Ma Chère,
T'écrire
de mon exil ! … Mais que dire ? Que dire, après le souffle qui soupire,
le ventre qui se déchire, la raison qui délire et tant de temps à
souffrir. Que dire ? Depuis la nuit des temps, tu as lutté pour
éclairer et rester le phare de l'Humanité, lutter pour dire non à
l'absurde et à l'obscurité, lutter farouchement pour préserver le joyau
des civilisations.
Ma Chère,
Que dire ! Que dire aux
mots lourds et insensés, aux mots guerres complotées, mots malades,
mots-fiel, la bile noire que je dégueule. Comment te dire des choses,
t'entendre, te lire et t'écrire quand le cœur des sciences et des
lumières s'embrase et devient le vagin de l'enfer. Quand le chaos et
l'horreur rythment ton quotidien. Quand tout est saccagé, pillé et
brûlé, l'intimité souillée, violée et le corps éventré, crie le fœtus
arraché à sa maman. Sur le chemin de l'école, la barbarie fauche
l'enfant à la vie. Ici et là, dans les flaques écarlates un cartable
démembré, nu et sans dictée, un qalam calciné, gribouillé sur la
feuille amputée un palmier vert inachevé ; plus loin, un buvard
désemparé, terrifié buvant l'encre coagulé et tente d'abreuver l'enfant
inanimé ses doigts tiennent à peine la page du livre déchiqueté qui
gémit au gré du souffle terrifié, de sang et de cris mouillé hurle dans
la gueule de l'humanité... Mon Dieu ! Quel récit ! Les mots sont
tellement difficiles, lourds et incompris. Le verbe n'a pas sa place
ici, le silence avait déjà tout dit.
Ma Chère,
Complots
macabres pris au piège de leurs mensonges. Foutaise ! Tant de
résolutions, de lois, de droits détournés et bafoués, honte aux nations
désunies. Honte aux Guantanamo improvisés dans les royaumes des
scorpions, le monde entier découvre les soldats amers, ricanent et
s'exhibent en poses immondes et obscènes, fiers de leurs jeux
crapuleux, sadiques et sataniques. Les détenus dénudés, violentés,
castrés, torturés et à la fin achevés. L'autre dictateur bombarde,
assassine piétine et défigure la mémoire, l'histoire du visage
illuminé. Ainsi, on ose civiliser ! On prétend instaurer la démocratie
! On prétend des guerres propres et chirurgicales, enrobées même de
poésie ! : Bouclier du désert, Tempête du désert, liberté immuable…Mon
Dieu quelle hypocrisie !
Ma Chère,
Comment t'écrire
alors qu'on a brûlé le qalam du poète, on a assassiné sa muse et brisé
son vers ; alors que les morts effrayés, quittent rapidement les
cimetières profanés ; l'horreur persécute inlassablement leur âme
courant dans tes entrailles, courant plus vite encore, hurle et se
jette dans l'Euphrate pour éteindre son corps enflammé. Que dire à la
sauvagerie ? Que dire à la barbarie humaine ? Hélas ! On s'est éloigné
de la raison, de la sagesse et de la poésie. On a oublié la tendresse,
la chaleur et l'odeur de la terre. On n'entend ni les ruisseaux qui
fredonnent les saisons, ni le chant des oiseaux, des fleurs et des
cœurs et on n'admire plus le soleil qui se couche dans nos regards. On
n'entend même plus rien, ni la nuit émerveillée qui déploie ses ailes
pour apaiser le poète égaré et ni même le rire des étoiles qui se
promènent au seuil de la nuit sur le pavé de l'aurore.
Ma Chère,
Je
pense à toi. Je te lis. Je te lis dans le giron des vagues messagères.
Je te lis dans le sable mouvant d'Arabie. Je te lis sur les ailes du
souffle harassé. J'entends. J'entends tes vagissements et tes douleurs
qui déchirent le ciel endeuillé. De mon exil, de la rive bleue qui
semble perdre sa splendeur, seule, avec les goélands qui se laissent
aller sans envie sur le dos des lents flots attristés, je t'écris. Je
t'écris et je pleure le sang des innocents, le sang de mes frères et
sœurs qui s'évapore dans l'éther et j'attends inlassablement toute ma
vie qu'il se métamorphose en rosée sur la rose au bord du pré éclose.
NACERA TOLBA
LETTRE D'AMOUR A BAGDAD
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