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Il n'y a pas tellement longtemps on opposait à loisir Albert Camus à Jean-Paul Sartre. La plupart du temps à l'avantage du second. De l'auteur de La Peste, on répétait volontiers qu'il était un penseur pour jeunes gens à la mode. Il ne pesait pas lourd à côté du pape de l'existentialisme.
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Il en est bien autrement par les temps qui courent. Alors que la figure de
l'intellectuel germanopratin souffre des excès de ses engagements
libertaires et de ses diktats, celle de Camus grandit. Il est lu
massivement grâce à ses romans, on lui voue un culte qui ne se dément
pas. Dans Le Monde, édition du 26 décembre dernier, Olivier Todd évoque
justement à son sujet le double épithète de «penseur et artiste».
Dans la collection dite «Bibliothèque de la Pléiade» paraissent les
tomes III et IV des Îuvres complètes. Patiemment composée, agrémentée
de présentations fort éclairantes, cette édition est chronologique. On
y trouve, tout genre confondu, les écrits de Camus qui s'échelonnent de
1949 à 1959.
Tout n'y est pas de la même nécessité. Il s'agissait avant tout de
donner une image globale de l'oeuvre. Les pièces maîtresses en sont,
sans l'ombre d'un doute, L'Homme révolté, La Chute et Le Premier Homme.
Si rien n'est indifférent dans l'oeuvre d'un écrivain qui a marqué
son époque à la façon de notre auteur, il est évident que L'Homme
révolté occupe une place prédominante. Camus, on s'en souviendra, prend
ses distances d'avec le communisme, dont il dénonce les abus du goulag,
à la différence de Sartre qui, tout en ne niant pas l'existence de ces
atrocités, ne se refusait pas une alliance avec le PC.
Pour un esprit aussi peu aguerri à la philosophie que le mien,
impossible de ne pas être camusien. L'époque des idéologies paraît bien
révolue et l'humanisme de l'auteur de L'Été semble en comparaison
autrement plus concluant.
Si La Chute fascine toujours par son pessimisme désespéré, les
textes compris dans Actuelles II et III et dans les Chroniques
algériennes n'ont évidemment plus la même acuité quelques décennies
plus tard. C'est le sort que l'on réserve aux proses commandées par
l'actualité, ce qui ne veut surtout pas dire qu'elles n'ont pas eu leur
nécessité.
Je ne connaissais pas les Carnets. Écrits dans les dix dernières
années de vie de leur auteur, ils tiennent compte des lectures et des
expériences d'un homme miné par la tuberculose, nobélisé en 1957,
conscient de l'importance de sa responsabilité d'écrivain, pétri de
doutes de tous ordres. Il y a aussi, dans ces Carnets, l'autoportrait
d'un écrivain qui, tout en n'ayant rien d'un homme de lettres, devient
le temps d'un voyage en Amérique du Sud représentant malgré lui d'une
culture -- l'occidentale et la française en particulier, dont il
n'approuve pas toujours la teneur. Il se montre observateur amusé ou
agacé, curieux ou désillusionné de terres à découvrir. Pour quiconque
douterait de la simplicité essentielle d'un fils du peuple devenu
porte-parole d'une génération, une preuve irréfutable.
En plus de textes épars écrits dans une période relativement courte
-- dix ans -- qui donnent une idée de la ferveur et du labeur d'un
homme qui savait aussi rire, danser et s'amuser, on trouve également
les textes de Requiem pour une nonne, d'après Faulkner, et d'Un cas
intéressant de Dino Buzzati. L'univers inquiétant de l'auteur du Désert
des Tartares devait être fascinant pour un homme se sachant aux prises
avec la maladie. Pour expliquer les règles qu'il applique au travail
d'adaptateur, Camus a ces mots qui disent tout sur sa manière: «Je n'ai
jamais cru que l'adaptateur dût être le cheval d'un pâté dont l'auteur
serait l'alouette.»
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Commentaire de par jean-louis galiero: simplicité essentielle
Tant mieux si la figure de Camus grandit, comme vous dites, et bravo si les jeunes continuent à le lire. Camus c'est la conscience qui ne se dément pas. Il nous aide à affronter l'absurdité du monde sans recourir aux illusions des postures ni des dogmes. Soucieux de préserver ce qui rassemble les hommes plutôt que d'accentuer ce qui les divise, il suscite l'espoir , c'est-à-dire des raisons de vivre. La lucidité et le doute n'abolissent pas la beauté du monde : Todd a sans doute raison d'unir le penseur et l'artiste. On est loin du confort et de l'indifférence.
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