Les fissures d’une jeune Révolution
Boussouf, Krim, Bentobal et Boumediène : ce dernier va éjecter les «3 B» et s’approprier les rênes de l’ALN
Durant le deuxième semestre de l’année 1959, la Révolutions algérienne va s’enfoncer dans une profonde crise de croissance que l’inexpérience du GPRA, rudement secoué, n’explique pas entièrement.
Des frottements râpeux, au sommet, enfiellaient l’atmosphère déjà lourde depuis la formation du premier gouvernement provisoire en septembre 1958. Certains noms avaient été contestés en raison de leurs origines politiques, tout comme on dénonçait aussi l’absence d’autres dans cette liste qu’on aurait dit établie par un peseur. «En juillet 1959, le GPRA fut mis en demeure» de remettre le pouvoir aux «3 B», écrit Saâd Dahlab. Belkacem Krim, Lakhdar Bentobbal et Abdelhafid Boussouf, le triumvirat qui menait d’une poigne de fer les destinées de la révolution, décident de forcer la main au président Ferhat Abbas et de convoquer un sommet militaire chargé de proposer une sortie de crise politique.
Un consistoire de 10 colonels(2) se réunit 100 jours durant, avec des moments de forte houle. Et, pendant que se réunissait ce cénacle, pratiquement en apnée, ne voilà-t-il pas que de Gaulle défait la trame et détricote certains calculs. Il annonce le 16 septembre 1959, alors que ses généraux avaient sérieusement ébranlé l’ALN, son intention d’organiser un référendum d’autodétermination. Les responsables de la révolution y voient l’issue tant attendue à l’horizon. L’indépendance était entrée en gestation.
Trois mois après, pas moins, la réunion s’achève et débouche sur la décision de réunir de le CNRA. Celui-ci va créer le Comité interministériel de guerre (CIG) composé des trois «B» et un Etat-major général (EMG) qui porte à sa tête un rouquin, au visage émacié, aux saillantes pommettes, à la voix métallique et au regard vert perçant. Le plus jeune des colonels, à peine âgé de 30 ans : Houari Boumediène. Il sera secondé par les commandants Azzedine, ancien chef de l’illustre commando Ali Khodja, héros de Bouzegza. Ainsi que Kaïd Ahmed, ancien de l’UDMA, un militant au verbe haut et à la plume habile. Et, enfin, Ali Mendjeli, héros de la célèbre bataille de Mila (1957).
Les raisons principales qui ont présidé à la création de l’EMG étaient évidemment d’ordre militaire mais elles relevaient aussi de la stratégie politique. Elles étaient liées à la volonté des dirigeants de l’insurrection de mettre fin à de dangereuses dérives aux frontières que d’aucuns qualifiaient d’anarchiques et périlleuses. Particulièrement en Tunisie, vivier de ce qui charpentera, une fois la nouvelle politique mise en œuvre, l’ossature de la future Armée nationale populaire (ANP).
Il faut dire que ces hommes, comme des fauves en cage, montraient des signes d’agitation malsaine. «Insuffisamment organisés, en proie au régionalisme et aux luttes de factions, ils sont guettés par les mutineries, les complots». La discipline faisant la force principale des armées, l’impérieuse nécessité s’imposait donc de procéder à l’encadrement rigoureux de ces djounoud. La solution des Commandements Est et Ouest, lesquels avaient été créés en avril 1958, ayant montré ses limites, tant du point de vue de la stratégie que celui de la formation.
Par ailleurs, une nouvelle doctrine militaire, impulsée par Krim Belkacem (ministre de la guerre) et développée par Houari Boumediène et l’EMG, va voir le jour et préconiser la structuration d’une armée moderne par la formation d’officiers et d’hommes de troupes qui allaient constituer le cœur actif autour duquel allaient s’agréger les forces populaires, pour poursuivre la lutte et peupler à nouveau les maquis.
Les deux hommes vont l’un après l’autre s’appuyer sur les cadres de l’armée française qui ont répondu à l’appel qui avait été lancé en leur direction pour rejoindre les rangs de l’ALN. Un encadrement injustement controversé du simple fait d’avoir figuré sur les listes des effectifs de l’ennemi. La plupart n’ayant pas subi l’épreuve du feu dans les djebels algériens. Ils avaient d’ailleurs rejoint Tunis via la filière du FLN en Allemagne. Enfin, l’objectif politique, quant à lui, visait principalement à évincer Krim Belkacem, ministre de la guerre dans le GPRA, de ce poste stratégique. Surtout depuis la proposition gaullienne du référendum. L’armée étant, depuis, convoitée et regardée comme le sésame qui ouvrirait les portes du pouvoir.
Aux trois «B», (Belkacem Krim, Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf) qui exerçaient déjà leur puissance tutélaire sur l’ALN des frontières, il convient d’ajouter un quatrième «B», Boumediène, pour avoir une idée du patchwork militaro-politique qui dirigeait l’ALN en ce début des années 1960. Ainsi naquit la bipolarisation de l’autorité supérieure de la Révolution : le militaire et le politique, l’un ne voulant rien céder à l’autre. Contrairement donc à la doxa, la dangereuse crise qui agitait le landernau des combattants de l’extérieur n’est pas née avec les accords d’Evian.
Le conflit a éclaté bien avant Evian I, qui s’est déroulé du 20 mai au 13 juin 1961. Il faut savoir que quand la décision fut prise d’ouvrir des négociations, la liste de la délégation chargée de mener les pourparlers comprenait, entre autres, Benyoucef Ben Khedda. Selon Abdelhamid Mehri, «Ben Khedda avait, à cette époque, une autre vision et estimait en gros qu’accepter le principe de l’autodétermination, c’était revenir sur l’exigence de la reconnaissance de l’indépendance. Aussi a-t-il décliné l’offre de faire partie de la délégation». L’Etat-major s’est aligné sur cette position et Kaïd Ahmed, commandant politique au sein de l’EMG, qui avait été désigné, a d’abord refusé d’en être et de se joindre à la délégation. L’EMG s’était dit que si le politique Ben Khedda refusait de participer à la mission, c’est qu’il y avait quelque part une anomalie. Il a fallu lui intimer l’ordre militaire qu’il ne pouvait refuser, pour qu’il s’exécutât.
«Par la suite, nous avons signifié à la délégation de trouver un prétexte pour interrompre les négociations et rentrer pour que nous réglions le problème avec l’EMG». Puis est intervenu le remaniement du GPRA, (Tripoli, 27 août 1961), qui mènera les négociations des Rousses (11 au 19 février 1962) et Evian II (7 au 18 mars). Ben Khedda qui avait été désigné à la tête du GPRA, et, du reste, tout le FLN avaient abandonné le préalable aux négociations, de la reconnaissance de l’indépendance. Toutefois, l’EMG, réduit à trois membres avec le retrait du commandant Azzedine, rentré pour prendre le commandement de la deuxième Zone autonome d’Alger, demeurait opposé à un certain nombre de points des accords.
Nous sommes le 19 février 1962. La délégation qui a mené tambour battant les négociations des Rousses quitte à cinq heures du matin l’hôtel «Yeti». Rédha Malek écrit : «Belkacem Krim n’est pas au bout de ses peines. Soulagé du fardeau écrasant des Rousses, il va affronter, à Tripoli, l’épreuve la plus périlleuse de sa carrière.... Krim, Bentobbal, Dahlab, Yazid, n’ont pas le droit de flâner. Il faut rendre compte au GPRA, puis au CNRA, convoqué en session extraordinaire pour le 22 février à 13 heures dans l’enceinte de l’Assemblée nationale libyenne». Car, le CNRA était «le seul habilité à juger de la conclusion de la paix, d’un cessez-le-feu et d’accords internationaux», il fut donc mandé «pour entériner ce que les pourparlers avaient arrêté». Ainsi, du 22 au 27 février 1962, l’organe suprême de la révolution a passé au crible les dix déclarations de l’accord négocié au Rousses.
«L’atmosphère était loin d’être à l’enthousiasme», déplore Saâd Dahlab.(8) Même si, ajoute l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Algérie combattante, «tous les membres du CNRA étaient d’accord pour le cessez-le-feu...»... «Les ministres emprisonnés à Aulnoy avaient été non seulement informés régulièrement du contenu des négociations, mais nous avaient même communiqué leurs suggestions dont nous tenions naturellement compte. Ils étaient d’accord pour le cessez-le-feu.» «Les cinq, relève l’auteur de ‘‘Mission Accomplie’’, étaient parmi les responsables les plus modérés et les plus réalistes. Khider et Ben Bella en tête», souligne-t-il. En apparence, mais en apparence seulement, l’union sacrée s’était faite autour du cessez-le-feu. Tous les points abordés par les négociateurs ont rencontré l’assentiment des membres du CNRA. Jusque et y compris les délicates questions de la double nationalité pour les Français désireux de demeurer en Algérie ou l’épineux problème du «français comme langue officielle».
Ben Bella, pro nassérien, agissant et arabophile militant «était même le moins intransigeant», rapporte Dahlab. Il relève également que l’Etat-major aussi souhaitait le cessez-le feu mais, note-t-il, «ils avaient cessé d’obéir au GPRA qui n’était plus que leur caissier. Il fallait bien entretenir l’armée et condamner par principe toutes ses initiatives. Ils avaient alors le dos au mur». Intraitable, l’ombrageux colonel Houari Boumediène exige de savoir avant toute discussion si les documents qui sont soumis à l’appréciation du CNRA constituent «un accord ou un préaccord». Le chef de l’Etat-major général était pourtant démissionnaire depuis le 15 juillet 1961, après l’affaire du lieutenant Gaillard qui avait empoisonné les relations, en principe hiérarchiques, entre le GPRA et l’institution militaire.
L’avion du lieutenant Gaillard avait été abattu par l’ALN au-dessus de la région de Mellègue en territoire tunisien, proche de la frontière algérienne. Son pilote s’étant éjecté, il a été capturé et mis au secret par les responsables de l’EMG. Les autorités tunisiennes, pressées par Paris, avaient demandé au GPRA de leur remettre le prisonnier. Ce à quoi l’EMG s’était opposé avant d’obtempérer. On aurait tendance à croire qu’ayant démissionné, l’EMG avait perdu la haute-main haute sur l’armée.
Erreur ! «Avant de partir nous avons désigné des hommes de confiance pour garder la maison, nous confessait le Commandant Azzedine, commandant militaire au sein de l’EMG. En effet, nous avions confié les clés aux responsables de la zone nord dirigée par le capitaine Ben Salem, assisté des lieutenants Abdelghani, devenu plus tard Premier ministre, Abdelkader Chabou devenu responsable de l’ANP sous Boumediène, et Chadli Bendjedid le futur président de la République. Il y avait également les gars de la zone sud avec Salah Soufi, futur membre démissionnaire du conseil de la Révolution issu du coup d’Etat de juin 1965, Saïd Abid, lui aussi membre mais qui est mort mystérieusement à la suite de la tentative de prise du pouvoir par le colonel Tahar Zbiri. Je citerai également les membres du bureau technique avec les capitaines Zerguini et Boutella, et le lieutenant Slimane Hoffman».
A l’heure où les négociations avancent vers la solution et que le drapeau national est en phase ascensionnelle sur sa hampe, toute absence risque de se payer cher. Boumediène est donc revenu à l’exercice pour la circonstance, avec le grade, la fonction et toute l’autorité due au titre. Pour le principe, ses partisans et lui donnèrent de l’ergot. Kaïd Ahmed avouera plus tard : «Nous savions très bien que le cessez-le-feu allait être voté, mais nous voulions prendre date».
L’argument avancé était la crainte que les négociateurs se soient laissé aller à la tentation du «cessez-le-feu à tout prix». Autrement dit, la crainte de faire «fausse route et l’angoisse d’être mal informés sur les conditions du cessez-le-feu à tout prix». Un principe condamné par avance par l’EMG, lequel redoutait des accords bâclés signés sous la pression de la folie meurtrière de l’OAS qui assassinait dans un terrible amok médiéval, des dizaines d’Algériens par jour.
A ce propos, Rédha Malek écrit : «Les conditions de secret dans lesquelles se sont tenues ces assises ont constitué un des facteurs de leur succès. Délestés du fardeau médiatique et des pressions trop fortes d’une opinion déboussolée, les négociateurs n’ont qu’une hâte : aboutir. Une nuance s’impose cependant. Quoique les victimes de l’OAS soient principalement musulmanes, il n’est pas sûr que les délégués algériens consentent à bâcler leur travail au seul motif d’abréger les souffrances de leurs compatriotes, non qu’ils soient insensibles à la tragédie mais parce qu’ils mesurent les conséquences d’un mauvais accord». Les inquiétudes de Boumediène et des membres de l’Etat-major pour légitimes qu’elles fussent auront néanmoins suscité un certain agacement chez les négociateurs qui n’y lisaient qu’une pinaillerie de pure forme.
Par ailleurs, pour les membres de l’EMG, les négociations d’un cessez-le-feu étaient prématurées, d’autant que la situation interne du FLN n’était guère reluisante du fait de tiraillements de tous ordres et dans tous les sens. Pour marquer leur présence pendant les négociations, les troupes de l’extérieur ont multiplié les opérations contre les lignes Morrice et Challe. Sans doute pour démontrer que «les capacités de résistance militaire des Algériens étaient intactes et que la guerre pourrait encore durer longtemps».
Le point de non-retour
Les négociateurs d’Evian issus du GPRA ont souvent buté sur les critiques virulentes et sans emprise sur la réalité de leurs contradicteurs de l’état-major général poussés par le colonel Boumediène
C’est Saâd Dahlab, orfèvre de la parole, polémiste né, auquel incomba la tâche d’assurer la défense du point de vue des négociateurs et donc du GPRA. Les contradicteurs de l’EMG, s’ils ne traduisaient pas forcément le point de vue de tous les militaires, ne représentaient pas moins sa hiérarchie telle qu’admise, du moins aux frontières. Ils n’ont pas fait dans la dentelle. Pour eux, ces accords n’étaient qu’une machination, «une duperie» que la France «ne respectera pas». De leur point de vue, le véritable interlocuteur des Français n’est pas le FLN mais cet Exécutif provisoire au bénéfice duquel se fera la passation de la souveraineté après le référendum d’autodétermination.
On discuta aussi du statut de la minorité européenne et du sursis de trois ans qui lui était accordé pour faire son choix quant à la nationalité. Tout comme il fut question de la langue française qui devait cohabiter avec la langue arabe, selon le vœu de l’occupant. Enfin, on critiqua fortement les négociateurs pour avoir accepté le statut de la base navale de Mers El Kébir et le nucléaire d’In Ikker, de même qu’il leur fut reproché d’avoir «bradé les richesses pétrolières». Laroussi Khelifa, ingénieur agronome de formation, promu sous-préfet par l’administration française, qui avait rejoint le FLN en 1955 avant de devenir directeur de cabinet de Boussouf et n’était pas membre du CNRA, avait été convié par l’état-major comme expert pétrolier. Il pensait ainsi déstabiliser Dahlab, le rapporteur de la délégation des Rousses. «Vous avez donné le pétrole aux Français», avait-il lancé en direction du ministre des Affaires étrangères.
Pour la petite histoire, il convient de signaler qu’un incident avait opposé les deux hommes lors de la première réunion des Rousses où Laroussi Khelifa assistait Dahlab pour les questions des hydrocarbures. Le MAE du GPRA affirme, à ce propos, qu’«il nous avait fait dire, lors d’une discussion sur ce sujet, des bêtises» ce qui permit à un des négociateurs français de «nous tourner en dérision». Dahlab, qui ne cachait pas sa colère, écrit : «De retour à Tunis, avant de faire quoi que ce soit, je téléphonai à Boussouf dont dépendait Khelifa pour lui dire : ‘‘Je ne veux plus voir Khelifa dans notre délégation, ni auprès de toi. Ni nulle part ailleurs’’...»(1) Ceci expliquant cela, le futur ministre du Commerce dans le premier gouvernement Ben Bella (septembre 1962) sera imposé à la réunion du CNRA par les membres de l’EMG, sans doute désireux de relever des concessions qui auraient été faites aux Français. «Au lieu de me fâcher, cette présence m’amusa et décupla mes forces», écrit encore, non sans ironie, Dahlab.(2)
Rédha Malek, citant ce dernier, confirme : «Dahlab se fit ensuite plus explicite.» De leur côté, les Français ont consulté de Gaulle et ont accepté les Accords. «Du fait de l’acceptation de ces Accords par les Français, une remise en cause par nous exigerait une nouvelle politique (...) C’est après mûre réflexion que nous avons pensé à vous présenter ces accords qui substituent la situation de paix à celle de la guerre, sans être un obstacle à la révolution... Le mythe de l’Algérie française est tombé ; celui de Sahara mer africaine est tombé ; de même que le risque de partage dans le Nord est tombé.»
Lakhdar Bentobal, ministre d’Etat et membre de la délégation, met le doigt sur un constat : tout le monde admet, soutient-il, que «la victoire ne sera pas obtenue par les armes... Par conséquent, il est impossible d’aboutir à une indépendance idéale». Pour Krim Belkacem, «notre victoire, c’est que les Français sont acculés à se mettre en face de nous pour négocier. Notre victoire, aussi, c’est la reconnaissance d’un Etat algérien uni sur son territoire comme dans son peuple».(3) Et de rappeler qu’en Indochine, malgré l’éclatante victoire de Diên Biên Phu, le Vietnam a été divisé. En Chine, les nationalistes se sont retirés à Formose, tout comme la Corée a été scindée en deux. On peut également citer le Maroc qui n’a pas récupéré les enclaves de Ceuta et Melilla, jusqu’à ce jour possessions espagnoles. Les négociateurs s’en étaient tenus en fait aux points de rupture qui avaient été fixés dès août 1956, lors du Congrès de la Soummam. La réunion, qui avait été dominée par le duo Abane Ramdane–Larbi Ben M’hidi, avait subordonné toute éventualité de cessez-le-feu à quatre postulats indiscutables :
«1 - Reconnaissance de la nation algérienne indivisible (...).
2 - Reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la diplomatie.
3 - Libération de toutes les Algériennes et Algériens emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique.
4 - Reconnaissance du FLN comme seul négociateur représentant le peuple algérien et seul habilité en vue de toute négociation (...).»(4)
Le Congrès avait en outre fixé des «points de discussion» comme les «limites du territoire algérien» (y compris le Sahara) ; «la minorité française (sur la base de l’option entre citoyenneté algérienne ou étrangère, pas de régime préférentiel, pas de double citoyenneté algérienne et française)» et, enfin, les «formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économique, monétaire, social, culturel, etc.»(5)
Des principes infrangibles qui vont guider toute la philosophie du FLN, lequel ne défléchira à aucun moment sa posture, ne serait-ce que d’un iota. Aux heures les plus critiques de son histoire, ces conditions sont restées immuables. Bien plus, son aplomb se radicalisera à mesure que s’est durci le conflit et que les conditions de la lutte devenaient plus âpres et la guerre plus féroce. Cette réunion de février 1962 était en fait chargée d’entériner les propositions qui avaient été avancées de part et d’autre de la table de négociations des Rousses. L’EMG, qui s’est lancé dans une séance de barguignage, s’en tiendra à ses positions d’avant la réunion.
C’est donc à «l’unanimité moins quatre voix – les trois de l’état-major : Boumediène, Kaïd, Mendjeli auxquels s’est joint le commandant Mokhtar Bouyizzem (Si Nacer) de la Wilaya 5 (Oranie) – que le CNRA adopte le texte de document qui lui a été soumis aux négociations, qui sera connu sous le nom de ‘Accords d’Evian’ et dont l’accord de cessez-le-feu constitue le préalable», écrit le deuxième président du GPRA, Benyoucef Benkhedda qui avait reçu procuration des cinq détenus d’Aulnoy de voter en leur nom en faveur des Accords.
Après cette session du CNRA, le fossé entre l’EMG et le GPRA va se creuser d’avantage. A la reprise des négociations à Evian, le 7 mars, l’EMG ne désignera pas de représentant, c’est le commandant Ben Mostefa Benaouda, membre du groupe des «22» (1954), puis du CNRA (1957) et avait appartenu au COM-Est (1958), qui représentera l’ALN.
Peu de modifications avaient été apportées au texte des Accords. Il s’agissait surtout de peaufinage et de précisions des positions des deux parties. Le 18 mars 1962 au soir, Krim Belkacem, qui avait ouvert le premier maquis de Kabylie en 1948, appose sa signature au bas du document qui met fin à la domination française en Algérie et à une guerre meurtrière qui a duré dans les faits 132 ans. Mais, ainsi que le proclamaient les responsables du FLN, «le cessez-le-feu n’est pas la paix et la paix n’est pas l’indépendance». Rien n’était plus vrai car la mort continuera de sévir.
L’OAS, excroissance diabolique d’une armée en phase de dégénérescence, va semer la terreur particulièrement dans les grandes agglomérations, mais pas seulement. L’armée française, qui s’enorgueillissait de son caractère républicain, avait sérieusement été ébranlée par son passé récent. Défaite en 1940 par les troupes nazies, elle ne s’était pas vraiment remise de sa débâcle qu’elle s’embourbait dans les rizières d’Indochine. Face aux combattants d’Ho Chi Minh et de Vo Nguyen Giap, elle mordra la poussière, de nouveau, dans la cuvette de Diên Biên Phu en 1954. La capitulation sera consacrée par les Accords de Genève, avec l’indépendance du Vietnam. Elle accroîtra considérablement l’amertume des troupes qui seront convoyées en Algérie quelques mois seulement après. Une armée meurtrie qui n’avait «pas gagné une guerre depuis Napoléon», comme le rappelait ironiquement le général américain William Westmoreland (1914 – 2005), ancien commandant des forces armées US au Vietnam (1964 – 1968).
Comme elle imposera de Gaulle, lors de la kermesse du 13 mai 1958, l’armée se soulèvera contre lui dans une tentative de putsch (21 au 25 avril 1961). Désespéré, celui qui avait rendu leur dignité aux Français en juin 1940, lancera un pathétique «Français, Françaises, aidez-moi !»
La folie meurtrière de l’OAS sera déterminante pour le devenir de toute la communauté d’origine européenne ou de confession judaïque en Algérie. Les brandons de discorde allumés depuis longtemps, qui couvaient plus qu’ils ne brûlaient, comme un feu de racines de bruyère, vont se réveiller à ce CNRA de février qui passe presqu’inaperçu et n’a pas encore livré tous ses secrets.
En marge de ces luttes qui dévoileront leurs desseins graduellement, comme une photographie sous l’effet chimique du produit révélateur, d’autres manœuvres vont amener les antagonistes de ce go à apparaître au grand jour. A l’issue du CNRA qui s’est tenu du 27 mai au 7 juin, toujours dans la salle en fer à cheval du Parlement du royaume de Libye, la direction est plus que jamais divisée.
L’Algérie et les vaillants artisans de son indépendance entreront en politique. Naturelles ou étonnantes, les alliances se scelleront autour d’un objectif, un seul : le pouvoir. A la différence du jeu où un match peut être nul, en politique comme en guerre, l’issue est inéluctable : il y a toujours un vainqueur et un vaincu. Un professeur m’a enseigné que la radicalité l’emporte toujours.
Boukhalfa Amazit
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