Durant les deux derniers siècles avant notre ère, les Numides créèrent, en Afrique du Nord, un État puissant à la civilisation originale. C’est là un fait exceptionnel dans l’histoire de l’Afrique antique.
Alors que Carthage rayonnait de toute sa puissance, les royaumes numides de Gaïa, Massinissa et Syphax, avaient atteint un degré de développement exceptionnel sur les plans économique, social et culturel. Bien que peu, ou encore mal connu, cette période reste l’une des plus passionnantes de l’Histoire des Maziɣes. Faute de repère plus précis, il faut remonter à l’histoire de Carthage pour accéder à la chronologie des royaumes numides. Selon les récits de Virgile dans l’Enéide, Elissa Didon, sœur de Pygmalion, roi de Tyr, fuyant l’oppression de son frère, débarqua avec ses trésors et une poignée de fidèles Tyriens et Chypriotes sur la côte africaine de Tunis, vers 860-870 avant Jésus-Christ. Entre le lac et les marais saumâtres, dans la péninsule formée par l’ancienne embouchure et les alluvions du fleuve Madjerda, elle fonda Carthage “Qart Hadast” (ville nouvelle).
À sa fondation, elle n’est qu’une modeste escale. Avant de devenir une puissante métropole méditerranéenne. Pendant trois siècles et demi, elle dut payer un tribut annuel aux maziɣes. À la suite de la ruine de Tyr, elle imposa sa protection aux cités phéniciennes. Vers le VIe s., elle commença à conquérir les territoires en Tamazɣa.
Au IIIe siècle avant J.-C., pendant qu’une fédération maure se constituait dans le nord du Maroc actuel, deux royaumes numides apparurent, celui des Massaessyles à l’ouest, entre la Mulucha (Moulouya) et Cirta (Constantine), celui des Massyles, aux confins des territoires carthaginois. Syphax, roi des Massaessyles, apparut comme un puissant personnage ; il domina toute l’Algérie actuelle et choisit pour capitale Cirta, que son site naturel rendait presque inexpugnable. En 203, cependant, cette puissance s’effondrait. Le royaume massyle était beaucoup plus petit que celui de son rival. Syphax en entreprit la conquête et réduisit à une vie de proscrit Massinissa, fils du roi défunt Gaïa.
Le cœur du pays numide était l’actuel constantinois, les hautes plaines qui s’étendent entre l’Aurès au sud, le Hodna et la Kabylie au nord. Cependant, on considérait comme Numides les tribus maziɣes de l’actuelle Tunisie. Les Numides peuplaient donc la partie orientale de l’Afrique du Nord et se distinguaient des Maures de la partie occidentale et des Gétules des confins sahariens. Tous n’ignoraient pas l’agriculture, mais, pour l’essentiel, jusqu’au IIIe siècle avant notre ère, ils vivaient en nomades pasteurs : les Grecs les nommaient ὅι Νομ́αδες : ceux qui font paître. C’est l’origine du nom des Numides. Ils étaient divisés en de nombreuses tribus entre lesquelles des liens assez lâches et instables s’instaurèrent.
1. Gaïa
Gaïa (en punique : GYY) fut le dernier roi de la Numidie orientale des Massyles avant sa réunification avec la Numidie occidental par son fils Massinissa. Il est petit-fils d’Ilès, le fils de Zelalsan et frère d’Ulzasen, et eut également une fille, Massiva.
La succession au trône de Gaïa se fit dans la guerre civile, au cours de laquelle l’héritier du trône, l’oncle de Massinissa fut assassiné par l’aventurier Macetulo, qui souleva le peuple et plaça sur le trône le jeune Lacumaces, tout en conservant le pouvoir. Massinissa dut alors rentrer et affronter d’abord Lacumaces, puis les troupes de Macetulo renforcées par Syphax. Il vainquit Macetulo et récupéra le royaume de son père, alors que la lutte avec Syphax ne faisait que commencer. Celui-ci, poussé par Hasdrubal, attaqua et poursuivit Massinissa avec acharnement, l’obligeant à se replier dans les zones montagneuses sans pour autant arrêter les combats. L’imminence de la guerre en Afrique se précisant, les deux monarques furent contraints de prendre position. Hasdrubal obligea Syphax, en le mariant à sa fille Siphonisba, à se ranger à ses côtés. Massinissa, pour sa part, afin de pouvoir récupérer le royaume de son père réduit par Syphax, se retrouva aux côtés de Scipion. Grâce à l’appui des Romains, en 203 av. J.-C., il vainquit et fit prisonnier Syphax dont il épousa la femme : Sophonisba. Scipion, craignant que Sophonisba ne poussât son mari vers le parti carthaginois, exigea qu’elle lui fût livrée. Mais Massinissa avait promis à Sophonisba de ne pas la remettre aux Romains et de lui procurer du poison si cette éventualité se confirmait. Et il en fut ainsi.
2. Massinissa
Il est le premier roi de la Numidie unifiée. Son nom a été retrouvé dans son tombeau à Cirta, l’actuelle Constantine sous la forme consonnique MSNSN (à lire MAS-N-SEN, qui veut dire « Leur Seigneur »). Fils du roi Gaïa (agellid en Tamaziɣeṭ) Il naquit vers 238 av. J.-C. dans la tribu des Massyles (Mis Ilès). Il mourut début janvier 148 av. J.-C. Lors de son couronnement, Massinissa avait 36 ans et régna pendant 54 ans jusqu’à sa mort. Après sa mort, un temple lui fut érigé à Dougga. (Logo).
Massinissa était d’une trempe et d’une habileté exceptionnelle. En pleine guerre entre Rome et Carthage, il s’allia à Scipion. Il bénéficia de la victoire romaine. Son entrée par surprise à Cirta, en 203, mit fin au royaume massaessyle. Il fut bientôt le maître de tous les pays situés entre la Mulucha et le territoire laissé à Carthage au nord-est de l’actuelle Tunisie.
C’est à la fin de la Deuxième Guerre punique, que Massinissa fut rétabli dans le royaume de ses pères. Le titre du roi des Numides le mit en mesure de récupérer des territoires depuis longtemps carthaginois. Sans l’aide romaine, il œuvra durant toute son existence à la récupération des territoires annexés par Carthage depuis son établissement en Afrique. Ainsi il s’appropria des villes ; des Emporia. L’opulente Leptis Magna fut du nombre des possessions carthaginoises récupérées par Massinissa. Soixante-dix localités de la Zeugitanie faisant partie du territoire de Hippo-Regius et s’étendant jusqu’à la Tasca furent récupérées, ainsi que la région qui s’étend sur la rive droite du Madjerda.
Au plan militaire, son pouvoir, aussi, fut considérable : il entretint une puissante armée et une flotte importante. Sur le plan économique, la Numidie occupa, pendant son règne, une place prépondérante dans l’économie mondiale de l’époque. Sa gestion fit de son pays un État très prospère qui commerçait avec la Grèce et Rome. Cirta en fut la capitale. Dans son œuvre d’unification, il empiéta sur le domaine de Carthage, qui lui déclara la guerre. Massinissa en sortit vainqueur.
Il entreprit la construction d’un état unifié et monarchique. D’abord il s’attacha à sédentariser les populations et transforma les pasteurs nomades en agriculteurs. Il favorisa l’urbanisation de la Numidie, poussant les cultivateurs à former de gros bourgs, auxquels il donna une organisation semblable à celle des villes puniques.
« Il mit en valeur de très vastes espaces », dit l’historien Polybe. Son but était d’accroître les ressources du pays et ainsi de pouvoir prélever des impôts qui fourniraient les ressources financières indispensables à l’État qu’il voulait créer. D’autre part, les nomades étaient de perpétuels rebelles ; des sédentaires seraient beaucoup plus disposés à accepter un pouvoir politique central. Les nouveaux cultivateurs furent groupés dans des bourgs fortifiés ; ainsi se développa une véritable urbanisation. Les villes reçurent des constitutions inspirées de celles des cités puniques de la côte : elles furent administrées par des suffètes. Cirta devint une capitale où s’élevèrent des monuments.
Massinissa qui regardait avec intérêt l’Orient grec avait accepté la forme de civilisation que six siècles, placés sous l’influence de Carthage, elle-même hellénisée au cours des deux derniers siècles, avaient apportée aux élites numides. Il voulait éduquer son peuple selon les méthodes hellénistiques. Le projet politique le plus cher à Massinissa fut l’unification de tous les royaumes numides, devenant ainsi l’aguellid incontesté de son immense royaume. La récupération des terres ayant appartenu à ses ancêtres lui permit d’introduire de nouvelles méthodes dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’hydraulique et la culture en terrasses.
Il fut probablement, le premier à introduire auprès des paysans le culte hellénistique de Déméter et de Coré. Pour mieux assurer sa puissance ; il voulut diviniser la monarchie et établir le culte de la divinité royale.
Massinissa, dit Tite-Live, proclamait que l’Afrique devait appartenir aux Africains, et non aux étrangers, qu’ils fussent Romains ou Phéniciens. La civilisation qui se développa dans son État s’inspirait de Carthage, de la civilisation grecque et romaine. Les inscriptions montrent un emploi simultané de la langue punique et de la langue libyque. Sur le plan religieux, l’influence carthaginoise fut profonde.
Massinissa demeura fidèle à l’alliance romaine, ce qui lui permit d’accroître ses possessions vers l’est. En 162, il occupa la région des emporian des Syrtes (la Tripolitaine). En 153, il annexa une importante partie du territoire carthaginois. Carthage dut alors se défendre et son réarmement fut le prétexte que saisit Rome pour déclencher la troisième guerre punique (149-146) qui s’acheva par la destruction totale de la capitale punique. Peut-être les Romains avaient-ils voulu surtout prévenir une annexion du territoire carthaginois par les Numides, ce qui aurait reconstitué un empire africain puissant et dangereux.
La puissance grandissante de Massinissa en Afrique inquiéta Rome, au point qu’en déclarant la guerre à Carthage en 149 av. J.-C. (troisième guerre punique), elle visait aussi Massinissa. En détruisant Carthage en 146 av. J.-C. et en créant la première colonie romaine en Afrique, Rome mettait une limite à l’extension territoriale de la Numidie et au renforcement de son pouvoir économique et politique.
3. Jugurtha
Massinissa est mort en 148, à près de quatre-vingt-dix ans. Scipion Émilien, qui s’apprêtait à détruire Carthage, présida au partage de la Numidie entre les trois fils du roi, mais la mort rapide de ses frères laissa tout le pouvoir à Micipsa. Durant les trente ans de son règne, il continua la politique de son père et veilla à garder de bonnes relations avec Rome. À sa mort, en 118, il légua son royaume à ses deux fils et à son neveu Jugurtha. Rome fit procéder au partage de la Numidie. Jugurtha ne s’y résigna pas. À deux reprises, en 116 et en 113-112, il attaqua les États de ses cousins qu’il tua successivement, bravant impudemment les ordres de Rome. Les marchands italiens de Cirta furent massacrés et une longue guerre commença.
Jugurtha gagna du temps, utilisant la corruption de la noblesse romaine qu’il connaissait bien. En 109 et 108, les Romains reprirent l’offensive grâce à Metellus. Les succès décisifs furent remportés par Marius en 107 et 106. Enfin, en 105, grâce à la trahison du roi Bocchus de Maurétanie, jusque-là allié de Jugurtha, le Numide fut capturé par le questeur Sylla, le futur dictateur. Jugurtha fut cruellement mis à mort à Rome.
4. Juba et la fin du royaume numide
Le royaume numide fut divisé en deux parties, confiées à des rois qui furent les dociles vassaux de Rome. L’un d’eux, Juba, qui régnait au milieu du Ier siècle sur la moitié orientale du pays, était l’ennemi personnel de César. Il prit le parti des Pompéiens réfugiés en Afrique et joignit ses forces aux leurs. La déroute des républicains d’Afrique après la bataille de Thapsus (46 avant J.-C.) lui fut fatale. Il se suicida pour ne pas tomber aux mains de César, qui annexa son royaume à l’empire de Rome.
Dans la partie centrale et occidentale de l’Afrique du Nord, le royaume vassal de Maurétanie devait survivre jusqu’au temps de Caligula.
C’en était fait de l’indépendance numide. Une longue œuvre de romanisation et de mise en valeur commença. Sous Tibère, Takfarinas souleva la grande tribu numide des Musulames et, par la guérilla, tint tête à l’armée romaine de 17 à 23 après J.-C. Par la suite, la domination romaine ne rencontra pas de graves obstacles en Numidie (alors qu’elle demeura précaire en Maurétanie).
La romanisation fut profonde, comme en témoignent les nombreuses ruines de villes romaines trouvées dans le pays. La fidélité au culte punique de Baal-Saturne témoigne cependant du maintien, en Numidie, des traditions religieuses préromaines.
Firmus T
Encyclopédie universalis
Encyclopédie maziɣe (berbère) Gabriel Camps
Charles-André Julien
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