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Dans L’image de la femme au Maghreb, quatre plumes se
rejoignent pour lever un pan de voile sur les
représentations de la femme d’Afrique du Nord aujourd’hui.
Au-delà des images-chocs
C’est l’image de la femme maghrébine, consciente et inconsciente, en proie à des mutations profondes, que se propose de décrypter l’ouvrage collectif L’image de la femme au Maghreb, publié aux éditions Actes Sud, en collaboration avec la MMSH (Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme) et la maison d’édition algérienne Barzakh. La première analyste, Zakya Daoud, journaliste française naturalisée marocaine, s’étend sur « La situation de la femme marocaine au travers de la presse et des médias ». Elle illustre dans cet article fort documenté les trois fronts qui sont en contact au Maroc lorsque l’on aborde le thème délicat de l’évolution des mœurs. Le premier front moderniste, renforcé par l’adoption de la réforme du code du statut personnel (la moudawana) en 2004, se heurte à une vision islamiste qui prône un retour aux valeurs ancestrales, ainsi qu’à une vision sociétale qui atteste de l’islamisation rampante sur fond de bouleversements sociaux. En réponse à ces trois fronts qui se nourrissent les uns les autres, en partie responsables de la perte de repères qui sclérose la société marocaine, la presse n’est pas en reste et répond à toutes les attentes, quitte à créer des paradoxes encore plus nombreux. La presse francophone encourage la féminisation de la société (réelle, au demeurant) en multipliant les portraits de femmes chefs d’entreprises, artistes, exerçant des métiers atypiques, sportives de haut niveau … Cette entreprise véhicule l’image d’un Maroc « pays de femmes », qui s’intègre parfaitement à l’image moderne que le palais veut diffuser à l’étranger. Ce qui explique la grogne croissante des sept femmes promues à des postes de ministres ou de secrétaires d’Etat, qui sont loin d’avoir accès au pouvoir décisionnel des hommes et dont le rôle se résume à celui d’alibi. Le deuxième front est celui de la presse arabe, qui adopte une position ni trop moderniste ni trop traditionaliste, mais médiane, tandis que le troisième front, mené par les 300 chaînes satellitaires, encourage la retraditionalisation de la société.
Pierre Vermeren, historien du Maghreb, dans son analyse portant sur « Les femmes diplômées au Maghreb et leur image dans la société », apporte de l’eau au moulin de Zakya Daoud en affirmant que deux limites entravent le progrès féminin dans la région. Il y a d’une part ce qu’il appelle « le plafond de verre », qui bloque l’ascension des femmes à un certain stade et limite leur accession aux pouvoirs décisionnels. Les femmes se trouvent de facto exclues des cercles masculins élitistes, et ne participent pas aux activités hors travail auxquelles les hommes s’adonnent.
La journaliste algérienne indépendante Ghania Mouffok livre une analyse fort pertinente de l’image consciente et inconsciente de la femme algérienne véhiculée par la presse écrite, celle de la « femme victime ». Les articles lacrymaux de la presse algérienne relatent les vies tragiques de femmes victimes de violence conjugale, des mères de disparus, si bien que « femme algérienne » est devenue dans l’inconscient collectif un synonyme d’« oueds de larmes ». Elle choisit de citer un article rédigé par un avocat dans le journal algérien Libération à l’occasion de la Journée internationale de la femme du 8 mars 2007. Cet article, qui se veut élogieux puisqu’une description d’une vie de femme idéale est telle que se l’imagine cet avocat, est en fait un discours tout à fait rétrograde. Selon lui, ce qui fonde l’héroïsme de la femme est la violence consentie à son encontre, et non subie, à tel point de devenir un élément majeur de la construction de l’image de la femme idéale pour l’homme algérien. L’image des femmes victimes de violence politique n’est jamais brandie par la presse écrite pour demander réparation ou organisation d’un procès, mais constitue au contraire une justification aux exactions commises par les forces de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le dernier analyste et critique cinématographique tunisien, Hédi Khellil, s’emploie à mettre en lumière « Les représentations de la femme dans le cinéma tunisien ». La description trop précise de personnages de films et de certaines situations empêche au lecteur une prise de recul nécessaire, noyée dans une flopée de détails anecdotiques. Un lecteur tunisien, fort d’une connaissance plus ample du 7e art local, s’y retrouverait sûrement davantage qu’un curieux désirant affiner sa perception des mutations de l’image de la femme au Maghreb.
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Louise Saran
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