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A quoi ressemble le paradis ?
Les supplices de l'enfer sont-ils éternels ? Les houris sont-elles de sublimes créatures ou juste une métaphore coranique ?
Comment Dieu va-t-il se manifester aux gens du paradis ?
Des questions qui ont de tout temps nourri l'imaginaire des musulmans et alimenté des débats passionnés entre les théologiens.
Rabia Al Adaouia, la grande mystique musulmane, traversait un jour les rues d’Al Basra, en Irak, portant un seau rempli d’eau dans sa main droite et un brasier dans sa main gauche. Intrigués, des passants ont demandé à Rabia ce qu’elle comptait faire de l’eau et du feu qu’elle portait. La mystique irakienne a répondu : “Je monte au ciel, pour mettre le feu au paradis, éteindre l’enfer et faire disparaître les deux. Ainsi les gens vont adorer Dieu et le vénérer sans peur d’un châtiment ou l’attente d’une quelconque récompense”.
Pour Rabia Al Adaouia, croire en Dieu et l’aimer ne devait pas être un acte intéressé, un rapport basé sur la crainte, la peur des tourments de l’enfer ou la recherche d’une rétribution divine. Pour cette figure majeure du soufisme, le paradis, l’enfer, les supplices ou les jouissances dans l’au-delà étaient secondaires par rapport à son seul objet d’amour et de désir : Dieu. Mais tous les musulmans n’ont pas cette vision de la vie après la mort. L’enfer et le paradis sont perçus comme des finalités, des buts en soi. Ils consacrent la piété et les bonnes actions des fidèles et sanctionnent les égarements des uns et l’arrogance des autres. Une vision nourrie par la foultitude de textes et de récits décrivant, avec force détails, la vie future et l’au-delà.
Une description sensuelle
La plupart des versets coraniques évoquant la résurrection, le paradis et l’enfer ont été révélés à La Mecque. Pendant les treize premières années de l’islam, le prophète Mohammed devait conquérir les cœurs et les esprits des hommes et des femmes qui allaient composer la première communauté musulmane. Cette période passée à La Mecque était une période de fragilité, d’épreuves et d’endurance pour le prophète de l’islam. Les riches et les puissants chefs de la tribu de Qurayche ne voyaient aucun intérêt à croire et à suivre le message d’un orphelin démuni, protégé par un oncle vieillissant et soutenu par “les faibles et les esclaves”. Mohammed exposait alors les aspects spirituels et moraux de sa révélation, et décrivait la vie d’ici-bas comme un passage, une transition, un parcours d’épreuves, où ne comptaient que la soumission à Dieu et l’accomplissement des bonnes actions. La richesse, le prestige, la noble appartenance et les titres n’avaient aucun intérêt ni utilité après la mort.
Les versets révélés à La Mecque abondent de descriptions qui dépeignent la vie future, où les pieux, riches ou pauvres, seront récompensés, tandis que les arrogants, les impies et les infidèles seront promis au supplice et aux tourments de l’enfer. La description du paradis dans ces versets est sensuelle, reprenant les aspects de luxe, d’opulence et de confort qui régnaient à l’époque chez les riches habitants de La Mecque. Comme le fait remarquer le cheikh Soubhi El-Saleh, auteur d’un livre de référence sur la question (La vie future selon le Coran. Edition Vrin. 1986), la nature fortement matérialiste de la vie à La Mecque explique le recours à cette description sensuelle. Centre de commerce prospère, point de rencontre pour les tribus arabes, La Mecque était dominée par le culte de la richesse, de la luxuriance et de l’abondance. Le Coran devait alors présenter une description des délices du paradis et les affres de l’enfer proche de l’horizon mental et culturel des habitants de La Mecque. Les standards de beauté (le teint blanc et les grands yeux noirs des houris), les bijoux et tissus portés par les gens du paradis (rubis, corail, soie, brocart), les parfums qui embaument les jardins d’Eden (musc, ambre), les mets et nourritures en abondance, correspondent à cet horizon.
Le passage vers Médine et la création de l’Etat islamique marquent une nouvelle tendance dans la description de l’au-delà. Les versets coraniques révélés à Médine, dépeignant le paradis et l’enfer, sont plus spirituels, moins pittoresques, et la notion de la “satisfaction divine” (ou le Ridwan) est placée au dessus de toute récompense ou rétribution divine. “Il est évident que cette évolution de la pensée spirituelle se situe à Médine où le prophète est devenu le guide spirituel de la nouvelle communauté. C’est précisément cette période très importante pour l’avenir de l’islam qui met le point final à la description paradisiaque”, note le cheikh Sobhi El-Saleh, ancien président de la Ligue des ouléma libanais et membre de l’Académie du royaume du Maroc.
Il faut toutefois relever que le Coran reste concis et sobre dans la description du paradis, de l’enfer et de la vie après la mort. Ce sont les hadiths et la tradition musulmane qui fournissent les récits les plus détaillés et les plus exubérants sur l’au-delà.
Les portes du paradis et de l’enfer
La résurrection et le jour du jugement font l’objet d’un récit dantesque et terrifiant dans les textes religieux musulmans. Selon un verset du Coran, la résurrection (Al Qiyama) est annoncée par un coup de trompette (Al Nafkh fi Sour). Toutes les créatures vont retrouver alors la vie et recouvrer leurs corps, leurs âmes et leurs esprits. Hébétés et abasourdis par leur résurrection, les êtres humains réalisent alors ce qui leur arrive et préfèrent retourner à leurs tombes plutôt que d’affronter le jour du jugement dernier. Ils sont placés ensuite dans une longue et insoutenable attente, dans un état de nudité et d’angoisse, qui va faire ressurgir les réflexes les plus égoïstes de l’être humain : les mères oublieront leurs propres enfants et chacun sera préoccupé par son propre sort. Dans son chef-d’œuvre Al Foutouhat Al Makkiya, le maître mystique andalou Ibn Arabi parle de 50 lieux d’arrêt qui jalonnent le chemin menant de la résurrection vers le paradis ou l’enfer. Selon Ibn Arabi, chaque lieu d’arrêt équivaut à mille ans d’attente, et à chaque station (Mawqif), les différentes actions des êtres humains seront passées au peigne fin. Le bien accompli et le mal commis par chacun seront pesés et évalués, avant que les fidèles ne rejoignent le paradis et les impies précipités en enfer.
Les hadiths et la tradition musulmane fournissent une description haute en couleurs et très cérémonieuse de l’arrivée au paradis. Ainsi, après avoir traversé les épreuves du jugement, les bienheureux vont arriver devant les huit immenses portes du paradis. Chaque porte a un nom qui la désigne selon les bienfaits et les vertus des fidèles : porte de la prière, du jihad, du jeûne, du repentir, de l’aumône, de la soumission à Dieu, de la maîtrise de la colère, et une dernière porte réservée à ceux qui accéderont au paradis sans jugement.
D’après la tradition musulmane, la première personne à pénétrer au paradis est le prophète Mohammed, suivi par les membres de la communauté musulmane, les pauvres d’abord, ensuite les riches et les nantis. Cette discrimination est une manière de “récompenser” les démunis, les esclaves et les miséreux qui ont été les premiers à croire au message du prophète de l’islam. Après la communauté musulmane, c’est au tour des chrétiens, guidés par Jésus, d’accéder au paradis. Les autres communautés leur emboîteront le pas, dirigées par leurs prophètes respectifs. Noé et ceux qui l’ont suivi après le déluge vont clore cette longue procession vers le paradis.
L’arrivée devant les sept portes de l’enfer est décrite d’une façon plus terrifiante. Les damnés voués aux supplices de l’enfer vont arriver en sept groupes, selon la gravité des péchés commis. Chaque porte sera assignée à un groupe et les pécheurs appartenant à la communauté musulmane se dirigeront vers la porte où les tourments sont les moins cruels. Honnis, humiliés, portant de lourds faix, les condamnés à l’enfer sont surveillés par un nombre incalculable de gardiens dotés d’une force inégalable et d’une cruauté indescriptible. A l’approche des impies et des infidèles, l’enfer rugira et crachera ses flammes et une pluie de feu, de cordes et de chaînes s’abat sur les futurs locataires de la géhenne. A la vue de ce spectacle effrayant, ces derniers reculent d’épouvante et de peur, pleurent, hurlent, mais des anges implacables vont les enchaîner et les précipiter dans l’enfer, et leur chute s’étalera sur plusieurs années (70 ans selon certains récits) avant d’atteindre le fond.
Lieu de jouissance et de repos
La tradition musulmane est intarissable de détails et d’imagination dans la description du paradis, perçu comme un lieu de repos, de béatitude et de jouissance éternelle. La démesure des dimensions, la surabondance des biens et des délices, le caractère extrêmement sensuel des récits qui dépeignent le paradis, ont poussé des théologiens rationnels et des soufis à mettre une dose de relativité et même de doute dans cette description.
Selon la tradition musulmane, composée notamment de hadiths et de commentaires du Coran, le paradis est placé au septième ciel, au-dessous du trône de Dieu, pour marquer la proximité de la demeure des bienheureux avec la demeure divine. Toutefois, le paradis contient des niveaux selon le degré de piété, de foi et d’actions accomplies ici-bas. Les élus, c’est à dire les prophètes et les croyants les plus fidèles, placés à des étages supérieurs, apparaîtront aux autres locataires du paradis comme “les rayons des astres et des étoiles”. Les allées du paradis sont incrustées de pierres précieuses et de rubis et le sol est couvert de musc et de safran, et des parfums capiteux embaument l’atmosphère. Des rivières de miel, de lait et de vin traversent le paradis et abreuvent ses gens, avec leur goût inaltérable.
Selon cette description, les corps des habitants du paradis ne connaissent pas la maladie, la déchéance ou la mort. D’ailleurs, un hadith explique que la mort sera incarnée sous forme de bélier, ramené par les anges, et égorgé devant les gens du paradis et de l’enfer, pour leur signifier le caractère éternel de la vie dans l’au-delà et la fin de la crainte de la mort qui hante les humains.
La tradition musulmane regorge de détails concernant les traits physiques et les mœurs des habitants du paradis. En gros : beaux, rayonnants, âgés de 33 ans (tous, hommes et femmes, sans exception), ils ne connaissent pas le sommeil ni la fatigue et n’auront jamais d’enfants, car la procréation est impossible au paradis. Selon cette description, les élus et les bienheureux parleront tous l’arabe. En plus d’être la langue du Coran, l’arabe sera également donc celle du paradis.
Les palais réservés aux habitants du paradis sont taillés dans des pierres précieuses et construits d’or, de rubis et de musc, et s’étalent sur des dizaines de kilomètres et leurs plafonds sont hauts de centaines de mètres. Des dimensions démesurées qui feront dire à l’esprit taquin du poète Bashar Ibn Bord qu’il doit faire très froid, durant le mois de décembre, dans des demeures aussi spacieuses et hautes.
Le paradis mystique
La description exubérante, pittoresque et luxueuse du paradis a fait réagir un nombre de théologiens et mystiques musulmans, qui souhaitaient donner un aspect plus spirituel, rationnel ou symbolique au catalogue des plaisirs promis aux bienheureux dans le paradis. Pour Al Ghazali, célèbre théologien du 11ème siècle, aucun être humain n’est capable de saisir ou de décrire parfaitement la vie au paradis ou en enfer. Al Ghazali définit le paradis et ses plaisirs en empruntant les termes d’un hadith : “Le paradis est ce qu’aucun œil n’a vu, aucune oreille n’a entendu, et qui n’a jamais traversé le cœur d’un être humain”. La description du paradis a ainsi une valeur d’illustration et d’exemple. D’après cette vision d’Al Ghazali, les délices du paradis ne sont donc qu’un théâtre d’ombres et une présentation proche du sens matériel que les humains accordent à la notion du plaisir. Dieu n’a dévoilé donc qu’une figuration du paradis et non pas son essence ni sa nature véritable et réelle, qui n’est connue que de lui.
Beaucoup plus proche de nous, le cheikh Mohamed Abdou, le grand réformateur religieux égyptien, se montre sceptique et parfois critique à l’égard de la description matérielle et trop détaillée de la vie au paradis, et l’au-delà en général. Tout en admettant le caractère concret et sensuel du paradis, le cheikh Mohamed Abdou considère que la rétribution spirituelle est plus importante que les plaisirs matériels du paradis. Le réformateur égyptien, conscient du rôle de la tradition dans l’amplification des récits concernant l’au-delà, n’admet sur ces questions que les hadiths dits “motawatar”, c’est-à-dire ayant un haut degré d’authenticité et dont le nombre est très réduit. La méthode permet à cette grande figure du salafisme réformateur et rationnel de donner une description sobre du paradis, plus proche de la raison et de l’entendement que les récits trop détaillés dont regorge la tradition musulmane. A l’instar d’Al Ghazali, Mohamed Abdou rappelle lui aussi ce hadith qui présente le paradis comme appartenant au domaine de l’indescriptible et de l’inexprimable.
Le soufisme fournit pour sa part une vision originale du paradis et des rapports que le musulman doit établir avec l’au-delà. Pour les maîtres du mysticisme musulman, Dieu doit être adoré pour lui-même et non pas par peur de son enfer ou par envie d’accéder à son paradis. Rabia Al Adaouia exprime le mieux cette vision quand elle expliquait à l’un de ses visiteurs : “Je n’ai pas adoré Dieu, tel le mauvais esclave, par crainte de son enfer ni par désir de son paradis, mais je l’ai aimé par amour pour lui et par inclination vers lui”.
Rabia Al Adaouia ne contestait pas l’existence du paradis et de sa nature, mais estimait que tous ces plaisirs sont incomparables avec la proximité de Dieu et sa contemplation. Comme le note l’orientaliste Louis Massignon, la mystique irakienne cherchait le voisin (Dieu) d’abord, plutôt que la demeure (le paradis). D’autres mystiques, comme Al Halaj ou Al Nifari, considéraient le paradis comme un voile tendu pour cacher l’essentiel. Les plaisirs du paradis sont déployés comme une sorte de ruse divine qui place les élus dans l’attente, tel le bien aimé faisant languir son amoureux, avant de faire son apparition et de se dévoiler à lui.
Voir Dieu et… vivre
La tradition musulmane présente la manifestation de Dieu et sa vision au paradis comme l’ultime rétribution et la récompense suprême. Selon certains hadiths et récits, les habitants du paradis seront appelés à quitter leurs demeures pour se diriger vers le trône où siège Dieu. Sur le chemin, ils traversent deux objets mystérieux et fortement symboliques du monde de l’au-delà : le tableau du destin (Al Lawh Al Mahfoudh) et la plume (Al Qalam).
Le premier objet, taillé dans une pierre précieuse majestueuse, sert à consigner les actions de toutes les créatures, leur vie et leur mort, écrits avec l’encre lumineuse du Qalam. Les bienheureux, guidés par le prophète, arriveront sur une vaste esplanade surplombée par le trône de Dieu. Le voile de lumière qui auréole le trône se dissipe et Dieu apparaît alors à ses hôtes, comme “la pleine lune”, et leur parle. Ce moment est considéré comme supérieur à tous les plaisirs du paradis et présenté comme la consécration d’une vie pieuse et vertueuse.
A l’inverse, les damnés de l’enfer souffriront de l’impossibilité de voir Dieu, une souffrance supérieure aux affres et aux supplices de la géhenne. Toutefois, la nature de la vision de Dieu et sa manifestation aux humains ont fait l’objet d’âpres débats entre les théologiens et ouléma musulmans. Pour les Moatazilites, partisans d’une interprétation rationnelle du Coran, la vision de Dieu ne peut pas se faire à l’œil, de manière conventionnelle, comme on peut voir un quelconque objet de notre monde. Voir Dieu à l’œil nu implique, selon les Moatazilites, que Dieu a une forme, une matière et qu’il est susceptible d’être perçu par les sens, ce qui est en opposition avec l’essence même du monothéisme, où Dieu ne ressemble en rien à ses créatures.
Pour ces farouches partisans de l’usage de la raison, les versets coraniques évoquant la vision de Dieu doivent être interprétés de façon symbolique et allégorique. La vision de Dieu se fait ainsi par l’âme, à travers une sorte de connaissance intérieure, qui ne nécessite pas l’usage des sens. La béatitude et le sentiment de félicité spirituelle d’être admis au paradis et placés à proximité de l’éternel expriment le mieux l’idée de la vision de Dieu, selon les penseurs moatazilites.
Un supplice éternel ?
Si le paradis est décrit comme un lieu de ravissement, d’exaltation des sens et des âmes, l’enfer est présenté comme l’empire du feu, des tourments et des supplices incessants. La tradition ne ménage aucun détail suscitant l’effroi et la crainte dans la description de la géhenne et de ses sombres allées. Les figures des damnés sont ainsi noires, décharnées, leurs entrailles remplies de feu, et leurs pieds attachés à de lourdes chaînes enflammées. Leur nourriture provient d’arbres de feu, qui ne poussent qu’en enfer, et leur boisson est faite de coupes remplies du sang et du pus sécrétés par les corps des damnés. L’odeur qui s’exhale de leurs corps brûlés est insupportable, au point que les habitants de cet endroit se maudissent mutuellement. Ils souhaitent la mort, l’anéantissement définitif, mais Dieu changera leurs corps par de nouveaux corps, et leurs peaux par des peaux neuves, afin qu’ils goûtent sans répit à la damnation et aux affres de l’enfer.
Comme le fait remarquer le cheikh Soubhi El-Saleh, les récits relatifs à la description de l’enfer précisent que les tortures infligées et la cruauté des châtiments dépendent de l’énormité des actions. L’infidèle n’est pas châtié comme le croyant et ceux qui ont commis des péchés mineurs ne sont pas logés à la même enseigne que les auteurs de graves crimes ou blasphèmes.
Toutefois, le caractère éternel des supplices en enfer est contesté par certains théologiens, qui estiment que la miséricorde divine est plus grande que sa colère. Ces théologiens s’appuient dans leur lecture sur des versets du Coran qui annoncent que Dieu se réserve le droit et la volonté de mettre fin aux tourments des damnés. Une condition qui n’est pas annoncée pour la vie au paradis, ce qui est interprété comme une affirmation du caractère éternel des plaisirs du paradis, et une possibilité de fin aux supplices de l’enfer. Autre argument : selon une subtile distinction, les critiques du caractère éternel des supplices distinguent entre le paradis qui est un but en soi, et l’enfer qui est un moyen de purification. Or, le but doit durer éternellement, même quand il est atteint, tandis que le moyen cesse d’exister au moment où il produit ses effets. Toutefois, les deux parties du débat s’accordent sur le fait que cela relève, en dernier ressort, de la puissance et de la volonté divine. Ibn Al Qayim, théologien rigoriste et farouche adversaire des Moatazilites, cite le calife Ali, qui répondait à ce propos : “Dieu fera ce qu’il voudra et toutes les créatures doivent s’en tenir à cela”. Ultime argument valable à toutes les questions relatives à l’au-delà.
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Enigme. Le fantasme des houris
Après les attentats du 11 septembre 2001, les houris, ravissantes et divines créatures promises aux habitants mâles du paradis, sont devenues des “stars”. Le nombre de houris convoitées par les kamikazes, leur beauté et leur âge alimentent les commentaires, la curiosité, les exégèses et même les sketchs comiques. Mais qui sont en fait les houris ? Le nom de ces créatures dérive du mot arabe “Hawar”, qui signifie “les beaux yeux noirs au blanc très prononcé”. D'autres interprétations font dériver leur nom du mot “Hira” désignant un état de perplexité et de perte de repères où les hommes vont être plongés à la vue de ces femmes sublimes.
Les houris sont décrites comme des modèles de perfection, de beauté et de chasteté. Elles sont vierges et créées exclusivement pour le plaisir et la jouissance des bienheureux qu'elles attendent impatiemment au paradis. Le visage d'une houri est lumineux, son parfum peut embaumer la terre entière si elle y descend et son sourire éclaire le paradis. La tradition musulmane diverge sur le nombre de houris promises à chaque habitant du paradis. Certains hadiths parlent de cent houris par nuit pour tout croyant, d'autres de soixante-douze, tandis que certains n'en évoquent que deux. Pour honorer toutes ces femmes promises, la puissance sexuelle des élus sera sans commune mesure avec leur vie sur terre. Ils éprouveront alors un plaisir cent fois plus grand que la volupté terrestre et chaque croyant aura la puissance de cent hommes. Mais, malgré la beauté extraordinaire des houris, les femmes terrestres sont considérées par la tradition comme supérieures à ces parfaites créatures du paradis. Après la mort, les hommes doivent retrouver leurs épouses qu'ils avaient sur terre, pour mener une nouvelle vie, qui ne sera altérée par aucun souci ni désagrément.
Toutefois, certains théologiens musulmans livrent une autre vision moins matérielle à propos des houris. Ainsi, le cheikh Moham?ed Abdou explique que la jouissance des houris au paradis est différente de ce que nous connaissons sur terre. Les images des houris ne sont que des illustrations faites à l'attention des hommes, mais qui ne vont pas correspondre à la réalité au paradis. La nature de cette réalité ne sera connue et saisie qu'une fois le seuil du paradis franchi. Il ne faut donc pas, selon cette vision, transposer et coller notre conception humaine et terrestre à cette réalité céleste qui pourrait être
infiniment plus différente.
Et voilà une interprétation qui pourrait refroidir les ardeurs de certains… qui comptent déjà le nombre de leurs futures conquêtes au paradis.
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Un lieu, une question. Qu’en est-il du purgatoire ?
Lieu fascinant et intrigant, se situant entre le paradis et l'enfer, Al Aâraf demeure un mystère et une énigme pour les exégèses et les lecteurs du Coran. Une fascination qui dépasse même le cadre de la théologie musulmane, au point que le sombre poète et romancier américain Edgar Allan Poe lui a consacré l'un de ses poèmes les plus étranges. Al Aâraf est décrit comme un lieu d'attente entre le royaume du paradis et le séjour des damnés, occupé par des hommes dont les bonnes et les mauvaises actions se contrebalancent. Leurs bienfaits ne sont pas suffisants pour aller au paradis et leurs péchés ne sont pas assez lourds pour les précipiter en enfer. Comme le précise un hadith, ces hommes (et non pas des femmes) ne peuvent accéder au paradis sans avoir connu la purification dans la rivière de la vie (Nahr Al Hayat). Cette notion de purification et de passage par un endroit de transit et de transformation, avant d'entrer au paradis, ressemble à l'idée chrétienne du purgatoire, que l'on présente souvent comme absente en islam. De nombreuses interprétations et explications ont été fournies pour déterminer les raisons du placement de ces hommes dans une zone intermédiaire. Pour certains théologiens, il s'agit d'hommes partis au jihad et morts au combat, mais sans le consentement et l'autorisation de leurs parents. Cette interprétation place la notion de la bénédiction des parents et leur satisfaction au même niveau que le jihad, pourtant considéré comme hautement important en islam. D'autres théologiens estiment que les hommes placés dans ce lieu d'attente sont les auteurs de péchés mineurs qui ne peuvent constituer un motif pour subir les supplices de l'enfer. Une autre lecture, plus étrange et étonnante, attribuée à Ibn Abbas, compagnon et cousin du prophète Mohammed, identifie les occupants d'Al Aâraf comme étant les enfants issus de relations tissées en dehors du cadre du mariage.
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Egalité. Le paradis des femmes
Si les récits sont intarissables sur la description des plaisirs sensuels réservés aux hommes dans le paradis, ils le sont beaucoup moins quand il s'agit des femmes. Ainsi, certains hadiths précisent que la majorité des habitants de l'enfer seront des femmes, contrairement au paradis, où elle seront beaucoup moins nombreuses. Les raisons de ce terrible sort promis aux filles d'Eve sont différentes : la médisance, le parjure, la tentation des hommes, et autres vices supposés être inhérents à la gent féminine. Toutefois, les femmes admises au paradis seront mises sur le même pied d'égalité que les hommes : elles auront le même âge que qu'eux (33 ans), elles seront belles et radieuses et auront droit à la béatitude après la vision de Dieu. Elles seront délivrées aussi des désagréments liés aux menstrues, considérées comme une impureté et une malédiction suite à la déchéance d'Adam et Eve. Les femmes terrestres sont même considérées comme supérieures aux sublimes houris, pourtant créatures du paradis. Ces dernières sont uniquement des objets de jouissance et de plaisir tandis que les femmes terrestres ont beaucoup plus de mérite pour ce qu'elles ont accompli ici-bas, en matière de piété, de dévotion et de soumission à Dieu. Sur cet aspect, les hadiths relatifs à ces questions sont marqués par un certain égalitarisme entre les hommes et les femmes. Mais ces textes reproduisent les mêmes schémas “terrestres” en matière de relations entre les deux sexes. La polygamie est admise donc au paradis, où vont s'ajouter les houris, qui font partie des rétributions divines promises aux hommes. Les femmes vont retrouver leurs époux qu'elles avaient dans la vie terrestre. Si une femme s'est mariée plusieurs fois ici-bas, elle se consacrera à son dernier mari, au meilleur ou à celui de son choix. Ils seront alors unis pour l'éternité, sans que la mort ne les sépare.
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La bibliothèque Idéale
• Soubhi El-Saleh. La vie future selon le Coran (Vrin, 1986). La richesse de l'analyse, la pluralité des sources et l'élégance du style, font de ce livre une référence incontournable sur la question.
•Ibn Al Qayim. Hadi Al Arwah (Edition Al Rissala, 2003). Une somme de versets coraniques, de hadiths et de récits sur l’au-delà en islam. L'auteur présente, avec une admirable honnêteté intellectuelle, les avis les plus discordants, même ceux qui s'opposent à ses convictions conservatrices et rigoristes.
• Louis Massignon. Ecrits mémorables (Robert Laffont, 2009). Un recueil de textes de ce grand amoureux de l'islam et de sa civilisation, où il traite, entre autres questions, de l’au-delà dans la théologie et le soufisme musulmans.
• Ibrahim Mahmoud. Joghrafiat al Maladhat (Edition Riad Al Rayyes, 1998). Un livre qui expose de façon détaillée les plaisirs sensuels promis au paradis en comparaison avec les récits d'autres religions.
• Louis Gardet. Dieu et la destinée des Hommes (Vrin, 1967). L'orientaliste et philosophe français analyse avec érudition les différentes théories sur la résurrection, le paradis et l'enfer en islam.
• Abderrahman Badaoui. Chahidat Al Ichk Al Ilahi (Ed Al Nahda, 1967). Biographie de la mystique musulmane Rabia Al Adaouia, où on retrouve sa vision sur l'amour divin et la vie après la mort.
• Mohamed Abdou. Tafsir (Edition Al Jamâya Al Khayrya, 1904). Dans ce livre d'exégèse du Coran, le réformateur égyptien expose son interprétation rationnelle des versets relatifs à l’au-delà et établit une méthode pour limiter l'impact d'une description très matérielle et pittoresque du paradis et de l'enfer.
• Encyclopedia of Islam. (Brill, 2ème édition). La plus classique et la plus riche des encyclopédies sur l'islam. Les articles sur la résurrection, le jour du jugement dernier, le paradis, l'enfer, le trône de Dieu, etc., sont complets et détaillés.
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