La grotte préhistorique de Gueldaman a été habitée par des hommes préhistoriques pendant des milliers d’années. Les fouilles archéologiques conduites depuis quatre ans par une équipe du Centre national de recherches préhistoriques , anthropologiques et historiques (CNRPAH), dirigé par le professeur Slimane Hachi du ministère de la Culture, nous fournissent aujourd’hui une multitude de données scientifiques précieuses. Qui étaient ces hommes ? Quels animaux sauvages ou domestiques côtoyaient-ils ? Quel était leur mode de vie et de subsistance ? Dans quel environnement et sous quel climat vivaient-ils ? Eclairages.
Le site préhistorique de Gueldaman a tenu toutes ses promesses et même bien au delà. C’est le moins que l’on puisse dire. Dans notre édition du 4 septembre 2011, nous avions consacré un long reportage à cette fabuleuse grotte préhistorique nichée dans le flanc de l’Adrar Gueldaman. Elle est sise dans la commune de Bouhamza, à un jet de pierre de la ville d’Akbou, dans la wilaya de Béjaïa et les premières fouilles avaient révélé les vestiges liés à la présence humaine dans cette étroite vallée, coincée entre le Boussellam et la Soummam pendant plusieurs milliers d’années.
Nous revenons sur le sujet trois années plus tard, alors que des recherches plus approfondies et des analyses plus affinées ont livré d’autres informations. Les résultats obtenus aujourd’hui par l’équipe du CNRPAH dirigée par le Dr Farid Kherbouche sont d’une très grande portée scientifique. C’est ce qui fait que Gueldaman est devenu un site de recherches majeur, qui attire l’attention de plusieurs chercheurs issus des quatre coins du monde et de plusieurs disciplines.
Un gisement préhistorique de plusieurs grottes
Le gisement préhistorique de Gueldaman renferme plusieurs grottes et abris sous roches. Depuis le début des recherches du CNRPAH en 2010 à ce jour, six grottes ont déjà été répertoriées. Cependant, c’est au niveau de la grotte Gueldaman 1, appelée GLD 1, que se concentre l’essentiel des recherches. Un matériel archéologique important a été mis au jour. Il est composé principalement de restes fauniques, tessons de poteries, outils lithiques et osseux, éléments de parure et quelques restes humains. Les chercheurs ont également pu déterminer grâce aux datations au carbone 14 et aux études stratigraphiques que la dernière période d’occupation humaine la plus importante se situe entre le 5e et le 7e millénaire avant l’actuel.
Des milliers d’objets de grande valeur scientifique
L’étude du matériel archéologique permet aux archéologues du CNRPAH de comprendre le comportement des préhistoriques de Gueldaman et l’environnement dans lequel ils vivaient. Si Gueldaman est devenu l’un des sites les plus importants en Afrique du Nord, c’est pour deux raisons essentielles : la qualité des fouilles très précises qui y ont été menées, et le riche matériel archéologique découvert jusqu’ici. Il s’agit de plusieurs milliers d’objets de grande valeur scientifique répertoriés dans les bases de données. Les possibilités de découvrir des périodes d’occupation humaine plus anciennes sont très fortes.
«Les dépôts sédimentaires peuvent atteindre 5 à 8 mètres de profondeur à certains endroits et les recherches actuelles n’ont exploré par les fouilles que les deux premiers mètres sur une étendue latérale de quelques carrés, alors que la grotte s’étend sur environ 1000 m2», dit Farid Kherbouche. Pour connaître l’épaisseur des dépôts sédimentaires, il n’est pas toujours nécessaire de réaliser des sondages par creusement du sol. Il est possible d’éviter cette méthode destructrice en ayant recours aux techniques de géophysique. C’est ce qui a été testé à Gueldaman, fruit d’une collaboration entre deux centres de recherches algériens : le CNRPAH et le CNRAGP/CGS (Centre national de recherche appliquée en génie parasismique/Centre de génie sismique).
Les hommes fabriquaient des outils très élaborés
Qui étaient donc les hommes qui vivaient dans ces grottes ? On a pu établir avec précision qu’il ne s’agissait pas de chasseurs cueilleurs, mais d’hommes du néolithique qui produisaient leur subsistance et avaient une très bonne connaissance de leur environnement dont ils savaient tirer le meilleur parti. «Ils étaient de très bons techniciens qui maîtrisaient la taille de plusieurs types de roches, et diverses matières dures d’origine animale (os, ivoire). Il est vraisemblable qu’ils aient également utilisé le bois, matière périssable qui ne résiste à l’épreuve du temps que dans de très spécifiques conditions de conservation.
Ils savaient adapter leurs techniques en fonction des caractéristiques des matières premières disponibles dans leur environnement proche ou celles qu’ils obtiennent lors de déplacements ou échanges avec des communautés préhistoriques distantes», analyse Farid Kherbouche. Ces hommes fabriquaient des outils très élaborés pour les usages domestiques, la chasse et la pêche, tout comme ils maîtrisaient l’art de la poterie et fabriquaient des ustensiles pour faire cuire ou conserver leurs aliments. «Une économie de production de la subsistance existait déjà à cette époque, même si les pratiques de prédation et de collecte persistaient», conclut Farid Kherbouche.
Des analyses isotopiques effectuées à l’université de Bristol, en Angleterre, sur des échantillons de résidus organiques prélevés dans des tessons de poteries ont révélé la présence de miel et de lait. Cette révélation à elle seule est une première en Afrique du Nord qui va bientôt faire l’objet d’une publication dans une prestigieuse revue scientifique. La présence de lait atteste de la présence d’animaux domestiques.
Par ailleurs, de très nombreux restes osseux de chèvres et moutons ont été retrouvés dans GLD 1. Quant au miel, il devait probablement avoir été prélevé directement dans la nature. «Nous avons tout récemment pu, avec l’aide des habitants du village de Bouhitem, identifier plusieurs ruches sauvages le long des crêtes de l’Adrar Gueldaman. Ce massif calcaire est un habitat propice pour les abeilles, car il présente plusieurs anfractuosités idéales pour l’installation de ruches sauvages», ajoute Farid Kherbouche. Les néolithiques de Gueldaman n’étaient pas seulement des pasteurs, mais ils on su cultiver certaines espèces végétales comme le blé et les fèves. Ce résultat très important est obtenu grâce à l’identification de restes de graines carbonisées de ces deux espèces.
Les femmes devaient être très coquettes
Des objets de parure, comme les objets symboliques ou les colliers garnis de rondelles d’enfilage fabriquées à partir d’œufs d’autruche, de pendentifs en carapace de tortue, de coquillages de gastéropodes marins et d’os d’oiseaux ont été retrouvés sur le site. Les femmes de cette époque devaient déjà être coquettes et les hommes soucieux de leur apparence physique. Les objets étaient souvent recouverts d’ocre, car l’ocre était à la mode. Le massif calcaire de Gueldaman est parcouru par de nombreuses veines ferrugineuses. De ce fait, il était un très important gisement d’ocre, matière précieuse pour réaliser des peintures rupestres ou corporelles très prisées par les hommes préhistoriques.
Il est probable que l’ocre de Gueldaman servait de monnaie d’échange pour le troc avec d’autres communautés. D’ailleurs, des coquillages marins et certaines roches en silex inexistants dans la région ont également été retrouvés sur le site du Gueldaman. Comment sont-ils arrivés là, sachant que leur source d’approvisionnement la plus proche se trouve à plusieurs dizaines de kilomètres ? Même si les déplacements ne sont pas exclus, des échanges avec d’autres communautés préhistoriques établies ailleurs sont très vraisemblables.
Des animaux qui n’existent plus
Les ossements des différents animaux mis au jour à Gueldaman confirment la présence d’une faune qui n’existe plus dans la région. Il s’agit, par exemple, de grands herbivores (éléphants, rhinocéros), aurochs, antilopes, gazelles, mouflons, etc. D’autres espèces existent toujours, c’est le cas du sanglier, du chacal, etc. Peu de restes d’animaux carnivores indiquent que la grotte a servi aux hommes et non de refuge de carnivores. Ils révèlent également la présence de nombreux restes de chèvres et de moutons, ce qui veut dire qu’à cette époque reculée, l’homme, il y a plus de 6800 ans, avait déjà domestiqué ces deux animaux, ce qui constitue un résultat important pour les recherches sur les processus de domestication animale dans le bassin méditerranéen.
Des études paléontologiques se poursuivent actuellement pour déterminer si le cortège d’animaux domestiques peut s’élargir à d’autres espèces, mais il convient de rappeler que la preuve de la présence d’animaux domestiques est déjà donnée par les analyses isotopiques qui ont pu identifier des traces de lait. Les analyses se poursuivent pour déterminer l’origine du lait (chèvre, brebis, vache, etc.).
«On a reconstitué le climat entre 6000 et 4000 ans»
Quel était le climat à ces époques reculées ? Les études des paléoenvironnements, l’un des axes majeurs des recherches du CNRPAH à Gueldaman, permettent de reconstituer avec beaucoup de précision le climat qui a caractérisé la région durant des milliers d’années. Pour cette reconstitution, plusieurs supports d’études sont utilisés. Le recoupement de leurs résultats respectifs permet d’avoir une image assez claire des conditions climatiques et environnementales dans lesquelles vivaient les hommes préhistoriques. «Ce sont d’abord les restes fauniques (grande faune, microfaune, malacofaune) qui donnent déjà une première idée sur l’environnement et du climat de l’époque», dit Farid Kherbouche.
Ensuite, c’est le végétal qui prend le relais. Avec les pollens fossiles et les macro-restes de végétaux carbonisés, c’est-à-dire les charbons de bois, les chercheurs reconstituent le couvert végétal de l’époque par l’identification des différentes herbacées, les essences des arbres, les graines de fruits ou de légumes, etc. Ils passent ensuite à l’étude des archives minérales telles que les stalagmites qui poussent abondamment en grotte.
Petite explication scientifique : ces stalagmites se forment grâce au ruissellement d’eau fortement chargée en calcaire selon des lamines de croissance annuelle. Ces couches successives de calcite, telles les cernes de croissance des arbres, enregistrent certains paramètres physico-chimiques de leur formation pouvant être corrélés à la pluviométrie et permettent de distinguer dans le temps les phases climatiques relativement chaudes et humides des phases froides. «Sur une stalagmite, on a pu reconstituer une archive entre 6000 et 4000 ans, ce qui couvre une grande partie de la dernière période d’occupation de la grotte», s’enthousiasme Farid Kherbouche. Les études paléoclimatiques effectuées sur les stalagmites de Gueldaman sont déjà arrivées à un résultat majeur : des variations climatiques connues dans le monde ont été enregistrées à Gueldaman, notamment un épisode d’aridité très sévère il y a environ 4300 ans.
Des chercheurs étrangers viennent de plus en plus souvent ici
L’équipe de recherche du CNRPAH est composée d’une vingtaine d’archéologues et de techniciens. Depuis 2010, une campagne de fouilles par an est menée. L’exploitation scientifique du site a nécessité la mise en place d’une logistique de fouille importante et la réalisation de plusieurs aménagements financés par le CNRPAH. Il s’agit notamment de la réalisation d’une piste carrossable, d’une grille de clôture, et du raccordement de la grotte au réseau électrique urbain.
L’équipe dispose d’une base de vie et d’un laboratoire de site dans le village limitrophe de Bouhithem mis à leur disposition par la commune de Bouhamza. Les premières analyses se font sur place, alors que d’autres se poursuivent au niveau de laboratoires de recherche du CNRPAH à Alger. Les analyses isotopiques sont réalisées en collaboration avec des laboratoires en France (LSCE/CNRS) et en Angleterre (OGU/Bristol University). Le fait d’avoir des données et du matériel archéologiques obtenus selon des standards de recherche stricts et un contexte chrono-stratigraphique précis fait que beaucoup de spécialistes à travers le monde veulent prendre connaissance des résultats, chacun dans son domaine précis. «C’est ce qui fait que des chercheurs étrangers viennent de plus en plus souvent ici. Nous recevons en ce moment deux chercheurs espagnols du CSIC spécialistes de la paléobotanique», ajoutera M. Kherbouche.
«On ne s’attendait pas à avoir aussi rapidement des résultats de cette qualité»
Les recherches ont déjà fait l’objet d’une publication collective dans la prestigieuse revue Quaternary International en janvier 2014. «Quand on a commencé les premiers travaux exploratoires en juillet 2010, on ne s’attendait pas à avoir des résultats de cette qualité ni à publier rapidement dans une revue de cette importance», dit Farid Kherbouche qui révèle que d’autres publications sont en cours dans des revues mondialement renommées.
L’une des promesses de GLD 1 est de permettre aux chercheurs de comprendre le passage crucial de la période dite des chasseurs cueilleurs à celle de la civilisation néolithique, car Gueldaman est l’un des rares sites où l’on peut suivre l’émergence du néolithique il y a environ 7000 ans avec tout le cortège qui le caractérise : la domestication des animaux, la pratique de l’agriculture, la fabrication de récipients en terre cuite, etc. Gueldaman pourra également illustrer les échanges culturels ou économiques entre différentes communautés préhistoriques établies sur des sites éloignés.
Le thème de la communication, des contacts et des échanges ne restera plus marginal, comme sont restés longtemps insuffisamment soulignés et précisés les faits immatériels et leur rôle. Ceux-ci, pourtant intimement liés aux autres, restés de perception plus subtile et profondément enfouie, se devaient de réapparaître pour transcender nos connaissances du quotidien matériel des Hommes Modernes. Tout compte fait, les hommes qui ont habité ces grottes n’ont vraisemblablement pas fini de faire parler d’eux.
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