” Dans mon secteur, il n’y a pas de torture “.
Comment l’expliquez-vous ?
Simone de Bollardière. Je ne l’explique pas.
Comment expliquez-vous alors l’attitude singulière du général de Bollardière, l’un des premiers officiers à rejoindre le général de Gaulle à Londres, en juin 1940 ?
Simone de Bollardière. Permettez-moi d’abord de dire les choses autrement : quand mon mari, alors capitaine, est arrivé à Londres en juin 1940, il ne savait pas qu’il y avait de Gaulle. Il revenait de Norvège, il a pris un bateau en Bretagne, et il comptait poursuivre la guerre comme simple soldat dans l’armée britannique pour combattre les nazis – il n’a jamais dit contre ” les Allemands “. C’est alors qu’il a appris l’existence de de Gaulle… Pour répondre à votre question, je crois que l’expérience de mon mari dans les maquis de la Résistance a beaucoup compté, tout comme sa formation et ses convictions de jeunesse : pour lui, un homme était toujours un homme ; on n’avait pas le droit de faire n’importe quoi à un autre homme, quelles que soient les circonstances. Il m’a raconté que, blessé dans les Ardennes, il avait mis toute son énergie à éviter que deux prisonniers allemands ne soient sommairement exécutés. Ils n’ont finalement été ni fusillés ni martyrisés, et ce sont eux qui l’ont porté sur un brancard pendant plusieurs jours… Il s’est toujours référé à des valeurs morales, au respect de l’autre, à l’éthique chrétienne : ” Tu ne feras pas aux autres “, etc.
Vous savez que, de manière récurrente, se pose, s’agissant de l’Algérie, la question des responsabilités respectives de l’armée et du pouvoir politique
Simone de Bollardière. Le pouvoir civil a été nul : il n’y a eu personne de courageux, pas plus Guy Mollet qu’un autre, personne qui ose dire autre chose que : ” Ce sont les événements d’Algérie “, etc. Quant aux officiers, ils n’avaient en tête que de prendre une ” revanche ” sur l’Indochine. Tout à leur mépris pour les ” Viets ” – comme ils disaient – ils n’avaient rien compris à ce qui s’était passé à Dien Bien Phu. Ils sortaient des ” écoles de guerre “, ils ne pensaient jamais pouvoir être défaits par des gens qui n’avaient que des bicyclettes. La vraie question est : que faisait la France en Indochine, que faisait la France en Algérie ?.
Quels souvenirs gardez-vous de la mise en détention de votre mari ?
Simone de Bollardière. Lui avait sa conscience pour lui : il était bien dans sa peau, il avait le temps de lire, surtout les philosophes, et en particulier Alain, dont il avait été l’élève. Moi, j’ai vécu cela comme une immense injustice – qui m’a, je crois, rendue pour toujours hypersensible à toute injustice, et par exemple, aujourd’hui, au sort des sans-papiers… Je ne supportais pas d’entendre mon mari être traité de ” salaud “, d’homme qui ” avait sali l’honneur de l’armée “, etc. En fait, c’est lui, seul, qui a sauvé alors ” l’honneur de l’armée “… Permettez-moi d’ajouter deux choses, encore plus personnelles : j’ai été très émue à la lecture du témoignage de cette jeune Algérienne qui expliquait que, quelque temps avant d’être torturée, elle avait écouté avec son père une émission, dans laquelle on parlait d’un général qui s’était opposé à la torture, et qu’ils avaient pleuré. Par ailleurs, j’ai toujours été sensible au fait que les Algériens ont toujours su dire, sans l’écorcher, le nom de mon mari ; en France, ce n’est pas le cas, on dit couramment ” La Bollardière “, ou je ne sais quoi… Au fond, j’en suis fière. Il n’y a rien de plus important que d’avoir sa conscience pour soi, de pouvoir se regarder dans la glace chaque matin…
J’imagine que vous avez beaucoup discuté ensemble de la guerre elle-même, du fait de savoir s’il fallait la faire ou non…
Simone de Bollardière. Il ne fallait pas la faire. L’Algérie, c’était le non-droit absolu pour les Algériens, et, dès qu’il y avait ne serait-ce qu’une petite ” réforme ” d’envisagée, les pieds-noirs riches s’y opposaient. Il y avait un mépris total pour l’existence de plus de 80 % de la population… Après l’Indochine, ne croyez-vous pas que des leçons auraient pu être tirées ? Quand nous étions en Indochine avec mon mari, j’allais dans les hôpitaux : il y avait des Algériens, des Marocains, des Africains, que l’on envoyait se battre ” pour la France ” en Indochine, quand eux-mêmes étaient venus nous aider à nous libérer de l’occupant nazi. Il ne faut pas mépriser les gens à ce point : les Algériens, par exemple, ont bien vu le rôle qu’on leur faisait jouer en Indochine, la ” sale guerre ” à laquelle ils étaient contraints. Quand ils sont revenus en Algérie, ils se sont dits : ” Pourquoi, nous aussi, n’aurions-nous pas notre indépendance ? Nous avons aidé les Français à reconquérir leur indépendance contre Hitler, pourquoi n’obtiendrions-nous pas la même chose ? ” C’est un raisonnement logique. Dans l’Évangile, on parle d’un ” peuple à la nuque raide ” : les Français, eux, ont eu la nuque plus que raide. Ils n’ont jamais voulu comprendre – et peut-être encore beaucoup aujourd’hui…
La torture était partout présente ?
Simone de Bollardière. Partout. C’était systématique. Et – je le répète – cela a détruit toute une génération.
La torture a été pratiquée aussi du côté algérien.
Simone de Bollardière. Un pays qui obtient sa liberté et son indépendance dans une violence pareille – avec l’OAS, les barbouzes, les anti-barbouzes, les hommes, les femmes, les enfants tués, massacrés, n’importe où, n’importe quand, n’importe comment – c’est un peuple qui se constitue dans la violence et qui se continue dans la violence. La violence en Algérie, c’est la suite de la guerre d’Algérie – c’est le dominant qui contamine le dominé. La France, vous savez, ce n’est pas très joli… Regardez encore aujourd’hui comment on traite les sans-papiers, comment des formes de torture peuvent encore être pratiquées dans les commissariats. La guerre d’Algérie a généré beaucoup de gangrène : du fait qu’il n’y a pas eu de sanctions, que tout a été toujours caché, qu’il y a eu l’amnistie, que l’on ne peut même pas en parler… Si je dis que Le Pen est un tortionnaire, je n’en ai pas le droit !.
On a beaucoup écrit sur les rapports entre votre mari et le général de Gaulle à cette époque.
Simone de Bollardière. Mon mari n’avait pas de rapports avec le général de Gaulle. Il s’est trouvé ” gaulliste ” parce que de Gaulle était là en 1940. Quant au retour au pouvoir de de Gaulle en 1958, on ne peut pas dire qu’il l’ait apprécié. Lorsqu’il a voulu quitter l’armée – et se disant que de Gaulle avait tout de même représenté quelque chose de très fort, d’essentiel – il lui a demandé audience. De Gaulle lui a dit : ” Que voulez-vous ? ” Mais mon mari ne voulait rien : ni étoile ni poste… Il voulait seulement parler de la situation en Algérie, lui demander ce qu’il comptait faire. Mon mari m’a dit : ” J’ai eu l’impression que nous n’étions pas dans le même monde. ” Il a pris sa retraite après le putsch de 1961, et il s’est occupé, ici en Bretagne, de formation pour les personnes en grande difficulté. Pour remettre le monde un petit peu plus à l’endroit.
C’est tout de même un parcours original ?
Simone de Bollardière. Oui, mais il suit une ligne très droite. Pendant longtemps. Il a écrit : ” J’ai cru que, pour la libération de l’homme, il fallait faire la guerre. Donc, je l’ai faite. Maintenant, je continue pour la libération de l’homme avec d’autres moyens : c’est-à-dire l’éducation et la formation à la non-violence. “.
Comment avez-vous apprécié la déclaration de Lionel Jospin s’engageant à poursuivre le ” travail de vérité ” sur la guerre d’Algérie ?
Simone de Bollardière. J’ai signé ce texte – je crois l’avoir déjà dit – à la fois par amitié pour l’Humanité – que je ne me représente pas avec un couteau entre les dents ! – et lorsque j’ai su qui étaient les autres signataires qui, tous, sont des personnes d’une très haute valeur morale. Dès lors, je me suis sentie moralement obligée à cause de mon mari. Mais, pour dire la vérité, je n’attendais rien de cet appel. Depuis tout ce temps… Tout paraissait tellement bloqué… Aussi, ma stupéfaction a été totale lorsque j’ai pris connaissance de la déclaration de Lionel Jospin. Je me suis dit : ” C’est incroyable. Je ne pensais pas voir cela de mon vivant. ” J’ai eu un bon coup au cour. Cinq jours seulement… Le tout est de savoir maintenant ce qui va suivre. J’aimerais que l’on fasse quelque chose pour tous ceux qui étaient jeunes alors et qui ont été massacrés dans leur être vivant. Et puis que l’on parle de toutes les horreurs. Je n’aime pas beaucoup les États-Unis : mais eux, au moins, ont su parler de la guerre du Vietnam ; McNamara dit aujourd’hui que c’était ” une bêtise “. Puisque nous sommes, semble-t-il, dans l’année de la repentance, que l’État français fasse sa repentance vis-à-vis de l’Algérie ! Et l’Algérie vis-à-vis de la France, car il y a eu, en effet, des horreurs des deux côtés. Mais la France, terre de ” civilisation chrétienne “, vous vous rendez compte !.
Jacques de Bollardière, le général qui refusa la torture – Archive vidéo INA
Reportage. Portrait du général Jacques PARIS DE BOLLARDIERE, qui refusa d’appliquer la torture pendant la guerre d’Algérie. Des associations se battent pour qu’un film suisse qui lui a été consacré, réalisé en 1974 et intitulé “Le général de Bollardière et la torture”, soit diffusé en France.Le comentaire sur images d’illustration et extraits du film alterne avec les interviews de sa veuve Simone PARIS DE BOLLARDIERE, et d’André GAZUT, réalisateur du film. Images d’archive INA Institut National de l’Audiovisuel
Un document exceptionnel sur une des pages les plus sombres de l’histoire de France et, peut-être, une occasion de voir se refermer de vieilles blessures.
Des corps attachés. Des exécutions sommaires. De vaines tentatives de Robert Lacoste, ministre-résident en Algérie à l’époque des faits, pour évacuer le débat. «Général de Bollardière», le film d’André Gazut sorti en 1974, est une bombe. Censuré par l’ensemble des télévisions françaises, ce document exceptionnel retrace la vie de Jacques Pâris de Bollardière, brillant officier de la Légion étrangère qui a quitté l’armée pour n’avoir pas à cautionner l’emploi de la torture. Mais il est bien plus que ça.
Une véritable mise en accusation des pouvoirs civils et militaires pour leur comportement lors des «événements». Chappe de plomb : Si le film frôle parfois l’hagiographie, nul manichéisme chez son auteur. «Il ne s’agit pas de dire que tous les militaires étaient des tortionnaires, sauf lui, explique André Gazut. D’autres officiers se sont opposés à la torture. Simplement, ils ne l’ont pas dit». Et c’est cette chappe de plomb chez les anciens de l’Algérie, quels qu’aient été leurs rôles à l’époque, que le film cherche à briser.
«Il est très difficile pour un pays d’assumer son passé. Mais tant que le problème n’aura pas été revu au niveau de l’Etat, le malaise persistera, estime-t-il. Il faut dépasser les clivages droite-gauche, civils-militaires, pour en parler. C’est ainsi qu’on pourra en libérer ceux qui l’ont vécu». «Tout le monde savait» Signe que le problème reste sensible, le public mélangé de la projection. Beaucoup de contemporains de la «sale guerre» et d’autres, plus jeunes, sensibilisés par le récent vacarme médiatique autour du livre du général Aussaresses.
André Gazut, lui, se dit «pas étonné» des révélations de ce dernier. «Tout le monde le savait, il n’y a que le gouvernement français qui faisait semblant de ne rien entendre», dénonce en écho Simone de Bollardière, veuve du Général et militante infatigable de la paix. Le choc des images aidant, difficile de l’ignorer une fois la projection terminée. Pas de télé prévue : dès 1974, la Suisse, la Belgique et le Canada avaient accepté le document. La télévision nationale algérienne l’a diffusé.
Mais en France, rien n’est encore prévu. Arte serait éventuellement intéressée, des responsables de chaînes ont déjà donné des signes, mais cela n’a pas abouti. Le circuit des cinémas indépendants a pris le relais, et le film tourne beaucoup, les demandes se multiplient. Rien que de normal : «Général de Bollardière» n’est pas un cours d’histoire, c’est un document historique.
Les grandes chaînes boudent le documentaire sur l’officier antitorture.
L’honneur de la télévision française est sauf. Enfin presque. Dimanche 8 juillet, la Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN) a diffusé pour la première fois en France le film d’André Gazut consacré au général de Bollardière. Afin de ne pas cautionner la torture en Algérie, cet officier avait demandé en 1957 à être relevé de son commandement (Libération du 14/06/01). Réalisé en 1974, le film a été projeté à l’époque par les télévisions suisses, belges et canadiennes. Mais jamais par les grandes chaînes françaises, privées ou publiques. «Un étrange oubli», constate LCP-AN.
Depuis l’hiver dernier, ce film a pourtant pu être vu une dizaine de fois, lors de projections privées organisées par des militants engagés contre la torture: à Lyon, Stains, Saint-Nazaire, Grenoble, etc. La dernière d’entre elles s’est déroulée le 25 juin à Paris, au cinéma le Biarritz. Une initiative de plusieurs organisations, dont Reporters sans frontières, la Ligue internationale des droits de l’homme et le «Groupe de douze». Salle comble autour des témoins, Simone de Bollardière la veuve du général décédé en 1986 , Germaine Tillion ou Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Ce film de cinquante minutes est un remarquable document sur l’itinéraire d’un officier issu de la petite noblesse bretonne et catholique, que rien ne prédisposait à dire «non» à la torture. Rien, sinon sa conscience. Et l’idée, rapportée de la Résistance, que «cela nous emmenait exactement à ce que les nazis avaient fait dans les pays occupés». «Je suis dans la situation paradoxale d’un général non-violent, raconte-t-il. La violence, je la connais. Elle dégrade.» Contre «Bollo», d’autres témoignages. Ceux de la France officielle. Guy Mollet, l’ancien président du conseil socialiste expliquant que la France ne peut torturer puisqu’elle est «le pays des droits de l’homme». Robert Lacoste, ex-ministre résistant SFIO, renvoyant de Bollardière à «sa foi». Massu, tripotant son stylo et expliquant qu’il a «obéi aux ordres». Aucun n’en sort vraiment grandi.
Réalisateur-déserteur. Pour André Gazut, ce film fut plus qu’un travail journalistique. Une affaire personnelle. «Catho de gauche», il avait déserté de l’armée française en 1960 pour ne pas participer à la torture. Infirmier chez les paras, «j’aurais eu à retaper les gars qu’on interrogeait». Réfugié en Suisse, amnistié en 1966, il devient réalisateur à la Télévision suisse romande (TSR). En 1973, il consacre un premier film à la «civilisation de la torture» pour lequel il rencontre le colonel Trinquier, théoricien français de la guerre contre-révolutionnaire. Réalisé à l’automne 1974, le Général de Bollardière et la torture est alors proposé à toutes les chaînes publiques francophones, qui échangent couramment leurs programmes. Silence à Paris. «C’est l’autisme des Français», constate André Gazut.«Invraisemblable!», estimait Robert Ménard du temps où il était à Reporters sans frontières. Quel hypocrite, maintenant qu'il est maire de Béziers. Un autre documentaire d’André Gazut, consacré à Klaus Barbie, connaîtra plus tard le même sort. Il y évoquait une nouvelle fois la torture en Algérie.
Pour conclure, son interview dans l’Express du 19 juillet 1957 après sa sortie de forteresse :
Le combat du général de Bollardière
(…) Mais, mon général, objectait un officier, si on ne petit obtenir de résultats qu’en employant certains procédés pour obtenir le renseignement…
Bollardière : Parlez clairement. Qu’est-ce que vous entendez par “certains procédés” ? Si vous entendez par là simplement la lutte contre l’organisation politico-militaire rebelle, l’arrestation de suspects et la mise hors d’état de nuire des assassins, cela n’a rien que de parfaitement normal… Mais si, par “certains procédés”, vous entendez les moyens que je connais bien pour les avoir vu employer ailleurs : la baignoire, le courant électrique dans les…, etc., alors, parlez clairement et dites : les moyens de torture.
Admettons, mon général, qu’il s’agisse de tortures. Je voudrais vous poser une question. Si en employant ces procédés, vous arrivez à faire une économie de vies humaines. Si vous obtenez, par ces moyens, et rapidement, des renseignements que vous n’auriez pas obtenus autrement et si vous évitez, par exemple, que vingt bombes explosent, qui auraient tué des dizaines de femmes et d’enfants innocents. Ça fait des dégâts, une bombe. Vous avez vu l’autre jour au stade. Sans parler des réactions de la population européenne qui, dans une explosion de fureur panique, peut parfaitement riposter, sans que vous puissiez l’en empêcher, par une véritable Saint-Barthélemy des musulmans. C’est un grave cas de conscience de penser que vous condamnez peut-être des innocents en refusant d’employer des moyens que vous estimez contraires à la morale. C’est très beau du point de vite moral, mais vous vous condamnez à être inefficace. Nous sommes plongés dans une guerre révolutionnaire et nous avons à faire face à une nouvelle forme de la barbarie. Nous devons prendre les moyens nécessaire pour y répondre.
Bollardière : – Enfin, vous n’allez quand même pas confondre la guerre révolutionnaire avec la torture. La guerre révolutionnaire est une guerre dans laquelle la population est l’élément essentiel et l’action que l’on peut avoir sur la population ne se résume pas à la torture. C’est une véritable déviation de l’esprit. Comme si les tortures avaient jamais été un moyen d’arrêter une rébellion. Dites-moi (encore que sur beaucoup de points cela ne soit pas comparable) si la Gestapo a jamais empêché la Résistance d’exister. Pour ma part, quand j’apprenais que les petits gars du maquis étaient passés à la baignoire on qu’on leur avait arraché les ongles et fait je ne sais quoi encore pour les faire parler, cela ne me donnait pas du tout envie de rentrer chez moi. Et c’est précisément contre cela que nous nous sommes battus pendant cinq ans, pour défendre une liberté et une dignité de l’homme. Même si le système était efficace et si chaque individu “soumis à la question” parlait et donnait des renseignements permettant d’éviter des morts et des attentats – vous savez que ça n’est pas le cas et que ça ne peut être le cas – je ne serais tout de même pas convaincu. C’est à mon avis une preuve de faiblesse et d’impuissance et si vraiment on en est réduit là, c’est que nous n’avons plus rien à faire ici. ”
Jacques de Bollardière Le général qui a dit NON à la torture en Algérie
Vincent Roussel Président de la revue Non-Violence Actualité
Le 10 juin 1999, un vote historique des députés français permet de qualifier de "guerre" des événements qui, officiellement, n'avaient consisté qu'en des opérations de "maintien de l'ordre". Quarante ans après, la mémoire de la guerre d'Algérie resurgit pour les témoins et les acteurs de ce drame qui a duré de 1954 à 1962. En juin dernier 2000, avec la publication du témoignage de Louisette Ighilahriz, militante de la libération algérienne, torturée en 1957 le journal, Le Monde a ravivé un débat toujours passionné sur une période sombre de notre histoire. Les langues se délient, les témoignages affluent, d'anciens tortionnaires sont mis sur la sellette et aujourd'hui on mesure mieux l'ampleur et la cruauté du phénomène de la torture et des exécutions sommaires pendant la guerre d'Algérie. le général Massu qui a organisé un réseau de collecte de renseignements basé sur le recours généralisé de la torture pendant la "bataille d'Alger" en 1957, esquissait un repentir tardif, à l'âge de 92 ans, en déclarant au journal Le Monde, le 23 novembre 2000 : "On aurait dû faire autrement, c'est surtout cela que je pense. Mais quoi, comment ? Je ne le sais pas. Il aurait fallu chercher, tenter de trouver. On n'a malheureusement pas réussi."
Il y eu pourtant des Hommes et des Femmes qui s'étaient insurgés à l'époque contre ces horreurs. Leurs cris ne fut pas entendu. Le général de Bollardière en démissionnant de son poste de commandement en Algérie et en dénonçant publiquement la torture que les pouvoirs publics s'acharnaient à nier, fut de ceux là. Il venait de recevoir les étoiles qui en faisait, à l'âge de 49 ans, le plus jeune général de France. Aujourd'hui que le voile est bien levé, il apparaît combien son acte d'objection de conscience fût un acte lumineux. Son parcours exceptionnel est un témoignage d'humanité qui reste une source d'inspiration pour ceux qui veulent donner sens et cohérence à leur vie. Dans une lettre adressée au ministre des armées en juillet 1973, il déclarait : "Trente ans de vie de soldat et d'opérations de guerre en Europe, en Asie, et en Afrique m'ont convaincu définitivement de l'importance d'une réflexion critique fondamentale sur la violence. J'ai la conviction que la violence armée se révèle absolument inefficace pour résoudre humainement les tensions et les conflits qui sont la trame de l'histoire. " (1)
La Guerre d'Algérie
Jacques de Bollardière est instructeur à l'Ecole de guerre à Paris pour y enseigner la stratégie et la tactique des troupes aéroportées quand éclate la guerre d'Algérie. Le Front de Libération National (F.L.N.) a choisi le moyen de la terreur, qui va s'exercer aussi bien contre les Européens que contre les Algériens qui ne se rallient pas à leur cause. Le pouvoir colonial va se laisser entraîner sur ce même terrain de la violence et cette erreur politique grave va conduire le peuple algérien à basculer de façon inéluctable et définitive dans le camp des insurgés.
Le gouvernement du front républicain de Guy Mollet, en 1956, décide d'envoyer en Algérie des jeunes du contingent et des rappelés sans préparation, ni matérielle ni morale. Cela décide Jacques de Bollardière à partir en juillet 1956. Lui qui avait commandé à des légionnaires, à des parachutistes, se porte volontaire pour partir cette fois-ci à la tête de brigades de rappelés de l'armée de l'air. Il va commander le secteur Est de l'Atlas blidéen, entre les dernières maisons de la banlieue d'Alger et les premiers contreforts des massifs de Kabylie.
Dès son arrivée sur place, le problème du renseignement lui est posé très clairement. Il affirme qu'il ne peut être question d'employer ce qu'on commence à appeler pudiquement un peu partout, les "interrogatoires poussés" : "Il fallait donc inspirer confiance à la population, l'amener à travailler avec nous, pour son propre bien, refuser toujours de réduire par impuissance tous les Musulmans à l'état de suspects. Pour cela il fallait sans ambiguïté réprimer et punir les folles et scandaleuses ratonnades qui provoquaient le massacre criminel de Musulmans pris au hasard par les Européens que rendait fous la vue du cadavre supplicié d'un des leurs. A défaut de cela, nous tomberions dans l'enchaînement sans fin de la violence et de la surenchère de la haine" (2). Il sait qu'il doit préciser rapidement et par écrit à tous ceux qui se trouvent sous ses ordres qu'il est exclu de torturer les Arabes pour les faire parler : "Je connaissais trop les hommes, ayant commandé pendant trente ans, pour ne pas savoir que si le commandement cède sur le principe absolu du respect de la personne, ennemi ou pas, c'est un déchaînement d'instincts troubles qui ne connaît plus de limites et qu'on trouve toujours le moyen de justifier" (2). Il sait aussi "que la violence, imposée dans sa forme la plus hideuse à des résistants que l'on veut pousser jusqu'à la trahison, fait lever des bandes de résistants plus nombreux et plus déterminés encore" (2).
Il va travailler au rétablissement du dialogue avec la population et imposer le respect des Algériens sur tout le secteur qu'il commande interdisant toute violence physique sur les prisonniers. Il décide d'ouvrir des chantiers sous la protection de ses troupes. Ainsi, les Algériens pourront obtenir un travail, un salaire, des soins médicaux et des contacts avec les administrateurs. Par ces chantiers vont être entrepris des travaux d'irrigation, de voirie, de réfection des sols. Il obtient du Gouvernement général et de la Préfecture d'Alger un accord complet sur le projet et des crédits importants qui se sont accumulés faute d'avoir pu être utilisés à cause de la guerre. Il met en place un état-major spécialement chargé de dresser le plan des travaux et d'en assurer la mise en oeuvre et le contrôle. Il obtient du Préfet d'Alger une délégation de pouvoir pour les affaires civiles. Il utilise les compétences des rappelés qu'il a sous ses ordres pour résoudre les différents problèmes techniques qui se posent.
Avec son soutien, le lieutenant Servan-Schreiber, directeur du journal l'Express dans le civil met sur pieds des commandos d'un type très particulier qui seront baptisés les "commandos nomades". Leur rôle est de prolonger au plus loin les actions de contacts humains, de rétablir les liaisons administratives avec les douars les plus éloignés et les plus inaccessibles. Conscients des risques qu'ils prennent, ils partent plusieurs jours dans les zones coupées de tout contact. Ils partagent la vie de la population, dorment dans les mechtas, mangent avec des hommes qui avaient perdu parfois toute relation avec la présence française depuis parfois plusieurs années. En participant à ces commandos, les volontaires signent un engagement par lequel ils affirment connaître et accepter les risques de la mission qui leur est confiée et qui précise " Je m'engage en outre, sur l'honneur, à respecter la règle des nouveaux commandos nomades : tout musulman sera considéré par moi comme un ami, et non comme un suspect, sauf preuve du contraire ...".
Après cinq mois de cette activité intense, les résultats se font sentir. Les pertes dans les deux brigades sont très faibles et une baisse sensible des attentats est enregistrée. Les chantiers emploient plus de trois mille hommes. Jean Mairey, directeur général de la Sûreté nationale rend hommage à cette action dans un rapport qu'il adresse au Président du Conseil, Guy Mollet, sur la situation en Algérie : "Je ne peux m'empêcher de penser, face à tant d'incompréhension, que bien des choses eussent changé avec d'autres méthodes. J'en veux pour preuve dans la magnifique réussite du Secteur oriental de la Mitidja. Là, un jeune général, audacieux dans ses conceptions, réaliste dans le travail, courageux et opiniâtre comme il l'avait été dans les luttes de la Libération, a su associer civils et militaires, Européens et Franco-Musulmans, dans une oeuvre de pacification véritable". Il ajoute : "A ceux, s'il en demeure encore, qui se bercent de l'illusion de la seule solution du problème algérien par la force, de l'armée et de la police conjuguée, je réponds que c'est là une dangereuse chimère parce que désormais irréalisable. Le fossé est trop large, la haine trop intense, l'incompréhension trop totale, après trop de violence et trop d'injustices pour que l'Algérie redevienne sans de grands bouleversements une unité réelle ... Le sort de l'Algérie est entre les mains des politiques ..." (3)
Mais il est déjà trop tard. Une nouvelle organisation de commandement est mise en place en vue du maintien de l'ordre dans le département d'Alger. Elle donne les pleins pouvoir au général Massu, commandant la 10ème Division Parachutiste pour rétablir l'ordre dans le secteur d'Alger par tous les moyens. Bollardière est directement placé sous ses ordres et le combat vient de changer de nature. Comprenant le trouble des officiers de son secteur, celui-ci leur adresse une directive dans laquelle il précise : "La tentation à laquelle n'ont pas résisté les pays totalitaires de considérer certains procédés comme une méthode normale pour obtenir le renseignement doit être rejetée sans équivoque et ces procédés condamnés formellement" (4).
Le désaccord est total entre Massu et Bollardière. Le 8 mars 1957, à Alger, ils ont un long entretien. Bollardière présente ses objections : "Je lui dis que ses directives sont en opposition absolue avec le respect de l'Homme qui fait le fondement même de ma vie et que je refuse d'en assumer la responsabilité ... J'affirme que s'il accepte le principe scandaleux de l'application d'une torture, il va briser les vannes qui contiennent encore difficilement les instincts les plus vils et laisser déferler un flot de boue et de sang ... Je lui dis qu'il va compromettre pour toujours, au bénéfice de la haine, l'avenir de la communauté française en Algérie et que pour moi la vie n'aurait plus de sens si je me pliais à ses vues" (5). Ce qu'il reprochera le plus à Jacques Massu, c'est d'avoir accepté une mission qui permettait au pouvoir politique de se dérober devant ses propres responsabilités. Pour lui, Massu, au nom de l'Armée, devait refuser cette mission.
A cela Massu répond par la nécessité de protéger à n'importe quel prix les vies innocentes et menacées, par l'efficacité immédiate des "interrogatoires poussés", par la rapidité indispensable à l'action. C'est un dialogue de sourds. Bollardière multiplie les contacts pour alerter les autorités civiles et militaires sur le caractère absolument néfaste de la politique menée par la France en Algérie. Il s'entretient avec les généraux Allard, commandant le corps d'armée d'Alger et Salan, commandant en chef en Algérie. Ceux-ci cherchent à étouffer l'affaire. Il rencontre enfin Robert Lacoste, le ministre résidant en Algérie, celui-là même qui avait confié à l'armée la mission de débarrasser Alger de ses terroristes "coûte que coûte". En vain. Il donne sa démission et le 17 mars, il rentre à Nantes. Son épouse est mise au courant des événements dès son retour. Elle se sent spontanément en total accord avec la décision de son mari et l'approuve sans réserve : "J'ai toujours une grande reconnaissance envers mon mari pour cet acte. Ma vision de l'Homme c'est cela, c'est ce qu'il a fait. Dix ans après sa mort je garde intacte une grande estime pour ce courage qu'il a eu. J'en suis fière" (6) et d'ajouter : "Jacques n'a pas quitté l'armée, c'est l'armée qui l'a quitté".
Désobéissance
Nous sommes au tournant d'une vie qui marque le refus d'un homme d'être complice d'actes que réprouve profondément sa conscience. Ce jour-là, dit-il "j'ai été obligé de rompre avec l'armée, pour me préserver moi-même, pour ne pas me détruire" (7).
En France, le pouvoir politique cache au peuple français la véritable nature des événements algériens. Jacques de Bollardière veut rompre ce sordide complot du silence. Jean-Jacques Servan-Schreiber est inculpé d'atteinte au moral de l'armée pour avoir publié plusieurs articles relatant son expérience algérienne et dénonçant l'attitude du gouvernement français. Bollardière lui apporte son soutien par une lettre rendue publique dans l'Express du 27 mars 1957, reprise dans Le Monde du 29 mars 1957 : "Je pense qu'il était hautement souhaitable … que vous fassiez votre métier de journaliste en soulignant à l'opinion publique les aspects dramatiques de la guerre révolutionnaire à laquelle nous faisions face, et l'effroyable danger qu'il y aurait pour nous à perdre de vue, sous le prétexte fallacieux de l'efficacité immédiate, les valeurs morales qui seules ont fait jusqu'à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre Armée". Il s'agit là d'un acte délibéré de désobéissance. Il enfreint la règle qui veut qu'une lettre donnée à la presse par un officier ait d'abord l'approbation du ministre des Armées.
Jacques de Bollardière est sanctionné de 60 jours d'arrêts par le ministre de la Défense Nationale. En entrant en prison, Jacques de Bollardière devient un Homme Libre. Après le putsch d'Alger en avril 1961, l'image d'une armée qui se soulève contre le pays lui est insupportable. Il quitte définitivement l'armée d'active et se retire avec sa famille dans sa Bretagne. Il est désormais un civil. Il a 54 ans.
Une carrière militaire prestigieuse
Si Bollardière est connu et admiré aujourd'hui pour cet acte d'objection de conscience radical, le grand public connaît moins ce que fut son action avant et ce qu'elle fut après cette rupture. Le centre de ressource Non-Violence Actualité a édité un dossier Jacques de Bollardière, Compagnon de toute les libérations, retraçant sa vie, ses combats militaires, sa rupture avec l'armée, ses combats avec les mouvements non-violents. Car il fut d'abord un chef militaire avec un goût du risque et un courage exceptionnel. Capitaine, il connaît l'ivresse de la victoire en Norvège, quand, le 27 mai 1939, Narvick est reconquise contre les Allemands. Il est sur le front de l'Erythrée contre les Italiens, participe au Moyen Orient à la prise de Damas, affronte les troupes allemandes de Rommel à Bir Hakeim puis à El Alamein dans le désert de Libye où il est grièvement blessé, sa jeep sautant sur une mine. Le 12 avril 1944 il est parachuté en France pour commander, à la demande des Alliés, la résistance dans le maquis des Ardennes. Il est a nouveau grièvement blessé en sautant sur une mine et passe les dernières semaines précédant la libération des Ardennes sur un brancard, refusant de quitter son unité. En avril 1945, un mois avant l'armistice, les parachutistes français commandés par Bollardière s'illustrent en semant le désordre par l'arrière dans les troupes allemandes, permettant ainsi à l'armée canadienne d'enfoncer le front ennemi. Il a été décoré des croix de guerre française, hollandaise et belge. Il est le seul officier français a avoir reçu le Distinguished Service Order britannique (DSO) avec barre, ce qui correspond à deux remises de cette décoration. Avant ses 38 ans, il a été chevalier puis officier dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur, il a été titulaire d'une des premières croix de la libération. Il participera à la guerre d'Indochine pendant 6 ans. A la tête d'une demi-brigade de parachutistes, il mène des opérations de commando au Laos, au Cambodge et au Tonkin dans le nord du Vietnam. Son goût pour l'action de commando lui vaut le plus grand respect de la part des hommes qui sont sous ses ordres. La torture commence à faire son apparition mais Bollardière soulignera avec force qu'en Indochine ces pratiques étaient clandestines et, chaque fois que des cas étaient connus du commandement en chef, des sanctions très dures étaient prises à l'encontre des tortionnaires.
La découverte de la non-violence
Après son retour à la vie civile, il va rencontrer la non-violence à l'occasion d'une conférence donnée par Jean-Marie Muller à Lorient le 23 octobre 1970. La non-violence qui lui est présentée semble apporter la réponse qu'il cherchait depuis sa rupture avec l'armée : comment résoudre les conflits par des voies qui respectent l'Homme ? Il va entrer dans ce monde nouveau, celui de la non-violence, de façon très pragmatique, d'abord avec prudence, puis avec passion. En octobre 1971, Jacques Massu publie : La vraie bataille d'Alger (8). Où il y justifie l'emploi de la torture en Algérie. Bollardière ne peut rester sans rien dire et publie à son tour : Bataille d'Alger, bataille de l'homme (9), un brillant plaidoyer contre la torture. Répondant aux nombreuses sollicitations, il commence une série de conférences à travers toute la France ce qui l'amène à affirmer publiquement sa conviction dans la pertinence des méthodes et de la philosophie de la non-violence.
Désormais on va retrouver Jacques de Bollardière sur tous les fronts des luttes non-violentes. En juillet 1973 Il participe à une campagne de protestation contre les essais nucléaires en atmosphère à Mururoa dans une opération de commando avec l'équipage du bateau, le Fri, voguant à proximité du lieu ou doit se produire l'explosion : "J'accomplis typiquement, dit-il, une opération de commando, avec une différence immense par rapport au passé : avant, j'allais tuer des gens ; maintenant, je vais les empêcher de tuer" (10). Pour la troisième fois de sa carrière, il est sanctionné, mis à la retraite par mesure disciplinaire. Il demande au Président de la République de le rayer de l'Ordre de la Légion d'Honneur et lui renvoie sa médaille. Pendant plus de dix ans, il devient le chantre infatigable de la non-violence. Il veut communiquer avec passion ses convictions mûries au sein du Mouvement pour une Alternative Non-violente dont il est cofondateur. Il est sollicité de toute part pour donner interviews et conférences. Il ne dit jamais "Non". Chaque abus de pouvoir le mobilise. Pour lui, aucune institution de l'Etat ne doit échapper au contrôle de la population. On le voit en Bretagne avec les militants écologistes anti-nucléaires contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff, en Aveyron avec les paysans du Larzac contre un projet d'extension de camp militaire, à Paris pour la défense de comités de soldats, à Besançon avec les ouvriers de Lip en lutte pour la sauvegarde de leur outil de travail, au côté de sa femme dans la bataille du rail qu'elle mène pour que la gare de Quimperlé continue à être desservie par les trains. Il partage la démarche des objecteurs de conscience qui connaissent entre 1977 et 1981 une répression accrue. Beaucoup d'entre eux sont traduits devant les tribunaux. Le soutien de Bollardière est souvent sollicité. Toujours il répond en venant apporter son témoignage en leur faveur à la barre du tribunal ou en envoyant une lettre à son président quand il est dans l'impossibilité de s'y rendre.
Dernier combat
C'est d'un cancer est généralisé que Jacques de Bollardière meurt le samedi 22 février 1986 à l'âge de 78 ans. Sur les champs de bataille du monde entier, le vieux soldat avait tant de fois risqué sa vie avec une grande insouciance de la mort que jamais la perspective de la mort imminente n'a pu entamer sa sérénité : "Je suis en train de mourir mais je suis heureux, comblé. J'ai passé des années et des années à me demander ce que je faisais sur la terre et ce que faisaient les autres autour de moi. Maintenant je vais savoir, ... Je n'ai pas peur. J'ai un peu d'angoisse seulement à l'idée que le moment du passage est là, tout proche, ... une étrange angoisse à la pensée que le rideau va se lever et que je vais enfin savoir ce que cela veut dire : VIVRE". (11)
(1) Lettre publiée par Non-violence politique n° 28, juillet 1980.
(2) J. de Bollardière, Bataille d'Alger, bataille de l'Homme, p. 83-84
(3) Jacques de Bollardière, Compagnons de toutes les libérations, Ed. NVA, 2001, p. 38
(4) Circulaire du 18 février 1957, Roger Barberot, Malaventure en Algérie, Plon, 1957, p. 197.
(5) J. de Bollardière, Bataille d'Alger, bataille de l'Homme, op. cit., p. 93.
(6) Entretien avec Simone de Bollardière, 31 juillet 1996.
(7) Entretien avec Jean Paul Kauffman, Le Matin, 13 août 1977.
(8) Jacques Massu, La vraie bataille d'Alger, Plon, 1971.
(9) Jacques de Bollardière, Bataille d'Alger, bataille de l'Homme, DDB, 1972.
(10) Cité par Jean Toulat, Combattants de la non-violence, Cerf, mars 1983, p. 208.
(11) Conversation de Claude Goure avec J. de Bollardière, Panorama, avril 1986.
Article publié dans la revue Alternatives Non Violentes, n° 129/120 (été 2001), Les luttes non-violentes au XXème siècle.
Plus de 4 000 morts et 8 800 blessés. 64 policiers tués, dont 39 à Paris. C'est le bilan de la période la plus violente qu'ait connue la métropole depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes en 1958, au mitan de la guerre d'Algérie. À la guerre qui fait rage entre les différentes factions nationalistes, le FLN (Front de libération nationale) ajoute l'exportation de ses méthodes terroristes dans les grandes agglomérations de l'Hexagone. Ces années noires qui courent jusqu'aux accords d'Évian, mettant fin en 1962 aux « événements » d'Algérie, sont l'objet du petit livre saisissant que consacre l'historien Gregor Mathias à cette période (La France ciblée, terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d'Algérie, Vendémiaire, 19,50 euros, 2017).
L'essentiel de ce lourd bilan, ce sont d'abord les meurtres et règlements de comptes entre Algériens en métropole. Ils ont débuté avec la guerre d'indépendance, quatre ans plus tôt. La fédération de France du FLN, avec ses 20 000 adhérents, est le premier bailleur de fonds de la révolution, forte des cotisations qu'elle prélève, de gré ou de force, sur les ouvriers, employés et commerçants algériens. 150 000 vivent dans le seul département de la Seine, dont les flots se gonflent des corps des récalcitrants qu'on retrouve également démembrés dans les poubelles de la capitale et de sa banlieue, épicentre de cette guerre cruelle. Une autre bataille, féroce, est livrée par les troupes de choc du FLN aux militants du MNA de Messali Hadj, le parti nationaliste historique et concurrent qui sera, au fil des ans, éliminé par la violence au prix de nombreux massacres, en Algérie comme en métropole.
Le FLN veut desserrer l'étreinte du plan Challe
À Paris, d'une rue ou d'un pâté de maisons à un autre, on risque sa vie, selon que l'on est partisan du FLN ou du MNA. Autant de frontières invisibles pour les Parisiens qui continuent de vaquer à leurs occupations. Seules les façades de magasins éventrées par les explosions ou les rafles rappellent qu'une autre guerre d'Algérie se déroule au quotidien dans une capitale qui vit aussi au rythme du jazz, de la Nouvelle Vague et des premiers beatniks. En témoigne un groupe de personnages inattendus dans ce paysage de guerre civile, la bande de la Beat Generation – dont William Burroughs, Allen Ginsberg et Gregory Corso – qui vit alors l'une de ses périodes les plus créatives dans l'hôtel miteux dirigé d'une main de fer par madame Rachou, par ailleurs amoureuse des arts, au 9 rue Gît-le-Cœur, près de la Seine. Ils sont allés chercher du shit chez Madame Ali, bistro d'Algériens enfumé de la Bastille : « Et puis, tout d'un coup, un jour, paf ! la police s'est pointée avec des mitraillettes, comme dans les vieux films en noir et blanc. Dehors, il y avait des flics français en imper et une vieille Citroën. Contre le mur ! On ne comprenait pas ce qu'était ce merdier, raconte Jean-Jacques Lebel, leur ami français, dans le livre de Barry Miles consacré au « Beat Hôtel » (Barry Miles, Beat Hôtel, Le mot et le reste, 2011, 23 euros). « Ils savaient qu'on n'était pas algériens, alors ils nous ont laissés tranquilles, mais les autres, les pauvres, mec, ils se sont fait cogner dessus, ils avaient la tête en sang. C'est comme ça que j'ai compris où on était. » Dans un repaire du FLN.
Depuis mars 1958, la police parisienne est dirigée par Maurice Papon, ancien préfet de Constantine qui déclarait, en 1957 : « Je demande à tous les civils de se considérer comme des militaires. Il n'y a plus de militaires et de civils. Il ne peut y avoir que des soldats. » La police parisienne n'est pas restée inactive, mais, le 25 août 1958, 15 attentats coordonnés frappent la métropole. Le FLN veut desserrer l'étreinte du plan Challe qui a commencé à laminer l'ALN (Armée de libération nationale) en Algérie. Pour décapiter l'organisation, il faut recourir aux méthodes militaires et aux techniques de contre-insurrection testées en Algérie. Les meilleurs experts dans ce domaine sont appelés, comme le commandant David Galula, auréolé de sa pacification réussie dans son sous-secteur de Kabylie, à Djebel-Aïssa-Mimoun. Dès le 12 août, mobilisé par le ministère de l'Intérieur comme cinq autres officiers spécialistes de la contre-insurrection, il rédige une fiche qui fixe la marche à suivre : « Lever le climat de terreur par l'élimination de la minorité hostile », « rallier à notre cause l'immense majorité des Français de souche nord-africaine » en les encadrant par des Algériens « énergiques et favorables », tout en améliorant leurs conditions de vie.
La guerre va être implacable
Ce sera la mission des SAT (services d'assistance technique), exacte copie des SAS (sections administratives spécialisées) d'Algérie dont on fera venir certains chefs émérites. L'idée germait depuis plus d'un an. Au contact de la population algérienne, ces structures animées par des militaires lui rendent service dans sa vie quotidienne pour obtenir papiers, logement, travail, tout en lui délivrant la parole de la France. Le but, obtenir le renseignement « par l'action psychologique et sociale ». À l'organisation en cellules du FLN réplique un quadrillage de la population algérienne visant à repérer, isoler et détruire la minorité hostile, cible principale.
Ce sera l'affaire de brigades spécialisées et des « bleus de chauffe », ces Algériens ralliés dont certains montent de la ville blanche jusqu'à Paris. L'idée de mobiliser les musulmans et de leur faire infiltrer le FLN revient au capitaine Paul-Alain Léger, inventeur de la terrible « bleuïte » qui a ravagé les rangs de l'ALN en Algérie. Celle de constituer une force de police auxiliaire (FPA) pour la capitale composée de harkis au capitaine Raymond Montaner, chef du 1er secteur SAT à Nanterre. Ils seront 700 à combattre le FLN. Eux seuls peuvent comprendre la langue, les habitudes, le mode de vie de leurs compatriotes. Entre ceux-ci, la guerre va être implacable. Assassinats ciblés, plasticage des hôtels où logent les harkis, grenades et rafales lâchées sur leurs commissariats. « On était attaqués tous les jours. Ils nous téléphonaient et nous disaient : On vient. Ils venaient, c'était un accrochage difficile, c'était la guerre », témoigne un ancien harki de la FPA. Un autre front s'ouvre à partir de 1961 avec l'entrée en scène des desperados de l'OAS qui enchaînent les nuits bleues, série d'attentats qui ébranlent la capitale. Les combats prennent fin en 1962 avec l'indépendance de l'Algérie. Une page se tourne. Le « Beat Hôtel » de madame Rachou ferme définitivement ses portes quelques mois plus tard, au printemps 1963.
Dix-huit ans après l’Appel des douze contre la torture, l’Humanité a pris l’initiative d’une lettre ouverte au président de la République, signée par une cinquantaine de personnalités, pour que justice soit enfin rendue à Maurice Audin et les milliers d’Algériens « disparus » après avoir été torturés par l’armée française. Le 11 juin, Emmanuel Macron doit reconnaître ce crime d’État.
Le 11 juin 1957, pendant la bataille d’Alger, Maurice Audin, mathématicien communiste de 25 ans, était arrêté par les parachutistes du général Massu devant sa famille, avant d’être torturé. Le jeune assistant à la faculté d’Alger n’en est jamais revenu, et l’armée française a fait disparaître son corps.
Plus de soixante ans ont passé et Josette Audin, sa femme, attend « toujours que la France, pays des droits de l’homme, condamne la torture, ceux qui l’ont utilisée et ceux qui l’ont autorisée ». Car Maurice Audin ne s’est pas évaporé dans la nature après une évasion, comme l’a trop longtemps soutenu la « version officielle ». À la suite de Pierre Vidal-Naquet, tous ceux qui ont travaillé sur cette « affaire » ont établi que Maurice Audin avait été torturé et assassiné par l’armée française, agissant dans le cadre des pouvoirs spéciaux votés par le pouvoir politique. Mais, de loi d’amnistie en non-lieu, tout a été fait au plus haut sommet de l’État pour camoufler la vérité sur les crimes perpétrés par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Et toute une génération d’appelés a été marquée à vie, murée dans le silence et la honte.
Des deux côtés de la Méditerranée, les mémoires algérienne et française resteront hantées par les horreurs qui ont marqué cette guerre, tant que la vérité n'aura pas été dite et reconnue, comme le relevait déjà l’Appel des douze grands témoins contre la torture, publié en octobre 2000 dans l’Humanité. Il est aujourd’hui grand temps d’apaiser cette mémoire pour aller de l’avant.
En 1999, l’État français reconnaissait officiellement la « guerre » d’Algérie, qui ne fut ni de simples « événements », ni des « opérations de maintien de l’ordre », mais bien « une sale guerre », dont les plaies peinent encore à cicatriser. En 2014, le président de la République, François Hollande, reconnaissait que la thèse de l’évasion de Maurice Audin était un mensonge d’État et qu’il était bien mort au cours de sa détention.
Monsieur le président de la République, vous avez promis « des actes forts sur cette période de l’histoire ». La reconnaissance des sévices subis par Maurice Audin, puis de son assassinat par l’armée française serait cet acte fort. Le moment est venu. Pour sa famille d’abord, qui l’attend depuis plus de soixante ans, mais aussi pour les milliers d’Algériens « disparus » comme Maurice Audin de l’autre côté de la Méditerranée.
Il y a quelques semaines, l’« affaire Audin » est réapparue dans le débat public.
À 87 ans, la veuve de Maurice Audin se bat encore pour que la vérité soit faite sur l’assassinat de son mari et la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie. Portrait d’une militante anticolonialiste qui a combattu sans relâche les lâchetés politiques et les mensonges de la grande Muette.
Cléopâtre Séléné II ( / v. 5 de notre ère), parfois appelée Cléopâtre VIII, est la fille de Cléopâtre VII et Marc Antoine et la sœur jumelle d'Alexandre Hélios. Elle est, avec Juba II, souveraine de Maurétanie césarienne et s'établit à Césarée de Maurétanie (actuelle Cherchell en Algérie) où elle décède vers l'an 5 ap. J-C. Elle est enterrée dans le mausolée royal de Maurétanie, à proximité de la ville de Tipaza.
Pièce aux effigies de Juba II et de Cléopâtre Séléné
Princesse du royaume lagide d'Égypte elle est née le , jumelle d'Alexandre Hélios.
Sa mère Cléopâtre VII grâce à sa politique d'alliance avec Marc Antoine reconstitue une vaste zone d'influence en Méditerranée. Ils déclarent ainsi Cléopâtre Séléné reine de Cyrénaïque à l'automne 34 av J.-C. ce qui sera l'une des raisons du conflit ouvert entre Rome et Alexandrie qui aboutit en 30 av J.-C. à la défaite du parti égyptien et à la chute de la dynastie lagide. L'Égypte est annexée par Octave, et Cléopâtre à peine âgée de dix ans part en exil à Rome, confiée à l'éducation d'Octavie, la sœur du vainqueur et épouse du vaincu. En 20 av J.-C. elle est donnée en mariage à Juba II qui est nommé roi de Maurétanie par Octave devenu Auguste, premier empereur romain.
Règne
Reine de Maurétanie, Cléopâtre VIII exerce alors une certaine influence sur la politique de Juba II notamment en ce qui concerne les arts, les lettres et l'architecture, faisant de leur capitale Césarée, l'actuelle Cherchell en Algérie, une vaste cité prospère et dotée de monuments dignes des grandes capitales du monde antique d'alors.
Grâce à son influence, le royaume maurétanien (qui recouvre l'actuel Maroc et Algérie) prospère. La Maurétanie exporte et commerce dans l'ensemble de la Méditerranée. Les constructions et la sculpture à Cæsaria, la capitale, affichent un riche mélange de styles architecturaux de l'ancienne Égypte, des Grecs et des Romains.
La date de sa mort est incertaine. Certains spécialistes proposent l'an 5 de notre ère1. Ceci est basé sur l'hypothèse du remariage de Juba II à Glaphyra en l'an 3 ou 4, ce qui indique qu'il était veuf à l'époque, car Juba II étant un citoyen romain était tenu d'être monogame en droit romain.
La date exacte provient du poète grec Crinagoras (Anthologia Palatina), qui décrit « un assombrissement de la lune à sa mort ». On pense qu'il fait référence à une éclipse lunaire qui aurait eu lieu le . D'autres avancent pour des raisons similaires la date de l'an 5 / 6 de notre ère, comme B. Chanler2, qui fait valoir que Ptolémée commence à apparaître avec son père sur des pièces de monnaie datées de l'an 5 et suppose que c'est parce que Juba II souhaitait insister sur la continuité dynastique immédiatement après la mort de Cléopâtre. M. Coltelloni-Trannoy avance le même argument et note également la disparition de toutes les images liées à Cléopâtre Séléné II sur ces pièces à cette date3.
Cette hypothèse semble la plus probable étant donné les dates de naissances données aux enfants de Cléopâtre Séléné dont Drusilla née en 5 av J.-C. et surtout son fils Ptoléméequi est connu pour être né en 1 av J.-C..
Zénobie, reine de Palmyre, retrace son ascendance jusqu'à eux.
Sépulture
Tombeau royal de Tipaza
Cléopâtre Séléné est enterrée avec son époux Juba II dans une tombe monumentale appelée le « tombeau de la Chrétienne ». Certains commentateurs estiment que cette dénomination viendrait des croix qui ont été gravées ultérieurement sur les fausses-portes du monument. Toutefois, l'identité de tous ceux qui ont été enterrés dans ce mausolée n'est pas connue.
Situé près de Tipaza en Algérie à une soixantaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, le tombeau royal s'inspire de l'architecture funéraire hellénistique héritée d'Alexandrie, ainsi que de celle des tombeaux royaux classiques de l'époque tels qu'on pouvait en voir à Rome4.
Édifié sur plan circulaire, il est constitué d'un tambour massif et monumental orné de soixante demi-colonnes d'ordre ionique et coiffé d'un tumulus en maçonnerie qui initialement devait soit être planté d'arbres soit orné de statues et autres éléments architecturaux disparus depuis longtemps.
Le tombeau possède quatre portes monumentales disposées aux quatre points cardinaux, dont trois fausses-portes et une seule donnant réellement accès à la galerie interne. Cette dernière adopte un plan également circulaire avant de bifurquer vers les appartements funéraires constitués d'une antichambre et du caveau royal dans lequel devaient se trouver les sarcophages de Cleopâtre et de son époux.
S’ils avaient été nos contemporains, Juba II et Cléôpatre Séléné auraient eu tout pour plaire aux médias people les plus exigeants en matière de jet-set : des parents couronnés qui ont eux-mêmes largement défrayé la chronique mondaine et politique ; ils ont été élevés ensemble dans le palais de l’empereur Auguste et enfin, tous deux étaient de grands amateurs d’art.
Cléôpatre Séléné, c’est le patrimoine familial, puisque descendante d’un général d’Alexandre le Grand, elle fait partie de la dynastie lagide qui donne à l’Egypte les derniers pharaons d’origine gréco-égyptienne, les Ptolémées. Sa célèbre Cléôpatre de mère, installée à Rome avant sa prise de pouvoir sur le pays des pharaons, était déjà réputée pour savoir s’entourer d’une cour brillante, où philosophes, poètes et artistes participent de ce rayonnement hellénique. La future reine d’Egypte caressait alors un rêve, celui de créer un empire réunissant les meilleures traditions du bassin méditerranéen, la philosophie grecque, la tradition du commerce des Phéniciens et la riche culture égypto-africaine.
Ce rêve, sa fille Cléôpatre Séléné en devient en quelque sorte l’exécuteur testamentaire, lorsque, aux côtés de son mari, elle règne dès l’âge de 20 ans sur la province de Maurétanie qui fut remise par Auguste à Juba II en l’an 25 avant J-C en lui donnant pour mission « d’assouplir » ses sujets réputés turbulents, pour répandre les mœurs latines. Cléôpatre Séléné fit frapper sur les monnaies des symboles religieux égyptiens et des animaux que vénéraient les sujets de Pharaon. La capitale de la province est établie à Iol, actuelle Cherchell, que son époux baptise Césarée en l’honneur de son bienfaiteur. Il a appelé auprès de lui des savants, des artistes, des acteurs renommés et a pour médecin le grec Euphorbe. La cité est peuplée de statues (une des plus belles collections qu’abrite aujourd’hui le musée de Cherchell), et y construit de beaux édifices d’architecture classique, certains sont même représentés sur ses monnaies.
Juba II taquine lui-même la plume et devient l’auteur d’un ensemble d’écrits les uns encyclopédiques, les autres anecdotiques. Il est abondamment cité par certains auteurs grecs ou latins, mais aucun de ses ouvrages n’a été retrouvé. Pline l’Ancien y a puisé une large part de ses connaissances en botanique, zoologie et géographie, de même que Plutarque y a prélevé une somme d’informations sur les antiquités romaines. Ecrivant en grec et montrant un attachement sans limite à la culture de ce pays, les Athéniens le récompensent en lui élevant une statue auprès d’une bibliothèque de leur ville. Le règne de Juba dure presque un demi-siècle. Le couple engendre un fils, Ptolémée, qui n’a nullement retenu l’attention des historiens. Si ce n’est qu’il a été mis à mort par son neveu Caligula à Rome en l’an 40 suscitant sa jalousie par son sens de l’apparat et sa vanité. La Maurétanie est alors franchement annexée par Rome.
Cléôpatre Sélénée meurt vers l’an 5 ou 6 de notre ère. Juba II lui survit pendant dix-huit longues années. Et même si en accompagnant César le petit-fils d’Auguste en Orient, il se remarie avec Glaphyra, fille d’un roi de Cappadoce et veuve d’un fils d’Hérode, roi de Judée, il ne juge pas à propos de la ramener avec lui à Iol-Césarée. Sans doute que son amour pour Cléôpatre Sélénée ne supportait pas la présence d’une rivale sur un territoire que sa première femme avait totalement marqué de son influence. Jusqu’à cette dernière demeure que l’on attribue au célèbre couple royal, le mausolée qui coiffe une colline au sud de la ville sur la route de Tipasa. Ce monument de style africain, agrémenté d’éléments décoratifs appartenant au monde hellénistique n’a toujours pas livré ses secrets au sujet de la famille royale maure ou numide qui s’y est fait enterrer. Mais on se prend à rêver encore qu’il a été élevé par Juba II en hommage à sa Cléôpatre, fille de la lune*…
Par Samia Khorsi
La Reine Cléopâtre Séléné et son époux le Roi Juba II dans leurs jardins à Césarée (Cherchell)
Hommage. Mireille Calle-Gruber, écrivaine et spécialiste de littérature française contemporaine, salue ici Assia Djebar, écrivaine et cinéaste, académicienne française, morte le 6 février 2015.
« Pas le blanc de l’oubli. De cet oubli-là : oubli de l’oubli même sous les mots des éloges publics, des hommages collectifs, des souvenirs mis en scène. Non : car tous ces mots, bruyants, déclamés, attendus, tout ce bruit les gêne, mes trois amis ; les empêche, j’en suis sûre, de nous revenir, de nous effleurer, de nous revivifier!
Je ne demande rien : seulement qu’ils nous hantent encore, qu’ils nous habitent. Mais dans quelle langue ? »
C’est ainsi qu’Assia Djebar chante la déploration de ses amis assassinés, à Alger, à Oran, en 1993, évoquant pour chacun leur dernier jour de vivant, elle qui, à l’enseigne de Dante, invente, dans Le Blanc de l’Algérie (Albin Michel, 1995), une langue des morts liée par la poésie, capable de donner aux absents leur voix d’aube et de « fragrante douceur ». Elle qui fait du thrène une lente procession littéraire aux accents de pleureuses antiques, sans rien céder cependant de la véhémence politique qui tient les mots au bord de la fureur.
Comment aujourd’hui trouver les phrases qui la célèbrent à son tour dans la mort, en faisant entendre la voix reviviscence de son écriture et en nous laissant habiter par elle ?
Car c’est un immense écrivain qui vient de disparaître avec Assia Djebar, désormais inscrite dans le cours de la vie terrestre et sur la carte de la littérature mondiale.
Un écrivain dont la puissance et le charisme n’ont cessé d’explorer des voies difficiles : l’émancipation des femmes, « nous, les mutilées de l’adolescence, les précipitées hors corridor d’un bonheur excisé », et leur liberté dans l’islam (Loin de Médine, Albin Michel, 1991, est à cet égard un livre incontournable, qui puise aux textes-sources précoraniques, Ibn Hicham, Tabari, Ibn Saad) ; le rejet de la polygamie ; le rejet de la déshérence qui dépouille les filles de leur héritage au profit de leurs frères (Nulle part dans la maison de mon père, Fayard, 2007) ; la recherche d’une mémoire algérienne occultée par l’histoire militaire française (historienne universitaire, Assia Djebar sait que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire : tous ses romans sont aussi la traversée d’une archive douloureuse) ; l’écoute vertigineuse des langues longtemps opprimées par le colonialisme, puis par la décolonisation ; le refus de toutes les violences et terrorismes, et l’aspiration à une Algérie des différences et des pluralités culturelles (« des Algéries ») ; la recherche « des mots-braise qui vous brûlent mais pourraient aussi vous consoler » (L’Amour, la fantasia, Albin Michel, 1985).
C’est assez rare pour être mentionné : Assia Djebar avait les qualités de ses livres : générosité et grâce. Et pas sans pugnacité.
Comment dire avec justesse sa part intime, réserve ou pudeur d’une élégance tout intérieure, vêtant du pseudonyme de consolation (assia) et d’intransigeance (djebar) l’audace de ses écrits ; mais aussi le courage avec lequel elle exposait, pour soutenir les causes qu’elle pensait justes, une vulnérabilité ancestrale, héritée du savoir qu’être une fille est une « blessure ». Découvrant que le mot « derra », qui signifie « blessure », désigne aussi la co-épouse, c’est-à-dire la « nouvelle épousée, rivale d’une première femme du même homme », Assia Djebar prit le contre-pied et composa, au titre de « Toute femme est blessure », les cent premières pages de Ombre sultane (Albin Michel, 1987), roman inspiré de la figure des deux sœurs Shéhérazade et Dinarzade, dans les Mille et une nuits, la seconde veillant à éveiller la première et à lui souffler les mots du récit salvateur.
Belle image d’alliance féminine. Et de la résistance d’une parole à plus d’une voix.
Comment dire la part de l’amitié, qu’Assia aimait appeler « sororité » – de ce nom donné par elle aux solidarités entre femmes de tous âges et de tous pays, portant à l’affirmation d’une culture au féminin –, et la part de l’œuvre aux somptueuses arabesques, véritable opéra par le travail de composition, musicale, architecturale, qui dote chaque livre du secret d’une forme ?
Ses ouvrages innovent par une hybridation des genres, le roman se nourrissant des processus du montage cinématographique, la beauté du cadrage filmique opérant comme une revanche de l’œil de la voilée devenu œil-caméra, « ce regard artificiel qu’ils t’ont laissé, plus petit, cent mille fois plus restreint que celui qu’Allah t’a donné à la naissance (…), ce regard miniature devient ma caméra à moi, dorénavant. Nous toutes du monde des femmes de l’ombre, renversant la démarche : nous enfin qui regardons, nous qui commençons » (Vaste est la prison, 1995).
Conjuguant le documentaire et la fiction en une tension extrême, la cinéaste, loin du divertissant « docu-fiction », creuse la fragilité des représentations : où elle projette l’à-venir des femmes, et des hommes, le rêve d’ouverture, la possibilité d’un jour « respirer à l’air libre » : « Ainsi, la fiction, à l’intérieur du documentaire, conserve un symbole d’espérance. »
Ce qui est impensable, Assia Djebar l’appelle ; ce qui est improbable, elle le caresse. Ce qui ne parle pas (encore), elle le fait perler.
Romancière, Assia Djebar parie sur la fiction qui ouvre les portes, les yeux, les phrases. A l’exemple de Picasso, dont la peinture fait éclater la clôture du harem peint par Delacroix avec Femmes d’Alger dans leur appartement (1834), l’écriture d’Assia, dès son recueil de nouvelles intitulé aussi Femmes d’Alger dans leur appartement (Des femmes, 1980), « est d’une façon ou d’une autre une transgression ». Elle donne à lire comme la traduction d' « un arabe populaire, ou d’un arabe féminin, autant dire d’un arabe souterrain », afin de rappeler que « celles qu’on incarcère, de tous âges, de toutes conditions, ont des corps prisonniers mais des âmes plus que jamais mouvantes ». Assia Djebar écrit en direction de la chambre lumineuse du tableau de Picasso (Les Femmes d’Alger, peint en 1954-1955, alors que débute la guerre delibération de l’Algérie) : la grammaire de ses récits transpose en langues les visions de l’espoir : « Libération glorieuse de l’espace, réveil des corps dans la danse, la dépense, le mouvement gratuit. »
« Mais dans quelle langue ? » Justement. La question revient de livre en livre, et c’est la question de l’écrivain par excellence. Elle a chez Assia Djebar une gravité singulière. Berbérophone par ses grands-parents maternels, arabophone par son père, ne pouvant écrire qu’en français, elle est consciente que la langue de la subjugation coloniale est aussi, pour elle, langue d’émancipation : « Moi, femme arabe, écrivant mal l’arabe classique, aimant et souffrant dans le dialecte de ma mère, sachant qu’il me faut trouver le chant profond, étranglé dans la gorge des miens, le retrouver par l’image, par le murmure sous l’image » (Vaste est la prison).
La chance de cette liberté résolument donnée par le père, « instituteur de la France », elle en fait un emblème à l’ouverture de L’Amour, la fantasia : « Fillette arabe allant pour la première fois à l’école, un matin d’automne, main dans la main du père. »
De l’alphabet français, elle se compose un « pays-langue » où jamais elle n’est en exil : car sa langue française est habitée par les rythmes andalous et la pensée soufie, les complaintes berbères, les sonorités du houd ou du chant de Taos Amrouche, bref par toutes les voix non-françaises, « les gutturales, les ensauvagées, les insoumises » qui constituent le sistre de l’écriture.
L’écriture d’Assia, c’est « tenter de voir le regard de l’intérieur, voir l’essence, les structures, l’envol sous la matière… »
Ses textes relèvent moins de la francophonie que de ce qu’elle appelle une « franco-graphie », avec dans l’oreille les sons arabes des dialectes méprisés ou des cultures traditionnelles. Consciente de la richesse de la plurilangue (elle préface le Dictionnaire des mots français d’origine arabe, Seuil, 2007, où elle souligne l’importance pédagogique, dans l’école de la République, de ces « mots-passerelles » pour l’intégration des enfants d’immigrés), consciente de la valeur énergétique et poétique de ce nomadisme linguistique, et du danger de l’obscurantisme, elle dénonce les censures et les meurtres des enseignants de français (La Disparition de la langue française, 2003 ; Oran langue morte, 1997).
Pour autant, Assia Djebar ne s’est jamais prise pour un porte-parole. Avec humilité, avec amour, elle se présente « scripteuse », « diseuse », « passeuse » des récits des femmes analphabètes : elle sait faire entendre la poignante maladresse de celles à qui on ne donne jamais la parole, les témoignages des maquisardes par exemple, dans L’Amour, la fantasia, ou La Femme sans sépulture (Albin Michel, 2002). De même, la cinéaste ne « prend » pas tout, respecte le retrait des paysannes de la région du Mont Chenoua où elle tourne, en 1975-1976, son long-métrage La Nouba des femmes du mont Chenoua (1978).
Il importe d’écrire le silence. De filmer les vies du silence. Elle aime citer Kandinsky : « Le blanc, sur notre âme, agit comme le silence absolu. »
Lorsque Assia Djebar franchit le pas vers l’écriture autobiographique, malgré la « hochma », la honte en arabe, ce fut pour pratiquer une autobiographie de nécessité ; celle d’une implication com-passionnelle qui ne peut avoir lieu que dans un texte autobiographique bruissant de biographies diverses et de sagas généalogiques, quand ce n’est pas en partage l’autobiographie de l’Algérie.
C’est aussi l’autobiographie-dans-la-langue qu’elle entreprend : langue voile et langue révélateur, le français est l’aventure de sa transformation personnelle. C’est la seule « identité » qu’elle se reconnaisse : une mouvante « identité-de-la-langue ». Elle était parvenue à assumer pleinement cet être à l’autre qu’est l’écriture « dans la langue adverse », et elle y inscrivait ce qu’elle nomme son « désarroi rimé ».
En vérité, une éthique de l’autobiographie la tenait en travail : Assia avait compris que s’émanciper n’est pas se renier, et qu’il y a, même si douloureuse, une fidélité aux siens. Davantage, et c’est son honneur à cette femme-écrivain : en 1999, dans Ces voix qui m’assiègent, elle engage sa parole française comme on fait un serment :
« Autrefois l’on disait : “Je suis homme (ou femme) de parole”, on affirmait aussi : “Je n’ai qu’une parole” et le sens en était reçu presque en termes d’honneur, eh bien, je choisis de me présenter sommairement devant vous par cette affirmation : “Je suis femme d’écriture”, j’ajouterai presque sur un ton de gravité et d’amour :
– Je n’ai qu’une écriture : celle de la langue française, avec laquelle je trace chaque page de chaque livre, qu’il soit de fiction ou de réflexion. »
Malgré les très nombreuses distinctions qu’elle a reçues, il est bien dommage que le prix Nobel ne lui ait pas été décerné alors qu’elle était « nobélisable » depuis des années (en octobre 2014, encore, comme à chaque saison désormais, Le Monde m’a téléphoné afin que je me tienne prête à la célébrer – et me voici écrivant aujourd’hui un chant funèbre…). Dommage, parce que cette distinction nous aurait fait gagner du temps, aurait fait comprendre largement que l’œuvre d’Assia Djebar est un précieux viatique dans le difficile chemin que nous nous efforçons de tracer vers le « vivre ensemble ».
Dans son émouvant discours d’entrée à l’Académie française, en 2005, Assia Djebar affirmait qu’elle était « contente pour la francophonie du Maghreb », qu’elle entrait avec « les ombres encore vives de mes confrères – écrivains, journalistes, intellectuels, femmes et hommes d’Algérie, qui dans la décennie quatre-vingt-dix ont payé de leur vie le fait d’écrire, d’exposer leurs idées ou tout simplement d’enseigner… en langue française ».
Ils étaient donc sous la Coupole avec elle, Abdelkader Alloula, Mahfoud Boucebci, M’Hamed Boukhobza, et tous les écrivains d’Algérie dont la mort est évoquée dans Le Blanc de l’Algérie.
Le vendredi 20 août 1993, Assia m’écrivait, sous le choc des morts répétées, une longue lettre : « Mes derniers souvenirs avec Mahfoud, c’était il y a 10 ans ou 12 : il venait dans mon appart. d’Alger où je faisais des soirées. Je lui disais : “Les gens disent que tu es le meilleur psychiatre d’Algérie : Moi je dis que tu es le meilleur danseur d’Alger !” Et j’aimais danser avec lui, au milieu de mon groupe d’amis… Je n’ai rien manifesté. Je ne suis pas allée aux “hommages” parisiens… Je me raccrochais à l’image de Mahfoud dansant avec moi, à nos rires… »
A mon tour, c’est l’image d’Assia dansante que je veux garder. Tu dansais comme on danse chez toi depuis des siècles. Quand tu dansais, c’était grâce et réserve. C’était toutes les femmes de l’Arabie heureuse avec toi !
Mireille Calle-Gruber, professeur à La Sorbonne Nouvelle et écrivain a publié : Assia Djebar, la résistance de l’écriture (Maisonneuve & Larose, 2001) et Assia Djebar, une existence surabondante dans le cœur, (adpf Ministère des affaires étrangères/Institut français/La Documentation française, 2007). Elle a dirigé le colloque de la Maison des écrivains à Paris : « Assia Djebar. Nomade entre les murs » (Maisonneuve & Larose,/Académie royale de Belgique, 2005) et, avec Wolfgang Asholt et Dominique Combe, le colloque de Cerisy : « Assia Djebar, littérature et transmission » (Presses Sorbonne Nouvelle, 2010).
par Mireille Calle-Gruber
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Assia Djebar: "Le Blanc de l'Algérie"
Je viens de relire ce magnifique livre d'Assia Djebar: "Le blanc de l'Algérie". Je connais assez bien l'oeuvre de cette femme, algérienne, écrivant en français, élue il y a quelques années à l'Académie française et à propos de laquelle j'ai fait naguère une conférence. J'ai aussi aimé le discours qu'elle a prononcé lors de sa réception à l'Académie française ou , tout en condamnant fermement la colonisation française et ses crimes , elle a fait un très bel éloge de la langue française.( On peut aussi l'écouter ici) Dans le "Blanc de l'Algérie" ce livre paru en 1995 chez Albin Michel elle évoque la mort , souvent brutale, de nombreux intellectuels et militants algériens pendant la guerre de libération et pendant la décennie noire du terrorisme islamique. C'est une évocation très émouvante , dans une langue superbe. On y retrouve de très nombreux écrivains et poètes Mouloud Ferraoun, Franz Fanon, Jean Amrouche mais aussi Albert Camus et Jean Senac et bien d'autres encore. Assia Djebar évoque plusieurs fois Camus , mais la page qu'elle consacre a sa mort est le récit émouvant de l'annonce de cette mort à sa mère dans le petit appartement de Belcourt.
Le livre est dédié et il est consacré , en grande partie, a trois de ses amis disparus: Mahfoud Boucebci, M'Hamed Boukobza et Abdel Kader Alloula.
Mais laissons Assia Djebar dire ce qu'elle a voulu faire. (p.259)
"D'autres parlent de l'Algérie, la décrivent, l'interpellent;ils tentent, s'imaginent- ils, d'éclairer son chemin. Quel chemin? La moitié de la terre d'Algérie vient d'être saisie par des ténèbres mouvantes, effrayantes et parfois hideuses..Il n' y a donc plus seulement la nuit des femmes parquées, resserrées, exploitées comme de simples génitrices-et ce, des générations durant! Quel chemin, c'est à dire quel avenir?
D'autres savent, ou s'interrogent... D'autres, certains compatriotes, comme moi, chaque matin soucieux, tremblants parfois, vont aux nouvelles, eux que l'exil taraude.
D'autres écrivent "sur" l'Algérie, sur son malheur fertile, sur ses monstres réapparus. Moi, je me suis simplement retrouvée, dans ces pages, avec quelques amis. Moi, j'ai désiré me rapprocher d'eux, de la frontière que je découvre irréversible et qui tente de me séparer d'eux...Moi, écrivant ici, j'ai eu enfin quelques larmes sur la joue: larmes soudain adoucies, parce que je voyais le demi-sourire de m'Hamed Boukhobaza ( " tafla" disait-il en parlant de moi, me rapporte l'ami commun- la "petite?" dois -je traduire, surprise); parce que je contemple l'image précise de Kader marchant dans les rues d'Oran- sa démarche haute, son visage apaisé et serein, son regard brillant, son aisance de seigneur modeste et parfois son rire indulgent ou secret-; j'ai dansé à nouveau avec Mahfoud Boucebci, lui dont le regard se tourmente, par éclairs...
Moi, je me suis rapproché de ceux que j'aime, qui vivent encore auprès de moi. Je regrette de n'avoir jamais su leur dire, de n'avoir pas osé avouer mon affection pour eux; je souffre d'avoir causé du chagrin, une fois - une seule fois,il est vrai- à Kader, Kader et sa bonté, sa patience inépuisables! ....... J'écris et je sèche quelques larmes. Je ne crois pas en leur mort: en cela, pour moi, elle est inachevée. D'autres parlent de l'Algérie qu'ils aiment, qu'ils connaissent, qu'ils fréquentent. Moi, grâce à quelques-uns de mes amis couchés là dans ce texte- et de quelques confrères, trop tôt évanouis- le dernier jour, certains écrivaient encore: des poèmes, un article , une page en cours d'un roman destiné a rester inachevé- moi, opiniâtre, je les ressuscite, ou j'imagine le faire. Oui, tant d’autres parlent de l'Algérie, avec ferveur ou colère. Moi, m'adressant à mes disparus et réconfortée par eux, le la rêve."
« Et il est bien pour vous de jeûner, si vous en saviez»
(verset 184 de la Sourate La Vache (El Bakara)
Il est à remarquer, qu'à chaque mois de ramadhan, à défaut de connaissances médicales sur les bienfaits du jeûne, les imams et autres penseurs musulmans, contournent le discours scientifique à la faveur du spirituel. Par conséquent, nous sommes nombreux, pour ne pas dire tous, à apprendre par cœur, les vertus morales et spirituelles du jeûne, sans toutefois en connaître ses vertus thérapeutiques sur le corps humain.
Une lecture non exhaustive sur le sujet, de certains supports médiatiques étrangers, démontre le grand intérêt que portent les médecins et autres personnalités scientifiques de renom, sur les bienfaits du jeûne dans l'amélioration de la défense immunitaire et le traitement de certaines pathologies graves.
Tout d'abord, il y a lieu d'admettre que la source de nombreuses maladies de notre temps est principalement liée à notre régime alimentaire. Dans un rapport établi conjointement par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation), en 2002, intitulé : Alimentation, nutrition et prévention des maladies chroniques, on peut lire : « Les habitudes alimentaires ont considérablement évolué depuis le milieu du XXème siècle. Une alimentation riche en graisses et en aliments à forte densité énergétique, centrée autour d'aliments d'origine animale, a remplacé l'alimentation traditionnelle principalement basée sur des aliments d'origine végétale. Cela a joué un rôle clé dans l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques d'origine nutritionnelle : obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers et ostéoporose, principalement ».
Ainsi, nos estomacs qui broient à longueur d'année différents types de nourriture, deviennent forcément, le lieu et point de départ de nombreuses maladies, consacrant de facto, la maxime d'un ancien médecin arabe : «L'estomac en est la demeure de toutes les pathologies». Cette réalité a poussé pas mal de chercheurs et scientifiques à travers le monde, à se pencher et s'interroger sur l'impact du jeûne sur des jeûneurs sains et malades. Actuellement, c'est la tendance du jeûne thérapeutique qui est proposé à certains patients, par la création de centres de cures appropriés aux jeûneurs.
L'effet du jeûne sur l'obésité
Ou comment le corps humain réagit à la privation de nourriture ? Durant la période de jeûne et suite à l'absence de nourriture, le corps utilise les stocks de glucose en sa possession. Pour pallier ce déficit, l'organisme s'attaque alors à ses réserves protéiques à partir des muscles et lipidiques qu'il puise à partir de la masse graisseuse.
Cette opération est pilotée par la sécrétion d'une hormone de croissance appelée GH qui tout en favorisant la perte de masse graisseuse, elle préserve la masse musculaire en régulant le taux de glucose sanguin, ainsi que le niveau de plusieurs hormones. Résultat : une perte de masse graisseuse qui a pour conséquence une perte de poids, appropriée aux personnes obèses.
La détoxication du corps par le jeûne
S'il est évident et naturel qu'on ne peut survivre sans manger, nous devrions alors bien prendre conscience des effets néfastes de la nutrition de trop qui impliquent naturellement, l'emmagasinement des stocks de calories de trop, mettant en difficulté notre organisme à les brûler. L'encrassement de ces calories, rend impossible la détoxication c'est-à-dire l'élimination des toxines issues principalement et conjointement de notre alimentation et de la pollution environnementale. D'ou l'intérêt et l'utilité du jeûne. En s'abstenant de toute ingestion de nourriture solide ou liquide durant toute une journée jusqu'au coucher du soleil pour les musulmans, ou à travers le jeûne intermittent pratiqué dans des centres de cure en Occident, qui en général, n'autorise que la consommation d'eau, l'organisme s'auto purifie et se débarrasse de ses toxines. Une détoxication qui se manifeste d'ailleurs par la mauvaise haleine dégagée de la bouche du jeûneur.
L'effet positif du jeûne sur le cancer
L'efficacité du jeûne dans la prévention et le traitement du cancer, comme adjuvant en parallèle aux traitements conventionnels par la chimiothérapie, n'est plus à démontrer. Des études menées par le biochimiste américain Valter Longo, à l'université de Californie à Los Angeles, sont on ne plus affirmatives.
L'expérience menée sur deux groupes de souris portant le cancer et exposés à la chimiothérapie, le chercheur constate, après quelques semaines, que les souris ayant subi le jeûne (privées de nourriture) sont toutes, des survivantes, alors qu'un tiers du groupe de souris bien nourries, n'ont pas survécu. Mieux encore, il découvre chez les souris ayant subi la privation une réduction du processus tumoral due à l'augmentation de la sensibilité des cellules cancéreuses aux effets délétères de la chimiothérapie et à la protection des cellules saines qui furent épargnées. Cet effet trouve son explication, selon le biochimiste, du fait que chez les jeûneurs, la présence en quantités infinies des deux facteurs, à savoir le glucose (carburant par excellence des cellules cancéreuses) et l'insuline, contribue favorablement au ralentissement, voire au blocage du processus tumoral. La baisse de niveau de ces deux facteurs entraîne, d'une part une diminution de la dépense énergétique des cellules saines en les poussant à la survie, d'autre part un impact efficace de la chimiothérapie sur les cellules cancéreuses. Ceci contribue également à une diminution palpable des effets secondaires de la chimiothérapie (maux de tête, vomissements, diarrhées ) sur les jeûneurs.
L'effet sur diabète de type 2
Chez un individu sain, le contrôle de la glycémie (taux de glucose dans le sang) se fait par une hormone sécrétée par le pancréas, l'insuline. Cette dernière a pour fonction : le passage du glucose du sang vers les cellules musculaires et le foie, afin qu'il soit utilisé comme carburant.
Chez une personne atteinte de diabète de type 2, le pancréas altéré devient incapable de secréter l'insuline pour réguler la glycémie. Le patient subira alors une hyperglycémie (taux de glucose très élevé dans le sang) qui ne peut être régulé que par l'apport d'insuline médicamenteuse administrée quotidiennement. Le jeûne a pour effet de baisser le taux de glucose dans le sang, ce qui met au repos le pancréas et permet aux cellules de retrouver une sensibilité normale à l'insuline. Pour les diabétiques, jeûner sans contrôle médical, relève l'insouciance et n'est pas sans gravité.
L'effet sur les malades dépressifs
Rivalité oblige, les Soviétiques à l'instar des Américains qui les ont précédés, s'intéressaient sur les bienfaits du jeûne. C'est au médecin Youri Nikolaïev que revient le mérite de découvrir le traitement des dépressifs par le jeûne. Il expérimente le jeûne auprès de diverses catégories de malades dépressifs, des angoissés et des personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs. Des semaines après, il obtient de résultats édifiants : ses patients se sentaient mieux et revenaient à des rapports sociaux normaux.
Lui emboîtant le pas, les Allemands approuvent les résultats de leur collègue soviétique, en expliquant que l'état d'esprit positif que retrouvent les malades jeûneurs, correspond à une hausse du cortisol au petit matin, de la dopamine dans la journée et de la sérotonine le soir et à une baisse de l'insuline et des hormones thyroïdiennes durant la période du jeûne. Toutefois, ils font remarquer que l'efficacité de cette méthode pour le long terme est assujettie à la recherche et l'extirpation des causes initiales de la dépression.
L' effet sur les hypertendus
La tension artérielle correspond à la pression du sang dans les artères. Ces dernières conduisent le sang du cœur vers les différents tissus de l'organisme et fournissent ainsi aux cellules l'oxygène indispensable à leur survie
Pour remplir leur fonction de manière satisfaisante, ces conduits (artères) doivent rester souples et non obstrués (libres de dépôts graisseux). Nombreux facteurs influencent la pression artérielle.
En mesurant notre tension par le biais d'un tensiomètre, nous obtenons deux chiffres. Le chiffre élevé correspond à la pression sanguine due à la contraction du cœur, appelé : pression systolique. Le second chiffre correspond au relâchement du cœur, appelé : pression diastolique. Les deux chiffres ne doivent pas dépasser les normes établies par l' l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ainsi l'augmentation isolée du premier chiffre au-dessus de 14 (140 mm de mercure) ou du second au dessus de 9 (90 mm de mercure) suffit à définir l'hypertension.
Le jeûne diminue les facteurs de risque cardiovasculaire, dont ceux de l'hypertension artérielle. Nombreuses études menées à travers le monde, sur des hypertendus, ont montré que le jeûne permettrait d'obtenir une normalisation de la tension.
Des patients ayant jeûné durant 3 semaines ont perdu du poids et ont vu une baisse sensible de leurs taux de cholestérol total, de LDL-cholestérol (mauvais cholestérol), de triglycérides et d'insulinémie. La baisse de ces facteurs a effectivement amélioré la tension
Conclusion
A travers les quelques exemples de pathologies sus-indiqués, il est clair que l'effet thérapeutique du jeûne sur les malades a fait ses preuves au point de concurrencer les traitements par la médecine conventionnelle, à base de médicaments. Cependant, pour éviter d'éventuels risques pour les malades, le contrôle médical du jeûneur par un médecin doit être impératif.
Les musulmans que nous sommes doivent s'estimer heureux et louer le seigneur Allah pour nous avoir prescrit obligatoirement le jeûne durant tout le mois sacré de ramadhan, car nous sommes doublement récompensés. En plus des vertus thérapeutiques du jeûne sur notre santé, le jeûneur se réjouira de voir ses péchés, effacés, et ce comme souligné par le messager d'Allah, Mohamed (Que salut et prières d'Allah le couvrent) : «Quiconque aurait jeûné le mois de ramadhan dans la foi et la sincérité, serait absout de ses péchés».
« Et il est bien pour vous de jeûner, si vous en saviez» consacre le saint Coran.
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