La Casbah est, les 14 et 15 janvier, investie par des centaines de parachutistes qui arrêtent 1 500 Algériens. Le refuge de Yacef Saadi est systématiquement fouillé, mais les paras se retirent sans avoir rien trouvé. Leur technique n'est pas encore tout à fait au point, et ils n'ont pas sondé les murs. S'ils l'avaient fait, ils auraient trouvé, dans la cache où ils s'étaient précipités dès que les guetteurs avaient signalé l'arrivée des bérets rouges et des bérets verts, quatre chefs F.L.N. de première importance : Yacef Saadi, flanqué de son neveu et agent de liaison, un enfant de douze ans, ses deux adjoints Debih Chérif et Ali la Pointe, et enfin Ben M'Hidi lui-même. L'alerte a été chaude, mais j'ai eu la baraka, dit simplement ce dernier à Abane, qui a failli être arrêté, lui aussi, en ville européenne et qui a décidé de prendre du champ et de faire une tournée d'une semaine en Kabylie. Il annonce à Yacef.Saadi qu'il n'habitera plus dans la Casbah, car il veut savoir ce qui se passe réellement dans l'autre Alger, celui des Européens. Il couchera, le soir dans un des appartements que la direction du F.L.N. a fait louer par des prête-noms.
Les chefs d'îlot du dispositif de protection urbaine que le colonel Trinquier a commencé à mettre en place, apportent un concours précieux en communiquant les renseignements intéressants qu'ils peuvent obtenir dans les immeubles dont ils ont la charge. Ce sont eux qui signalent la présence, dans l'appartement de la rue Claude-Debussy, d'un nouveau locataire arabe, dont il serait peut-être bon d'examiner les activités Le suspect n'est autre que Ben M'Hidi.
Lorsque des policiers, accompagnés de parachutistes du 3e R.P.C., viennent interpeller, le 23 février, l'hôte du studio de la rue Debussy, ils ont très vite la certitude qu'il s'agit bien de Ben M'Hidi qui, cette fois, n'a pas eu la baraka.
Le responsable de I' action armée au sein du C.C.E. ne les détrompe d'ailleurs pas. Amené dans les locaux où opèrent les enquêteurs du R.P.C., puis dans ceux de la D.S.T., Ben M'Hidi y retrouve Brahim Chergui, responsable politique de la zone autonome d'Alger, appréhendé en même temps que lui. Les deux leaders sont interrogés longuement et brutalement, mais ils ne lâchent rien.
La fermeté du leader F.L.N. impressionne non seulement ses amis, mais ses ennemis, à commencer par Bigeard.
Le colonel vient voir plusieurs fois le prisonnier dans sa cellule et discute longuement avec lui. Ben M'Hidi ne veut toujours rien dire des activités qu'il a eues ni du rôle qu'il a joué dans la révolution algérienne, mais il parle librement de sujets généraux.
« Il y a eu entre nous, dira plus tard Bigeard, des dialogues dignes de la tragédie grecque. » Dialogue de tragédie, mais aussi dénouement de tragédie. Dans la journée du 4 mars, le policier algérien qui avait déjà renseigné le C.C.E. communique à un responsable de la nouvelle direction de la zone autonome d'Alger l'information suivante : « Bigeard n'a pas pu empêcher que Ben M'Hidi ne soit remis aux hommes d'une « section spéciale » des parachutistes. Ceux-ci l'ont interrogé pour leur propre compte, et ils l'ont tué la nuit dernière.
Le cadavre du leader F.L.N. est transporté à l'hôpital militaire Maillot, où le médecin-lieutenant Pierre Bloch et le médecin-aspirant Jean Hudelo déclarent à un envoyé du ministre résidant : Nous avons vu, à son arrivée, le corps de Ben M'Hidi et constaté que son décès était survenu avant son arrivée à l'hôpital. Notre attention n'a pas été attirée par des marques apparentes de blessures.
Deux jours plus tard, le 6 mars, le porte-parole de Robert Lacoste déclare, dans une conférence de presse, que Ben M'Hidi s'est suicidé dans sa cellule en se pendant à l'aide de lambeaux de sa chemise.
Il faudra attendre 2001 pour que soit confirmé le destin de Ben M'hidi, par les déclarations du général Aussaresses : le chef FLN a été pendu par l'équipe qu'il dirigeait, sinon par lui, dans une ferme de la Mitidja. De sa propre initiative ou sur ordre verbal, mais de qui ?
Dans son livre Pour la France, Aussaresses déclare qu'un juge délégué par Robert Lacoste auprès de Massu lui transmit l'ordre d'exécuter Ben M'hidi pour éviter un procès. Je devais empoisonner Ben M'hidi au cyanure et faire passer cette exécution pour un suicide. Ainsi, disparaît Ben M'hidi, comme disparaîtra Maurice Audin, assistant à la faculté des sciences d'Alger, membre du Parti communiste algérien, arrêté le 11 juin 1957 par des officiers du 1er REP et qui se serait évadé au cours d'un transfert ; il y a bien un transfert au cours ou au bout duquel le jeune universitaire a été éliminé.
Ces disparitions, elles ne sont pas les seules, marquent le plus souvent l'étape ultime de tortures afin que la victime ne puisse témoigner de ce qu'elle a subi ou parce qu'elle a été trop abîmée pour être transférée dans un centre d'assignés à résidence ou présentée au parquet, ou encore parce qu'elle est morte. Les corps disparaissent alors soit dans une fosse à la campagne, soit dans le béton des fondations d'un immeuble en construction, soit en mer où ils sont jetés, lestés, depuis un hélicoptère.
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