En septembre 1955, les États-Unis s’attendaient à ce que Pinay leur demande de soutenir la politique française en Afrique du Nord, si la question algérienne était portée devant l’ONU. La position américaine était la suivante :
« Nous souhaitons aider [la France] autant que nous le pouvons », mais cela « dépendra de la rapidité et de l’efficacité de [son] action » dans la réalisation des réformes. La question algérienne fut portée devant l’ONU , malgré les protestations françaises. La position de Paris était que, selon les termes de la charte, l’organisation internationale n’avait pas compétence pour intervenir dans les affaires intérieures de ses États membres ; or l’Algérie faisait partie de la France. Dans le même temps, Washington faisait pression sur Edgar Faure pour qu’il propose une loi sur l’indépendance du Maroc, malgré les éléments conservateurs de son parti et de sa coalition, s’il voulait échapper aux critiques internationales
La France ayant été mise en accusation, au Conseil de tutelle de l’ONU, pour la répression qu’elle aurait menée au Togo et au Cameroun, ses représentants accusèrent les États-Unis de saisir cette occasion pour critiquer l’absence de progrès économiques et sociaux dans ses territoires et, s’alignant sur les Belges et les Britanniques, ils protestèrent contre la « défection » de Washington, qui abandonnait le camp des puissances administrant des colonies pour rallier celui des anticolonialistes majoritaires à l’ONU. Pourtant, dans l’ensemble, les Américains essayèrent de soutenir la position française à l’ONU , avec tout de même quelques frictions sur la tactique à suivre. En octobre, Washington ne put empêcher l’Assemblée générale de placer l’Algérie à son ordre du jour, ce qui provoqua le départ des Français — première d’une longue série de « sorties ». Le sous-secrétaire d’État américain, Robert Murphy, expliqua au secrétaire général du Quai d’Orsay, René Massigli, que Washington avait essayé de faire quelque chose, mais « qu’il fallait qu’il se rende compte que les États-Unis ne pouvaient pas réunir vingt votes latino-américains simplement en pressant sur un bouton ».
Le mois suivant, la question algérienne fut finalement écartée de l’ordre dujour mais les Français étaient amers face à ce qu’ils considéraient comme une quasi-défaite dans l’enceinte internationale, et prompts à récriminer contre les Américains qui, selon eux, n’avaient pas réussi à travailler suffisamment, « dans les couloirs », en faveur de la position française, ni à peser sur des pays qui pouvaient se ranger à leur avis. En réponse, l’ambassadeur méricain à l’ONU , Henry Cabot Lodge, les accusa eux de n’avoir pas su défendre leur politique et de mal maîtriser les procédures onusiennes, avant de conclure sur un refrain bien connu des Français depuis 1945 : les États-Unis « ne peuvent aider que ceux qui s’aident eux-mêmes ».
Avant même ces épisodes à l’ONU le consul américain à Alger faisait état du développement explosif, dans tous les secteurs de la population européenne, du sentiment antiaméricain.
L’extrême droite jouait sur les « tendances anti-coloniales » bien connues de Washington et évoquait un complot américain visant à supplanter ’influence française en Afrique du Nord. Le Résident général n’avait quasiment plus aucun contact avec le consulat d’Alger et, à Bône, les services secrets français bloquaient l’activité officielle du consulat en « faisant peur » aux gens que le consul essayait de voir.
Très tôt, Douglas Dillon avait vu, dans l’Afrique du Nord, un abcès caché « qui pourrait crever avec des effets dévastateurs pour [la] politique [américaine] en Europe ». Le déploiement en Algérie des troupes et du matériel français dégarnissait le Rhin et les défenses de l’Otan. Washington s’en alarma, comme le Conseil de l’Alliance nord-atlantique. Les premiers transferts de troupes du théâtre européen en Algérie posèrent problème à l’Otan dès mai 1955 et, bien que le Conseil de l’Alliance les ait approuvés, sans enthousiasme, le commandant suprême des forces alliées en Europe, le général Alfred Gruenther, se plaignit au ministre français de la Défense, à l’époque le général Kœnig, de ce que la France ne tenait pas ses engagements sur le Rhin.
Aucun des pays de l’Otan ne considérait que la guerre d’Algérie relevait de la guerre froide, même si leurs attitudes vis-à-vis de la position française différaient les unes des autres. Les Néerlandais et les Belges tendaient à la soutenir pleinement, les premiers étant mécontents de l’appui accordé par Washington à l’indépendance de l’Indonésie, les seconds préoccupés par leur Congo. Même attitude chez les Allemands, Adenauer ayant fait des relations avec la France le pivot de sa politique européenne. Le gouvernement italien était moins enthousiaste mais également soucieux de maintenir de bonnes relations avec Paris. En revanche, les pays scandinaves étaient hostiles à la colonisation pour des raisons idéologiques, tandis que la Grèce et la Turquie plaçaient leurs relations avec l’Égypte et le Moyen-Orient au-dessus des considérations françaises en Algérie. Les Britanniques enfin étaient partagés : ils avaient leurs propres problèmes coloniaux, mais se sentaient également obligés de placer les questions de l’Alliance et de l’Europe avant toutes les autres. D’un autre côté, la France était de longue date la rivale de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, opposée au pacte de Bagdad et soutenant Israël et Londres ne pouvait se permettre de mauvaises relations avec Washington. Pour l’essentiel, les Britanniques essayèrent d’éviter toute controverse avec la France, tout en pressant ses gouvernements successifs de mener en Algérie une politique libérale. Mais leur politique connut quelques fluctuations, Londres se rapprochant de Paris au moment de l’affaire de Suez en 1956, pour s’aligner sur Washington au moment de celle de Sakiet deux ans plus tard.
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