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Alors que la polémique bat son plein autour du maintien de Christopher Ross, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, après que le Maroc lui a retiré sa confiance, la vie dans les campements des réfugiés près de Tindouf continue d’une façon habituelle, monotone, animée par une longue attente d’une solution qui tarde à venir.
Reportage «Comme des fourmis bloquées dans le fond d’une bouteille en verre. Chaque fois, qu’elles arrivent à la bouche de la bouteille, elles sont refoulées. Elles glissent et reprennent de nouveau le chemin», c’est ainsi qu’Abida, activiste sahraoui, qualifie le combat tragique et «sisyphien» de son peuple dans les campements près de Tindouf en Algérie.
Bienvenue à la «Hamada», un plateau des plus arides, où il n’y a ni eau, ni oasis, avec des températures qui peuvent atteindre en été les 50 et 55 °c. C’est dans cet endroit qu’ont été implantées les tentes des premiers réfugiés sahraouis, fuyant au début de 1976 les forces marocaines.
Entre la cruauté de la nature et celle de l‘histoire
Rappelons que le Sahara occidental était au début occupé par les Espagnols. Sous pression de l’ONU, Madrid a promis en 1974 d’organiser un référendum pour décider du statut de ce territoire. A la demande du Maroc, la Cour internationale de la Haye s’est saisie de la question et a fini par donner son avis favorable quant à l’application de la résolution 1514 de l’ONU sur la décolonisation du Sahara occidental et du principe d’autodétermination des populations du territoire. Cela n’a pas empêché le Maroc d’organiser la fameuse «Marche Verte» en mobilisant 350 000 civils sur Laâyoune pour récupérer le Sahara occidental.
Le Conseil de Sécurité a condamné cet acte mais n’est pas intervenu. Ensuite, il y eu la signature des accords de Madrid en novembre 1975 où l’Espagne a cédé le Sahara occidental au Maroc et à la Mauritanie, ce que l’ONU a considéré comme non recevable en regard du droit international. Le Front Polisario, né en mai 1973, a mené la guerre contre les deux forces. Un cessez-le-feu a été signé avec la Mauritanie et le combat s’est intensifié avec le Maroc, lequel a annexé les territoires cédés par cette dernière. Après une longue guerre, l’ONU a décidé en 1991 un cessez-le-feu et un référendum, tout en créant la MINURSU (Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un Référendum au Sahara Occidental).
Depuis, la situation stagne. En s’installant au début de 1976 dans les camps, les réfugiés sahraouis ne pensaient pas qu’ils allaient y passer une trentaine d’années, sans savoir encore quand est ce qu’ils allaient quitter ces territoires. Aujourd’hui, on compte cinq grands camps : 27 février, Dhakla, Smara, Aousserd et Lâayoune, nommés suivant les villes sahraouies qui sont sous occupation marocaine. La population est estimée à 166 000 personnes, par les Sahraouis et à 90.000 par les Marocains.
Il n’y a pas de chiffres exacts, en l’absence d’un recensement que devait organiser la MINURSU, en vue de préparer le référendum. Depuis 21 ans déjà que le peuple sahraoui, vit dans une situation de «ni guerre, ni paix», dans l’espérance d’une solution politique à son problème après la déclaration du cessez-le-feu entre le Front Polisario et les forces armées marocaines en 1991. Pas facile de vivre dans ces conditions, à la merci des aides humanitaires, avec un statut permanent de réfugié ! Et pourtant, les sahraouis du plus jeune au plus vieux, croient dur comme fer qu’un jour, ils reviendront sur leurs terres et auront leur Etat libre et indépendant.
Et pourtant, l’Etat existe !
Leur situation d’attentisme ne les a pas empêché de profiter du temps pour créer déjà les structures de l’Etat : un Président, un parlement, un Secrétariat général du Polisario qui se réunit chaque 4 ans, un gouvernement, des wilayas (gouvernorats) et des «dayra» (des mairies). Le tout élu au suffrage universel. Un vrai débat existe entre la base et le leadership politique, à travers les comités populaires.
En décembre dernier, s’est tenu le 13ème congrès du Polisario ayant abouti au renouvèlement de la composition du secrétariat général qui a réélu le président Mohamed Abdelaziz, lequel a désigné un premier ministre, chargé de composer le gouvernement. Des élections législatives sont prévues très prochainement suivies d’élections municipales. On a du mal à imaginer un Etat dans un campement de réfugiés, sur un territoire aride et désertique ! Et pourtant, cela existe !
C’est le premier “miracle” qu’on rencontre ici. Car, il faut bien l’avouer, on est bien dans un monde de paradoxes ! Au “Camp 27 février”, où nous étions hébergés chez les Sahraouis, il y a des tentes et des maisons en argile à perte de vue dans le large désert. A première vue, tout respire la misère, mais en s’approchant davantage et en se promenant à l’intérieur du camp, il n’est pas rare de croiser des voitures de marque, Mercedes, des 4x4, des Land Rover et des Toyota, des véhicules très appréciés ici pour leurs moteurs résistants à tout type de relief. Il n’est pas rare aussi de trouver des boutiques qui vendent de tout : de l’alimentaire, aux cartes téléphoniques, aux pièces de rechange, aux vêtements…
Il y a par ailleurs des endroits pour faire des photocopies, des cybers cafés, des restaurants, des cafés, des magasins d’électroménager… Enfin, tout ce qu’il faut pour un semblant de vie décente, ou du moins pour faire oublier la difficile réalité des camps !
Vers une faible amélioration du niveau de vie
En visitant ensuite les habitations, les disparités sont énormes entre ceux qui habitent encore dans les tentes et ceux qui se sont permis le luxe de construire des maisons en argile et entre des sahraouis qui possèdent un climatiseur, un frigo, une télé, un four électrique et ceux qui n’ont rien. Mais d’une façon générale, le niveau de vie s’est nettement amélioré par rapport au passé, nous informe-t-on.
Plusieurs sahraouis ont lancé de petits commerces, faisant travailler d’autres. La deuxième et la troisième générations sont allées travailler à l’étranger, notamment en Espagne, en France et en Algérie, contribuant ainsi à répondre aux besoins de leurs familles dans les camps.
Cela n’empêche que tous conservent leurs droits à l’aide humanitaire puisqu’ils maintiennent un statut de réfugiés. Saleh Soboh, administrateur de terrain pour la protection au Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), se félicite de cette amélioration du niveau de vie, car lui, qui a travaillé longtemps ici, sait très bien que l’aide humanitaire est insuffisante et elle risque de l’être davantage dans les années à venir à cause de la crise économique mondiale. «Notre mission est de leur donner de quoi survivre. C’est bien qu’ils s’arrangent pour combler le manque qui reste».
Il avoue qu’il s’agit là de réfugiés exemplaires qui sont très patients, disciplinés, éduqués et qui ne s’insurgent jamais contre leur situation, pourtant difficile et insupportable. Leur volontarisme et leur courage sont sans égal.
Ils cherchent constamment à vivre dans des conditions meilleures. Ainsi, Soboh raconte comment ils ont commencé par construire des cuisines en briques d’argile dans leurs tentes pour éviter les incendies et que, petit à petit, ils ont bâti de vraies maisons, malgré le manque de ressources. Cela date de quelques années auparavant, car jusque-là ils refusaient tout luxe en pensant que leur situation n’est que provisoire.
Ils ont dû se résigner devant une réalité qui n’est pas en leur faveur.
L’éducation : une priorité
Pourtant, «résignation» n’est pas le mot pour qualifier le courage de ce peuple qui a réussi à créer des merveilles dans un désert : des écoles partout, des crèches et des jardins d’enfants, des centres pour handicapés, des centres de formation, des écoles de langues, des hôpitaux, une chaine de télé et une radio nationales, des radios régionales, des journaux, des musées, une maison d’édition, en plus d’un tissu associatif très dense et très dynamique. Un vrai Etat avec toutes ses institutions de pouvoir et de contre pouvoir sur la Hamada de Tindouf ! Le tout fonctionne pratiquement sur la base du volontariat. Tout réfugié participe à la gestion des camps, en intégrant les différentes institutions. En général, les Sahraouis, sont bien éduqués avec un taux d’alphabétisation qui frôle les 90%. L’école est obligatoire pour les deux sexes. Mais avant, il faut passer par le jardin d’enfants où la majorité des bambins sont envoyés. Nous avons visité le «jardin d’enfant Al Ghouth Souilem» à Smara (le plus grand camp). Trois cents chérubins y vont chaque jour pour y passer la matinée où ils bénéficient aussi du petit déjeuner. 27 éducatrices y travaillent en comptant beaucoup sur leur propre créativité pour éduquer les enfants car il n’y a pas un vrai programme pédagogique, ni suffisamment d‘instruments d’enseignement, en plus d’un salaire dérisoire équivalent à 3 Dinars 500 millimes en monnaie tunisienne, reçu chaque quatre mois. Néanmoins et pour rien au monde, ces éducatrices n’abonneraient leur job ! D’abord parce qu’elles tiennent à leur autonomie, ensuite parce qu’elles sont conscientes qu’elles rendent service à la communauté, en éduquant les enfants et en les gardant pour que leurs mères puissent travailler. Ce même esprit de volontarisme anime les institutrices du collège 17 juin à Smara qui faisaient passer les examens aux élèves, le jour de notre arrivée. Khadija Mahdi, inspecteur général de l’éducation explique à quel point l’école manque d’instruments pédagogiques, de moyens, d’ordinateurs (tous en panne) et que tout fonctionne grâce à la volonté du cadre enseignant. Cet établissement a été construit grâce à l’aide autrichienne qui n’arrive pas à subvenir à tous les besoins.
Un problème d’embauche
Les élèves qui réussissent leurs examens de passage au lycée doivent absolument quitter les camps car l’enseignement secondaire n’y est pas dispensé. C’est là que commence une longue période de séparation de leurs familles, car il y a ceux qui vont finir leurs études en Algérie, en Libye, en Espagne et à Cuba. Pour ce dernier cas, l’enfant peut rester au moins 10 ans sans voir ses parents. A la fin des études universitaires, les diplômés sahraouis sont tenus de rentrer aux camps. Si les premiers revenus ont été facilement intégrés dans la vie active, ceux qui sont venus après, font face de plus en plus à un problème d’embauche.
Car super-diplômés, ils n’arrivent pas à trouver des postes de travail compatibles avec leurs qualifications. Mais ils doivent trouver une solution. Alors, ils saisissent les occasions qui existent où en créent eux mêmes. Beaucoup s’insèrent dans la société civile, d’autres, essaient de lancer des commerces ou des petits projets. La ministre de la Formation professionnelle et de la fonction publique, Mme Khira Bullahi Bad avoue qu’il y a un vrai problème d’emploi au niveau des camps malgré l’existence de compétences. «Nous essayons actuellement d’en absorber une quantité dans la fonction publique, de mettre à la disposition des jeunes des crédits pour créer des projets, ou encore de les envoyer dans le cadre de la coopération avec plusieurs pays et organisations internationales pour les employer à l’étranger, mais ils doivent revenir aux camps si on a besoin d’eux».
Un centre pour handicapé dans un camp de réfugié !
Ce haut niveau de qualification chez les Sahraouis se répercute sur leur recherche d’améliorer constamment les conditions de vie dans les camps, pour tous les citoyens sans exception. Ainsi, il ne fallait pas s’étonner de tomber sur un centre pour handicapés à Smara, tenu par un directeur qu’on appelle «Castro».
Initiateur de ce projet depuis 15 ans, il nous accueille en tablier de cuisine car c’était lui qui préparait à manger le jour de notre visite. «Je suis contre la discrimination. Il faut que tous les individus aient les mêmes droits. C’est pour cela que je voulais donner aux handicapés la possibilité d‘être intégrés dans la société et d’être des citoyens utiles».
Ce n’était pas facile pour lui au début de créer ce centre, car il n’avait pas les moyens pour cela. Mais il a réussi à convaincre les gens autour de lui de s’associer à ce projet et d’avoir le soutien des organisations internationales. Aujourd’hui, le centre accueille 60 handicapés (tous types d’handicaps confondus), avec une moyenne d’âge qui varie entre 6 et 32 ans. On leur apprend à lire, à écrire et à maitriser un métier de tissage, de menuiserie, de couture... «L’idée consiste non seulement à les éduquer mais aussi à leur permettre d’acquérir un savoir-faire professionnel, afin de pouvoir les intégrer dans la société», souligne le directeur.
En fait, plusieurs d’entre eux ont pu trouver du travail, notamment dans des associations. «Castro» ne peut être que fier de son projet qui a inspiré le ministère des Affaires sociales, lequel a ouvert un centre pour handicapés à Aousserd et qui va en créer d’autres dans chaque camp.
Un féminisme bien présent !
Si la vie à la Hamada de Tindouf est devenue supportable, c’est surtout grâce au travail colossal mené par une société civile très dynamique qui œuvre en stricte collaboration avec les organisations internationales implantées là bas, depuis de longues années. Cette société civile cherche aujourd’hui à travailler en réseau, en créant un forum social sahraoui pour mieux coordonner ses actions dans les campements, mais aussi à l’étranger, en renforçant ses efforts de sensibilisation de l’opinion publique internationale sur les différentes questions relatives au conflit avec les Marocains.
Parmi les associations les plus actives, on cite l’Union Nationale des Femmes Sahraouies, qui a été créée en 1974, avant même la création de la RASD (République arabe sahraouie démocratique) le 27 février 1976. C’est dire le rôle des femmes dans cette société ! Cette union a été fondée dans le but de sensibiliser la gent féminine à ses droits juridiques et sociaux, mais surtout pour l’inciter à participer vivement à la vie politique. Et cet effort semble avoir eu des résultats puisqu’aujourd’hui, toutes les mairies sont tenues par des femmes. Ces dernières occupent une bonne partie des postes de gouverneur. Et cerise sur le gâteau, il y a actuellement quatre femmes ministres. Au parlement, elles représentent 23%, on compte 13 femmes sur un ensemble de 53 députés. «La participation de la femme à la vie politique ne date pas d’aujourd’hui car elle a toujours été aux côtés de l’homme dans son combat pour la libération de nos territoires. Elle a pris les armes, gardé les camps pendant que les combattants étaient sur le front et ensuite, elle a accompagné les hommes dans la fondation de l’Etat sahraoui et la consolidation de ses structures», affirme Mariam Selma Said, membre de l’Union Nationale des Femmes Sahraouies et actuelle députée au parlement. Il est vrai que la femme sahraouie occupe un rôle important dans la société, bien que l’on reste dans une structure patriarcale. Elle a son mot à dire dans la gestion quotidienne des affaires de la famille. Elle travaille et a le droit de choisir son mari. On nous raconte dans les camps que la femme peut facilement demander le divorce si elle ne s’entend plus avec son époux. Mieux, elle célèbre sa séparation en organisant une fête en l‘honneur de ses amies pour annoncer la nouvelle de sa séparation et se mettre sur le marché du mariage. La femme divorcée n’est pas mal vue. Au contraire, plus elle divorce, plus sa cote monte. La violence à l’égard du sexe féminin est bannie socialement. Un mari qui bat son épouse est très mal considéré.
La femme sahraouie : une guerrière avant tout !
Si la gent féminine a cette place dans la société, c’est un peu parce qu’elle a toujours partagé avec l’homme le combat armé, depuis le soulèvement des Sahraouis contre les forces espagnoles en 1973. Les femmes étaient entraînées à utiliser les armes, d’abord par les combattants eux mêmes, ensuite dans l’académie des femmes qui se trouvait dans ce qu’on appelle aujourd’hui le “camp 27”. Khadija Mahdi était parmi celles qui ont suivi une formation de 45 jours dans cette institution. «On nous a appris à manier les armes pour une éventuelle participation à la guerre, mais c’était surtout pour nous permettre de garder les camps». Une vieille femme de 70 ans, se rappelle, elle aussi, comment elle terrorisait avec son arme les soldats marocains qui venaient aux campements. «Ils me prenaient pour un homme. Je les chassais et je n’avais pas peur d’eux». Son histoire est douloureuse : elle a perdu trois fils dans la lutte armée contre les Marocains, en plus de son mari. Elle a dû quitter la Saghia Hamra et l’Oued Edhahab qui sont aujourd’hui sous contrôle du Maroc pour venir se réfugier au camp Dhakhla près de Tindouf. Elle se rappelle que pendant sa fuite avec ses filles en bas âge et quelques voisins, les avions marocains descendaient très près de leurs têtes pour leur faire peur. «Je leur faisais signe avec mon foulard dans la main que je ne les craignais pas. Ils ont fini par s’éloigner et nous laisser tranquilles». Et des femmes courageuses comme elle, les camps en regorgent. Car la cause du peuple sahraoui concerne tout le monde. Avec le cessez-le-feu de 91, les femmes ont voulu pendre part à la construction de l’Etat et à la vie politique. «Elles ont dû s’écarter dans un premier temps pour permettre aux hommes, revenus fraichement du front, de reprendre leur place dans la communauté. Mais après une dizaine d’années, elles se sont rendues compte que ces derniers les ont marginalisées. C’est pour cela qu’elles militent aujourd’hui pour jouer un rôle important dans la société et dans les institutions de l’Etat», souligne Shabba Sini Ibrahim, membre du bureau exécutif de l’Union Nationale des Femmes Sahraouies. D’ailleurs, il y a actuellement tout un travail de sensibilisation pour les inciter à aller dans ce sens.
Le triste sort des Sahraouis, sous l’occupation
Les Sahraouis, installés dans les campements, restent très liés à leurs concitoyens dans les territoires sous contrôle marocain à Lâayoune, Dakhla etc. C’est là que la situation demeure très compliquée. Les rapports onusiens et ceux des organisations internationales comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty internationale déplorent des atteintes quotidiennes aux droits de l’homme à l’encontre des Sahraouis par les forces marocaines : des arrestations, des incarcérations avec des fausses accusations, des séances de torture, des persécutions et même des viols.
A titre d’exemple, on mentionne ce rapport publié en novembre 2010 par HRW qui fait état «de violences répétées à l’égard des personnes arrêtées et interrogées après le démantèlement d’un campement de contestataires sahraouis le 8 novembre à Laâyoune : Des personnes battues jusqu'à évanouissement, d’autres aspergées d’urine ou menacées de viol pendant les interrogatoires de la police».
Le dernier rapport de Christopher Ross, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, remis en avril dernier, dénonce aussi des dépassements en demandant l’élargissement des prérogatives de la Minurso pour couvrir ces questions. Le département d’Etat américain a, lui aussi, brossé, un tableau sombre de la situation des Sahraouis au Maroc.
Dans son rapport mondial 2011 sur les droits de l’Homme, publié le 24 mai dernier, il a fait état «des limitations à la liberté d’expression et de réunion, de l’utilisation de la détention arbitraire pour étouffer la dissidence et de la violence physique et verbale à l’encontre des détenus sahraouis lors des arrestations et durant leur emprisonnement.» Il a relevé aussi «l’impunité quasi-générale à l’égard des fonctionnaires marocains qui commettent des abus, tandis que les Sahraouis sont victimes de discrimination dans l’application des lois».
Pourtant, le Maroc continue à nier toutes atteintes aux droits de l‘homme. Selon une source officielle marocaine, « ces rapports ne sont pas argumentés, puisqu’il n’y a aucune preuve de ce qu’ils avancent. Quand vous avez quelqu’un qui porte atteinte aux biens publics, vous lui appliquez la loi ou pas ? Quand quelqu’un vient brûler votre maison, vous allez porter plainte contre lui ou pas ?
L’incitation à l’émeute et au séparatisme sont punissables par la législation à ce que je sache ! Et puis, pourquoi s’en prendre toujours à nous ? Regardez ce qui est arrivé à Mostapha Selma Sidi Mouloud (officier de police sahraoui) qui a été torturé et interdit de revenir aux camps près de Tindouf, parce qu’il a osé réclamer qu’il était pour la solution de l‘autonomie proposée par le Maroc !».
La lutte pour la vérité sur le sort des disparus
Le Royaume marocain n’est pas prêt visiblement à reconnaître les abus contre les sahraouis dans les territoires qui sont sous son contrôle, comme il n’est pas prêt à reconnaître non plus la totalité des prisonniers sahraouis, qui se trouvent dans ses geôles et dont une bonne partie a péri. Révéler la vérité sur ces prisonniers dont le sort reste inconnu jusqu’à aujourd’hui est le combat quotidien d’Abdessalam Lahssan, président de AFAPREDESA (Association des familles des prisonniers sahraouis) fondée en 1989.
Il s’est donné pour objectif, avec un ensemble de ses amis, essentiellement issus de familles de disparus, de trouver la traces de ces derniers. L’association a réussi à dresser une première liste de 938 disparus, sur un nombre total estimé à plus de 4500 qui auraient été enlevés par les forces marocaines, emprisonnés et torturés. Au début, le Maroc n’a pas reconnu ces faits, mais à force de campagnes de pression internationales, lancées par l’AFAPREDESA, avec le soutien d’organisations comme Amnesty International, il a fini par admettre l’existence de 643 personnes dans ses geôles, dont 352 sont mortes dans des conditions difficiles et enterrés dans les prisons. «Mais jusque-là, le Royaume marocain a refusé de délivrer les certificats de décès, de transférer les dépouilles et d’ouvrir des enquêtes sur les abus commis par son armée et sa police.
C’est pour cela que notre combat se concentre actuellement sur la révélation de la vérité sur ces disparitions, l’incitation à ce que justice soit faite et l’obtention des compensations pour les familles des disparus», affirme Abdessalam. Nouha Abdin Buzeid, membre de l’association, témoigne de l’histoire tragique de son père qu’elle a perdu de vue depuis l’âge de 7 ans en 1976, en fuyant la guerre entre sahraouis et forces marocaines. En 81, elle a su qu’il était dans une prison au Maroc.
Il lui a fallu attendre jusqu’à 2010 pour connaître finalement son sort, par une activiste qui l’a informé qu’il était mort. «J’attends toujours la dépouille de mon père, mais en vain», indique t-elle les larmes aux yeux.
Le mur de défense marocain : infranchissable ?
Les liens entre Sahraouis dans les camps et ceux dans les territoires occupés restent forts malgré les différents obstacles, dont le fameux mur de sable bâti par la Maroc de 1980 à 1987, et ce, pour se protéger des incursions du Front Polisario.
Ce mur s’étale sur 2700 km de long et est défendu par environ 100.000 soldats. Il a été renforcé par des chars et par un large champ de mines. Il empêche toute communication entre les Sahraouis des deux côtés. Résultat : il y a des familles qui ne se sont pas rencontrées depuis une trentaine d’années. Pour se voir, il faut voyager à l’étranger où attendre longtemps son tour pour bénéficier du programme mis en place par l’ONU afin de permettre à des familles de se voir pendant 5 ou 6 jours.
Toutefois et malgré le mur, certains Sahraouis arrivent à s’échapper des territoires sous contrôle marocain, dans des conditions extrêmes, fuyant les geôles. C’est le cas de Mohamed Hallab qui a réussi à fuir la ville de Laâyoune et à rejoindre les camps près de Tindouf. Il lui a fallu payer l’équivalent de 750 Dinars tunisiens aux contrebandiers, très actifs dans la zone. Il n’est pas le seul à avoir fait cette aventure.
Sidet, 22 ans a vécu la même expérience l’année dernière et a pu échapper de la prison «Khahla», après deux mois de torture, pour aller au «Camp 27» où il est installé actuellement et marié.
Frustration et attente : jusqu’à quand ?
Ces rescapés de l’horreur reconnaissent l’ampleur de la chance qu’ils ont eue, contrairement à d’autres. Pourtant, l’avenir reste flou pour eux, comme pour la majorité des jeunes dans les campements.
Un grand sentiment de frustration les anime actuellement, vis-à-vis de cette situation de «non guerre et non paix», surtout qu’il n’y a aucune lueur d’espoir qui pointe à l’horizon. Beaucoup se disent las d’attendre une solution politique à leur cause et se déclarent prêts à reprendre le combat. «Si l’ONU n’arrive pas à résoudre la question sahraouie, nous sommes disposés à reprendre les armes, à n’importe quel moment !», avertit Wlidet, 32 ans.
Difficile de les faire attendre encore, quand ils voient leurs plus belles années passées ou dans des camps en plein désert, ou sous l’occupation. Les retenir de l’usage de la violence est encore possible. Mais jusqu’à quand ?
La position marocaine : « Ross a été partial »
Le torchon brule entre le Maroc, et Christopher Ross, l’Envoyé personnel du Secrétaire Général de l’ONU pour le Sahara occidental et le Maroc. En cause, un rapport publié en avril, où ce dernier accuse le Royaume marocain d’entraver le travail de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l'Organisation d'un référendum au Sahara Occidental) et de «l’usage excessif de la force, des arrestations et de détentions arbitraires et de l’extraction d’aveux sous la torture commis contre des Sahraouis». Il a appelé enfin à l’élargissement des prérogatives de la MINURSO pour couvrir ces atteintes. Ces déclarations ont suscité une réaction forte de la part du Maroc qui a retiré sa confiance à Ross. Et ce ne sont pas les appuis du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon à son envoye personnel, ni l’avis favorable des Américains, qui vont pousser les Marocains à changer d’avis. Selon une source officielle marocaine, « Ross a une mission de facilitateur. Il n’a pas à prendre position pour aucune des parties du conflit. Son rapport est partial. Il s’est mêlé de choses qui ne font pas partie de ses attributions en racontant des contre vérités. Il a pu visiter tous les endroits qu’il a voulus et a parlé avec les gens sans aucun problème. En plus, ce n’est pas à lui de demander l’élargissement de la mission de la MINURSO. Nous estimons qu’il a dépassé ses prérogatives et donc, nous lui avons retiré notre confiance ». La même source rappelle que ce n’est pas la première fois qu’un Envoyé Spécial de l’ONU pour le Sahara occidental est remplacé, en citant l’exemple du Hollandais, Peter Van Walsum, refusé par le Polisario et l’Algérie. Concernant la résolution du problème sahraoui, la partie marocaine, maintient son option pour la solution de l’autonomie sous la souveraineté du Maroc, « d’autant plus qu’il était devenu difficile d’organiser un référendum, à cause de l’impossible identification des référendaires, comme l’avait attesté James Backer (Envoyé personnel de Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU) lui-même à l’époque ». Notre source estime que le Sahara occidental est « un territoire marocain et que même la Cour de La Haye a montré en 1975 qu’il avait des liens d’allégeance avec le Maroc ». Sauf qu’elle oublie que la Cour a attesté aussi ce qui suit : « En revanche, la Cour conclut que les éléments et les renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien ».
Rencontre avec le Président de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz
« Que Marzouki considère notre cause comme un confit algéro-marocain, c’est grave ! »
Le Président de la RASD reste confiant dans la solution onusienne au conflit du Sahara occidental malgré la polémique suscitée dernièrement par la position marocaine envers l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU. Il s’est dit par contre déçu des déclarations de notre Président, Moncef Marzouki.
Comment voyez-vous la dernière polémique autour de Christopher Ross, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU et la position du Maroc à son égard ?
C’est une atteinte à l’image l’ONU et à la légitimité internationale. Le problème du Maroc n’est pas envers la personne de Ross mais avec la déclaration de l’organisation des Nations Unies, qui ne reconnait pas sa souveraineté sur le Sahara occidental, considérant que c’est une question de décolonisation laquelle ne se résout que par l’autodétermination. Donc le retrait de confiance de Ross peut être considéré comme le refus de toute la philosophie onusienne. C’est encore une manœuvre de la part du Maroc pour gagner du temps et empêcher l’organisation du référendum.
Comment allez-vous réagir à cela ?
Nous restons attachés aux décisions de l’ONU. Nous pensons qu’avec le temps, le Maroc sera désavoué car il n’est pas uniquement en conflit avec le peuple sahraoui mais avec la communauté internationale toute entière. Il finira par céder.
Mais cela fait 21 ans que vous attendez une solution politique, vous y croyez encore ?
Nous n’avons pas abandonné la solution militaire. Nous sommes dans une période de trêve et nous attendons le référendum d’autodétermination. Si l’ONU veille à l’application de cette solution, nous continuerons à la soutenir. En cas d’échec de sa part, nous reprendrons les armes.
Et ne considérez-vous pas qu’en 21 ans, l’ONU a échoué à trouver une solution ?
Il ne faut pas oublier qu’en 21 ans, le Maroc n’a pas pu avoir la reconnaissance d’aucun pays de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Nous considérons cela comme une réussite en soi. Nous avons pu impliquer l’ONU dans cette question pour qu’elle résolve le problème sur la base du principe de l’autodétermination. C’est vrai que le peuple sahraoui souffre, mais notre droit est reconnu par la communauté internationale. Tant que notre cause est juste et est reconnue par l’ONU, nous sommes confiants d’y arriver.
Mais aujourd’hui vous avez une jeunesse très frustrée et qui est prête à prendre les armes. Comment la convaincre d’attendre encore une solution politique qui tarde à venir ?
Nous avons réellement des difficultés pour convaincre les jeunes. Nous essayons de leur rappeler la nécessité de défendre le principe de paix, étant donné que l’ONU s’est engagée réellement à organiser le référendum. On attire aussi leur attention sur le fait que le Maroc est actuellement en conflit avec la communauté internationale que nous devons alimenter. Nous continuons à organiser des manifestations pacifiques et des sit-ins pour obliger les forces marocaines à les réprimer, pour ensuite, les dénoncer mondialement. Nous essayons d’expliquer tout cela à nos citoyens pour qu’ils patientent encore et ils ont raison d’être frustrés. Toutefois, nous ne sommes pas sûrs que notre discours demeurera convaincant pendant longtemps.
Et comment sont vos relations avec l’Algérie?
Elles sont bonnes. On lui doit beaucoup.
Quelles étaient vos relations avec la Tunisie sous Bourguiba et sous Ben Ali ?
Quand nous avons commencé notre révolution en 1973, Bourguiba était déjà vieux et sa présence sur la scène internationale diminuée. Il appuyait le Maroc comme l’a fait Ben Ali après lui. Il est vrai que ce dernier a voulu jouer un rôle dans la résolution du conflit au début de son règne, puis face à l’endurcissement de la position marocaine, il a abandonné l’initiative. Ensuite, il a cherché à avoir une position qui semblait neutre en apparence mais il était du côté marocain.
Y a-t-il eu des contacts avec l’actuel président, Moncef Marzouki ?
Je l’ai rencontré dernièrement à Addis Abeba en marge du Sommet de l’Union Africaine, où nous sommes tous les deux membres. C’était un premier contact. Il a essayé de savoir où en sont arrivées les choses.
Mais lors de sa tournée maghrébine dernièrement, il a cherché à être l’intermédiaire entre l’Algérie et le Maroc pour relancer la question du conflit sahraoui ?
L’Algérie n’a rien à avoir avec ce conflit qui est entre nous et le gouvernement marocain. Marzouki a visité le Maroc mais n’est pas venu nous voir. C’est déjà un mauvais départ, car il reconnait une partie du conflit et pas l’autre. Vous savez l’Etat sahraoui a 36 ans d’existence. Il est membre de l’Union Africaine. La Cour constitutionnelle de La Haye a reconnu notre droit à l’autodétermination et que nous ne sommes pas un territoire marocain. L’Onu a créé la MINURSU qui gère les négociations officielles entre le Maroc et le Polisario. Si après tout cela, un Président issu de la Révolution tunisienne reprend le même discours de Bourguiba et de Ben Ali, en disant que c’est un conflit algéro-marocain ! C’est grave !
Et qu’en est-il de vos relations avec le gouvernement tunisien et avec Ennahdha plus particulièrement ?
Il n’y a pas eu encore de contacts. Ils sont occupés à diriger le pays et à installer leur pouvoir.
Comment avez-vous vécu ce qui s’est passé dans les pays du Printemps arabe ?
Nous considérons comme positif, tout ce qui est conforme aux principes de la démocratie et des droits des peuples de disposer d’eux-mêmes. Nous comptons beaucoup sur le soutien des gouvernements qui sont issus des choix des peuples.
Pour ce qui s’est passé au Maroc, à savoir le mouvement du 20 février, comment vous l’avez vécu ?
Nous avons respecté ce mouvement bien qu’il n’ait pas réalisé ses objectifs. Il n’est pas assez structuré à présent. Il est formé de plusieurs composantes dont une bonne partie reconnait le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. S’il avait réussi, il y aurait eu des implications directes sur le traitement marocain de notre cause.
Une maison d’édition en plein camp :un miracle tout simplement !
Qui peut imaginer que dans un camp de réfugiés, pourrait exister une maison d’édition ? Et bien cela a été rendu possible grâce à l’effort d’un nombre d’intellectuels sahraouis avec l’appui d’ONG françaises. La maison d‘édition, créée il y a six mois, est jumelée avec les éditions l’Harmattan en France, ce qui va permettre d’imprimer les manuscrits et de les publier, car il n’y a pas d’imprimerie dans les camps, en plus des difficultés de distribution. Jusque là cinq livres sont en phase de publication. « Réaliser ce projet sur le terrain relève d’un vrai miracle », affirme Nana Rachid, directrice de la Maison d’édition et poétesse. « Nous, écrivains et poètes sahraouis, avons un besoin urgent de faire connaitre nos idées et notre vision du monde, à travers nos publications. Aujourd’hui cela a été rendu possible grâce aux efforts de l’Union des Ecrivains et des Journalistes Sahraouis et à l’aide de nos amis français », poursuit-elle. Nana reste pourtant lucide quant aux difficultés qui existent, à savoir la rareté des moyens et le manque d’intérêt pour la lecture chez la population. Mais elle continue à croire à ce projet. Mieux, elle a même l’idée de créer un café culturel et d’y inviter les intellectuels sahraouis de tout bord, notamment ceux qui se trouvent dans les territoires sous contrôle marocain.
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Hanene Zbiss
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