"JE COMPRENDS ICI CE QU'ON APPELLE GLOIRE, LE DROIT D'AIMER SANS MESURE"
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Des détestations, ici et là, envers le président de la République
voulant «panthéoniser» Albert Camus ne doivent surtout pas occulter
l'admiration que nous éprouvons pour l'auteur de «L'étranger». Sa
réhabilitation tardive ne doit rien à une République reconnaissante,
mais à sa lucidité d'esprit qui, aujourd'hui, nous semble aller de soi,
tant elle s'est incrustée dans nos manières de ressentir les
soubresauts d'un monde malade. Ne fut-il pas le seul à dénoncer la
répression colonialiste de Sétif et Guelma, à qualifier de «guerre» ce
que le gouvernement français qualifiait d'«opération de police» ? Que
Nicolas Sarkozy approuve, a posteriori, de tels engagements et qu'il
soit conduit à solenniser un Camus non conformiste n'a rien de
choquant, même si le président nous a plutôt habitués à proclamer
publiquement une certaine condescendance pour ce qui touche à la
littérature et à la philosophie. «Grâce à lui, j'ai la nostalgie chaque
fois que je vais en Algérie, de ne pas être né en Afrique du Nord.»
Diable ! S'il avait admiré Lautréamont, aurait-il regretté de n'être
pas né à Montevideo ? Qu'on se souvienne ! Les derniers écrivains
entrés furent André Malraux et Alexandre Dumas. En avaient-ils rêvé et
reconnaîtraient-ils cette ultime sépulture comme la leur ? Question
inutile. Le Panthéon est une affaire de postérité et non de testament.
Si viol posthume il y a, il est à imputer aux générations qui
décernent, sans vote ni jury, ce prix Nobel des morts.J'ai cité «L'
étranger» à dessein puisque, si l'on en croit les spécialistes qui
accusèrent Camus d'être un piètre penseur («L'homme révolté»), ce sont
bien les jeunesses qui ont plébiscité ce roman magistral – écrit à 28
ans – comme un des chefs-d'œuvre du XXe siècle. Camus représenta, pour
les gens de ma génération, une alchimie entre un physique, des mots et
une esthétique romanesque, nous faisant entrevoir un avenir qui serait
littéraire et rebelle ou ne serait pas.
Un homme du doute
En 1942, Sartre, l'agrégé de Normale sup, accorde un 21/20 à
«L'étranger», mais un 7/20 au Camus philosophe. Le malentendu aurait-il
suinté de cette querelle vaine entre une bourgeoisie arrogante et
l'intrus des bas-fonds venu la narguer ? «Toute sa vie, Camus a été un
homme du doute, incertain de son talent. Sartre, lui, croyait en son
génie», dit son biographe Olivier Todd. Camus, homme du peuple, dont la
mère ne savait pas lire, fut-il traité avec mépris par une
intelligentsia parisienne se gaussant de son accent pied-noir, de ses
manières de hussard ? Obsolète, la querelle ? Un fait est là : en 2009,
un président désire installer dans notre sanctuaire national un
écrivain adulé, alors que des forces diverses s'opposent et au choix
présidentiel, et à l'écrivain ainsi désigné.
«Je pense à tous ceux
qui sont de la même origine que mon père, c'est-à-dire très pauvres, et
à ma grand-mère qui était femme de ménage. Peut-être que c'est aussi un
hommage qui lui est rendu à elle et, de ce point de vue-là, c'est
peut-être aussi un symbole pour tous ceux pour qui la vie est
difficile», déclare Catherine Camus, sa fille. La symbolique, tout est
là ! Camus au Panthéon, c'est l'alliance du fils prodige et de la mère
analphabète, du Pied-Noir militant et de l'Algérie algérienne, de
l'intellectuel résistant et des intellectuels écrivants, du styliste
brillant et des exclus d'une telle grâce. Les symboles ont la vie dure
et je ne peux que songer à cette femme, noire, couverte d'un drapeau
tricolore, chevauchant un cheval immaculé pour remonter la rue
Soufflot, au soir de l'arrivée du corps de Dumas le quarteron,
petit-fils d'esclave.
La France tourmentée, par volonté
présidentielle, sur son identité, honorerait, apaisée, en la personne
d'Albert Camus, un homme lucide et clairvoyant, ne s'étant trompé en
rien sur les devenirs chaotiques de l'Histoire. Homme blessé et
révolté, réfractaire à tout pouvoir et à toute absolution, il est cet
homme auquel nous serions fiers de rendre hommage en le plaçant ainsi
au panthéon de nos cœurs, de nos esprits, de nos admirations.
par Yves Simon
Photo DR
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Cette vénus a sans doute été très belle puisque Vénus, divinité des païens, a été la mère de l'Amour et la déesse de la beauté.
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Albert Camus :
"A Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n'éprouve pas le besoin d'en faire une oeuvre d'art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m'apparaît comme ces personnages qu'on décrit pour signifier indirectement un point de vue sur le monde".
Camus :
"Ainsi, moi qui ne possède rien, qui ai donné ma fortune, qui campe auprès de toutes mes maisons, je suis comblé quand je le veux, j'appareille à toute heure, le désespoir m'ignore.
Point de patrie pour le désespéré et moi, je sais que la mer me précède et me suit, j'ai une folie toute prête. Ceux qui s'aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n'est pas le désespoir ; ils savent que l'amour existe. Voilà pourquoi je souffre, les yeux secs, de l'exil. J'attends encore. Un jour vient, enfin..."
« Ceux qui s'aiment et qui sont séparés peuvent vivre dans la douleur, mais ce n'est pas le désespoir ; ils savent que l'amour existe».
Le tombeau des époux à Tipaza
Camus. La fin du Retour à Tipasa
"Mais peut-être un jour, quand nous serons prêts à mourir d'épuisement et d'ignorance, pourrai-je renoncer à nos tombeaux criards, pour aller m'étendre dans la vallée, sous la même lumière, et apprendre une dernière fois ce que je sais."
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