Une initiative très controversée
04 Mars 2010 -
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Un demi-siècle après sa disparition, Albert Camus suscite toujours la polémique. Tragiquement déchiré entre deux appartenances: celle du pays qui l'a vu naître, l'Algérie, et celle de son pays d'origine, la France, l'auteur de l'Etranger était et sera encore aujourd'hui, victime de nom breux malentendus. Ses positions politiques quant à la Révolution algérienne, jugées quelque peu ambigues, auront laissé libre cours aux interprétations et aux élucubrations des uns et des autres... La dernière polémique, datant de quelques semaines, aura pour prétexte une caravane dédiée à cet écrivain méditerranéen. Après avoir fait le tour de la France, cette caravane, lancée fin janvier au Centre culturel algérien à Paris, devrait atterrir en Algérie au cours du mois d'avril. Contestant vivement cette initiative, certains auteurs, journalistes et même éditeurs ont tenu à lancer une pétition pour protester contre ce qu'ils considèrent comme une énième campagne néocolonialiste. Pour ce faire, un texte fut élaboré par des écrivains et des universitaires algériens, parmi lesquels, Mustapha Madi et Mohamed Bouhamidi. L'intitulé du texte, Alerte aux consciences anticolonialistes, en dit long sur le discours qu'il véhicule.
Commémoration d'un écrivain ou campagne néocolonialiste
«Ces intellectuels continuent de critiquer cet immense écrivain et grand humaniste sans l'avoir vraiment lu», affirme, d'emblée, Youssef Zirem, écrivain et ancien journaliste algérien, concernant cette pétition. Certaines affirmations dans le texte peuvent d'ailleurs être facilement contestées en se référant purement et simplement aux écrits journalistiques et politiques de Camus. En effet, dans l'Alerte aux consciences anticolonialistes, les «anticamusiens» affirment: «Dès 1937 et jusqu'en 1939, Camus n'a cessé d'appeler à des mesures de charité pour couper l'herbe sous les pieds des nationalistes avec comme point d'orgue sa couverture du procès de Messali Hadj en 1939. En 1945, il s'est tu.» C'est pourtant Albert Camus qui a sillonné le pays pour parler de la misère et des conditions de vie des ouvriers algériens. C'est encore lui qui rédigera, au lendemain des massacres de mai 1945, Crise en Algérie, un article paru dans Combat. Et c'est toujours lui, l'auteur de La misère de Kabylie, «le journaliste colonial», qui écrira: «Ce peuple n'est pas inférieur, sinon par la condition de vie où il se trouve, et nous avons des leçons à prendre chez lui, dans la mesure même où il peut en prendre chez nous. Trop de Français, en Algérie ou ailleurs, l'imaginent par exemple, comme une masse amorphe que rien n'intéresse.» Certains seraient également tentés de contester le fait que le cinquantenaire de Camus soit «surmédiatisé» en Algérie. Puisque, mis à part quelques articles publiés dans les colonnes de certains journaux francophones, et quelques conférences programmées, une grande médiatisation de la fête camusienne en Algérie reste à vérifier. «Cet écrivain n'est pas du tout médiatisé en Algérie, ou presque...Même en France, il n'y a pas eu une grande médiatisation... Ce n'est pas le cas de Francis Jeanson...», ajoutera Youssef Zirem. Même le département de Khalida Toumi, qui a été sollicitée pour le patronage de ce projet franco-algérien, n'a toujours pas donné de réponse. Mais pour les protagonistes de cette pétition, il s'agit avant tout de s'opposer à une campagne orchestrée par le lobby néocolonial, et qui vise à «réhabiliter le discours de l'Algérie française». Le cinquantenaire de cet écrivain et dramaturge ne serait, de ce fait, qu'un prétexte utilisé par le lobby pour intenter un nouveau procès à l'ALN. «Je n'ai aucun grief personnel ni à l'encontre de l'homme, ni à l'encontre de l'écrivain dont l'oeuvre, il faut le dire, est appréciée différemment par les uns et par les autres. Mais je m'insurge contre ceux qui, dans mon pays, veulent à tout prix lui attribuer une ´´algérianité´´ qu'il n'a jamais réclamée. En signant cette pétition, j'affirme, si besoin est, ma révolte contre tous ceux qui insultent la mémoire de notre peuple», nous affirmera Mokhtar Chaâlal. Dans le même sens, Mohamed Bouhamidi, universitaire et journaliste à La Tribune nous dira: «Cette ´´célébration´´ de Camus ne s'est, à aucun moment, souciée d'esthétique. Par contre, dans tous les médias, elle est le prétexte pour discuter notre identité nationale, d'instruire un procès en règle contre l'ALN, de ressusciter la qualification de terrorisme pour notre guerre de Libération nationale, de nous convaincre de la ´´perte irréparable´´ de la présence française...». Selon eux, cette fête camusienne n'a d'autre objectif que celui d'occulter l'événement phare de l'année 2010, l'année des indépendances africaines.
«L'année 2010 devait être pour nous l'occasion de célébrer le 50e anniversaire des indépendances des ex-colonies françaises en Afrique, ce lobby l'a transformé en célébration d'un militant convaincu de la colonisation!», lanceront-ils. Et d'ajouter: «Cette alerte est un témoignage pour que nul ne dise qu'il ne savait pas ce qui se trame derrière l'immense entreprise de falsification de l'Histoire, de mensonges, de mystifications...».
Camus entre sa mère, la justice... et les intellectuels
«Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» Cette phrase prononcée lors d'une conférence animée à l'occasion de l'obtention du prix Nobel de la littérature en 1957, sera rabâchée, à maintes reprises, par les détracteurs de l'auteur de L'Homme révolté, qui lui reprocheraient jusqu'à la fin de sa vie, son manque d'engagement concernant la guerre de Libération algérienne.
«Décontextualisée», elle sera utilisée dans plusieurs interprétations quant aux positions politiques de son auteur. «Dans son rapport A mon pays l'Algérie, Albert Camus, homme de lettres français était déterminé et sans équivoque, il avait choisi entre le pays qui l'a vu naître (colonie française à l'époque) et la France coloniale. Son choix, exprimé publiquement, il l'avait assumé pleinement et c'est tout à son honneur», nous fera remarquer M.Chaâlal Mais c'est le contexte qui donne à la phrase son sens et sa valeur et cette fameuse déclaration replacée dans son contexte aura justement un sens, quelque peu différent. «Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifie pas que j'ai cessé d'agir. J'ai été et suis toujours partisan d'une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l'égalité. J'ai dit et répété qu'il fallait faire justice au peuple algérien et lui accorder un régime pleinement démocratique, jusqu'à ce que la haine de part et d'autre soit devenue telle qu'il n'appartenait plus à un intellectuel d'intervenir, ses déclarations risquant d'aggraver la terreur. Il m'a semblé que mieux vaut attendre jusqu'au moment propice d'unir au lieu de diviser. Je puis vous assurer cependant, que vous avez des camarades en vie aujourd'hui grâce à des actions que vous ne connaissez pas. C'est avec une certaine répugnance que je donne ainsi mes raisons en public. J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui, un jour, peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice», a tenu à préciser Albert Camus pour répondre à une question d'un étudiant algérien, présent à cette conférence. L'écrivain sera provoqué à plusieurs reprises par l'étudiant avant de prononcer ces mots.
Peut-on affirmer, concernant cette énième polémique autour de Camus, qu'il s'agit d'un différend entre francophones et arabophones? Certainement pas. Puisque de nombreux francophones et arabophones font partie du camp camusien comme de l'autre camp, anticamusien. Nous pouvons affirmer une seule chose: l'écrivain mort dans un accident de voiture le 4 janvier 1960, à 46 ans, était très jeune. Cette controverse autour de ses engagements politiques ne sera certainement pas la dernière.04/03/2010
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