Hugh Roberts. Directeur du bureau Afrique du Nord de l’International Crisis Group
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L’armée est source du pouvoir politique en Algérie. C’est le militaire qui donne mandat aux civils et non pas les citoyens. Tous les gouvernements successifs tiennent leurs mandats des militaires.
Un ministre doit sa nomination à un militaire et par voie de conséquence, il n’est pas comptable devant le peuple. Il n’a de compte à rendre qu’à celui à qui il doit sa nomination.» C’est l’analyse avancée par le politologue britannique, Hugh Roberts, du International Crisis Group, lors de son intervention, avant-hier, aux Débats d’El Watan.
Le pouvoir hégémonique de l’armée «empêche l’exercice politique», estime Hugh Roberts. Une situation qui résume l’antagonisme entre le pouvoir formel et fragile du civil face à celui informel prééminent du militaire. La problématique du rapport entre le politique et le militaire, qui trouve ses origines durant la guerre de Libération nationale, est incontestablement le trait marquant de la vie nationale. «Elle se pose de manière constante depuis l’indépendance de l’Algérie», estime M. Roberts. Si le congrès de la Soummam a tranché la question en affirmant la primauté du politique sur le militaire, le militaire l’emporte toujours sur le politique. Le théoricien du principe de primauté du politique sur le militaire, Abane Ramdane, en a fait les frais. «Son destin tragique est dû au manque de soutien, à son point de vue», soutient le politologue britannique. Cet état de fait est la conséquence de «la faiblesse des élites politiques par rapport aux militaires.
Il faut remonter à la fameuse réunion des colonels, lors de la crise du GPRA en 1958, où la faiblesse des forces politiques du GPRA a vu ces derniers obligés de faire appel aux militaires pour arbitrer une crise interne», analyse le directeur du bureau Afrique du Nord de l’International Crisis Group. Depuis, le destin de l’Algérie se trouve tributaire de ce conflit aux conséquences souvent dramatiques. «Tous les présidents (Ben Bella, Boumediène, Chadli) ont essayé de solutionner ce problème, mais toutes les tentatives se sont soldées par des échecs», souligne Hugh Roberts. Pour que les élites civiles puissent exercer leurs fonctions, devenues plus exigeantes, «il faut qu’elles ne souffrent plus de l’infériorité par rapport aux militaires», préconise le politologue britannique. «Les civils ont tendance, et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie, à être cantonnés dans des rôles secondaires alors que les militaires jouent un rôle central», précise-t-il. D’où l’urgence d’en finir définitivement avec cet élément de mépris du militaire vis-à-vis du civil qui remonte jusqu’à la guerre de Libération.
Hugh Roberts estime que le rapport entre les deux groupes (politique–militaire), dans l’absolu, n’est pas fatalement conflictuel. «Il est urgent de renégocier la nature de ce rapport en le posant en fonction de la faiblesse des forces politiques, plutôt que de dénoncer le pouvoir exagéré des militaires», propose-t-il. Cette démarche permettrait, selon lui, de soulever le problème des institutions et du rôle qu’elles doivent censer jouer, et la question de la représentation politique que ses institutions devraient incarner. Le directeur du bureau Afrique du Nord de l’International Crisis Group, Hugh Roberts, préconise de «doter les institutions de réels pouvoirs». Un vrai Parlement doit être l’acteur central da la vie politique. «Un vrai Parlement est capable de prendre les grandes décisions, aux lieu et place d’une existence symbolique de l’actuel Parlement qui a un rôle de légitimation des décisions prises ailleurs», recommande le conférencier. Il juge venu «le moment où les citoyens doivent donner le mandat au gouvernement. Pour ce faire, M. Roberts invite à une démarche créatrice qui consiste à renforcer les institutions pouvant permettre aux élites politiques d’être capables de prendre les grandes décisions. Le législateur doit tenir son pouvoir de la population et en finir avec le déséquilibre qui caractérise les pouvoirs, où l’Exécutif est surdéveloppé par rapport au législatif et le judiciaire fait office de pouvoir subordonné», exhorte Hugh Roberts. «Cela ne pourrait que renforcer l’Etat et améliorerait son rapport à la société», assure-t-il.
Le choix de la légitimité démocratique
L’armée qui occupe une position hégémonique dans la vie politique nationale renvoie, par ailleurs, à la question de légitimité où la participation à la guerre de Libération a, depuis tout le temps, constitué l’argument central dans la justification de l’accaparement du pouvoir politique. «Les discours politiques restent préoccupés par cette question qui divise, alors qu’il est plus important de poser la question centrale qui consiste à dire comment gouverner les Algériens», reproche Hugh Roberts. «La proclamation de Bouteflika sur la fin de la légitimité révolutionnaire qui vient de la participation à la guerre de Libération était importante, mais quelle est la solution de rechange ?» s’interroge l’orateur. L’alternative réside dans la légitimité démocratique. «Il est impératif pour l’Algérie, en tant qu’Etat, de faire le choix de la légitimité démocratique aux lieu et place de courir le risque de chercher une légitimité internationale qui figure, de plus en plus, dans les discours des puissances occidentales», prévient le politologue en évoquant l’exemple égyptien d’avant la révolution où le fils du raïs, Gamal Moubarak, est allé chercher l’approbation chez les autres forces extérieures pour être intronisé président.
Il fait savoir que «les élites politiques se tournent vers des forces extérieures de légitimation et c’est valable aussi pour l’Algérie, d’où la nécessité de renégocier les rapports militaires-politiques». Pour lui, l’armée algérienne fait face à un choix stratégique. Elle doit faciliter l’avènement des forces politiques démocratiques réellement représentatives et laisser faire la volonté populaire à travers des élections sérieuses. «Il convient de ne pas fournir des prétextes aux puissances étrangères d’intervenir. Car dans le système international actuel, les puissances internationales s’arrogent le droit d’ingérence d’où la nécessité de faire le choix d’une légitimité nationale basée sur la démocratie», prône Hugh Roberts. Un Etat démocratique où seuls les citoyens donnent le mandat et le retirent à travers des élections réellement démocratiques, est la condition sine qua non pour rendre l’Etat à la société. Le politologue Hugh Roberts, en fin connaisseur de l’Algérie, conclut son intervention sur une touche d’espoir, en estimant que le monde arabe «vit, en ce moment, la fin d’un cycle historique et le début difficile de quelque chose».
La nature oligarchique du régime algérien :
La nature oligarchique du régime a rendu difficile la contamination de l’Algérie par les révolutions arabes, analyse Hugh Roberts.
Les Tunisiens et les Egyptiens ont pu chasser Ben Ali et Moubarak du pouvoir parce qu’ils incarnent le pouvoir.
«La nature oligarchique du régime explique le fait que l’Algérie n’est pas contaminée par les révolutions arabes.»
Il ajoute aussi que «l’expérience tragique algérienne des années 1990 fait que le pays hésite à se lancer dans cette dynamique» qui s’empare du monde arabe.
M. Roberts propose de favoriser «la réflexion collective et nationale», trouvant «positif» le «débat engagé en ce moment à travers les consultations politiques».
Il ne manque pas de souligner également qu’une bonne partie des élites politiques au pouvoir «ne connaissent que l’auteur du Prince, Nicolas Machiavel, alors qu’il y a d’autres pensées politiques» dans lesquelles il faut puiser les bonnes idées.
Par ailleurs, le politologue britannique insiste sur le caractère non violent des mouvements tunisien et égyptien qui leur a donné une force morale.
La violence est-elle au coeur de tout nationalisme ?
Hugh Roberts qui dit son penchant pour l’Etat-nation, «alors que les Britanniques ont du mal à comprendre les nationalismes des autres pays», pense que l’objectif de la guerre d’Algérie était d’ériger un Etat-nation souverain. «Il ne faut pas négliger le potentiel démocratique du projet national», répond le politologue à la question de savoir «si le rapport entre le politique et le militaire n’est pas déterminé par la violence qui est au cœur de tout nationalisme».
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Hacen Ouali
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