Albert Camus, un écrivain pour qui le doute fut comme une méthode et un destin.
Nous nous sommes tant moqués... En ce temps-là, celui de nos 20 ans, il convenait d'avoir souvent tort avec Sartre, parfois raison avec Aron et, toujours, rien à faire de Camus, ce « philosophe pour classe terminale », comme se gaussait méchamment le regretté Jean-Jacques Brochier. Ce Camus-là, à jamais du bon côté du manche, existentialiste en peau de lapin, athée empreint de religiosité refusant de reconnaître qu'il n'est de foi que mauvaise, au sensualisme un peu louche (Mauriac, merveilleusement rosse, n'écrivit-il pas que, chez Camus, « Sisyphe ne roulait pas son rocher. Il grimpait dessus et, de là, piquait une tête dans la mer... »), ne nous disait rien qui vaille.
Comme la jeunesse est belle. Comme elle est bête, aussi. Camus, cet idéal du moi un peu Philip Marlowe dans son trench Burberry, cet homme pour qui le doute fut comme une méthode et un destin, c'est, loin des pères Sartre ou de Gaulle, qui ne voulurent pas d'elle, le grand frère qu'elle ne sut reconnaître. Elle lui accorda d'avoir, selon les canons de l'époque, réussi sa mort (une Facel Vega contre un arbre, il y a presque cinquante ans de cela, le 4 janvier 1960) et ne comprit pas que c'est de vivre qu'il aurait fallu le louer. Vivre comme un homme.
Vivre et écrire
Camus romancier est admirable. Camus dramaturge à redécouvrir. Camus philosophe, toujours préférable aux farauds qui en occupent aujourd'hui l'emploi. Camus journaliste et chroniqueur, un exemple. Camus est moderne. Camus est vivant. Identité nationale, place de la culture, transmission du savoir, choc des civilisations, mondes méditerranéens, peurs millénaires, populations migrantes, sa lecture est une grille d'analyse de notre monde qui remplacerait avantageusement le café du commerce, qui semble désormais tenir lieu de débat public.
En mouvement
Hommage inconscient du vice politique à la vertu des livres, le président de la République le voudrait au Panthéon (au moins à Lourmarin, où il repose sous une plaque de marbre de Tipaza, rayonne le soleil...). « Entre ici, Albert Camus... », en quelque sorte. Quant au procès en canonisation, il sera instruit pour cet anniversaire au fil des célébrations, films, numéros spéciaux et biographies qui lui seront consacrés. Gageons qu'il saura résister à tout, même à cette forme contemporaine d'oppression que serait la bienveillance publique. Car la vie de Camus, son oeuvre sont rétives à ce qui les fige. Sa pensée est en mouvement, et sa liberté irréductible.
C'est sans doute là la leçon des deux plus beaux livres générés par ce « moment Camus » ; l'indispensable dictionnaire établi sous la direction de Jeanyves Guérin et le recueil d'images toujours émouvantes et jamais pieuses que nous offre, comme un legs de mémoire, la fille de l'écrivain, Catherine. S'y dessinent à chaque page tout à la fois la volonté d'un homme et son chagrin. Jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il soit sommé de choisir entre sa mère et la justice, jusqu'à ce que l'enfant pauvre d'Alger soit chassé du paradis, jusqu'à ce que le silence soit la seule protestation possible. Jusqu'au bout, jusqu'à cette route nationale pluvieuse et le fracas des tôles. Il n'aimait ni la pluie, ni les automobiles, ni la vitesse. Tout cela est absurde, bien entendu. Absurde et magnifique.
.
Olivier mony
Les commentaires récents