Jean-Louis Hurst avec Didar Fawzy, lors d'une manifestation à Paris en 2001
C’est une figure du soutien au combat de l’indépendance algérienne qui vient de s’éteindre. Jean-Louis Hurst, déserteur, porteur de valise, sera inhumé en Algérie. Sylvie Braibant en dresse le portrait.
L’Algérie ne le quittait jamais. Elle avait traversé son enfance - il y avait vécu quelques mois lorsque son père, officier réserviste, décida de quitter la France en 1940 avec sa famille, pour rejoindre de l’autre côté de la Méditerranée les militaires convaincus d’entrer en résistance contre l’occupant nazi. Il avait alors à peine plus de 5 ans, mais ces habitant-e-s, ces paysages somptueux et austères du Constantinois le marqueront à jamais.
L’après guerre sonne le temps de la première rupture, avec son père qui, à l’instar d’autre résistants, passe du statut de héros à celui de traître, en troquant le refus du fascisme pour celui des indépendances qui s’éveillent partout dans l’Empire colonial, ce père qui ira jusqu’à s’engager pour que l’Indochine reste française.
Un voyage au Proche Orient le ramène vers les parfums de la Méditerranée, les rocailles et cette végétation sévère qu’il affectionnait tant, se moquant plus tard de ce « vert idiot des campagnes françaises ». Il s’y frotte en même temps au socialisme appliqué des Kibboutz et à la condition des Palestiniens chassés hors de leurs terres.
Il s’éveillera décidément avec la guerre d’Algérie, il a alors 20 ans lorsque « les événements » tels qu’on les appelait alors enflamment les deux rives de la Méditerranée, l’âge de partir dans les Aurès, comme le recommande alors le Parti communiste français auquel il a adhéré, qui n’en a pas fini non plus avec ses ambiguïtés coloniales. Instituteur, et comme son père, officier de réserve, il ne partira pas. Ruptures encore : il désertera, l’armée et le parti communiste dans un même geste, passant en Suisse et en Allemagne, là où des filières de soutien aux combattants indépendantistes se mettaient en place. Il écrira alors l’un des livres qui marquèrent un tournant de cette sale guerre, tout à la fois manifeste politique et mode de vie, Le Déserteur, signé du pseudonyme Maurienne (du nom d’un massif montagneux), hommage au Silence de la mer de Vercors (autre montagne tenue par les maquisards, pseudonyme de Jean Bruller), œuvre coup de poing de la seconde guerre mondiale. Le Déserteur parut aux éditions de Minuit, celles qui avaient publié La Question d’Henri Alleg, sur la torture systématique pratiquée par l’armée française en Algérie — et aussi bien sûr Le Silence de la mer. Comme La Question, Le Déserteur fut interdit (mais plusieurs fois réédité). Trop tard pour empêcher qu’il marque les esprits. Des dizaines de jeunes appelés désertèrent à sa suite.
C’est lors de l’un de ses passages dans l’une des bases arrières des porteurs de valises, ces Français qui entrainés par Francis Jeanson d’abord, puis par Henri Curiel, se mirent au service du FLN algérien, à Francfort, qu’il rencontra Heike. Militante elle aussi, Heike Hurst deviendra l’une des grandes plumes de la critique cinématographique, souvent pensée d’un point de vue féministe (Heike Hurst est morte en 2012). Ils s’installeront ensemble en Algérie devenue indépendante en 1962. Annik naît en 1964, une fille chérie dont Jean-Louis parlait sans cesse avec émerveillement, peut-être pour compenser la désertion paternelle dont il fit quelque peu preuve au fil des ans.
A Alger, il est un « pied rouge », cette expression inventée en miroir inversé des pieds-noirs de la colonisation. Il fait merveille comme pédagogue et organisateur de « chantiers de jeunesse », lieu de travail volontaire, projet socialiste, menés dans les montagnes de Kabylie, aux côtés de l’exceptionnelle Didar Fawzy. Auprès de cette native d’Egypte, il rencontra Henri Curiel, et œuvra aussi pour les mouvements de libération nationale qui fleurissaient partout dans le monde contre les colons et contre les dictatures. Ses anciens élèves lui gardent jusqu’aujourd’hui un amour intact. Déjà trop âgé, trop loin de France, Mai 68 lui échappe.
Jean-Louis Hurst, « Les somnambules, les affairistes et les inquisiteurs », Le Monde diplomatique, août 1992.
Il finit par quitter l’Algérie, quelques années après la destitution de Ben Bella, parce qu’il ne s’y reconnaissait plus, une nouvelle rupture tant dans sa vie de militant qu’amoureuse. Rentré en France, il réintègre l’éducation nationale, propose des exercices peu en phase avec une France encore sclérosée, fait tourner un film à ses élèves sur la peine de mort, chronique d’un divorce annoncé avec l’enseignement qui se concrétise en 1972. Nouveau départ avec le quotidien Libération, lancé par Jean Paul Sartre en 1973. Il y suit les questions d’éducation mais aussi ces sujets aveugles du journalisme, comme la vie dans les foyers de travailleurs immigrés et les premiers soubresauts d’une jeunesse exclue dans les banlieues françaises. Jusqu’à cette année 1978 — 4 mai 1978, assassinat d’Henri Curiel en France, et en décembre longue agonie du président algérien. Le journal l’envoie en Algérie — ce retour est un choc, sa plume s’assèche, incapable de se soumettre aux images qui l’assaillent. Comme pour ce livre sur les « pieds rouges » tant de fois commencé, tant de fois suspendu. Qui ne pouvait être que le sien. Cette dernière séparation, longue à s’installer, celle d’avec Libération — douleur intense.
Sa radicalité, publique et privée, le rendait bien sûr invivable, cassant. Mais il était passionné, généreux aussi, et si désireux de transmettre. Entre autres, deux souvenirs très personnels : en 1979, j’entamais aux côtés de l’écrivain Gilles Perrault une enquête sur Henri Curiel (Un homme à part, Fayard, 1984, réédité en 2006), cousin germain de mon père, dont on sait aujourd’hui qu’il fut tué en mai 1978 par des mercenaires français. J’interrogeais longuement Jean-Louis. A un détour de l’entretien, il me lança :« je pense à ta curieuse carrière qui commence sur le dos d’un cadavre. » Des années plus tard, je me lançais sur les traces d’Elisabeth Dmitrieff, communarde russe, pour un autre livre. Elle avait eu comme professeur sur ses terres natales du sud de Saint Petersbourg Modeste Moussorgski, dont j’étais ignorante. Un opéra où il m’entraîna et des heures de discussion plus tard, j’étais imprégnée de la musique de ce compositeur révolutionnaire. Je lui dois ce qui me semble être, aujourd’hui encore, de très belles lignes.
Il est mort le 13 mai 2014, à l’âge de 79 ans. Il sera inhumé en Algérie, cette terre où il fût si heureux et qu’il n’avait jamais réellement quittée.
jeudi 15 mai 2014, par Sylvie Braibant
JEAN-LOUIS HURST, "LE FRERE DES FRERES"...
· Jean-Louis fut le « Déserteur » de l’armée française qui refusa de faire la guerre à ses frères algériens.
· Il fut l’élève d’Henri Curiel, « l’Homme à part » qui organisa les réseaux de soutien à la fédération de France du FLN
· Il devint un pédagogue hors-pair au collège de Larba Nath Iraten et à l’École des Cadets de la Révolution à Koléa, entre 1963 et 1968.
· Il fut le compagnon inséparable d’Ali Zamoum, de Mohamed Harbi et Kateb Yacine, entre autres.
· Il se considérait comme un militant révolutionnaire qui ne devait jamais désespérer de la justesse des combats anticolonialistes, en Afrique, en Asie, en Amérique Latine.
· En 1980, il fit connaitre dans la presse française et internationale les revendications démocratiques du printemps berbère de Tizi-Ouzou.
· Dans le combat pour la cause des travailleurs émigrés et celle des « Beurs », il fut en pointe dès les années 1970.
Ses sentiments fraternels à l’égard des algériens ne se sont jamais démentis, sans jamais rien demander en retour. Nulle gloriole officielle, aucune tentative de récupération de son action de solidarité envers les algériens ses frères, ne réussit à ternir son parcours. C’est en terre d’Algérie, conformément à ses dernières volontés, qu’il reposera définitivement, aux côtés de Heike, sa compagne de combat pour l’Algérie, son épouse, la mère de sa fille Annik, qui vit le jour en Algérie en 1964.
Ouali Boussad, Editeur algérien
.
Emouvantes Funérailles à Diar Essaâda
Jean-Louis Hurst enterré dans son pays
C’était sa dernière volonté : être enterré sous le ciel d’Alger, parmi ses frères. Lui, c’est Jean-Louis Hurst, déserteur de l’armée française pendant la Guerre de libération nationale, juste parmi les justes qui refusa de nous faire la guerre. Mieux encore : il rejoindra très vite le réseau des «porteurs de valises» et se jettera dans une bataille autrement plus âpre : celle de la lutte contre l’ordre colonial en soutenant activement la Révolution algérienne.
Jean-Louis Hurst s’est éteint le 13 mai 2014 à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif des suites d’une éprouvante maladie. Il avait 78 ans. Passionné de l’Algérie, sa terre d’élection, il a donc souhaité être inhumé ici. Lui qui n’aimait pas les honneurs, il aura eu droit à des funérailles officielles. Au cimetière chrétien d’El Madania où il a été enterré, le moins que l’on puisse dire est que l’on a mis les formes. Des représentants du Premier ministre, des ministères des Moudjahidine, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, ont été dépêchés pour dire la reconnaissance de l’Etat algérien à un «troufion» qui a eu le courage, rare à l’époque, de déserter son camp «naturel» pour rejoindre la cause indépendantiste.
Hormis les officiels, il y avait foule au cimetière de Diar Essaâda hier, dont de nombreuses figures de la Révolution, à l’image de Louisette Ighilahriz, Salima Bouaziz, Annie Steiner, Felix Colozzi, Hocine Zehouane, Mohand Akli Benyounès… Citons aussi le libraire et éditeur Ouadi Boussad dont il était proche, les historiens Daho Djerbal et Mohamed El Korso, Zehira Yahi, Tarik Mira, Mahmoud Rachedi (secrétaire général du PST), ou encore Yasmina Chouaki (présidente de Tharwa Fadhma n’Soumer).
La dépouille mortelle est arrivée au cimetière aux coups de midi, directement en provenance de l’aéroport. Porté par une escouade de pompiers, le cercueil est drapé de l’emblème national. Tout un symbole ! Outre la dépouille de Jean-Louis, il contient aussi les cendres de sa femme, Heike, décédée le 30 novembre 2012. Le cortège est conduit par le colonel Mustapha Lahbiri, directeur général de la Protection civile. Dans la procession se détache le visage lumineux d’Annick Hurst, la fille de Jean-Louis. La moudjahida Salima Bouaziz arbore un magnifique bouquet de fleurs. Annie Steiner tient une rose blanche à la main. Les militants du PST ont conçu une belle couronne de pétales qui ornait le cercueil. Si bien que le cimetière paraissait «plus fleuri» qu’à l’accoutumée.
Luc Chaulet entonne Le Déserteur
Image émouvante : alors que la procession s’avançait vers le carré où devait reposer Jean-Louis et Heike, Luc Chaulet, le fils de Pierre Chaulet, entonne Le Déserteur, chanson divinement interprétée, entre autres, par Mouloudji, sur un texte de Boris Vian. Il est aussitôt suivi par un groupe de femmes qui scandent à l’unisson ces paroles bien connues qui nous donnent, aujourd’hui encore, des frissons : «Monsieur le Président/Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/Si vous avez le temps/Je viens de recevoir/ Mes papiers militaires/Pour partir à la guerre/Avant mercredi soir/Monsieur le Président/Je ne veux pas la faire/Je ne suis pas sur terre/Pour tuer des pauvres gens…»
Il convient de rappeler que Jean-Louis Hurst avait publié un livre en 1960 sous le titre Le Déserteur, sorti chez Minuit et très vite interdit. Le livre était signé d’un pseudonyme : Maurienne. Même hier, d’aucuns désignaient ainsi le frère Jean-Louis : Maurienne. Une haie d’honneur de la Protection civile, en tenue d’apparat, se forme au passage du cortège funéraire. Trompette et roulements de tambour qui achèvent de conférer un caractère solennel à la cérémonie. Une oraison funèbre est lue dans la foulée par Abi Smaïn, directeur central au ministère des Moudjahidine.
Dans son hommage, M. Abi a salué la mémoire d’«un militant des causes justes qui a pris le parti de la justice et qui a défendu ardemment la Révolution algérienne». Et de poursuivre : «L’histoire se souviendra de la position de cet homme d’honneur devenu le symbole des luttes justes dans le monde.» Et d’insister sur le devoir de reconnaissance envers Jean-Louis Hurst «pour tout ce qu’il a fait pour l’indépendance de notre pays et qui a voulu que l’Algérie soit sa dernière demeure».
Le «frère des frères»
La cérémonie se poursuit par un témoignage de Mohand Akli Benyounès, ancien responsable de la Fédération de France du FLN à Lyon, qui connut Jean-Louis en 1961. «Comme il avait remarqué qu’on s’appelait entre nous (militants du FLN) les ‘frères’, alors il s’est fait baptiser ‘le frère des frères’» se souvient M. Benyounès. Parole maintenant à Annick qui lit un message que lui a adressé le ministre de l’Intérieur, Tayeb Belaïz. Annick Hurst a donné ensuite libre cours à son cœur pour dire son émotion : «Je suis très impressionnée de voir tant de monde», lance-t-elle d’emblée. Evoquant son père, elle garde de lui l’image d’un «guerrier» qui est allé jusqu’au bout de ses convictions. Elle ne manque pas de remercier tous ceux, dont l’ambassadeur de France à Alger, qui ont permis «d’exaucer la volonté de mon père». Elle rappelle qu’elle est née en Algérie «il y a 50 ans». «J’ai presque l’âge de l’indépendance», appuie-t-elle avec fierté.
Jean-Louis Hurst «a ouvert la voie à la libération des esprits et des cœurs», selon ses mots. «Mes parents sont des justes. Grâce à vous, ils peuvent reposer en paix pour l’éternité sous le soleil d’Alger comme ils en avaient rêvé.» Et de conclure : «Il ne faut jamais oublier que parfois, il faut savoir dire non pour rester libre.» Au moment de la mise en terre de Jean-Louis et Heike, Annick exhibe un cahier à l’attention de celles et ceux qui voudraient écrire un mot. Lounis Aït Aoudia, président de l’association des amis de la Rampe Arezki Louni, s’y colle. «J’ai écrit que le combat de Jean-Louis démontre le caractère universel de la Révolution algérienne», nous confie-t-il.
Annick dévoile ensuite l’épitaphe qui sera gravée sur la stèle qui honorera la mémoire de ses parents : «J’ai quitté ma famille, j’ai quitté mon pays, je suis un citoyen du monde.» Des youyous fusent. Des voix scandent Min djibalina. Felix Colozzi, un autre monument de la résistance anticoloniale, est en larmes. La communion est totale. Le «frère des frères» est bel et bien parmi les siens. Jean-Louis Hurst est né le 18 septembre 1935, à Nancy, en Alsace, dans une famille de résistants. Instituteur de formation, il adhère au Parti communiste par opposition à la guerre d’Indochine.
Dans un chapitre de son livre, L’organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (éditions Chihab, 2012), Daho Djerbal livre des éléments importants sur le parcours de Jean-Louis Hurst. Nous y apprenons que c’est peu après sa mobilisation, en 1957, qu’il entre en contact avec le réseau Jeanson grâce au professeur André Mandouze qui, menacé à Alger, venait de s’installer à Strasbourg. En 1958, l’officier Hurst, jusque-là affecté aux transmissions à Baden-Baden, reçoit sa feuille de route pour l’Algérie. Jacques Vignes, figure de proue du réseau Jeanson, lui propose d’assurer les passages des porteurs de valises vers la Suisse, l’Allemagne et l’Italie, pour le compte du FLN. Hurst s’engage sans hésiter.
«Cela ne faisait pas l’ombre d’un doute, j’avais déjà déserté dans ma tête. En tant qu’officier, je devais partir seul. J’ai donc pris ma feuille de route, salué mes parents et, arrivé à Mulhouse, au lieu d’aller à Marseille, j’ai bifurqué sur Bâle», a raconté Hurst (cité par D. Djerbal). Après l’indépendance, il s’engage comme instituteur à Larba Nath Irathen. Il quitte l’Algérie à la fin des années 1960 et rejoint le journal Libération. «Au moment où tant des nôtres sont toujours prêts à s’autodénigrer, à croire qu’il y a une forme d’audace à se complaire dans la haine de soi, écrit Luc Chaulet dans une chronique dédiée à Jean-Louis et Heike, diffusée hier sur les ondes de la Radio internationale, cette volonté absolue de ce couple à venir passer l’éternité avec nous est d’une grandeur qui nous dépasse, qui nous émeut, qui nous trouble. En tout cas, je n’ai aucun doute que ces deux-là ont déjà trouvé leur place au paradis des justes.»
Mustapha Benfodil
Les commentaires récents