Les États-Unis accueillirent sans déplaisir l’effondrement de la IV éme République, en mai 1958. On peut s’en étonner, dans la mesure où, tout au long de l’après-guerre, ils s’étaient préoccupés, de manière quasi-obsessionnelle, de la stabilité politique de la France. Or, en 1958, on s’aperçoit qu’ils jouent un rôle considérable dans la déstabilisation d’un régime que, depuis 1947,ils avaient mis tant de soin à protéger. Mais, pendant cette décennie, bien des choses avaient changé qui expliquent ce revirement américain. D’abord,l’économie française, fragile et dépendante de l’aide américaine entre 1947et 1952, était maintenant plus forte et en pleine croissance. Ensuite, la menace que représentait le Parti communiste en 1947 (les Américains l’avaient cru assez fort pour s’emparer du pouvoir quand il le voudrait) s’était beaucoup estompée. Washington avait refait de l’armée française une armée puissante,destinée à devenir le pivot de la défense européenne contre la menace soviétique ; mais, du fait de l’engagement massif des troupes françaises en Algérie,ce rôle était en passe d’être joué par l’armée allemande, dont la reconstruction avait immédiatement suivi l’échec de la CED en 1954.
Dans l’immédiat après-guerre, Paris et Washington avaient agi comme des alliés. À partir de1950, sous les auspices de l’Otan, les États-Unis avaient fourni à la France une assistance militaire considérable et, en 1953-1954, pendant ses deux dernières années, ils avaient presque entièrement financé la guerre d’Indochine, mêmesi l’objectif de la France (conserver à toute force un empire en train de s’écrouler) ne coïncidait pas avec celui des États-Unis, obsédés par l’idée d’éviter tout risque d’expansion du pouvoir soviétique. Les choses se présentaient tout différemment en Algérie, où l’insurrection se déclencha en novembre 1954,quelques mois après l’humiliante défaite de Diên Biên Phu et le retrait d’Indochine de toutes les forces françaises. Là le problème du communisme ne se posait pas, ou du moins pas encore, et les Américains retrouvèrent d’autant plus aisément leur position anticolonialiste qu’à leurs yeux, les Français, par leur impuissance à mettre un terme à la guerre, faisaient de plus en plus le jeu des ambitions soviétiques dans la région.
Légalement annexée par la France et dépendant du ministère de
l’Intérieur, l’Algérie, en 1954, n’en avait pas moins une économie
typiquement coloniale et ne se distinguait des autres possessions françaises
que par l’ampleur de la colonisation européenne. On comptait environ un million
de colons d’origine européenne, de langue et de culture française, et 140 000
juifs jouissant de la nationalité française, pour 8 546 000 musulmans, Arabes
et Berbères. L’implantation française en Tunisie et au Maroc, importante elle
aussi, n’était pourtant pas comparable à ce qu’elle était en Algérie. De plus,
ces deux autres pays du Maghreb étaient des « protectorats », dépendant du
ministère des Affaires étrangères. Les mouvements nationalistes y étaient plus
développés, et la Tunisie, après beaucoup de violence et d’instabilité, avait
obtenu son autonomie en 1954 avant d’accéder à l’indépendance en 1956. Le
Maroc, en crise lui aussi, allait obtenir la sienne l’année suivante. L’expérience
des protectorats, combinée à la défaite française en Indochine, devait largement contribuer au développement du nationalisme algérien.
L’immigration européenne en Algérie avait quasiment cessé depuis les années
vingt et le mouvement démographique s’était inversé. La population musulmane
croissait beaucoup plus vite que la population européenne, d’où une pression énorme
sur la quantité limitée de terres cultivables,les colons s’étant, depuis longtemps, approprié les meilleures parcelles, sur la bande côtière. Moins de 6 400 Européens étaient propriétaires de 87 % des terres cultivables, où vivaient plus d’un million de musulmans sous-employés
ou sans emploi. À la pauvreté croissante dans les campagnes s’ajoutait la
misère urbaine des masses de musulmans migrant vers les villes : des bidon
-villes se développaient rapidement à la périphérie des quartiers européens
-villes se développaient rapidement à la périphérie des quartiers européens
d’Alger, d’Oran et de Constantine. La croissance économique ne pouvait pas
créer assez d’emplois pour suivre le rythme de la croissance démographique,
et c’est dans la population de déracinés, de plus en plus nombreux, vivant
aux marges de l’économie, que le mouvement nationaliste devait trouver son
soutien le plus fort.
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