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En décembre 1955, Au Gouvernement général, après l'échec complet de l'opération Yacef sur laquelle on comptait pour obtenir des renseignements précieux sur les milieux F.L.N., on écouta avec un vif intérêt la proposition de l'ancien sous-préfet de Guelma : Achiary.
Celui-ci, connaissant parfaitement le « milieu » de la Casbah, proposait de le prendre en main, de l'organiser et de le mettre au service de la lutte anti-F.L.N. Le plan est habile. En liaison avec certains policiers les plus importants et les mieux informés d'Alger, Achiary entreprit de convaincre les hommes du «milieu». Ce n'était pas très difficile d'autant que les commissaires d'Alger s'en servaient déjà pour des missions de police ordinaires. Achiary « contrôlait » pour sa part les frères Hamiche qui avaient été libérés alors qu'ils purgeaient une peine importante; Mostefa, «reconnaissant», mit la tribu Hamiche à la disposition. Et qui tenait Hamiche tenait le reste. Une très belle brochette fut placée dans la confidence: une ère de prospérité allait s'ouvrir si on acceptait de lutter contre le F.L.N. «D'autant, souligna Achiary, que si le F.L.N. gagne, la révolution vous balaiera! Ils empêchent déjà de boire, de fumer, de s'amuser... » Les frères Hamiche, les frères Hoya, Hacène le Bônois, Bud Abott, dit Boualem Buvette, Youssef Vintaï, et aussi les hommes de Vincent la Rascasse et de Jo Menella, des vieux durs à cuire qui connaissaient le « marché électoral » comme une source épisodique mais certaine de rentrées importantes, entendaient pareil langage. Les compensations seraient considérables.
Les frères Hamiche libérés en savaient quelque chose. En outre Achiary, opiomane, qui se fournissait chez un vieux revendeur de la basse Casbah, « comprenait » leurs problèmes. On fermerait les yeux sur leurs activités si les résultats étaient concrets. Les ordres étaient précis: « Essayez d'entrer dans des réseaux F.L.N. Donnez des preuves de bonne volonté. Obéissez à leurs ordres s'il s'agit de descendre des musulmans. Attention! pas des Français» On ne pouvait être plus méprisant avec ces hommes méprisables.
Achiary et son groupe contrôlèrent rapidement tout le «milieu». La police avait en outre des auxiliaires bénévoles importants avec les bistrots et les chauffeurs de taxi qu'elle tenait sous la menace: «Pas de renseignements? C'est bon. On te fait sauter ta licence.» Et les renseignements affluèrent. C'est ce qui avait poussé Yacef à passer à l'action d'autant que quelques grenades avaient mystérieusement éclaté au domicile de sympathisants et de gros commerçants soupçonnés d'aider financièrement le Front. Ali la Pointe fut très rapidement mis au courant de l'opération montée par Achiary. Yacef vit le danger. Achiary l'avait devancé. «Lui aussi voulait se servir du «milieu». Il fallait monter une opération spectaculaire qui fasse basculer définitivement les truands algérois vers le F.L.N. Le M.N.A. était en passe de disparaître complètement, ce n'était pas le moment de permettre la constitution d'une force ennemi qui empêcherait le F.L.N. de «nager comme un poisson dans l'eau» dans la Casbah.
Yacef décida de s'attaquer à la tête : Achiary devait disparaître. L'homme était exécré par les musulmans depuis les massacres de 1945, c'était faire coup double. Yacef charge Ali la Pointe de l'exécution. Il sera accompagné d'Omar Hamadi, un déserteur d'Aïn-Taya qui a quitté son poste en emportant un stock d'armes important, et de Salah Bouhara. Yacef leur donne l'ordre de tuer Achiary à son domicile, de lui couper la tête et de « lâcher » dans un lieu très fréquenté pour provoquer un sentiment de terreur, de panique. Si le F.L.N. ose s'attaquer à Achiary, l'homme fort par excellence -acteur principale des massacres de guelma en mai 1945, on murmure aussi qu'il est en liaison avec la Main-Rouge-, c'est qu'il ne recule devant rien. L'opération aura une répercussion psychologique immense. Ali la Pointe, Hamadi et Bouhara se présentent au domicile d'Achiary. « Nous sommes envoyés par le vieux de la rue Randon », explique Bouhara à la bonne qui les reçoit. Le vieux de la rue Randon est le fournisseur d'opium d'Achiary. Mais l'ex-sous-préfet n'est pas là. Il va revenir. Les trois hommes attendent dans la rue.
«Tant pis pour la tête, dit Ali la Pointe, on le descendra dehors. Ici même. » Les trois terroristes se séparent et «croisent», noyés dans la foule des passants.
C'est là qu'un adjudant qui passait par hasard reconnaît Hamadi le déserteur. Il prévient la police. C'est la rafle. Le pâté de maisons est encerclé. Bouhara a filé en entendant les sirènes de police. Hamadi et Ali sont sur le point d'être pris. Le déserteur fait un geste pour se défendre. Il s'écroule le crâne fendu d'un coup de crosse. Ali, un pistolet dans chaque main, tire au hasard et, comme un fou, bondit au milieu des policiers qui tentent de l'arrêter. En un éclair, il a disparu dans la foule prise de panique en entendant la fusillade.
La lutte est maintenant ouverte entre le «milieu» algérois et le F.L.N. Elle va être sanglante et rapide.
En quelques semaines Yacef, Ali et leurs équipes abattent Hacène le Bônois et Bud Abott, deux des plus zélés collaborateurs d'Achiary. Le meurtre de Bud Abott se produit au cours d'une soirée qui réunit une demi-douzaine de proxénètes et leurs « dames ».
Ali couche en joue Abott. « Maintenant ou tu te rallies au F.L.N. ou tu t'écrases, tu arrêtes ton métier, tu disparais et on n'entend plus parler de toi. » Bud Abott ne veut pas se laisser impressionner devant ses copains. Il joue les durs. Il refuse. Ali insiste. - Alors c'est oui ou c'est non ?
- C'est merde ! »
La rafale a claqué. Abott s'écroule. Arbadji, un militant qui accompagne Ali, tire à bout portant sur les dîneurs. Ali mitraille encore. C'est le carnage. Il y a pourtant des survivants. On a reconnu Ali. Tout le monde dans le «milieu» le connaît. Le téléphone arabe fonctionne vite. La nouvelle se répand. La légende d'Ali la Mitraillette prend corps.
Le «milieu», paniqué, décide de jouer avec le F.L.N. Tans pis pour les accords avec la police. D'autant qu'Achiary, qui a beaucoup inquiété les autorités, va être interdit de séjour à Alger. Le «milieu» va cotiser pour le F.L.N.!
Le célèbre Mostefa Hamiche sera désigné comme responsable des collectes auprès des proxénètes. Les maquereaux rackettés!
Au printemps, tout sera réglé. Les putains apporteront argent, médicaments, feront le guet, fourniront des renseignements, deviendront des militantes tout en continuant leur métier. La Casbah sera entièrement « nettoyée », entièrement acquise au F.L.N. Yacef en sera le patron incontesté.
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Ali Lapointe
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