Un roman historique de fraîche date, de Nasredine Guénifi
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Ahmed Bey l’Algérien est le modèle même de l’art de la reconstitution des évènements d’une ère lointaine, celle des deys et des beys de l’empire ottoman. Cette œuvre romanesque qui en est à son livre 1 comme cela est indiqué en couverture est d’abord l’histoire d’un personnage hors du commun, habillé traditionnellement à la mode turque caractérisée en premier lieu par un caftan pourpre, des bottes brodées de fil d’or, un turban enroulé avec talent, le tout rehaussé d’une barbe à la fois bien fournie et taillée pour être plus représentative d’un temps.
On peut dire que Nasredine Guénifi, d’une famille de librairie, est à
l’origine cinéaste puis dessinateur de presse, avant de devenir
formateur en linguistique. Il a fait un travail de recréation digne
d’un chevronné en littérature. En somme il a procédé à la manière d’un
artiste qui sait concilier la fiction et le réel pour donner l’illusion
d’un vécu.
Le livre a pour source principale, un document historique fortuitement
exhumé par un enfant des décombres d’une maison ancienne que des
bulldozers étaient en train de démolir comme tout un pan d’une Casbah
devant disparaître dans le cadre d’une rénovation et porteuse de
marques identitaires, mémoire collective dont la disparition relève de
la pire des bêtises humaines.
Un document historique ou l’itinéraire d’un brave
Le document semble avoir été écrit en arabe par un connaisseur, un
ancien élève de nos zaouïas, sinon de la Zitouna ou d’El Azhar. On y
trouve avec détails nécessaires, toutes les péripéties du combat
d’Ahmed Bey mené contre l’occupation française et contre les traîtres
qui la soutiennent depuis 1830.
Ahmed Bey, Bey de l’Est algérien, refusait l’humiliation par la
reddition et la soumission honteuse. Il méritait pleinement le titre de
héros qui se donne pour la cause sacrée jusqu’au sacrifice suprême.
D’origine kouloughlie c’est-à-dire d’un mariage mixte entre un Tuc
arrivé au 18e siècle et une Aurésienne résume toute sa philosophie par
une fameuse citation émanant de lui-même et que l’auteur du livre a
pris soin de mettre en exergue : «Si j’ai puni ceux qui m’ont trahi,
moi je n’ai trahi personne.» Cette phrase énoncée en style lapidaire
s’adressait à tous ceux qui de son temps étaient tentés par la trahison
ou par l’entêtement à ne pas vouloir remettre en question la stratégie
de lutte.
Ahmed Bey fit de sa région, à l’image de l’Emir Abdelkader à l’ouest et
au centre, un bastion de la résistance au corps expéditionnaire du
général Bugeaud. L’auteur de ce livre regrette que son nom n’ait pas
été suffisamment cité dans les écrits historiques alors qu’il a été un
acteur important dans la lutte anticoloniale au 19e siècle.
Et c’est dans les moments les plus durs que l’on reconnaît les
embusqués et les vrais héros. Ahmed Bey fit tout ce qui était
nécessaire en apportant un plus considérable au Trésor public et à la
guerre qui s’annonçait longue et rude.
Un faux prétexte pour une guerre injuste
L’histoire, depuis les origines, ne fait que se répéter, de la plus
haute antiquité à nos jours. «Qui veut tuer son chien, l’accuse de la
rage», dit-on habillement lorsqu’on veut éliminer quelqu’un pour
l’éliminer. Ce proverbe s’applique bien aux guerres contre des pays qui
gênent.
Concernant l’Algérie, un plan d’occupation avait été préalablement
établi par Napoléon 1er. Pour la réalisation de ce plan d’occupation,
il fallait un prétexte : une dette contractée par le gouvernement
français pour l’achat d’une quantité de céréales auprès de marchands
juifs dont Bacri qui revient souvent dans les discussions entre
protagonistes.
L’altercation provoquée par le consul de France Deval avec le dey
Hussein allait être suivie d’un débarquement à Sidi Ferruch. L’auteur
de ce livre rend cette partie très vivante. Il la raconte à la manière
d’un témoin oculaire et dans le strict respect de propos procateurs et
de la chronologie. On peut dire que sa narration est fondée sur une
bonne pédagogie.
L’état d’esprit des chefs coloniaux a été mis en valeur. Ce fut le cas
du général de Bourmont qui, pour tromper les autochtones avait fait
croire que l’occupation ne devait pas durer plus de 6 mois. Mais son
message qu’il avait adressé à son roi pour parler d’une conquête
réussie, laissait présage une colonisation de longue durée.
D’ailleurs, les textes d’un traite signé avec le dey m’indiquait rien
de réconfortant. Comme dans l’histoire, Nasredine Guénifi insiste sur
la non conformité du texte du traite en français par rapport au texte
en arabe. Beaucoup de points à la page 205 s’avèrent inadmissibles pour
les Algériens de l’époque. Ce fut le cas du «Fort de la Casbah ainsi
que tous les autres forts qui seront remis aux troupes françaises ce
matin, à dix heures. Deuxièmement, le général en chef de l’armée
française s’engage envers Son Altesse le dey d’Alger à lui laisser la
liberté et la possession de ce qui lui appartient personnellement» soit
un total de cinq points dont on peut imaginer la suite et signés par le
général de Bourmont».
Depuis le bombardement de Sidi Ferruch jusqu’à l’instauration ou
l’autoproclamation du système colonial, en passant par l’investiture de
Raïs Hamidou, l’auteur nous fait vivre des moments intenses, des appels
au djihad, des mouvements de populations emportant leurs effets et
attendant au bord de l’oued El Harrach le moment propice de s’embarquer
vers une destination inconnue, les bombardements, les conflits
internes. Ainsi, ce fut la guerre au sens plein du terme.
L’Algérie s’est vue confrontée, dans son histoire, à deux guerres
coloniales, avec la France. Pendant la guerre de libération, comme en
1830, l’unité nationale était jugée nécessaire pour vaincre l’ennemi.
Ce ne fut pas le cas au 19e siècle. Ce qui a fait dire à Abdellah :
«Notre pays a besoin de tous, Kouloughlis, Kabyles, Maures, Bédouins,
Chaouias et même des juifs. Des soumissions de chefs de régions ne
pouvaient entraîner que des défaites.
Ahmed Bey, l’Algérien qui se comportait dignement ne pouvait que se
résigner à son sort. Son action s’inscrivait dans un ensemble de
régions. Il n’avait pas cru à la conquête mais il avait fini pas mieux
comprendre que l’idéologie coloniale avait un fondement essentiel :
diviser pour régner.
Ahmed Bey, l’Algérien, un livre à lire passionnément pour se ressourcer.
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Nasredine Guénifi, Ahmed Bey, l’Algérien, roman, livre 1, Ed Alpha, 2008, 241 pages.
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Boumediene A.
03-01-2009
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L’abîme creusé par nos fautes
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Quand la poésie et l’imagination sont populaires, l’Histoire du pays devient nationale.
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Il y a, peut-être, un peu de cette idée dans l’ouvrage Ahmed Bey l’Algérien de Nasredine Guénifi qui est connu dans la sphère des anciens réalisateurs, directeurs de la photographie et des scénaristes documentaires pour le cinéma et la télévision. Aujourd’hui, formateur en linguistique, il s’essaie à l’histoire de son pays par la recherche des événements qui ont fait les grands hommes de l’Algérie. C’est une manière à lui de remettre à l’endroit, ce qui, trop longtemps, a été tenu secret et, surtout, avec la tête en bas. À qui la faute? Elle est partagée par nous tous. Nous avons, par nos grands soucis de la multitude des petites choses quotidiennes, par notre laxisme incompréhensiblement affiché face à l’agression insidieuse des idées contraires à notre civilisation, par la paresse (ou l’insuffisance?) de certains de nos intellectuels, par le manque de confiance, à tort ou à raison, en l’autre et en nous-mêmes, nous avons ainsi développé une indifférence morbide à tout ce qui touche à notre conscience d’Algérien. C’est pourquoi, à mon sens, il n’y a du vrai que dans le cri de défi ou de désespoir de nos poètes populaires, les maddâd-ha; en effet, entre le bandaïr et la flûte en roseau, ils ont dénoncé avec des accents patriotiques «L’entrée des Français à Alger» tel un certain cheikh Abdelkader qui, en 1860, a fustigé l’envahisseur et exprimé sa douleur par, entre autres vers: «Hélas! où est Mazghanna, - la sultane de toutes les villes? [...] Au sujet d’El-Djazâïr, ô gens, j’éprouve de l’inquiétude!» Dans son récit, Nasredine Guénifi imagine une belle scène: «[Quand, en quittant Alger, Ahmed Bey] «monte sur son cheval, puis tourne sa monture vers Alger [... il] s’écrie: «Je vois Alger pour la dernière fois peut-être; car je jure de ne plus y remettre les pieds tant qu’elle sera soumise aux infidèles et aux Turcs!...» [...] Au même moment, à Alger, Abdallah [un de ses compagnons] croise sur la place presque déserte d’El-Jénnina le poète aux cheveux longs qui erre en clamant: «Sorti de cet abîme creusé par nos fautes / Un loup va commettre des crimes inouïs (extrait d’un poème de Bouteldja Tlemçani, cité par l’auteur).»
Mais le récit d’Ahmed Bey l’Algérien a commencé plus tôt. Nasredine Guénifi nous montre, plus qu’il n’imagine, la vie d’un homme que l’histoire vraie a mis en lumière, quels que soient les avatars que le personnage Ahmed Bey a connus et que, au reste, nous connaissons peu, et même pas du tout. De Ahmed Bey (1784-1850), dont parfois on confond le nom avec celui de son arrière-grand-père Ahmed Bey El-Kolli, nous savons deux ou trois choses: c’est, disent quelques archives, le dernier Bey de Constantine et après la reddition de Hussein Dey, il est le dernier gouverneur d’Algérie, puis il est nommé pacha d’Algérie par la Sublime Porte. Il a assumé un rôle important en modernisant, à tout le moins l’Est algérien, en mettant fin à l’esclavage et en protégeant plus qu’auparavant les Juifs. De 1830 à 1848, il n’a cessé de renforcer la résistance algérienne contre l’armée d’occupation, et notamment contre le maréchal Clauzel. Quand Constantine tombe finalement entre les mains de l’ennemi dont les pertes sont lourdes, il réussit, en juin 1848, à s’échapper, avec un groupe de fidèles patriotes, pour aller organiser la résistance dans les Aurès en passant par Biskra. Mais, affaibli et isolé, il se rend à l’évidence de sa prochaine capture. Pour éviter le pire à ses compagnons et aux populations qui le soutiennent, il décide de se rendre à l’occupant qui le met en résidence surveillée à Alger où, dit-on, il meurt empoisonné en 1850.
Dans le genre roman historique, Nasredine Guénifi, «n’étant pas historien ni écrivain au sens professionnel», mais s’inspirant de près de 500 pages d’un paquet découvert dans les ruines de sa maison natale en démolition, nous narre l’histoire d’Ahmed Bey de Constantine. «Il n’est pas Turc, précise-t-il, mais Kouloughli. (C’est ainsi que les Turcs désignent les «sangs mêlés»). Son nom complet est Hadj Ahmed Ben Mohamed Chérif. Il naquit à Constantine vers 1785. Son arrière-grand-père, Ahmed Bey El-Kolli, est un ancien bey de Constantine très populaire. [...] Si les grands mérites de l’émir [Abdelkader] sont connus, ceux d’Ahmed Bey sont quasiment ignorés, voire frappés d’ostracisme. Heureusement que depuis quelque temps les pouvoirs publics et des associations culturelles organisent des colloques sur ses activités patriotiques.»
Dans ce roman (livre 1 de Ahmed Bey l’Algérien), Nasredine Guénifi nous renvoie à l’«Aïd El-fitr, le 1er chaoual 1243, correspondant au 29 avril 1827 de l’ère chrétienne. [...] Le dey Hussein a près de 60 ans, mais il garde un physique vigoureux.» C’est là que tout commence. Bientôt arrive sur les premiers rangs dans les faveurs du Dey d’Alger un homme dont la filiation et le mérite lui sont ouvertement jalousés: «Âgé d’environ quarante-cinq ans, il est le plus jeune bey d’Algérie et l’un des rares Kouloughli à accéder à cette fonction qu’il exerce depuis quatre ans.» C’est Ahmed Bey, l’Algérien... Écrit dans un style simple, agréable, sans fioritures - mais attention à quelques maladresses inévitables sans doute dans une première publication, et tout particulièrement quand il s’agit d’un travail romanesque «sur l’histoire», car si même la fiction n’est pas un calque de la réalité, elle n’autorise pas, je pense, un excès dans la double articulation du vrai et du vraisemblable -, nous avons le plaisir de lire cette première partie de la magnifique histoire de Ahmed Bey de Constantine. Mais il faut oublier que l’on s’instruit aux sources de l’histoire. Ici, quoi qu’on fasse, on reste dans la fiction, la bonne fiction qui émeut et qui donne la fierté d’être ce que l’on est.
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