En ce printemps 2002, l’Algérie revient en force sur le devant de la scène française, au centre du débat. Quarante ans après l’anniversaire du 19 mars 62 sur les accords d’Evian, non seulement l’Algérie barre la Une de bien des journaux, mais elle fait aussi salle comble dans le grand amphithéâtre de la Faculté de médecine de Paris pour la série de conférences organisée dans le cadre de l’Université de tous les savoirs sur le thème de la guerre d’indépendance.
C’est que depuis quelques mois, les bouches commencent à s’ouvrir et la parole se met à circuler sur cet épisode de notre histoire longtemps occulté.
Le triptyque de Patrick Rotman sur la torture « L’ennemi intime » projeté sur FR3 constitue un choc qui, loin d’être un aboutissement, doit représenter le début d’une clarification nécessaire pour exorciser les années de guerre et de souffrances faites au peuple algérien en lutte pour sa Libération.
Revenir
Tout finit par arriver dans une vie d’homme. Y compris le souhait toujours renouvelé de revenir sur cette terre d’Algérie si attachante, quittée une quarantaine d’années auparavant dans le fracas de la guerre.
Bien du temps a passé depuis le retour du service militaire au cours duquel, même si l’on porte au fond de soi le vif désir de retrouver les personnes et cette part de mystère laissée dans le bled, il faut bien fonder une famille qu’on élève du mieux que l’on peut. Tout cela ne favorise guère la réalisation de ses rêves exotiques.
Le temps passe, et puis un jour, à force de l’avoir désiré, le déclic se produit : d’abord par la tenue des Assises de la presse francophone du Maghreb en mai 2000 à Alger et puis l’invitation pour le 15ème Festival international de la jeunesse en août 2001 dans l’allégresse du rassemblement des jeunes du monde entier qui ont sensiblement l’âge que j’avais en posant le pied pour la première fois sur le sol algérien. Flot d’émotions considérables. Enfin, j’y suis de nouveau, grâce à deux amis que je ne saurais oublier : le Dr BELAID Abdelaziz, dynamique et entreprenant Secrétaire général de l’UNJA et OUMALOU Amer, Président de la section d’Algérie de l’Union Internationale de la Presse Francophone, sans qui ce retour aux sources n’aurait pas été possible.
Le 2/ 7° R.T.A.
C’est une longue histoire que celle qui a transformé l’anxiété de mon premier départ pour l’Algérie en cette joie du retour bien des années plus tard.
Le gouvernement de l’époque avait sans doute cru me jouer un bon tour en brisant une fois pour toutes mes velléités anticolonialistes par une mesure disciplinaire assez exceptionnelle : mon envoi direct sur le terrain dès le premier jour d’incorporation dans une unité de pointe, le 7éme Régiment de Tirailleurs Algériens, stationné dans les Aurès.
Après les premières semaines un peu difficiles et déstabilisantes dans cet univers ô combien différent de celui que je venais de quitter, peu à peu j’éprouvais la sensation de découvrir un monde nouveau, une civilisation différente, au contact direct de mes camarades jeunes appelés musulmans, incorporés de force tout comme moi sous les drapeaux pour une durée de 27 mois. Et puis aussi la rencontre avec la fière population des Aurès, cette région belle et farouche où j’ai appris à connaître et à aimer l’Algérie.
Ce fut la découverte d’un monde envoûtant et surtout la compassion et l’attachement pour les plus humbles, les plus démunis, ces habitants que des années de présence coloniale laissaient dans la misère et le dénuement auxquels venaient s’ajouter le fardeau de l’oppression militaire. Lors de mon affectation au 2ème Bataillon du 7ème R.T.A. à Mac Mahon-Aïn Touta, début d’un long périple dans la région de Batna, cantonné dans des tâches administratives, par bonheur, je n’ai jamais été confronté à un engagement avec les maquisards algériens.
Au fil des mois, se sont noués des liens fraternels dans ce contexte pourtant hostile où chaque sourire, chaque main tendue, trouvaient un écho et une dimension autrement plus importante que dans la grisaille de la routine quotidienne de nos villes.
Peu à peu s’est opérée cette mutation fondamentale d’une aventure militaire rejetée de tout mon être en une expérience humaine positive. Je songe ainsi à mon vieil ami TAHRI Rabah qui, après avoir effectué la campagne d’Italie à Monte Cassino et celle d’Indochine, veillait sur moi comme sur son propre fils. Et puis aussi cet autre ami, ZIZA Ali, modeste employé de la mairie de Corneille – Mérouana, père de deux fils engagés dans le FLN, dont j’ai appris seulement l’an dernier lors de mon retour en Algérie qu’il avait eu aussi une fille, héroïne de la Révolution Algérienne, ZIZA Massika, massacrée par les tortionnaires colonialistes et qui a donné son nom à de nombreux établissements publics dans la zone comprise entre Batna et Sétif d’où elle était issue.
L’histoire finira par y voir clair
Non, ni la torture ni les atrocités indicibles commises en Algérie par l’armée n’étaient inéluctables. Ceux qui les ont perpétrées l’ont fait de leur propre chef, c’est leur responsabilité. Rien ni personne ne saurait le justifier.
Il faut le dénoncer aujourd’hui, on aurait dû le faire beaucoup plus tôt, même si des voix se sont déjà élevées que peu de monde était prêt à entendre. Un jour viendra peut-être où il faudra juger les coupables de ces crimes innommables. De toute façon, si nous ne savons pas le faire, l’Histoire finira par y voir clair et désignera les responsables.
Dans ce lourd passif, il convient de rappeler l’action généreuse et courageuse de cette poignée de Français qui ont su venir en aide au peuple algérien aux pires moments de la colonisation ou lors de sa lutte révolutionnaire comme Maurice LABAN, fils d’un couple d’instituteurs de Biskra, l’aspirant MAILLOT et bien d’autres qui ont fait le sacrifice de leur vie aux côtés des combattants Algériens. De ceux là on ne parle plus guère aujourd’hui. Pourtant, on leur doit les rapports chaleureux qui unissent encore l’Algérie indépendante à la France.
Édifier l’avenir
Il n’empêche que c’est un pays totalement démantelé qui accède à son indépendance en 1962. La majeure partie de ses cadres valeureux sont tombés durant les longues années de guerre et, par dessus tout, la sauvagerie et le vandalisme de l’OAS, mettant un point final à 130 années de présence coloniale, laissent l’Algérie saignée à blanc dans un état d’analphabétisation quasi générale. Malgré cet holocauste, sans une plainte, le peuple algérien s’est mis à la tâche en vue de réaliser son unité en édifiant son avenir.
Ceux qui sur le terrain ont pu juger de l’indomptable courage de ce peuple luttant sur les pentes arides des djebels brûlés par la fournaise des combats et du soleil savent que ce peuple-là, au bout du compte, ne se laissera pas frustrer d’une victoire historique qu’il a si douloureusement arrachée. Qu’on se souvienne encore que c’est ce peuple en guenilles, disposant d’armes souvent dérisoires, qui a osé défier l’une des plus puissantes armées du monde. C’est la victoire de l’intelligence des diplomates algériens qui ont su oeuvrer sur l’échiquier international afin d’imposer leurs revendications légitimes sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes face à la force brutale de l’oppression coloniale. Ce passé glorieux montre bien la maturité politique dont le peuple algérien a su faire preuve pour aboutir le 5 juillet 1962 à sa Libération. C’est le meilleur gage de confiance en l’avenir pour que, malgré les difficultés qui restent à surmonter, l’Algérie puise au fond d’elle-même l’énergie dont elle a déjà su faire preuve afin de poursuivre sa marche vers le progrès.
Que l’apparition au large, par une matinée radieuse, de ses montagnes bleutées nimbées d’une lumière éclatante, n’étreigne plus d’une sourde angoisse le voyageur de l’avenir comme ces jeunes appelés du contingent qu’on envoyait mener une guerre fratricide dont ils n’avaient pas voulu.
René FAGNONI
Secrétaire Général
du Comité de Groupe
SOCPRESSE – LE FIGARO
Cet article a été écrit par René Fagnoni, le 3 avril 2002,
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