« Rien n’y a fait : Iveton est pris, on le condamne à la peine capitale, on refuse de la grâcier, on l’exécute. Pas la moindre hésitation : cet homme a déclaré et prouvé qu’il ne voulait la mort de personne, mais nous, nous avons voulu la sienne et nous l’avons obtenue sans défaillance. Il fallait intimider, n’est–ce pas ? Et comme l’a dit l’autre jour un imbécile, « montrer le visage terrible de la France irritée. » Jean-Paul Sartre, Nous sommes tous des assassins, mars 1958
Qui se souvient de Fernand Iveton…
Et pourtant ce nom vous évoque-t-il quelque chose ou quelqu’un ? Savez-vous qu’il fut le seul Algérien d’origine européenne condamné à mort puis guillotiné par l’Etat français, comme membre du FLN Algérien ?
Et qu’on le guillotina, un certain matin de février 1957, alors qu’il n’avait ni tué, ni même blessé qui que ce soit. Cela eut lieu le 11 février 1957. En des temps terribles que l’on appela « la Bataille d’Alger ». Ironie de l’Histoire, c’est précisément à cette date fatidique que le gouvernement de Guy Mollet me convoqua, comme tous les jeunes de ma génération, au fort de Vincennes pour les opérations de sélection, où il fut décidé, par mesure disciplinaire, contrairement aux usages en vigueur, de m’envoyer directement en Algérie pour avoir exprimé mon opposition à cette guerre coloniale qui ne voulait pas dire son nom.
Un rapide rappel des faits nous permettra de mieux comprendre la tragédie qui frappa l’enfant du Clos Salembier, ami de Didouche Mourad et d’Henri Maillot, emporté par le déchainement des évènements qui allaient le condamner à mort, pour l’exemple, comme aimaient à le rappeler les dirigeants du gouvernement français.
Fernand Iveton dans les rues d’Alger
Le mercredi 14 novembre 1956, Fernand Iveton, membre du PCA, ouvrier tourneur dans l’usine à gaz du Hamma appelé aussi « le Ruisseau », passe à l’action, afin de mettre en accord ses convictions avec ses actes, en décidant de placer une bombe près du gazomètre à une heure où l’usine serait déserte, évitant ainsi de faire des victimes.
Mais l’engin explosif placé dans un placard d’un local désaffecté est découvert par des petits chefs. Iveton est aussitôt arrêté, emmené au commissariat, torturé, il en sort brisé, noir de coups et des brûlures à l’électricité. Au terme d’un procès vite expédié, où il n’aura pour le défendre que deux avocats commis d’office, le jeune militant de 31 ans est condamné à mort. C’est alors que va se jouer la dernière scène d’un crime d’état où le Président René Coty, après avoir longuement hésité, lui qui avait connu les mutins fusillés pour l’exemple de 1917, a refusé la grâce sur les injonctions du Ministre d’Etat, Garde sceaux, chargé de la justice, François Mitterrand, comme celui-ci a refusé celle de 45 autres condamnés à mort Algériens, exécutés durant cette période. L’ancien Président de la République détestait qu’on lui rappelle « ces choses ». Mais qui sait ? Peut être est-ce en s’en souvenant qu’il fit abolir la peine de mort en 1981, bien qu’il n’ait jamais eu de parole de regrets concernant son action dans le gouvernement des pouvoirs spéciaux.
C’est au matin du 11 février 1957 aux environs de quatre heures du matin qu’un car de police vient chercher à son domicile le jeune avocat stagiaire, Albert Smadja, pour le conduire à la prison Barberousse. Là, dans la cour la guillotine est dressée. Le Commissaire du gouvernement et d’autres militaires sont présents. Il n’y a pas de Mufti pour les condamnés à mort musulmans, Mohamed Lakhnèche et Mohamed Ouenouri. Les deux avocats, Charles Laînné et Albert Smadja protestent. On attend. Iveton, lui, sait que ses avocats ont vu le Président de la République. Une décision est imminente. Tout cela est-il pour lui ? Quand les gardiens entrent brusquement dans la cellule 22 et le poussent violemment à l’extérieur.
Il est conduit au greffe de la prison. Là, il déclare :
« La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l’amitié entre Algériens et Français se ressoudera. »
Ses deux compagnons Algériens le rejoignent. De toute la prison, des cris montent et s’amplifient. Les femmes accrochées aux barreaux pour que leurs voix portent plus loin, chantent des nachids. On commence à savoir qui est conduit à la guillotine. « C’est Fernand ! C’est P’tit Maroc ! C’est Ali Chaflala ! » Ils sortent tous trois dans la cour. Fernand est vêtu d’un maillot de corps, d’un pantalon, de pataugas. Des gardiens lui tiennent les mains derrière le dos.
Il échange quelques mots avec ses avocats. Les trois condamnés à mort s’embrassent. « Iveton, mon frère » dit l’un d’eux à Fernand. La Casbah s’est éveillée. Elle entend, Elle comprend. Des terrasses s’élèvent les you-yous des femmes pour les martyrs qui vont mourir. Fernand crie : « l’Algérie libre vivra ! » Il est face à la guillotine. Face à celui que la rumeur appelle « M. d’Alger ». Une cagoule recouvre la tête du bourreau, Fernand Meissonnier. « Celui là fut un condamné à mort modèle, dira ce professionnel de la mort. Droit, impeccable, courageux jusqu’au bout ». Il est 5 h 10 quand la vie de l’ancien gamin du Clos-Salembier est tranchée. Suivent ses deux compagnons, Mohamed Lakhnèche, dit « Ali Chaflala » et Mohamed Ouenouri, dit « P’tit Maroc »…
Hélène
Hélène Iveton
Fernand Iveton était marié à Hélène qui avait un fils, Jean Claude.
Au petit matin quand Hélène entendit que l’on frappait à sa porte. Elle ouvrit. C’était Pascal, le père de Fernand. Il pleurait. Hélène comprit. Ensemble, ils partirent pour lire l’annonce affichée sur la porte de la prison. Puis ils allèrent au cimetière d’El Alia. Trois tombes étaient encore fraîches. Les démarches qu’ils effectuèrent pour que Fernand repose auprès de sa mère se heurtèrent à un refus.
Ce même jour, à l’O.N.U, à l’ouverture de la séance, la parole fut donnée au délégué roumain. Il parlait déjà depuis quelques instants quand, brusquement, il s’interrompit :
« Voilà, dit-il, nous apprenons que ce matin dans la cour de la prison d’Alger, trois patriotes ont été exécutés. L’un des trois était Fernand Iveton, Algérien d’origine française. »
Un grand silence régnait dans l’assemblée. Christian Pineau qui, l’instant d’avant, était en train d’écrire, demeura le stylo en l’air. Marcel Champeix, le secrétaire d’Etat à l’intérieur parut rougir de confusion.
Pascal, le père de Fernand, quitta l’Algérie. On craignait qu’il soit arrêté et interné. Après l’indépendance algérienne, il revint plusieurs fois déposer des fleurs devant le monument élevé à la mémoire des enfants du Clos-Salembier, aujourd’hui appelé El Madania.
On dit qu’il supplia les autorités algériennes de donner le nom de son fils à une rue d’Alger. En vain. Puis il mourut.
Hélène Iveton, interdite de travail, sans ressources, repartit pour la France quelques temps après l’exécution. Quand Fernand était en prison, elle avait du vendre ses meubles. Avant de partir, elle donna ce qui restait aux voisins. Sa soeur lui envoya de l’argent pour payer le billet d’avion.
Le malheur continua à s’acharner. Le plus terrible des drames pour une mère survint ensuite, Jean-Claude son fils, fut tué dans un accident de voiture. Malgré la terrible douleur, malgré la solitude où elle fut abandonnée, elle trouva la force de survivre, sans doute grâce à ce caractère bien trempé qui la fit aimer de Fernand. C’est Jean-Luc Einaudi qui déclarait que lors des obsèques d’Hélène Iveton, il était l’une des rares personnes à suivre son cercueil. L’oubli !
Aujourd’hui qui se souvient du martyr Fernand Iveton. En 2003, lors de l’année de l’Algérie en France, une pièce de Richard Demarcy, « Les mimosas d’Algérie » revient sur ce drame. C’est également le mérite du Centre Culturel Algérien de lui avoir consacré une soirée, le 15 décembre 2011 devant une salle comble. Et puis, il y a Jean-Luc Einaudi, le défricheur infatigable, le chercheur de vérité, qui a largement contribué à dénoncer « ce meurtre pour l’exemple ». Trop tôt disparu, il y a quelques mois, nous lui devons beaucoup.
Ce sont là les derniers témoignages que nous avons recueillis avant que la chape de plomb du silence s’abatte de nouveau sur Fernand Iveton, l’un des héros de l’indépendance algérienne.
Adresse à M. le Président de la République Algérienne :
Je reprends à mon compte la demande du père de Fernand, Pascal Iveton, aujourd’hui disparu, pour m’adresser à M. Abdelaziz Bouteflika, Président de la République Algérienne, afin que soit reconnue la mémoire et le sacrifice du chahid Fernand Iveton, par l’inauguration d’un lieu qui porterait son nom dans la capitale de l’Algérie où il vécut et est mort en martyr. Comme à Biskra, une rue porte le nom de Maurice Laban et à Alger et Paris une place porte celui de Maurice Audin.
En cette aube du 11 février 1957, Fernand Iveton assume, en notre nom, les conséquences du choix tragique qui a été le sien. Cela devrait suffire à lui assurer une place dans les lieux de notre mémoire.
René Fagnoni
Auteur de : « Chronique des Aurès »
Fernand Iveton en images
F. Iveton en famille avec son épouse Hélène et leur fils Jean-Claude
A la sortie du commissariat d’Alger, brisé par les tortures, le crâne rasé
Devant sa machine à l’atelier de Gaz d’Algérie
Copie de sa carte d’identité
Le gazomètre d’El Hama, avec en médaillon F. Iveton
Photo anthropométrique de F. Iveton immortalisée dans la toile d’un peintre algérien.
Cet article a été écrit par Comité de groupe, le 12 mai 2014
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