Rares sont les témoignages de cette qualité, tant pour la forme que pour le fond. Franco-américain, journaliste de profession, Sanche de Grandmont (devenu Ted Morgan), fils d’un Français libre, fait les EOR pour tenter d’échapper à la guerre d’Algérie, mais se retrouve dans le bled, en septembre 1956. Sous-lieutenant au sein du 1er régiment d’infanterie, il connaît l’épreuve du feu auprès de ses soldats sénégalais. Remarqué par Massu au cours d’une permission, il est témoin direct de l’ensemble de la « bataille d’Alger », de janvier à octobre 1957, comme rédacteur à la revue de contre-propagande Réalités Algériennes. Dans la rue d’Isly lors de l’attentat dit du bazooka, il échappe ensuite à deux autres attentats, dont celui du Casino de la Corniche. Esprit curieux, séduit par la forte personnalité et les méthodes, sauf l’emploi de la torture, du colonel Bigeard, il sillonne Alger et sa périphérie, de la Casbah, à la Mitidja, en passant par le bordel de luxe pour officiers supérieurs, Le Léopard. Il décrit aussi les officines de sévices en tout genre telle la villa Sésini. Il fréquente tous les milieux, Français d’Algérie, grandes familles, juifs, petites gens de Bab-el-Oued, sympathisants ou membres du FLN que sa double nationalité, son culot, et ses habits civils lui permettent de rencontrer. De sorte que cet acteur-témoin reste convaincu que la France perdit la guerre à Alger sur le plan diplomatique et moral pour le gain de quelques mois de tranquillité après les vagues d’attentats aveugles. Ted Morgan confirme que ce fut bien le commandant Aussaresses qui exécuta Maurice Audin. Il cite des rapports de police, qu’il a eus en main, sur les vols commis par les paras, décrit les méthodes employées par les tortionnaires, tout en démontrant, surtout pour la seconde phase de la bataille d’Alger, que la torture n’a pas été le seul moyen de renseignement. Il est en effet le premier à évoquer l’utilisation, à Alger, de la photographie aérienne, mais aussi comment Yacef Saadi livra Ali-La-Pointe. Il a suivi tous les procès d’Alger et rencontré le sulfureux Me Vergès, surnommé « Maître Guillotine ». Enfin, ce témoignage de toute première importance, croisé par les relectures de ces anciens camarades encore vivants, évoque le cas unique d’un lieutenant de parachutiste, fin 1957, dans l’Est algérien. Ayant refusé de commettre un crime de guerre, il fut dégradé et humilié. Déserteur, il fut exfiltré d’Algérie par le FLN. Le pourquoi de ce livre à destination du public américain tient dans une réflexion et une comparaison : la « bataille d’Alger » annonce le bourbier irakien, mais le total des morts par attentats ne représente qu’à peine deux jours de la « bataille de Bagdad ».
Ted Morgan accuse Yacef Saadi d'avoir livré Ali la Pointe et Hassiba Ben Bouali
L'historien et journaliste franco américain Ted Morgan qui a écrit en 2007 un livre intitulé "Ma bataille d'Alger" , qui a été traduit pour la première fois en français et sorti dans les librairies fin avril 2016, revient sur l'épisode qui a déjà fait couler beaucoup d'encre, ici en Algérie, sur la fin de parcours peu glorieuse de Yacef Saadi et Zohra Drif.
En 1955 Ted Morgan est appelé à faire son service militaire par la France alors en pleine Guerre d’Algérie. Morgan n’est guère enthousiaste mais il y va, par devoir dit-il. C’est cette expérience de deux ans qu’il raconte dans "Ma bataille d’Alger".
Pour notre part, nous nous sommes attelés à reproduire l'épisode qui révèle les faits troublants, c'est le moins qu'on puisse dire, de la rapide collaboration de Yacef et Drif avec les paras du général Massu, telle que décrite par l'auteur.
Yacef et Drif se rendent en moins d'une minute
Ted Morgan écrit : "Les parachutistes remontent rapidement grâce aux renseignements tirés de la torture vers la cachette de Yacef Saadi et Zohra Drif. (...) "Godard ordonne que l'on pose des explosifs près de la trappe, un artificier prépare une charge de plastic. Godard crie pour prévenir qu'une charge à mèche longue est posée, et que Yacef a dix minutes pour se rendre. Yacef jette alors son pistolet-mitrailleur dehors et sort avec Zohra Drif, mains en l'air. (...) il n'a pas fallu plus d'une minute pour qu'il capitule."
(...) Dans la casbah, le mot court qu'on l'a capturé sans résistance, au contraire de Ramel et Mourad qui se sont battus jusqu'à la fin.
(...) Yacef et Zohra restent vingt-deux jours au QG des paras, faisant des dépositions longues de plusieurs centaines de pages. Personne ne porte la main sur eux. Le haut commandement français défile pour les voir, comme si Yacef était une variété rarissime de panda dans un zoo. Salan vient le voir et le dévisage longuement, mais sans dire un mot. Massu lui confirme qu'il ne va être traité comme un terroriste mais comme un combattant. Au sortir de son entretien, Massu retire l'impression que Yacef Saadi tient plus de l'acteur de cinéma que du terroriste pur et dur. Ce n'est pas un Ben M'hidi. Il parait fragile, sans le moindre héroisme. Il s'est laissé prendre sans résistance. Et dans sa déposition, obtenue sans violence, il révèle l'emplacement de stocks de bombes ainsi que la cachette d'une réserve de pièces d'or. Zohra Drif, quant à elle, décrit dans sa déposition le rôle de jeunes femmes dans le soulèvement."
Yacef livre Ali la Pointe et Hassiba ben Bouali
Ted Morgan révèle que Yacef Saadi a donné la cachette, dans la casbah, où se trouvaient Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali, Mahmoud et le petit Omar, au 5, rue des Abdérames.
"Au soir du 7 octobre, les hommes du 1er REP encerclent le quartier Porte-Neuve. A minuit, les paras s'enfoncent dans le réseau des ruelles obscures et se déploient de terrasse en terrasse. A 5 heures du matin, on évacue les maisons alentour, et à 6 heures, une dizaine de paras pénètrent au numéro 5. Yacef Saadi est avec eux, enveloppé dans une grande gandoura à capuche et menotté à l'un des adjoints du capitaine Léger (toujours en permission), le lieutenant Joseph Estoup. Ils grimpent ensemble les escaliers jusqu'au deuxième étage et pénètrent dans un appartement où Yacef désigne une banquette cachant une porte secrète dans un mur de brique.
les paras savent que Ali ne se rendra pas, contrairement à Yacef. même s'il a avec lui, recroquevillés dans un espace de trois mètres carrés, Hassiba, Mahmoud et le petit omar.
Ali est de la trempe de Ramel et Mourad, prêt à se battre jusqu'à son dernier souffle. (...) Le capitaine Allaire, celui à la barbe broussailleuse, l'appelle au haut-parleur :
- Rends-toi Ali, c'est fini. Yacef Saadi est ici. On te promet qu'il ne te sera fait aucun mal.
Pas de réponse. le commandant Guiraud, qui commande le détachement de paras en l’absence du colonel Jeanpierre, blessé, décide de placer une charge d'explosif contre la porte secrète et des mines anti-char. (...) A 6h15, les mines explosent, (...), les murs du bâtiment s'effondrent.
Je vais par moi-même voir les dégâts. Les décombres ressemblent à ce que devait être Dresde en 1945 après les frappes aériennes alliées à la bombe incendiaire. Hassiba, le jeune Omar et Mahmoud sont affreusement défigurés. Quant à Ali la pointe, il est littéralement déchiqueté.
Yacef récrit l'histoire, déformant les faits
Ted Morgan termine son livre en donnant son avis sur le film "La bataille d'Alger", du réalisateur Gillo Pontecorvo, sorti en 1965 dont Yacef Saadi est l'un des producteurs et où il y joue son propre rôle.
L'auteur écrit "Mais cette grande référence du cinéma-vérité comporte un défaut fondamental. C'est Yacef Saadi qui y joue son propre rôle. Et il récrit l'histoire, déformant les faits pour enjoliver les circonstances de sa capture. Le film montre aussi un informateur qui se fait torturer pour révéler la cachette d'Ali la pointe. Alors que j'affirme qu'en réalité c'est Yacef Saadi lui-même qui a conduit les paras vers son frère d'armes, caché avec une jeune femme et deux garçons. N'en déplaise à la doxa algérienne actuelle, tant Yacef Saadi que Zohra Drif ont parlé après leur capture sans y être contraints et sans être torturés."
Par Mourad Arbani| 03 Juillet 2016
http://excerpts.numilog.com/books/9791021016248.pdf
My Battle of Algiers: A Memoir Mr. Morgan talked about his book My Battle of Algiers: A Memoir, published by Collins. In this memoir Pulitzer Prize-winner Ted Morgan recalls his service as a young officer in France’s bitter war in Algeria. A native of France, Mr. Morgan was working as a journalist in the United States in the mid-1950s when he received his conscription notice. Following a brief posting to a regiment in the Algerian countryside, he was transferred to Algiers, arriving just in time for the Battle of Algiers, which featured history’s first “systematic use of urban terrorism.”
Mr. Morgan spent much of his talk explaining why, in the preface to his book, he refers to the war in Iraq as “unwinnable.” He compared what the Iraqis are going through today with what the Algerians went through when fighting the French. Mr. Morgan also addressed the use of torture and its effectiveness in both Algeria and Iraq. He responded to questions from members of the audience.
Vidéo en Anglais...
Battle Algiers Memoir, Mar 14 2006 | Video | C-SPAN.org
Yacef Saadi
A la mémoire de Hassiba Bent Bouali
Cinq rue des Abderames.
5, rue des Abderames. Les paras français dynamitent la cache de Hassiba Ben Bouali, Ali La Pointe, Mahmoud Bouhamidi et le petit Omar le 8 octobre 1957 dans la Casbah.
Cinq rue des Abderames
Notre orgueil porte une adresse.
Un laurier pour quatre cadavres...
Cinq rue des Abderames.
C'est l'heure de la lune et du muletier,
Ta tête blonde contre deux chars
Tes vingt ans et la haine de Bigeard :
Néfissa arrête la fontaine,
La poseuse de bombe va mourir...
Cinq rue des Abderames...
Tu chercheras l'offrande de Hassiba
Entre les seins désespérés de la Casbah.
J'irai humer dans ta nouvelle rue
Ce qui nous reste de gloire
Mais j'ai peur d'y perdre pied,
Pèlerin abandonné
Trouverais-je dans les derniers galets,
Si le doute venait à m'épuiser,
Ta cause pour m'y reposer
Et dans le ressac de la mer
Un sel de grandeur
Et un soupçon d'immortalité ?
Cinq rue des Abderames...
Notre errance vient d'une tombe abandonnée :
Il nous a manqué un jour l'humilité
Pour arroser le laurier
Et un instant de mémoire
Pour réparer la lampe du muletier
Cinq rue des Abderames...
Il n'y a pas d'heure dans nos pendules
Après l'heure ultime :
La dernière sommation,
Le regard solitaire de Ali,
L'ultime caresse à P'tit Omar
Et le cri déchirant de Bab Edzira
La poseuse de bombes va mourir...
Cinq rue des Abderames...
J'ai marché dans ta nouvelle rue
Pour marchander ma part d'éternité
Et j'ai égaré mon nom dans ton obscurité
Hassiba, dans quelle éternité as-tu existé ?
Même Sidi Ramdane a oublié...
Je me suis tourné vers la mer désabusée
Elle proposait une vague blasée,
A des touristes désespérés,
Quelques reflets agonisants
D'un vieux prestige oublié.
Une larme de Aziza Bent El bey,
Le cri du dernier exilé
Et le dépit du premier corsaire.
Je n'irai plus dans ta nouvelle rue
Qu'ai-je à dire à cette foule orpheline
Vêtue de tes serments
Et de la prophétie des Aurès,
Que j'ai vu implorer le néant,
Autour d'un soldat inconnu,
De la sauver de l'infini ?
Ne pourrais-tu un jour
Allumer un réverbère sur mes doutes.
Un poème de prison de Mohamed Benchicou
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