.
Renouvellement de l’historiographie sur la guerre d’Algérie
Les 9 et 10 novembre derniers, s’est tenu à l’université Paris VIII un colloque international intitulé : «Entre continuités et ruptures générationnelles. Les recherches sur la guerre d’indépendance algérienne cinquante ans après», organisé par le professeur Aïssa Kadri et les jeunes historiens, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur.
Ce colloque visait à faire le point sur les apports de la nouvelle génération d’historiens français, algériens, franco-algériens, étrangers (italiens, américains, britanniques, hongrois) à la connaissance de la guerre d’Algérie. Il s’agissait de s’interroger sur la nouveauté des paradigmes d’une génération de chercheurs inscrits dans un champ de recherche en construction et de voir si on pouvait déceler des ruptures ou des continuités dans les objets, les sujets abordés, les méthodes, les approches macro et micro-historiques développées. Ce colloque constituait, de ce point de vue, la grande rencontre scientifique autour de la guerre d’Algérie à l’occasion de cette année commémorative. Le succès était là, du point de vue aussi bien des approches novatrices développées, que du large public présent tout au long de ces journées, public qui s’est passionné pour les questions soulevées.
Danielle Tartakowsky, présidente de l’université Paris VIII,
historienne du mouvement social, a tenu à ouvrir le colloque afin de
montrer l’importance de cette manifestation scientifique dans son
université, où les recherches sur le Maghreb tiennent une place
particulière, à l’image de celles développées à l’Institut
Maghreb-Europe (IME) qui a organisé le colloque.
La guerre d’Algérie, lutte de libération nationale, guerre
d’indépendance, événements non nommés explicitement pendant longtemps du
côté de la puissance dominante, a été traitée dans une perspective de
temps long, de remontée aux causes premières, déterminantes dans sa
genèse. La première session a été présidée par René Gallissot,
historien reconnu du Maghreb. Ce dernier est revenu sur des questions
qui ont été travaillées par les historiens, ceux notamment des premières
générations (CH.A Julien, CH.R Ageron, A. Nouschi, M. Kaddache).
S’il n’a pas fondamentalement remis en question les connaissances acquises, il les a approfondies, enrichies et dans certains cas a été au-delà de certaines interprétations qui prévalaient jusque- là. Il a jeté plusieurs éclairages sur la période coloniale, sur la question de l’islam et des racines de la violence et de la contre-violence, avec le jeune chercheur Mouloud Haddad, ou encore sur le mouvement anarchiste en Algérie, au tournant des XIXe et XXe siècles révélateurs de certaines représentations, pratiques et actions «paradoxales», d’Européens en situation coloniale, comme s’est attaché à le montrer le doctorant Philippe Bouba. Ce dernier passe en revue la presse anarchiste, en montrant comment est développé un découplage des mots d’ordre et revendications anarchistes : aucune remise en cause de l’Algérie comme territoire français, mais violent réquisitoire contre la colonisation, le code de l’indigénat «code de la matraque», contre l’autoritarisme des colons. Le jeune docteur, Julien Fromage, a également apporté un nouvel éclairage sur la Fédération des élus musulmans (FEMA créée en 1927 et élargie en 1930 avec la création des trois fédérations départementales d’élus) qui, à son apogée, a revendiqué 4400 membres et recueilli les suffrages de 200 000 électeurs.
Avec plus de 300 actions contestatrices enregistrées dans l’Est, en 1930, tente, selon le chercheur, de construire un discours historique positivé de la nation algérienne, en opposition dialectique au discours historique colonial. En s’intéressant à leur action en milieu rural, le jeune chercheur montre comment ils contribuent à nourrir le patriotisme rural. En montrant sur la base d’archives et de documents le fait que leur action, qui est restée quelque peu méconnue, allait aussi dans le sens de l’anticolonialisme et du nationalisme, il les considère comme le «chaînon manquant entre anticolonialisme et nationalisme». Tout à fait novateur a été le point de vue développé par la jeune doctorante américaine, Michelle Mann, à propos de la conscription en situation coloniale, en montrant ce qu’avaient de subversif la notion d’assimilation et certains de ses usages qui voulaient prendre au mot la colonisation et en révéler les contradictions. Alcos Ferwagner, maître de conférences à l’université de Szeged, en Hongrie, a, quant à lui, présenté une intervention sur Jacques Chevalier, le maire emblématique d’Alger, franco-américain, ouvert au dialogue avec les nationalistes algériens. A été mis en exergue, à propos de cette personnalité, le caractère «non figé» de ses engagements et les arrière-pensées qui les animaient.
Le débat qui a suivi a porté sur le poids de ses influences américaines et son anticommunisme. Emmanuel Blanchard, également maître de conférences, en contribuant à faire resurgir hors de l’oubli le massacre de six Algériens lors de la manifestation du 14 juillet 1953 à Paris, s’est interrogé pourquoi, a contrario du «17 octobre 1961», constituée en véritable «lieu de mémoire», cette journée dramatique, le 14 juillet 1953, reste aujourd’hui encore «portée disparue». Il conclut qu’au-delà des violences exceptionnelles, où la police parisienne continuait de traiter les manifestants algériens avec les méthodes utilisées par l’armée contre les ouvriers grévistes de la fin du XIXe siècle, au-delà du «mensonge d’Etat» et de l’ordonnance de non-lieu rendue en octobre 1957, c’est aussi dans un certain nombre de manifestations et conflits, — mai 51, mai 52 — qui virent la mort par balle d’un Algérien, décembre 52 à Casablanca et Tunis contre l’assassinat de Ferhat Hached — que s’est inscrit cet événement et s’est constitué l’oubli du 14 juillet 1953. L’événement ne put être intégré à la geste d’un FLN qui, vainqueur d’une lutte mortelle et fratricide avec les partisans de Messali Hadj, voulut apparaître comme la première et seule organisation à avoir porté le fer contre la puissance coloniale.
Au cours de l’après-midi du 9 novembre, la session présidée par Jean
Leca, ancien directeur de l’IEP d’Alger et président de l’Association
française de sciences politiques, mettait en exergue la montée du
nationalisme algérien et l’inéluctabilité de la guerre. Les recherches
de Nedjib Sidi Moussa, doctorant à l’université Paris I, ont mis en
lumière à cet égard l’engagement précoce des femmes algériennes dans le
mouvement national, avec la création, en juillet 1947, de l’Association
des femmes musulmanes algériennes (AFMA) — présidée par Mamia Chentouf,
fille d’un dirigeant et élu du MTLD, El Abdli Aïssa — et l’apparition de
la rubrique «La musulmane algérienne» dans L’Algérie libre. L’organe du
MTLD va non seulement relayer l’activité caritative de l’AFMA, mais
aussi se faire l’écho des actions de Bint El Nile, l’organisation
féministe égyptienne dirigée par Doria Shafik, ou revenir sur le
parcours de la féministe indonésienne, Raden Ajeng Kartini.
S’interrogeant sur l’intentionnalité des politiques de regroupement des
populations rurales, Fabien Sacriste, de l’université de Toulouse, est
revenu sur cette réalité massive de la guerre, qui a conduit au
déplacement et au placement dans des camps de plus de deux millions
d’Algériens.
Il a discuté, à partir de nouvelles archives et documents, les deux thèses qui prévalaient dans l’explication des logiques en œuvre, celle de Cornaton, pour qui l’intention première de la mesure est militaire (c’est une stratégie de lutte contre le FLN) et sécuritaire (c’est un moyen de contrôler les populations), et celle de Bourdieu Sayad. Pour Cornaton, le «déracinement» est la conséquence de ces actions. Il s’oppose en ceci à Bourdieu et Sayad, qui voient dans le regroupement l’ultime tentative d’un Etat colonial soucieux de «déraciner» les ruraux, de briser leurs traditions, pour mieux imposer un autre modèle sociétal (et par là même s’imposer à eux). La distinction imposée entre le regroupement provisoire (opérationnel) et le regroupement définitif pose, selon Sacriste, les bases d’un cadre qui perdure jusqu’à la fin de la guerre — et trouvera son achèvement dans le programme des «Mille Villages» mis au point par Paul Delouvrier en 1959.
Dans la même perspective, c’est sur la formation militaire des
combattants de l’ALN que s’est focalisée l’intervention de la doctorante
Saphia Arezki. Au 1er Novembre 1954, ils sont une poignée d’hommes,
moins d’un millier, à déclencher simultanément des attentats sur tout le
territoire algérien, au moment du cessez-le-feu, en mars 1962, c’est,
selon elle, près de 22 000 hommes qui stationnent à la frontière
tunisienne et 10 000 du côté marocain, formant l’armée des frontières,
embryon de la future Armée nationale populaire (ANP) algérienne. Sans
doute faut-il rapporter ces chiffres à ceux qui sont dans les maquis à
la veille du cessez-le-feu (plus ou moins deux mille combattants par
Wilaya, soit entre 12 000 et 15 000 hommes si l’on y ajoute les
moussebiline) et faut-il comparer ces chiffres à ceux que
François-Xavier Hautreux analyse dans sa communication portant sur les
différentes catégories de supplétifs de l’armée française (il en
distingue cinq), dont les harkis, soit quelque 120 000 hommes, hors
effectifs des engagés et appelés algériens qui représentaient à eux
seuls quelque
45 000 soldats. Saphia Arezki indique que la formation est dirigée par
les déserteurs de l’armée française qui forment la plus grande partie de
l’encadrement — les taux de désertion restant faibles tout au long de
la guerre, selon d’autres sources qui les évaluent à moins d’une
centaine par an — elle relève cependant qu’à partir de la fin des
années 1950, ils sont rejoints par les stagiaires qui sont de retour du
Moyen-Orient.
Elle précise que, ponctuellement, des coopérants militaires étrangers, ainsi que des instructeurs, notamment chinois, se trouvaient aux frontières afin d’aider les cadres de l’ALN dans leurs tâches d’enseignement et d’encadrement des combattants. Une question fut soulevée sur l’implication de l’Union soviétique dans la formation militaire sur place qui semble avoir été limitée. Elle conclut que si le but premier des formations qui se mettaient en place à partir de 1956 était de former des combattants et des cadres militaires opérationnels tant sur le terrain que dans les camps d’entraînement frontaliers (le centre de Mellègue est ouvert fin 1957 et la formation se diversifie selon les pays amis), les enjeux de la formation sont plus larges que l’objectif militaire stricto sensu, que ce soit, dans le moment, dans une perspective d’élargissement du soutien au niveau international ou dans le long terme, dans une perspective de visions de l’Algérie indépendante. Vanessa Codaccioni, maître de conférences à Paris VIII, a porté son attention sur la diversité des expériences communistes de la guerre d’Algérie. Elle a balisé l’histoire complexe de la participation communiste à la guerre, en revenant sur «le double langage» du PCF, entre ce qu’il voulait montrer de l’anticolonialisme, d’un côté, et ce qu’il entendait invisibiliser, de l’autre. Elle tente une déconstruction de l’homogénéisation apparente du PCF, en montrant comment la guerre d’Algérie avait travaillé en profondeur le Parti communiste.
Elle tire de l’analyse de ce processus trois types de transgressions : celle des réfractaires à la guerre, qui refusent de porter les armes et l’uniforme, celle interne, qui est le fait des oppositionnels, c’est-à-dire ceux qui, à l’intérieur, visent à modifier la ligne du parti, et enfin celle «des porteurs de valises» dont l’action est tournée vers l’extérieur du parti et qui sont dans des rapports réciproques ambigus. Tramor Quemeneur s’est ensuite intéressé à la question des mouvements de jeunes qui se sont progressivement affirmés pendant la guerre d’Algérie contre leurs aînés, notamment à propos de la question de la désobéissance, jetant ainsi les bases socioculturelles de mai 1968. En focalisant sur les moyens des opposants à la guerre au sein de l’édition française, qui ont été modestes, Julien Hage a pris le parti d’aborder la guerre d’Algérie à travers la masse des brochures, des fascicules et des tracts, moins connus, en mettant en évidence le caractère asymétrique de la propagande autour du conflit, sa dimension de littérature d’intervention et de vecteur de politisation, ainsi que les expressions brèves de l’avant-garde qui a pu mettre des mots sur la «guerre qui ne dit pas son nom» et ses horreurs. Daniel Gordon, de l’Edge Hill University, en Grande-Bretagne, a apporté un regard nouveau sur le 17 Octobre 1961. Son intervention se situe dans le cadre du renouvellement récent de l’historiographie sur la guerre d’indépendance algérienne en métropole, et l’évolution des débats, entre registre moral et regard historique.
En analysant la réponse de l’opinion parisienne dans un contexte comparatif, par comparaison à ce qui se passait dans d’autres pays impérialistes, et en la resituant dans le contexte français complexe, des manifestations antérieures au 17 Octobre, d’autres exemples de manifestations internationales de mouvements anti-impérialistes, de guerre violente, en la rapportant enfin aux actions d’un gouvernement aux réflexes autoritaires et à celles d’une gauche très divisée par la guerre froide et par les barrières profondes de classe qui empêchaient l’unité entre la gauche communiste de banlieue et la gauche intellectuelle de la rive gauche, il montre que l’opinion publique française n’a pas été si passive, voire favorable à la répression, comme cela a souvent été affirmé. Enfin, le jeune chercheur italien, Andrea Brazzoduro, s’est intéressé à la gauche italienne et à son opposition à la guerre, voire à son aide aux Algériens, notamment au rôle de Giovanni Pirelli. Il relève que trois dimensions déformées et déformantes semblent caractériser le regard italien sur la lutte algérienne : celui d’abord du miroir des luttes qui traversent la gauche française. Cet élément découle de la subalternité du PCI au PCF sur la question algérienne, celui, d’autre part, du regard sur l’Algérie pour y repérer un nouveau modèle mythique de socialisme, celui enfin de la place particulière de Frantz Fanon, qui devient, par synecdoque, l’autre nom de l’«Algérie», et c’est l’écran déformant le plus puissant. Si quelques rares intellectuels, comme Giovanni Pirelli, s’intéressent, à travers Fanon, aux Algériens, à leur condition et à leur lutte, au sein de la gauche italienne le débat sur l’Algérie et sur Fanon se configure comme un prolongement du débat interne aux courants marxistes et socialistes sur la violence dans l’histoire.
Les apports les plus novateurs concernent ainsi la dimension
internationale de l’appréhension de la lutte des Algériens, les aspects
internationaux de la guerre d’Algérie.
Laszlo Nagy, de l’université de Szeged, a montré comment la Hongrie
avait aidé le FLN avec l’existence d’un poste émetteur radiophonique en
langue arabe à Budapest dès les années 1950. depuis exactement mai 1954,
fonctionnait en effet un poste «Sawt El Istiqlal» qui informait sur les
luttes au Maghreb. Il montre que dans le contexte, faisant jouer des
arguments divers, notamment l’admission de la Hongrie à l’ONU, les
pressions françaises aboutirent à fermer le poste en octobre 1955.
Mickaël Gamrasni, de Sciences Po Paris, s’est ensuite intéressé aux
«malentendus» des relations franco-américaines, de 1958 à l’indépendance
algérienne. Il caractérise ses relations entre 1954 et 1958 comme
celles de juste milieu, ménageant la France tout en défendant les
aspirations nationalistes. Puis, celles-ci à partir de 1959 révèlent la
montée de pressions fortes et continues — rencontre Eisenhower - De
Gaulle en septembre 1959 — jusqu’au moment où le secrétaire américain,
Christian Herter, poussa, selon le jeune chercheur, De Gaulle à
formuler, en novembre 1960, sa déclaration, qui allait plus loin que
celle de juin 1960, sur «l’Algérie algérienne».
Emmanuelle Comtat, docteur en sciences politiques, situant l’analyse de cette population dans le thème des effets politiques d’un «traumatisme historique», tente de mesurer comment un bouleversement historique et social se traduit par des conséquences politiques à plus long terme. Elle cherche à faire le point sur la mémoire et les votes «pieds-noirs», multiformes, et de leurs descendants. En montrant que les attitudes, pratiques et représentations des pieds-noirs sont diversifiées, elles se déclinent différemment également selon les générations et les lieux. Il y a tout de même quelques spécificités. Les rapatriés sont nombreux, relève-t-elle, à avoir déjà voté FN ; 44% des sondés disent avoir déjà voté pour le FN dans l’enquête pied-noir 2002. On observe, note-t-elle, que les pieds-noirs qui votent pour le FN sont les plus nostalgiques du passé colonial. Ils ont aussi, plus souvent que les autres, le sentiment que leur situation générale (matérielle et autre) s’est détériorée par rapport à celle qu’ils avaient en Algérie. Ce vote résulte donc, conclut-elle, en partie d’un sentiment de «frustration relative». Elle relève que le traumatisme du rapatriement est aujourd’hui loin d’être totalement évacué chez l’ensemble des rapatriés et qu’un certain revivalisme «nostalgérique» s’enracine dans certains départements du sud de la France. Le jeune docteur, Emmanuel Alcaraz, est, quant à lui, revenu sur les lieux de mémoire algériens de la guerre d’indépendance, en particulier concernant les figures de moudjahidine, les Européens d’Algérie et Houari Boumediene. Il s’est proposé, à partir d’une analyse de la genèse historique du mouvement national algérien dans ses différentes composantes et des modalités de ses réappropriations actuelles des lieux de mémoire de la guerre, de retrouver dans l’affirmation de ces derniers dans «l’espace public» dans leur mise en scène ou leur institutionnalisation, les modes de légitimation politique en œuvre.
Son propos a tenté de les restituer dans leurs contradictions afin «d’expliquer les tensions mémorielles, les oublis et les tabous existant en Algérie par rapport à cette guerre (la guerre d’Algérie). Il montre comment s’est construite une représentation officielle, expurgée et mythifiée de la mémoire et en même temps que cette mise en scène «des lieux de mémoire» participant au roman national n’occulte pas totalement dans le contexte, les contestations et autres formes de revendications latentes, manifestes ou en devenir, qui expriment d’autres représentations, d’autres visions, portées par de nouvelles générations. Il donne à titre d’exemple de présentation officielle, la bataille de Djorf, occultée jusqu’en 1990, la présentation muséale du président Boumediene au musée du Maqam Echahid, les évolutions de l’administration de la prison de Serkadji. Enfin, Lydia Aït Saâdi a établi un panorama de la manière dont la guerre d’indépendance était traitée dans les manuels scolaires algériens, en montrant ce qui a changé dans les programmes et ce qui reste occulté, comment le roman national se construit dans les programmes à partir des contextes et rapports de force et comment les pédagogies en œuvre le mettent en scène.
Gilles Manceron et Aïssa Kadri sont revenus en conclusion sur les points forts du colloque et sur les thématiques et les objets à développer. Gilles Manceron évoque un certain nombre de pistes à travailler, notamment le moment De Gaulle et appelle à l’ouverture des archives. A. Kadri revient sur ces nouvelles approches et appelle à développer les analyses dans une perspective de temps long en approfondissant trois dimensions : celle des trajectoires individuelles et des engagements qu’elles portent, notamment les trajectoires de personnalités passerelles qui ont été au cœur des interrelations et interactions entre les groupes et les populations. Il appelle à cet égard également à développer «les portraits de groupe» comme ceux des «libéraux», «des centralistes». Revenant sur la transition portée par l’Exécutif provisoire, il donne l’exemple de certaines importantes personnalités européennes dont le rôle fut important — comme Charles Koenig, député maire de Saïda, Roger Roth, député maire de Skikda, président de la première Assemblée algérienne, après la démission de Ferhat Abbas, Jean Mannoni, médecin, — dans la volonté d’organiser une sortie plurielle de la guerre en proposant notamment une campagne référendaire multipartisane (avec le PCA, le PSU, le MPC, le CBMSAE — Comité Blida Mitidja de soutien aux accords d’Evian — la SFIO, le PPA. Ces deux derniers partis furent récusés par les délégués représentants le FLN de défendre la participation plus effective des «Européens» restés en Algérie (16 députés sur 196 dans la première Assemblée et quatre préfets et sous-préfets en activité au lendemain de l’indépendance : Audouard Pierre à Collo, Mas Roger à Aïn Témouchent, Ripoll Pierre à Tiaret, et Albert Victori, qui, nommé à Batna, se désista) d’organiser l’administration et la rentrée scolaire et universitaire.
La seconde dimension qu’il faudrait plus avant travailler est celle de
passer d’une histoire des élites dirigeantes, des notables, des leaders,
d’une histoire par le haut vers une histoire par le bas, celle de la
société profonde, monde rural ou urbain des classes populaires
dépossédées.
Cela suppose de croiser les sources et les méthodes de sciences
sociales, de développer les recherches dans l’interdisciplinarité et la
coopération entre chercheurs des deux bords de la Méditerranée. De ce
point de vue, la méthode historique, dans un contexte d’inflation de
productions mémorielles, autobiographiques, le plus souvent
hagiographiques, a besoin d’un aggiornamento, dans l’autonomie bien
comprise des départements d’histoire, principalement en Algérie même.
Enfin, il y a nécessité, selon A. Kadri, de donner plus de place à la
dimension internationale, tout à fait heuristique dans le cas d’espèce,
en développant le comparatisme et en accédant à d’autres sources,
notamment celles des pays arabes, des pays anciennement du bloc
soviétique, des pays européens et des USA, voire d’autres moins
visibles.
Ce colloque a été de ce point de vue un important moment pour établir
une photographie des recherches lancées par la nouvelle génération
d’historiens de la guerre d’Algérie et penser leur approfondissement.
.
Les commentaires récents