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MISE AU POINT
Adressée au journal Marianne,
Les mécanismes de la conscience coloniale, de lugubre mémoire, ou comment deux journaleux en mal de copie, tentent de manipuler l'information en se substituant subrepticement aux chercheurs et aux historiens.
Renaud Leblond et son larron Yves Stavridés deux escamoteurs sans ampleur journalistique, ont déformé mes propos dans un article paru dans Marianne, consacré à l’Algérie. J’ai adressé une mise au point à ce journal. Celle-ci n’a pas été publiée.
Un responsable du MNHN de Paris m’écrit :
« Cher Monsieur Belkadi, Les journalistes prennent souvent, en effet, beaucoup de libertés avec les faits, et il est bien rare qu'ils fassent vérifier leurs "informations" avant de les publier... C'est navrant ».
MISE AU POINT
Adressée au journal Marianne,
« Monsieur le Directeur de la publication
Des passages de l’article Renaud Leblond et Yves Stavridès : « Point de divergence toujours présent, les restitutions de documents historiques ou de restes humains provoquent encore des tensions entre les deux pays ». (Pages 126/127, Marianne N° 779 du 24 au 30 mars 2012), sont inexacts, voire approximatifs, en ce qui concerne mes activités de recherche au Muséum de Paris.
Je vous prie de bien vouloir publier dans votre journal la mise au point suivante :
Il semblerait que Mr R. Leblond n’a pas tenu compte des indications que je lui ai fourni par téléphone -j’ai passé une trentaine de minutes au téléphone avec Mr Leblond, en outre je l’ai amplement documenté par email sur le sujet, en lui adressant entre autres les 139 pages des actes d’un colloque qui s’est tenu au Quai Branly concernant les restes mortuaires détenus dans les musées européens.
Les deux journalistes écrivent avec beaucoup de désinvolture :
« Sur les 37 crânes identifiés, cinq appartiennent à des chérifs kabyles qui se sont battus comme des démons contre le corps expéditionnaire français »...
Ces chefs de la résistance algérienne, à l’occupation française ne sont pas d’origine kabyle (le pays berbère situé à l’est d’Alger). Ils ne sont pas cinq (5) chefs, mais six (6).
Bouziane était originaire du sud de l’Aurès (Biskra), Mokhtar Al-Titraoui du Titteri (Hauts Plateaux). Moussa Al-Darkaoui qui combattit l’émir Abdelkader le 20 avril 1835 dans la région de Médéa, était d’origine égyptienne. Ben Kedida était de Tébessa. Tous appartenaient à la confrérie des irréductibles Derkaoua. Les restes mortuaires de ces chefs, proviennent du don fait au Muséum de Paris par la famille du docteur Vital, médecin à l’hôpital de Constantine, Les ossements sont entrés au Muséum de Paris en 1880.
Ce sont :
1. Bou Amar Ben Kedida, (crâne) N° 5943 dans les registres du Muséum.
2. Boubaghla, (crâne) N° 5940.
3. Mokhtar Al-Titraoui, (crâne) N° 5944.
4. Cheikh Bouziane, (crâne) N° 5941.
5. Si Moussa Al-Darkaoui, (crâne) N° 5942.
6. Aïssa Al-Hamadi, lieutenant de Boubaghla, (tête momifiée) N° 5939.
Mrs Leblond/Stavridés écrivent encore :
« Cheikh Bouziane, un lieutenant de l'émir Abd el-Kader, tombé aux mains des Français après une méchante bataille livrée dans l'oasis de Zaatcha, le 26 novembre 1849 »...
Les termes « méchante bataille» ne sont guère adaptés à ce qui fut un carnage sans nom, un abattoir en règle, une barbare décimation de populations innocentes. La totalité de la population de l’oasis des Zaatchas, plus d’un millier d’hommes, de femmes et d’enfants, fut anéantie le 26 novembre 1849, par les colonnes des colonels Barral, Canrobert, Lourmel et le commandant Bourbaki. La vieille mère, la femme et la fille du Cheikh Bouziane n’eurent pas la chance d’être déportées dans les appartements somptueux du château d’Amboise, comme le fut la famille de l’émir Abdelkader qui finit sa vie en Syrie, largement renté par Napoléon III. Les membres de la famille de Bouziane furent achevés à à la baïonnette par les soldats du corps expéditionnaire français. Les derniers mots du Cheikh Bouziane furent : « Vous avez été les plus forts. Dieu seul est grand, Dieu est vainqueur, que sa volonté soit faite ". Voilà pour ce terme trivial de méchanceté.
L’image de ces chefs de guerre demeure inaltérée dans l’imagerie populaire algérienne. Ces insurgés sont restés cohérents dans leur lutte anticoloniale jusqu’à leur dernier souffle, au nom de la guerre juste, prônée par le grand Saint Augustin (354-430) cet autre algérien, qui exerce jusqu’à nos jours une grande influence sur le développement de la pensée chrétienne : « Sont dites justes, les guerres qui vengent les injustices, écrit-il, dans la Cité de Dieu.
Le corps expéditionnaire français, prit pied en Algérie sans déclaration de guerre préalable. L’outrage fait par un dey turc décadent à un consul insolent, fut le sujet d’un conflit armé disproportionné, déclenché par le roi de France pour des intérêts économiques sordides.
Mrs Leblond/Stavridés notent encore : « Contrairement à ce que chante la presse algérienne : « 37 crânes d'honorables résistants algériens » parmi lesquels, on dénombre une douzaine de tirailleurs kabyles ou arabes « morts au service de la France »...
Renaud Leblond et Yves Stavridès semblent faire feu de tout bois, en amalgamant les collections du Muséum de Paris. Celle du Dr Vital ne comprend par de tirailleurs-supplétifs de l’armée française, selon l’inventaire précis des restes mortuaires que j’ai pu établir patiemment au MNHN de Paris, avec l’aide précieuse de Mr Ph. Mennecier.
La collection Guyon/ Flourens qui concerne d’autres restes mortuaires algériens, dont ceux de supplétifs de l’armée française, n’a rien à voir avec la liste des 37 résistants algériens. Guyon décrit dans une lettre les restes d’un militaire indigène mort pour la France à Alger. Il envoie le crâne par colis le samedi 21 août 1844, le destinataire est le Pr Flourens. Une autre fois le chirurgien Guyon écrit à son collègue Florens: « Messaoud, sergent aux zouaves à Alger, né à Tombouctou en 1813, envoi par colis le mardi 1 octobre 1839, signé Guyon ».
Le vendredi 25 août 1843, Flourens réceptionne de la part du même Guyon un colis contenant quatre têtes de sujets engagés volontaires dans l’armée française, il s’agit du crâne d’un janissaire recruté par l’armée française, d’un Kouloughli (c’est ainsi que sont nommés les hybrides nés de père turc et de mère indigène) et de deux autochtones d’origine arabe.
Têtes de choix et gueux célèbres
La tête de Bouziane (N° 5941 au MNHN de Paris), fut coupée et fixée au bout d’une baïonnette à la fin du siège de Zaâtcha. Elle a été conservée comme celles de Boubaghla (N° 5940 au MNHN de Paris) et du chérif Bou Kedida (N° 5943 au MNHN de Paris), qui fut tué dans un combat livré sous les murs de Tébessa par le lieutenant Japy. C’est V. Reboud qui les a envoyées à ce musée. Il le dit dans une lettre. Chacune des têtes était accompagnée d’une étiquette, longue bande de parchemin, portant le nom du chérif décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine. Reboud se vante d’avoir réuni « une série de têtes de choix et d’une bonne conservation », provenant en grande partie du Coudiat-Aty, autrement dit le musée de Constantine à ses débuts.
En 1855, la municipalité de Constantine qui venait d’acquérir la collection punique de Costa Lazare, porta son choix sur le plateau de Koudiat Aty, pour la réalisation du musée, sur l’emplacement même d’une nécropole punique, définitivement perdue pour les chercheurs du domaine de l’archéologie.
Auparavant ce musée avait l’air d’un cagibi.
Les têtes réunies par Reboud, qui étaient mêlées aux bracelets, lampes lacrymatoires et à d’autres autres objets hétéroclites entreposés pêle-mêle dans ce réduit, furent remises au naturaliste A. de Quatrefages. Reboud avant de clouer la caisse pour l’envoi au Muséum de Paris, demanda à René Vital, le frère du collectionneur Dr Edmond Vital :
Pourriez-vous enrichir mon envoi au Muséum, de quelques crânes intéressants ...
Le Dr Vital venait de décéder et sa famille ne savait plus quoi faire des restes mortuaires des résistants algériens qui étaient entreposés dans de la poudre de charbon, dans les combles du domicile de Vital.
Le frère du Dr Vital répondit :
_ Prenez tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux célèbres (sic) et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas, parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une odeur sui generis.
Grâce à René Vital, le Muséum de Paris s’enrichit ce jour-là d’une vingtaine de nouvelles têtes, d’algériens célèbres.
Renaud Leblond et Yves Stavridès écrivent encore : « Sachant que tous ces crânes ou presque ont été récupérés par des médecins militaires, et que leurs familles en ont fait cadeau au muséum, en droit, le don est synonyme de patrimoine imprescriptible »...
Aucune famille n’a jamais fait don de ces restes mortuaires à un quelconque médecin militaire, comme nous l’avons vu dans le cas du Dr V. Reboud.
« Mais si l'Algérie réclame le rapatriement des 37 décapités, dont les supplétifs « morts pour la France », les discussions dans l'Hémicycle promettent d'être intéressantes »...
C’est du verbiage délirant. Les deux journalistes ne se retiennent plus, on est en pleine énurésie verbale.
Parmi les 37 décapités ne figure aucun supplétif. Le tri effectué par moi-même au MNHN fut pointilleux. Les supplétifs morts pour la France ne figurent pas dans mes préoccupations.
Les supplétifs et les harkis, ce n’est pas le genre de la maison".
Ali Farid BELKADI
Cette mise au point a été adressée au journal Marianne le 26 mars 2012. Non parue dans ce journal, elle est publiée sur le présent blog le 12 juin 2012.
A PROPOS DE TÊTES DE GUEUX CÉLÈBRES...
Lettre à M. Xavier Driencourt, Ambassadeur de France à Alger,
Monsieur l’ambassadeur, Excellence,
J’ai appris par voie de presse vos propos atterrants, le lundi 6 février, devant une salle comble, décorée à la manière d’un conte des mille et une nuits, au forum des « Mille et une News », au siège du quotidien Algérie-News.
Ces paroles concernent les restes mortuaires des résistants algériens à la colonisation qui sont conservés au MNHN de Paris depuis les années 1880.
Ces âmes ardentes et nobles, d’une vaillance légendaire ont poursuivi la lutte de l’émir Abdelkader contre la barbarie du corps expéditionnaire français et ses relais collaborationnistes (Ben Ali Cherif, Al-Mokrani) jusqu’à leur souffle ultime.
Je lis ceci dans le journal Algérie-News :
« Sans apporter plus d’explications sur le risque que ferait courir une telle restitution, M. Driencourt a estimé que si les crânes et autres restes mortuaires d’étrangers conservés dans des musées de France devaient être restitués cela ouvrirait la voie à la "réclamation de la Joconde ou l’obélisque de la Place de la Concorde (Paris)", par exemple ».
Vous assimilez Monsieur l’ambassadeur, en filigrane, avec une légèreté insolite, les restes mortuaires de ces chevaliers de la résistance algérienne, à La Joconde, cet objet d'art de Leonardo di Piero da Vinci, et l’obélisque de Louxor, -don du vice-roi d'Égypte à la France, Mehmet Ali, un non-égyptien, né en Grèce, de parents albanais, désigné le 18 juin 1805 par le gouvernement ottoman comme pacha d’Égypte- à tous les objets artistiques qui sont entreposés dans les musées de la France, parfois issus de rapines celées.
Vous assimilez Monsieur l’ambassadeur, les restes mortuaires de nobles résistants algériens, à des oeuvres d’art. A de simples choses qui n’ont pas été confiées à la France par les populations ou les pays intéressés.
J’ignore pour ma part quel est le nom de cette muse qui patronnerait cette forme de cruauté, de têtes algériennes décapitées conservées dans un musée, que vous incorporez bien singulièrement au patrimoine artistique de la France. A ma connaissance, cette égérie n’est pas répertoriée parmi les neuf muses de la mythologie grecque.
L’art qui nécessite habilité et talent, style, patte et entregent n’a rien à voir avec cette affaire affligeante, funeste et sinistre, lugubre même, des 37 têtes algériennes du MNHN de Paris. Tout cela n’est pas à l’honneur de la conception universelle de l’être humain, que l’on attribue charitablement à la France.
Monsieur l’ambassadeur,
Les restes mortuaires de ces héros de l’Algérie, sont pour vous un « butin de guerre », cela a été rapporté par le journaliste qui vous a interviewé.
Pour moi il s’agit de glanes coloniales inavouables.
Quelqu’un a écrit : « l’homme aime à se fabriquer des mythes et à se laisser mystifier par ses propres mythes et ceux des autres ».
Voilà pour ces choses-là, artistiques.
Butin de guerre ou rapine ?
Le cas Edouard Weisgerber
Monsieur l’ambassadeur, excellence,
Je vous livre un exemple de rapine, mû en prise de guerre, actuellement partie intégrante du patrimoine inaliénable de la France :
Edouard Weisgerber, médecin de formation, fut chargé vers la fin du XIX° siècle, par le ministre des travaux publics d'accompagner la mission envoyée dans le sud de l'Algérie, pour y étudier le tracé d'une ligne de chemin de fer entre Laghouat, El-Goléa, Ouargla, Touggourt et Biskra.
Les travaux ne furent jamais entrepris. Weisgerber se convertit instantanément en préhistorien, spécialisé dans le ramassage de silex taillés :
« Nous en avons ramassé, dit-il un jour dans une de ces lettres, un grand nombre, dont j'ai eu l'honneur de présenter un certain nombre d'échantillons à la Société préhistorique, qui confirme ce que l'on avait déjà dit de l'existence dans le Sahara d'une population ancienne assez dense ».
Voyant que ses excursions préhistoriennes n’étaient pas suffisamment gratifiantes, Weisgerber se recycla dans le pillage de tombes. Parmi ses dons à la Société d’Anthropologie de Paris, figurent des crânes chapardés dans des tombes –un butin de guerre selon vous Monsieur l’ambassadeur– dont l’un d’entre eux est répertorié sous le numéro 33735 dans la base de données du MNHN de Paris. Ce crâne qui est « entré » au Musée N.H.N (Paris) en 2008, auquel manque le maxillaire inférieur, est attribué à un sujet « Chaâmba Mouadhis, du nom d’une tribu saharienne qui nomadisait dans ces temps-là entre El-Goléa et le Mzab.
Dans une de ses lettres, concernant les restes mortuaires qu’il récupérait de manière peu chrétienne dans les tombes d’un simple cimetière tribal, E. Weisgerber, ce sinistre profanateur de tombes, écrit : « Cette tombe est située auprès d'un ancien cimetière dont j'ai rapporté deux squelettes complets, un vieillard et une jeune femme, et un crâne de femme avec ses cheveux, une clavicule et un humérus, et dont je fais hommage à la Société. Ces squelettes me paraissent appartenir aux Chambas ».
Le Dr Weisgerber -contemporain de Robert Louis Stevenson auteur de la célèbre nouvelle : « Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde »- affable et délicat avec ses confrères savants et civilisés, affranchi de toute obligation déontologique, mû en anthropologiste expert en petites et grandes malices, faisait ses petites emplettes scientifiques dans les tombes des cimetières sahariens, avant de les envoyer au Muséum de Paris à titre honorifique.
Un mot sur ces tombes chaâmbas : Elles ressemblent à de petits murs d’étai, du fait de l’amoncellement de leurs pierres qui sont élevées sur la roche, le défunt est simplement étendu sur quelques poignées de sable. L’austérité des rituels funéraires, la simplicité des tombes qui sont surmontées de deux épaisses pierres, l'une au niveau des pieds, l'autre à la tête -une pierre supplémentaire étant placée au niveau du ventre pour signaler que la tombe est celle d’une femme- ont permis au Dr Weisgerber, d’avoir un accès facile à ces vestiges humains.
Parfois, pour ces mêmes raisons très peu scientifiques, le Dr Weisgerber vieillissait les ossements en les attribuant à l’antiquité lointaine. C’est comme si on déterrait un auvergnat mort au début du XIX° siècle dans la région de Vichy, pour attribuer délibérément sa dépouille à quelque lointain guerrier celtique du premier millénaire avant l’ère chrétienne.
Ces maraudages honteux parés d’inventions scientifiques séduisantes, nourrissaient les conjectures savantes issues du siècle des Lumières. Ces mêmes lumières dont les ex-colonisés hommes et femmes, enfants et vieillards ont durant longtemps, attendu en vain, les efflorescences éblouissantes. Aux algériens n’échurent que les obscurantismes opaques.
N’est-ce pas Jules Ferry, qui disait des petits indigènes d’Algérie, et cela était également valable pour les pays d’outre-mer, les asiatiques et les noirs : « Gardons-les (à l’école) jusqu’à l’âge de 14 ans, c’est assez, bien assez puisque nous ne voulons pas leur rendre familiers nos beaux programmes d’enseignement primaire, que nous ne voulons leur apprendre ni beaucoup d’histoire, ni beaucoup de géographie, mais seulement le français, le français avant tout, le français et rien d’autre ». (Jules Ferry cité par M.C. Duchet. Les Temps Modernes, N° 123, mars/avril 1956).
Qu’est-ce qu’un musée ?
Une ex-ministre de la Culture et de la Communication, dont les français ont égaré le souvenir, dit ceci à propos des collections humaines détenues au Muséum de Paris : « Les collections publiques expriment notre histoire et les relations que nous avons entretenues depuis des siècles avec d'autres peuples (...) La force actuelle des mouvements de patrimonialisation identitaire ne saurait, pour compréhensible et légitime qu'elle soit, évidemment, mettre en péril la vocation universaliste de nos musées ».
Le terme Muséum, qui s’écrit sans accent en latin, est dérivé du grec Mouseîon. Le Conseil international des musées (ICOM) a élaboré une définition adoptée par la communauté internationale :
« Un musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »
En vertu de quoi et de quelle manière des têtes de martyrs algériens, peuvent-elles être au service de la société et de son développement ?
Peut-on se délecter de manière publique ou privée, de têtes décapitées exposées à des fins d'études ou d'éducation dans les travées des musées ?
Le peintre Horace Vernet
Un autre exemple Monsieur l’ambassadeur : est celui du peintre Horace Vernet. Des fresques taboues de ce célèbre peintre sont furtivement conservées dans les réserves du Musée de Versailles. Ces œuvres d’Horace Vernet n’ont jamais été exposées dans les salles publiques. Pour ne pas scandaliser la sensibilité raffinée des gens cultivés. En particulier une étonnante toile, gigantesque, toute en longueur, qui représente des tombes algériennes béantes, les marbres et l’albâtre fracassés, profanées par les soldats du corps expéditionnaire français, brandissant excités des restes de cadavres algériens au bout de leurs baïonnettes. Il m’a été permis d’avoir accès à cette fresque et de l’étudier dans le cadre de mes travaux, grâce à la sollicitude d’un responsable du musée de Versailles.
Depuis des décennies, aucun conservateur du musée de Versailles n’a eu la vaillance de montrer au public ces œuvres d’art du grand Horace Vernet. Ces fresques sont depuis toujours en (état permanent de) restauration... On ne montre pas au public cette représentation forcenée de monceaux de ruines et ces cadavres mutilés par des soldats français. La présence française civilisatrice en Algérie s’y oppose.
C’est Attila dans les champs Catalauniques, version siècle des lumières.
Dans ces œuvres qui apportent leur écot à l’histoire, la barbarie coloniale notoire, est vérifiable et palpable, elle brise le cœur.
Il faudrait organiser une exposition de ces œuvres d’Horace Vernet à Alger, à des fins d'études, d'éducation et de délectation publiques, pour flatter la sensibilité artistique des algériens ?
« Si tu n’as pas honte, fais ce qui te plait », dit un enseignement du prophète de l’islam.
Revenons aux têtes décapitées, ce « problème sensible » (comme l’appelle les spécialistes) qui s’énonce de plus en plus comme une saillie fâcheuse dans les discours officiels à venir. Cette affaire côtoie le refoulement, tel qu’il est exposé par S. Freud dans ces leçons sur la psychanalyse.
« Je crois qu’il est utile que certaines choses soient dites, et qu’il est désormais de mon devoir de les raconter. Avant de tourner la page, il faut bien que la page soit lue et donc, écrite ». Ces propos sont ceux du Général sanguinolent, mais néanmoins surprenant de franchise, Aussaresses, qui n’est plus à présenter.
Monsieur l’ambassadeur
Ces restes mortuaires de résistants algériens décapités dans le cadre d’une guerre atroce que leur livraient les soldats français, ne sont pas ceux d’un groupe d’hommes ayant vécu sur terre il y a plusieurs milliers d’années. Il n’y a pas de problème à exposer dans les musées ou ailleurs, même à de petits enfants dans les écoles maternelles, les sépultures de l’homme de florès, de l’homme de Neandertal ou de Mechta Al-Arbi. Les momies égyptiennes beaucoup moins tolérées par le public du fait de la présence de chair dans les restes de corps entourés de bandelettes.
Une tête figure parmi ces restes mortuaires algériens détenus au MNHN de Paris, sur laquelle subsiste toujours de la peau, desséchée. Il s’agit du vrai visage momifié du résistant Al-Hamadi. Ce visage est bouleversant. Il ressemble à une tête maorie sans les tatouages.
La déclaration des Nations Unies
Une collection constituée d’éléments du corps humain, n’a rien d’artistique, elle ne saurait être assimilée à un quelconque patrimoine. Le droit pénal français réprime l'homicide, les coups et blessures, les tortures, les actes de barbarie, cela n’a pas empêché l’armée coloniale de sévir impunément à travers les époques, contre des populations algériennes désarmées.
La France à travers ses musées a adhéré la résolution qui a été adoptée par l'assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007. Celle-ci enjoint aux États (européens), dans ses articles 11 et 12, à accorder réparation aux peuples autochtones. L’article 12 précise que "Les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés."
Des vœux pieux, qui n’ont jamais été suivis d’effets.
Le code de déontologie de l'ICOM (Conseil international des musées), aboutissement de six années de révisions, a été formellement approuvé lors la 21ème assemblée générale à Séoul en octobre 2004. Il a largement abordé cette question de ce qui est encore pudiquement appelé « le matériel culturel et sensible ». Un certain nombre de principes ont été fixés pour favoriser les retours des restes humains éparpillés dans les musées à travers le monde.
De nombreux pays ont déjà répondu favorablement à ces demandes.
La France ne bouge pas. Sauf en ce qui concerne les restes maoris, depuis quelques semaines.
Elle refuse de reconnaître le caractère colonial de ses collections.
Vous semblez dénier à la déclaration des droits de l’homme dont s’enorgueillit la France depuis 1789, de parler au nom de l’être humain. Cette proclamation, qui s’adresse à l’homme dans sa souveraineté primitive, devrait concerner en filigrane les morts, au même titre que les tombes lorsqu’elles sont profanées en France par des groupuscules irresponsables.
Les Chouans
Ces chefs insurgés algériens dont les têtes gisent au MNHN de Paris, ont lutté jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour que vive leur pays. Toutes proportions gardées, c’est comme si des dizaines de têtes tranchées de combattants Chouans, qui se sont dressés contre l’oppression dans l’ouest de la France en 1793, parmi eux les officiers Boisguy, Bonteville, Pontbriand, Boishamon, Angenard, Rossignol, gisaient dans des boîtes dans quelque musée en Algérie.
Vous dîtes : Les conservateurs de musées et de patrimoine (...) "régulièrement mettent en garde les pouvoirs publics sur le risque qu’il y a à restituer que ce soit des ossements à l’Algérie, des manuscrits coréens ou mexicains". « Si les crânes et autres restes mortuaires d’étrangers conservés dans des musées de France devaient être restitués cela ouvrirait la voie à la "réclamation de la Joconde ou l’obélisque de la Place de la Concorde (Paris)", par exemple.
Homère écrit dans l'Iliade, que dans la maison de Zeus, il y avait deux jarres, l'une enfermant les biens, l'autre les maux. Le régime juridique français, concernant ce domaine est embarrassé. Il s’appuie sur l'inaliénabilité des collections. Là où il faudrait parler de règles éthiques et morales, des principes impliquant la bonté et la charité chrétiennes. Cela les pays anglo-saxons l’ont bien compris.
Vous mettez dans le même panier en vrac des manuscrits coréens ou mexicains, des têtes décapitées, l’obélisque de Louxor et La Joconde. Le Chérif Boubaghla, le Cheikh Bouziane, Moussa Al-Darkaoui, Al-Hammadi ont été exécutés avant d’être décapités par les soldats français, aidés parfois de leurs alliés indigènes. Le nom de ces résistants algériens à la colonisation figure dans d’innombrables livres d’histoire. Ce sont les trophées indus d’une guerre injuste, honnie par les consciences équitables de notre époque. L’état de belligérance entre l’Algérie et la France est pourtant terminé, il a été déclaré officiellement clos lors de l’indépendance de ce pays, survenue le 5 juillet 1962. Pourtant ces reliques de la colonisation française sont toujours là. Ces « pièces » que certains esprits retors continuent de travestir d’une terminologie scientifique voire même culturelle approximative, proviennent d'actes de barbarie inavouables. Ces restes mortuaires accumulés subrepticement au cours du XIX° siècle par des musées français, constituent désormais, selon certaines lois partisanes, des biens propres, patrimoniaux de l’État français.
Les crânes maoris ont été rendus aux autochtones de l’Australie. Les situations sont différentes, entre les algériens qui ont subi des actes de barbarie et de cruauté durant la colonisation française de leur pays (1830/1962), et les upoko tuhi têtes tatouées maoris, Saartjie Baartman la Vénus hottentote, les têtes réduites Jivaro, les crânes dits « surmodelés » d'Océanie, les restes qui agrémentent divers objets, tels que les flûtes en os de fémur ou les crânes tambours du Tibet.
Dans le cas présent, il s’agit de restes mortuaires, d’intrépides et vaillants guerriers algériens. Il faut que ces restes mortuaires humains soient restitués à l’Algérie et aux algériens.
Têtes de choix et gueux célèbres
La tête de Bouziane (N° 5941 au MNHN de Paris), fut coupée et fixée au bout d’une baïonnette à la fin du siège de Zaâtcha. Elle a été conservée comme celles de Boubaghla (N° 5940 au MNHN de Paris) et du chérif Bou Kedida (N° 5943 au MNHN de Paris), qui fut tué dans un combat livré sous les murs de Tébessa par le lieutenant Japy. Ces restes mortuaires font partie depuis 1880 de la collection Vital du Muséum de Paris.
C’est V. Reboud qui les a envoyées à ce musée. Il le dit dans une lettre. Chacune des têtes était accompagnée d’une étiquette, longue bande de parchemin, portant le nom du chérif décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine. Reboud dit avoir réuni « une série de têtes de choix et d’une bonne conservation », provenant en grande partie du Coudiat-Aty, autrement dit le musée de Constantine à ses débuts.En 1855, la municipalité de Constantine qui venait d’acquérir la collection punique de Costa Lazare, porta son choix sur le plateau de Koudiat Aty, pour la réalisation du musée, sur l’emplacement d’une nécropole punique.
Auparavant ce musée avait l’air d’un cagibi. Les têtes réunies par Reboud, qui étaient mêlées aux bracelets, lampes lacrymatoires et à d’autres autres objets hétéroclites entreposés dans ce réduit, furent remises au naturaliste A. de Quatrefages. Reboud avant de clouer la caisse pour l’envoi au Muséum de Paris, demanda à René Vital, le frère du collectionneur Dr Edmond Vital :
__ Pourriez-vous enrichir mon envoi au Muséum, de quelques crânes intéressants ...
Le Dr Vital venait de décéder et sa famille ne savait plus quoi faire des restes mortuaires des résistants algériens qui étaient entreposés dans de la poudre de charbon, dans les combles du domicile de Vital.
Le frère du Dr Vital répondit :
_ Prenez tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux célèbres (sic) et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas, parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une odeur sui generis.
Grâce à René Vital, le Muséum de Paris s’enrichit ce jour-là d’une vingtaine de nouvelles têtes, d’algériens célèbres.
Les revendications de rapatriement des ossements de ces résistants algériens, sont tout à fait légitimes.
Il ne s’agit pas d’une question d’art, de patrimoine ou de lois, il s’agit de la conscience de la France. De nœuds à défaire avec lucidité, cœur et probité par les responsables français, dans les contreforts de leur conscience.
Faut-il vous rappeler que le long voyage des algériens dans la nuit coloniale a pris fin depuis bientôt cinquante ans, Monsieur l’ambassadeur.
Je vous prie de croire Excellence, à l’expression de ma considération parfaite.
Ali Farid BELKADI
Historien
14 Février 2012
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