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Les moins de 25 ans sont partout en Algérie... sauf dans les lieux de pouvoirs.
Cinq jours pour (re)découvrir, cinquante ans après l'indépendance, ce pays mystérieux.
Être jeune en Algérie, c'est être majoritaire. Pour autant, ce n'est pas un gage d'insertion dans la société. Pour nous présenter l'initiative d'aide aux migrants subsahariens Rencontre et développement, nous avions contacté son fondateur le P. Jan Heuft. Empêché, il a délégué deux jeunes cadres de sa structure.
Hamid Fadehl, secrétaire général, et Sihem Lagha, en charge du suivi médical, n'ont pas trente ans. Avec leur fraîcheur, ils ont présenté le visage de citoyens qui ne peuvent se résoudre à laisser errer ces centaines de candidats au rêve du nord. Depuis une loi de 2008, le migrant n'a pas sa place en Algérie. « Dans un pays qui compte beaucoup de chômeurs, les migrants font naître de la jalousie », reconnaît Hamid.
S'ils sont arrêtés, ils passent en jugement – 5 minutes sans interprète – et sont condamnés à deux mois de prison, avant l’expulsion. Le sort des femmes migrantes est encore pire. « Souvent elles partent seules, et parfois sont violées sur la route », raconte Sihem, qui les accompagne dans les hôpitaux et rappelle les médecins récalcitrants à leur devoir d'humanité.
Suivi médical, scolarisation des enfants : l'équipe se multiplie. Désormais, elle accompagne des retours volontaires au pays. Grâce au soutien financier d'ONG chrétiennes (Secours catholique CCFD-Terre Solidaire, Cimade...), elle a pu aider à rentrer 273 personnes l'an dernier.
Le travail de « Rencontre et développement demeure clandestin. « Nous travaillons dans le risque, car l'aide apportée à un migrant peut coûter la prison », expliquent Hamid et Sihem, qui ont demandé à leur arrivée si des journalistes algériens assisteraient à leur témoignage. « Pour les migrants, nous sommes une pompe à essence au bord de la route » expliquent ces deux jeunes gens souriants. Ils resteront pour les visiteurs venus de France les visages de l'Algérie de demain, quand la génération des fondateurs sera passée.
Autre image de jeunesse, à la fois classique et inattendue. En arrivant en minibus sur les hauteurs d'Alger, devant la Basilique Notre-Dame d'Afrique, les voyageurs ont découvert un tableau impossible en France. La vaste cour qui entoure le célèbre édifice est un terrain de jeu géant pour les jeunes du quartier.
Durant la messe de 18h, ce n'est pas le chant du muezzin qui trouble les temps de silence mais les échos des parties de football ou des poursuites à vélo. À l'intérieur, un père blanc accompagné de religieuses, tout heureux de recevoir des renforts français – dont deux prêtres concélébrants –, a rappelé la devise de cette église : « Notre-Dame d'Afrique priez pour nous et pour les musulmans ».
Même si l’Évangile du dimanche évoquait la Trinité, concept théologique totalement étranger à l'islam (et difficilement accessible au chrétien), c'est bien le Dieu unique, que prient ici tous les jours les nombreux visiteurs musulmans, de l'édifice. L’Église catholique d'Algérie est avant tout là pour ces jeunes qu'elle regarde jouer autour de Notre-Dame d'Afrique.
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Par Philippe Clanché
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La solution ? La question est posée à chaque début d'analyse ou vers la fin d'un café ou le début d'une ride. Chez les élites, les pessimistes, les partants, les sincères et les assis et chez ceux qui ne mangent pas chez Bouteflika et ses milliers de frères. Quelle est la solution ? Un, prendre les armes, cela conduit à mourir ou à tuer. Ce qui n'est pas le but de la vie. Tomber en martyr ? Un peu, seulement trébucher. D'abord, on sait que tout le monde a gagné après la guerre de Libération sauf les martyrs. Ensuite, quand on veut changer son pays, on ne commence pas par changer de monde. Il s'agit de la terre, pas du ciel. D'ici, pas de l'au-delà. On ne change pas de pays en changeant de tombe, dit un vieux proverbe animal du manuel de survie. S'engager ? Oui mais avec qui ? Tout ce qui est collectif est douteux en Algérie. Ensuite, les grands hommes sont tous morts avant 62. Ensuite les partis, on ne leur fait pas confiance, même celui qui a libéré le pays a fini par le recoloniser pour les siens. Attendre ? Ça prend toute une vie et ne vous la rend jamais. Quand on attend, on ne change pas son pays, ni sa vie, on les subit, on gémit puis on s'en va changer de chaussures au ciel. Attendre, c'est trahir celui qui n'est pas encore né.
En Algérie, c'est l'une des solutions les plus pratiquées, attendre que le Pouvoir meure de vieillesse. Sauf que le Pouvoir vieillit, sûrement, mais le peuple le fait trop rapidement. Quand on attend trop, ceux qui naissent après vous vous détestent, vous méprisent, vous enjambent un jour, puis vous marchent dessus puis vous jette comme un arbre mort dans une forêt qui avance.
Donc la solution ? Partir peut-être. Mais c'est aussi se déchirer. A quoi cela sert de briller dans les terres froides si personne n'est là pour vous regarder ? Quand on quitte son pays, le reste du monde est une île déserte où vous vivez seul, loin des vôtres, de ceux pour qui vous comptez, ceux qui aimeront votre réussite et partageront vos repas. L'exil est une robinsonnade. Quand on revient les bras chargés, on ne retrouve personne car l'île déserte aura avancé comme un désert dans votre dos; elle aura emporté ceux que vous aimez et fait vieillir ceux qui étaient à peine nés après vous. C'est un choix à faire : l'île du monde ou le pays des siens. Donc, que reste-il à offrir comme issue aux Algériens coincés entre un millénaire d'invasions et un demi-siècle de fausse libération ? La fortune ? Se faire riche au point où le pays ne vous coince pas, peut rester au-delà des fenêtres, et ne vous inquiète plus par ses misères. Possible mais pas certain. «Moi je suis millionnaire et je n'ai pas à travailler le reste de mes trois vies s'il le faut. Mais ma villa est entourée de barbelés et je voudrais vivre dans un pays où le matin je peux sortir sans sentir l'angoisse et l'inquiétude, ni élever des murs qui me cachent le monde et le pays», a dit un homme riche au directeur du chroniqueur. Vrai : on peut acheter le plus grand lot de terrain mais il ne sert à rien si le pays est petit et étroit.
Dernière option : basculer du côté du Pouvoir et lui lécher les chaussures. Malsain : cela laisse toujours un faciès de semelle et un goût de cendres. Si vous êtes vraiment Algérien, si vous avez des parents sains qui vous aiment et un cœur qui pèse ce que tiennent vos mains, vous n'aimerez pas le goût de la nourriture volée au pays et aux siens. Il y a une règle dans ces parages : il faut marcher sur le corps de sa mère et son propre corps pour atteindre le fruit. Paradoxalement, le repas gratuit du régime est ce qui coûte le plus cher d'une vie si on regarde bien la facture.
Donc ? Pas encore. Un peu de toutes ces solutions. Selon le dosage personnel et la musculature de chacun. Une piste : découvrir pourquoi on se déteste. Commencer après par s'aimer et donc s'aider. Depuis des semaines, des greffiers sont en grève de la faim en Algérie.
Qui en a parlé ? Certains, pas tout le peuple qui va faire son ramadhan dans deux mois. La solution, c'est peut-être la révolution 54 mais un par un. A chacun de commencer par lui-même et par le détail le plus infâme de sa propre vie. La somme chassera l'absurde et le colon local. En fait, il y a des milliers de solutions, petites, négligées, absurdes mais efficaces. Il suffit de commencer. Il n'y a pas une seule solution justement. C'est seulement le total des solutions de chacun. Peut-être, dit le manuel.
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par Kamel Daoud
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