C’est tout de même une drôle de gouvernance politique qui continue de prévaloir en Algérie. Voilà, en effet, qu’après bien des ambiguïtés, qui ne trompent personne d’ailleurs, l’establishment de ce pays accorde un troisième mandat présidentiel à Abdelaziz Bouteflika. Une démission de plus d’une grande majorité de la classe politique accrochée à ce qu’il faut bien appeler des privilèges qui ne sont que l’apanage d’un système rentier qui n’a pas fini de traire la vache démocratique. Ce mercredi 12 novembre, au Palais des Nations, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, s’est tenue une session parlementaire extraordinaire convoquée par décret présidentiel. À l’ordre du jour, un point particulier: la révision partielle de la Constitution, à savoir abolir la limitation à deux mandats présidentiels. La session qui a regroupé 529 sur les 533 parlementaires, sénateurs du Conseil de la Nation et députés de l’Assemblée nationale populaire (APN), a approuvé cet amendement à une écrasante majorité. 500 voix pour, 21 contre et 8 abstentions. Beaucoup plus que les trois quarts des voix recquis à la validation de ce projet de loi relevant de la procédure législative ordinaire. Faut-il voir dans ce vote plébiscitaire la “reconnaissance du ventre” de parlementaires dont l’indemnité a été triplée voici quelques semaines...?
Cette affaire est un nouvel avatar du délitement d’un régime qui, depuis des lustres, n’en finit pas de tenter de colmater ses insuffisances et de renflouer son passif. Depuis deux ou trois années au moins, M. Bouteflika souhaitait rempiler à la tête de l’État alors que la hiérarchie militaire était plutôt réservée à cet égard.
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Celle-ci acceptait mal son autoritarisme et son comportement compulsif, mais elle n’avait d’autre choix que de continuer à le “gérer”. De son côté, Bouteflika avait un atout maître dissuasif entre les mains: il offrait une respectabilité internationale -formelle, il est vrai- à une junte militaire qui, dans le monde d’aujourd’hui, pouvait lui faire encourir des poursuites au dehors au titre de la compétence universelle. Les généraux en fonction ou à la retraite craignaient ainsi pour leurs personnes, leurs intérêts immenses en Europe et ailleurs et pour leurs familles et leurs enfants.
Après bien des contacts plus ou moins informels, un deal fut laborieusement trouvé au mois de juin 2008. Il a été marqué en particulier par le retour de Ahmed Ouyahia comme Premier ministre. Cette personnalité présentait un double trait: celui d’être impopulaire -il avait déjà exercé ces fonctions sans probation; et celui d’être un proche de l’armée, de ses intérêts comme de sa politique éradicatrice. Face à Bouteflika, jugé imprévisible et peu maîtrisable en ce sens qu’il n’offrait pas vraiment des garanties de fiabilité, les généraux mettaient ainsi en place un joker comme Ouyahia et ce à un rang institutionnel de premier plan. Pas seulement pour continuer à avoir un droit de regard sur la politique du gouvernement, mais aussi pour préempter une incapacité du président, voire même sa disparition. Un tel prépositionnement permettait également de déboulonner de la primature un “barbéfélène” comme Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN et islamiste pur suc, nommé ministre d’Etat et représentant personnel du président de la république.
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Mégalomanie
Il faut dire que la santé de Bouteflika est chancelante. Hospitalisé à la fin 2005 à l’hôpital parisien du Val-de-Grace pour un cancer, il est continuellement dopé à coup de chimiothérapie. Il lui est arrivé de disparaître de la vie publique durant des semaines, suscitant les rumeurs les plus inquiétantes. Il compense pratiquement cela par un “activisme” diplomatique tous azimuts, n’hésitant pas, malgré ses 72 ans, de se rendre à Pékin, Tokyo, ou Montréal, bravant les décalages horaires et les recommandations de ses médecins. En termes cliniques, il y a là une sorte de frénésie à être, à vivre, à paraître. Narcissisme? Egoïsme? Sûrement.
Ajoutons-y des crises de religiosité et de mysticisme qui lui font prendre des retraites régulières dans des zaouïas sahariennes à la recherche du droit chemin. Pareil état d’esprit explique sans doute sa mégalomanie attestée par le chantier de la Grande Mosquée d’Alger. D’un coût d’un milliard d’euros, cette mosquée sera la troisième par sa dimension après celles de La Mecque et de Médine. Dans son esprit, nul doute qu’elle sera baptisée à son nom demain…
Cela dit, le constitutionnalisme le plus formel a été observé pour ce qui est de la procédure d’adoption de la révision de la Constitution de 1996. Si le 29 octobre 2008 a été annoncée cette initiative, c’est lors du conseil des ministres du 3 novembre que le président Abdelaziz Bouteflika s’est exprimé officiellement à ce sujet. Il a expliqué à cette occasion qu’il avait en tête ce projet depuis le début de son premier mandat en 1999, rappelant qu’il avait déclaré à l’époque: «Je ne veux pas être un trois-quarts de président». Il a aussi souligné sa volonté d’opérer, par référendum, «une révision profonde de la Constitution pour l’adapter à l’évolution de notre pays et surtout à la réalité de ses défis contemporains». Mais il a également ajouté que la présente révision n’était qu’une étape dans ce processus et que le recours à la procédure parlementaire était suffisant parce qu’elle ne porte pas atteinte aux grands équilibres institutionnels.
Vote des parlementaires algériens pour la révision constitutionnelle. Un plébiscite.
Et c’est sans surprise que le conseil constitutionnel, présidé par Boualem Bessaïh -ancien ministre des Affaires étrangères- a donné son avis favorable au projet de révision après sa saisine par le président de la république. Cette institution a considéré que ce texte était conforme aux dispositions de l’article 176 de la Constitution. Le communiqué publié à ce sujet précise en substance que «le projet de loi portant révision constitutionnelle, initié par le président de la République (…) ne porte aucunement atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne, aux droits et libertés de l’Homme et du citoyen, ni n’affecte d’aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions».
On notera au passage que le Conseil constitutionnel fait état de ses travaux durant cinq jours, du 3 au 7 novembre, comme s’il voulait faire accroire que ses délibérations avaient été menées au fond alors que personne n’est dupe de sa fonction de vaguemestre aux ordres du palais El Mouradia…
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Atteinte
Les amendements apportés à la Constitution de 1996 en vigueur ne sont en vérité pas des liftings techniques et partiels, mais plutôt l’octroi de pleins pouvoirs au chef de l’État. Le modèle qui les fonde est celui de l’hyperprésidence des potentats des républiques bananières. Ainsi le Premier ministre ne sera plus le chef du gouvernement et il n’aura plus d’autre responsabilité que l’application du programme du président. La minoration de son statut est confortée de surcroît par le fait qu’il est tenu, chaque année, de soumettre une déclaration de politique générale à un vote de confiance du Parlement. C’est donc la fin d’un exécutif bicéphale et la mise en équation d’une velléité d’autonomisation du Premier ministre s’appuyant sur une majorité parlementaire qui lui serait acquise. Le verrouillage le plus total donc du dispositif institutionnel entre les mains du président Bouteflika.
Il faut relever que le projet de révision de la Constitution porte sur d’autres points. Ainsi, le nouvel article 5 englobe désormais l’emblème et l’hymne nationaux, présentés comme des conquêtes de la Révolution du 1er Novembre 1954. Des dispositions jugées comme du “populisme” et de la “démagogie” par Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droit de l’Homme (LADH).
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Populisme
De même, la nouvelle mouture de l’article 29 prévoit la promotion par l’Etat de la représentation féminine dans les assemblées élues, les modalités devant être précisées par une loi organique. Une proposition considérée comme un habillage à bon compte d’un règne à vie de Bouteflika.
A n’en pas douter, c’est le retour à la case départ qui s’opère en Algérie. Retour à l’avant 5 octobre 1998, marqué par des manifestations et des émeutes populaires qui avaient mis à bas le régime du parti unique représenté par le FLN (Front de libération nationale). Les équilibres entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont rompus; la protection des droits de l’Homme et du citoyen n’est pas davantage consolidée.
Et c’est une contre-société que Buteflika met plus fortement sur pied, une toile articulée cependant autour de luttes de clans et d’intérêts croisés pas forcément communs. La dialectique démocratique est ainsi gelée pour un temps, mais la dynamique sociale ne peut être encadrée, ni maîtrisée durablement. Un mouvement de balancier qui accuse sa dernière étape en attendant de nouvelles perspectives. La junte militaire et ses suppôts civils sont en train d’épuiser leurs dernières ressources transactionnelles. Confrontée aux défis de développement de l’Algérie et aux revendications les plus légitimes de ses composantes sociales les plus vives, le glacis que Bouteflika tente d’imposer aujourd’hui ne résistera pas aux variations climatiques prévisibles.
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