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La lecture du Mythe de Sisyphe, essai philosophique d'Albert Camus, m'amène à
rapprocher cette lecture du chef-d'œuvre d'Ivan Gontcharov, Oblomov.
Sisyphe, c'est ce personnage de la mythologie condamné à pousser encore et encore un rocher au sommet d'une montagne pour le voir aussitôt rouler vers le bas. Et de devoir recommencer son ascension douloureuse sans espoir de voir son supplice prendre fin.
Sisyphe, c'est ce personnage de la mythologie condamné à pousser encore et encore un rocher au sommet d'une montagne pour le voir aussitôt rouler vers le bas. Et de devoir recommencer son ascension douloureuse sans espoir de voir son supplice prendre fin.
Oblomov, le personnage de Gontcharov, refuse de sortir de son lit et de vivre comme ses semblables, c'est-à-dire comme Sisyphe, recommençant chaque jour des actes qui ne mènent qu'à la mort :
Me presser pour aller où ? disait Oblomov avec détresse. Qu'est-ce que je rate si je n'y vais pas ?
Son refus d'échapper à cette vérité de l'absurdité de la vie le laisse cloué dans sa chambre, incapable de se résoudre à agir, que ce soit pour travailler ou pour aimer, incapable de se distraire, en somme.
Camus évoque quant à lui "l'homme absurde". Comme Oblomov, l'homme absurde a pris conscience que la vie n'a aucun sens :
"Nous vivons sur l'avenir: "demain", "plus tard", "quand tu auras une situation", "avec l'âge tu comprendras". Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s'agit de mourir. Un jour vient pourtant et l'homme constate ou dit qu'il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu'il est à un certain moment d'une courbe qu'il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s'y refuser. Cette révolte de la chair, c'est l'absurde."
Mais alors qu'Oblomov baisse les bras face à ce constat :
"Ce sont tous des morts, des endormis pires que moi, ces gens du monde et de la société ! Qu'est-ce qui les guide dans la vie? Eux qui ne restent pas couchés, qui s'agitent tous les jours comme des mouches, quels profits en tirent-ils ?"
Camus s'interroge d'emblée, au tout début de son essai :
"Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie."
Et en effet, dans un monde absurde, faut-il accepter de vivre ? Car, pour Camus :
"Il ne peut être question de masquer l'évidence, de supprimer l'absurde en niant l'un des termes de son équation. Il faut savoir si l'on peut en vivre ou si la logique commande qu'on en meure."
Camus tente une voie de sortie. Le héros de Gontcharov, par son immobilisme, ne tranche pas. Il se laisse vivre - ou survivre, tant sa passivité l'amène à des situations précaires, financièrement et socialement.
Oblomov, il faut lui reconnaître cette honnêteté, ne fait pas le "saut", ainsi que Camus appelle ces échappatoires de l'homme à la vérité de l'absurdité de l'existence : croire en dieu ou se suicider.
Mais tandis qu'Oblomov reste passif, l'homme absurde de Camus se révolte contre sa condition, non pas en la niant, mais en étant dans l'action. Tel Sisyphe, qui redescend de sa montagne pour recommencer à faire rouler le rocher à son sommet, l'homme absurde camusien ne croit pas aux fins mais aux moyens car :
"Être privé d'espoir, ce n'est pas désespérer", affirme Camus. "La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d' homme.Il faut imaginer Sisyphe heureux".
Autrement dit, la conscience de l'absurde n'empêche aucunement d'agir et de se contenter de le faire quand bien même cela ne mène nulle part, pour la beauté de l'effort.
Oblomov refuse de remonter chaque jour le rocher en haut de la montagne. Il choisit - car il s'agit bien d'un choix - de rester en bas et d'attendre la mort. De l'homme absurde de Camus ou d'Oblomov, de l'action ou de l'inaction, il ne fait pas de doute que le chemin choisi par Camus est le plus digne.
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Ma lecture d'Oblomov, d'Ivan Gontcharov
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