Trois jours après les fêtes de fin d'année, le 3 janvier 1960, le sémillant Albert Camus offre des billets de train à sa famille avec la promesse de les rejoindre à Paris, par voiture, en compagnie de son ami et éditeur Michel Gallimard. Camus va à Paris ? Non… Il va à la morgue !
Durant les quarante-huit heures qui le sépare de la mort, Camus replonge dans sa vie passée entre déchirures, blessures, combats et espoirs.
Tel est le parcours que nous livre brillamment le journaliste et écrivain José Lenzini dans un récit à la fois doux et poignant, construit à base de flash-back récurrent. Les derniers jours de la vie d'Albert Camus est saisissant par la fluidité de son style dont l'élégance nous prend gracieusement en main pour un périple sans halte ; revisiter l'œuvre et la vie de l'un des monuments de la littérature mondiale à la fois adulé et controversé à l'instar de ceux qui sont allés au faîte de la gloire. Né près d'Annaba, à Mondovi en 1913, Camus est vite devenu orphelin de père et recueilli par les bras inhospitalier d'une enfance d'une extrême pauvreté.
A Alger où il est venu vivre en compagnie de sa famille, le futur auteur de "L'Étranger" montre des dons secrets pour le football et s'engage par la plume sur des questions qui lui tiennent à cœur. Malgré une tuberculose qui mine ses poumons, il n'a rarement manqué de souffle ! A 21 ans, il adhère au parti communiste algérien et dans la foulée, il amorce une aventure journalistique au sein d'Alger-Républicain où il trouve le tremplin idéal pour asseoir son style et affûter sa philosophie.
Jaloux de sa liberté, iconoclaste hors pair, Camus quitte le parti communiste pour un différend de hiérarchie comme pour donner un coup de pied dans la fourmilière mais reste attachant à son combat militant en faveur des démunis et autres sans voix ponctuée notamment par une série de reportages intitulée : misère de la Kabylie. Même en mai 1945, il est l'un des rares à s'insurger contre le "cruel bâton" usité par l'ordre colonial après l'épuisement de "la carotte".
L'appartement de la rue de Lyon à Belcourt est un cache-misère où il vivote dans un huis clos assourdissant. Sa mère Catherine Sintès focalise ses attentions. Veuve depuis 1914 suite à la mort de Lucien Camus pendant la première guerre mondiale, les années d'après, lui ont volé le sourire et toute faculté de parler, continuant à vivre le restant de ses jours dans un mutisme tristounet et une surdité dissonante. Albert pense souvent à sa mère, partout où il va, tout le temps. Jusqu'à se trouver "piégé". à Stockholm, au lendemain de sa réception du prix Nobel, par la voix d'un nationaliste algérien qui lui reproche de s'être rangé aux côtés des puissants. Manifestement piqué au vif, Camus s'emballe comme un feu follet et livre son profond sentiment. "… J'ai toujours été partisan d'une Algérie juste… j'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi le terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice."
Cette sortie solennelle, fort médiatisée, lui a attiré les foudres de ses nombreux détracteurs, souvent ses amis d'hier ; Sartre, Jeanson, Beauvoir, Jules Roy et toute la chapelle communiste qui lui reprochent un engagement qui s'inscrit en porte-à-faux avec ses propres convictions qu'il chante sur tous les toits médiatiques.
Les égratignures s'accumulent. Les répliques s'amoncellent. Mais, la rivalité est tenace, voire haineuse. La guerre en Algérie fait toujours rage, le sang coule à flot.
La paix peine à trouver un interstice pour voir le jour. Le prix Nobel permit à l'auteur de La Chute de s'offrir une belle bastide à Lourmarin, un charmant village du Luberon. Et c'est là qu'il continue à travailler à ses œuvres et surtout programmer une nouvelle destinée sur les planches. Mais, à 47 ans, un accident de voiture macabre brise son élan créateur. Depuis, ses œuvres sont étudiées et ses interventions sont passées au crible.
Insolite ! Cinquante ans après que la Facel Véga a heurté le rugueux platane de Bourgogne, on continue plus que jamais à lire les opus et parler du père de Meursault, preuve en est que l'homme et son œuvre n'ont pas pris une ride. Mais, sérieusement, qui a dit qu'Albert Camus est mort ?
Riche en anecdotes et fourmillant d'une mine d'informations, agréablement écrites, allant à l'essentiel sans digressions, les derniers jours de la vie d'Albert Camus de José Lenzini, édité chez Barzakh, est une pépite littéraire de 140 pages qu'on savoure d'une traite et qu'on garde précieusement dans la bibliothèque familiale.
Tarik Djerroud
Parution :
Les derniers jours de la vie d’Albert Camus, de José Lenzini
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