Albert Camus (SIPA)
La légende, qui aime la jeunesse fauchée, a oublié qu'Albert Camus détestait la vitesse et trouvait «absurde» de mourir dans des draps de tôle froissée. Cinq ans après que James Dean se fut tué au volant de sa Porsche 550 Spyder et trois ans après que Françoise Sagan eut retourné son Aston Martin dans un champ, on a fait entrer l'auteur de «la Peste» dans le peloton des casse-cou du volant, des héros téméraires du macadam.
Un jeune prix Nobel s'écrase contre un platane ! Et les mythologues d'ajouter que, en 1962, à une semaine d'intervalle, Roger Nimier perdit la vie sur l'A13 et Jean-René Huguenin, l'auteur de «la Côte sauvage», trouva la mort, à 26 ans, près de Chartres.
C'était l'époque, il est vrai, où les écrivains prêtaient aux bolides des vertus animales, où Sagan leur attribuait le pouvoir de «décoiffer les chagrins», où Morand se vantait d'avoir passé «plus de temps avec les voitures qu'avec les femmes». La mort accidentelle de Camus, à 47 ans, participa de ce romantisme machinal d'un autre temps: il était beau, célèbre, couvert de femmes, et il avait encore tellement à écrire. Même ses pires contempteurs s'inclinèrent devant un destin si tôt brisé.
Le livre de José Lenzini, «les Derniers Jours de la vie d'Albert Camus» (Actes Sud, 16,50 euros), rappelle combien la réalité est loin de la légende. Pour rentrer de Lourmarin après les vacances de Noël, Camus avait acheté son billet de train pour Paris. Il finit par céder à l'invitation de son ami et éditeur Michel Gallimard, qui venait d'acquérir une Facel Vega sous le capot de laquelle piaffaient 253 chevaux. Camus s'assit à la place du mort.
Lenzini raconte les deux jours de voyage vers Paris sous la pluie, la halte gastronomique au Chapon Fin, et, le 4 janvier 1960, l'embardée de la voiture au Petit-Villeblevin, dans l'Yonne. Un banal accident de la route où disparut un homme d'exception qui s'était acheté une conduite mais se méfiait des automobiles.
Jérôme Garcin
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