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« Printemps arabe » par ci, « révolutions arabes » par là…Que d’encre a coulé et coule encore sur les soulèvements-certes sans précédents- mais qui demandent, comme tout fait social, un examen minutieux, à partir du recul nécessaire à toute approche qui se veut objective.
Du point de vue anthropologique, historique même, la révolution est l’action par laquelle un mouvement politique conçoit, planifie et exécute un changement le plus souvent brutal et radical qui transforme en profondeur les structures politiques, sociales et culturelles d'un Etat. À la différence des mouvements de révolte qui se manifestent très tôt dans l'histoire et dans toutes les sociétés, la révolution est généralement considérée comme un phénomène récent, intimement lié au siècle dit des lumières. C’est un mouvement social prémédité, planifié et qui débouche sur une succession d'événements résultant d'un programme idéologique et politique bien défini. Ce qui distingue donc la simple révolte de la révolution politique et sociale, c'est que cette dernière est théorisable, et qu’on peut en prévoir les résultats.
Toutes les révolutions, américaine, française, russe, cubaine, chinoise, ont été des révolutions dirigées contre l’ordre établi, l’exploitation et l’injustice certes, mais aussi et surtout contre les valeurs conservatrices et rétrogrades de cet ordre. La « révolution » n’est donc pas à confondre avec la« révolte », mouvement de contestation spontané et qui n’a pas pour objectif de faire tomber le pouvoir en place et de lui substituer un pouvoir révolutionnaire comme c’est le cas de toute révolution qui réussit, mais d’exprimer une colère, un ras le bol ou pour contester des décisions d’un moment précis.
Dans son livre la « Condition humaine », Malraux établit une comparaison fameuse entre « le révolté » et le « révolutionnaire ». Il y démontre que contrairement au révolutionnaire conscient de sa mission historique et prêt à sacrifier sa vie pour un idéal où la liberté est le centre, le révolté agit sans réfléchir aux conséquences de ses actes, animé par l’impulsion personnelle ou par une colère quelconque, et, par conséquent, est antinomique du véritable révolutionnaire.
Qu’en est-il des « révolutions »dites abusivement du « Printemps arabe » ?
L’un des problèmes épistémologiques rencontrés sur cette question, est qu’il n’existe pas ou en tous cas qu’il est difficile de trouver dans la langue arabe, un terme adéquat équivalent à « révolte », alors que le terme « thawra (révolution ) existe bel et bien. « Intifada » pourrait être ce terme qui désigne révolte en arabe, mais il n’est pas utilisé par les intellectuels arabes qui ont tous utilisé « thawra » pour désigner les mouvements qui ont conduit à la chute des régimes dictatoriaux en Tunisie, Libye, Egypte et Yemen, mais qui n’ont pas changé ces sociétés en profondeur.
D’autre part, il est clair que ces mouvements sociaux sont l’œuvre de peuples-arabes et nonarabes- révoltés par la misère, les injustices, le mépris et la répression de régimes policiers et dictatoriaux issus en général de coups d’Etat militaires, imbus d’une idéologie nationaliste arabe, raciste et exclusiviste . Pour les arabes, se sont donc plutôt des révoltes pour le pain et la dignité, pour les non arabes (amazigh, kurdes, et autres)-et ils sont majoritaires dans une région comme l’Afrique du Nord-, en plus du pain et la dignité, c’est pour l’égalité et la sauvegarde d’une identité menacée par l’arabisation doublée d’une falsification de leur histoire, contre l’exclusion et le racisme dont ils sont l’objet depuis 15 siècles de la part des arabes ou de ceux qui s’en réclament.
Des révoltes spontanées que personne n’avait prévues, c’est oublier toutes les révoltes auparavant réprimées dans le sang un peu partout dans ce monde fourre-tout qu’on appelle « le monde arabe ». Il se trouve que justement, l’Occident, Etats-Unis en tête, en a assez de soutenir les despotes arabistes contre leur peuple, soutien qui a alimenté pendant longtemps le sentiment anti-occidental de ces peuples où les différents courants islamistes- salafistes, wahabistes, frères musulmans…) sur fond du conflit israélo palestinien ou israélo arabe, n’ont cessé de se développer et d’attiser la haine de l’Occident et de sa modernité grâce aux pétrodollars des monarchies rétrogrades du Golf. Ces courants ont réussi à imposer de fait les valeurs arabes d’un autre âge à toutes les sociétés en question à travers les mosquées, les programmes scolaires et médiatiques. C’est cette dynamique qui explique l’incompréhensible colère des intégristes contre les Etats-Unis sous prétexte de la diffusion d’un petit film qui porte atteinte au prophète Mohamed , sachant que la liberté d’expression est garantie aux Etats-Unis par la constitution et que cette dernière est inviolable dans cette grande démocratie. Or certains des plus grands acquis de la modernité, ne sont-il pas justement la liberté d’expression et de conscience, la séparation de la religion et de l’Etat, le pluralisme et la diversité comme richesse culturelle humaine et naturelle, ce que n’admettent pas les islamistes.
Ces attaques sanglantes et folles des représentations occidentales sont tout simplement l’explosion de la rancœur de la frange islamiste de la société, rancœur longtemps contenue par la terreur des régimes déchus sous prétexte de combattre l’extrémisme et le terrorisme islamiste.
Ainsi, si les révoltes du « Printemps arabe » ont abouti au changement de régimes en place avec l’aide active de l’Occident, elles sont loin d’être le fruit d’un changement des mentalités, loin d’une remise en question des valeurs philosophiques, religieuses, morales et intellectuelles en prise sur ces sociétés, et qui ne sont autres que les valeurs arabes véhiculées par l’islamisme conçu et propagé par les arabes depuis 15 siècles. Il est donc naturel que les islamistes-les forces politiques les mieux organisées grâce aux aides des frères arabes-, qui ne sont pas des révolutionnaires mais des conservateurs qui rêvent de revenir au Califat d’il y a quinze siècles, récupèrent à leur profit la chute des régimes militaires entraînée par ces révoltes. Or les islamistes (toutes tendances confondues) veulent retourner à une société du moyen âge idéalisée jusqu’au mythe, mais qui n’a jamais existé que dans l’esprit et la plume de ceux qui ont falsifié l’histoire de l’islam même, qui n’est autre que l’histoire politique et militaire d’un empire colonial des plus sanglants. Est-ce cela la révolution ? On a vu comment les islamistes une fois arrivés au pouvoir, essaient rapidement de mettre en place les structures à travers lesquelles ils cherchent à installer la « charia ». Car tout islamiste qui se respecte rêve d’appliquer la charia, autrement, ce ne serait pas un islamiste. On a vu comment Monsieur Morsi, normalement le Président de tous les égyptiens, a refusé de serrer la main de Madame Clinton, fidèle en cela aux préceptes de l’islam radical.
En fait, les valeurs véhiculées par l’islam politique radical sont des valeurs nées dans une société à la misogynie poussée à l’extrême par une société arabe patrilinéaire de nomades du désert qui n’hésitaient pas à enterrer leurs filles vivantes par peur de la honte. Le voile intégral, la burka et autres symboles inhérents à l’islam salafiste et wahabite, comme le pouvoir concentré dans les mains d’un seul patriarche, ne sont pas islamiques mais arabes car antéislamiques. On le voit déjà dans les pays où les islamistes sont arrivés au pouvoir, la chariâ est exigée comme source du droit, la liberté et l’égalité hommes-femmes, la diversité culturelle, linguistique, ethnique et même politique n’est pas reconnue ou l’est uniquement par tactique politique eu égard à un Occident et des libéraux et démocrates nationaux, inquiets de la tournure que prennent les événements.
Ce qu’on appelle donc les « révolutions arabes » ne sont que des révoltes sans lendemains, de fausses révolutions qui font le lit de régimes islamistes « dit modérés » mais qui ne tarderont pas à vomir à la face du monde les mêmes perversions que les talibans ou les fous barbus du désert qui ont détruit Tombouctou devant les yeux d’une communauté internationale médusée par la bêtise, mais qui ne réagit que par des déclarations mitigées, et qui n’ pas pris au sérieux les appels à l’aide et les mises en garde des touareg laïcs du MNLA .
Aussi bien les régimes déchus que les islamistes qui leur disputent le pouvoir depuis longtemps, l’islam politique était- est- toujours un enjeu fondamental, un instrument politique à double tranchant entre ceux qui tirent les ficelles : les monarchies du Golfe, ceux qui croient et agissent de par le monde par ignorance de la vérité historique du salafisme et du wahabisme qui ont pris l’islam en otage depuis le bannissement de tout rationalisme de la pensée religieuse musulmane, et un Occident qui ne sait pas encore comment se comporter face au nid du terrorisme international qu’est le Proche Orient arabe, et qui, déjà, dicte ses lois au monde, Occident en tête . Le rouleau compresseur islamiste est l’œuvre de l’autre face de l’arabisme : l’islam politique.
Dans « les hommes représentatifs », Emerson «écrit ceci : « Tout livre est une citation…et tout homme est une citation tirée de tous ses ancêtres. »
L’Afrique du Nord n’est pas arabe. Le rationalisme amazigh, exprimé par Saint Augustin et tant d’autres penseurs nord africains est depuis quinze siècles en lutte contre la pensée religieuse et mythique arabe. Le Mouvement Amazigh est là pour témoigner de ce combat difficile et inégal entre la liberté et le despotisme, entre la citoyenneté et le communautarisme religieux, entre les valeurs humaines universelles et les tenants de la oumma arabe d’abord, islamique ensuite, en guise de soutien à la première, véritable projet de dominer le monde.
S’il existe une exception marocaine dans ce grand désordre appelé « Printemps arabe », on le doit au rationalisme amazigh, à cette permanence amazighe dont a parlé Jean Duvignaud il y a plus de trente ans dans son livre « Chebika » : « Sur cette terre -l’Afrique du Nord-carrefour de toutes les civilisations, se sont mêlés les dieux égyptiens, puniques, grecs, … le dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans à la religion nord africaine des anciens imazighen… Est donc berbère ce qui n’est pas d’origine étrangère, c'est-à-dire ce qui n’est ni punique, ni latin, ni vandale, ni byzantin, ni arabe, ni turc, ni européen…Soulevez ces différentes strates culturelles, certaines insignifiantes, d’autres d’une puissance et d’un poids considérable, et vous retrouvez le Numide et le Gétule, dont les descendants, avec un entêtement narquois, sous d’autres noms, sous d’autres croyances, pratiquent le même art de vivre, conservent dans l’exploitation d’une nature peut généreuse, des techniques d’une étonnante permanence ». Dans « Chroniques berbères », Jean Duvignaud ajoute qu’à travers : « Ce dynamisme berbère qui survit à deux mille ans de convulsions et d’histoire, sous des formes diverses et contradictoire … à travers Carthage, Rome, l’islam, les turcs, la présence européenne, et même aujourd’hui les indépendances du Maghreb, se développe patiemment, opiniâtrement, la « nébuleuse berbère ».
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ALI KHADAOUI
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