A l'occasion de la commémoration du 46è anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, et suite à la lecture et l'étude de l'ouvrage L'Algérie : le Martyre d'un Peuple de l'Uruguayenne Sophie Vidal de Magarinos, j'ai jugé nécessaire et important, en cette circonstance, de rendre hommage, à tous ces étrangers qui, par leur témoignage ou participation actives ou morales, avaient contribué à l'indépendance de notre pays. L'exemple de Sophie Vidal de Magarinos n'est pas unique, mais compte tenu de la récente et fracassante loi de février 2005 au Parlement français, relative aux « Bienfaits de la colonisation française », j'ai décidé de révéler ce regard rigoureux ainsi que ce témoignage sincère sur la guerre d'Algérie, que j'estime être, 44 années plus tard, une réponse claire et significative à l'attitude irréfléchie et désobligeante de certains députés de l'Ile de France. Face aux remous médiatiques et à la réaction immédiate d'historiens français et algériens, scandalisés par l'attitude insensée et absurde de la majorité parlementaire, des voix se sont élevées, de part et d'autre de la Méditerranée, pour dénoncer et faire front commun à cette aberration politique. Et tout comme eux, je ne pouvais rester silencieux. L'apparition de l'ouvrage de Sophie Vidal, à Montévideo, le premier novembre 1961, jour de la Toussaint, est significatif et lourd de conséquences de par les images horribles qu'il présentait et l'effroyable terreur qui accablait le peuple algérien durant huit années de guerre et de misère. La tenue d'un Colloque international organisé à Amiens, les 8,9 et 10 novembre 2006, sur « le fait colonial au Maghreb, ruptures et continuités »2 à l'Université de Picardie Jules Verne, à l'initiative de Nadir Marouf, professeur de sociologie, avec la collaboration du Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) d'Oran,3 permettait aux différents chercheurs de toutes disciplines confondues, de débattre divers aspects historiques de 132 années d'occupation coloniale et de tous les registres de la politique française en Algérie. Le fait que Sophie Vidal ait voulu faire paraître son ouvrage, en ce tout début du mois de novembre, le faisant coïncider avec la fête de la Toussaint, représentait pour elle, un témoignage et une attitude digne et généreuse, sachant pertinemment, qu'il lui aurait été totalement impossible de le publier en France. Elle voulait aussi, par là même, exprimer sa reconnaissance à tous ces hommes morts sur le champ de bataille avec lesquels, elle a plus ou moins partagé de profonds sentiments de peine et de douleur durant son périple en Algérie et au Maghreb. Leur unique et seul motif consistait au désir de vouloir retrouver leur droit indéniable à la liberté, dénoncer cette injustice sans fin et l'exploitation et l'occupation des terres d'autrui sans aucun réel partage. Ma contribution à ce colloque m'offrait donc, cette opportunité tant espérée, de présenter la communication intitulée : « Images et Mémoire de la guerre d'Algérie à travers l'oeuvre de l'uruguayenne Sophie Vidal ». Mon intervention consistait essentiellement, à présenter, analyser et transmettre les sentiments et les impressions, ainsi que la perception et le regard direct de l'auteur, sur cet événement qui n'a pas manqué de bouleverser, non seulement, l'opinion internationale mais aussi celle de tous les Français. Il est clair et important, de faire ressortir ici, en ce moment même, sa propre évaluation et vision critique sur tout ce qu'elle avait pu vivre lors de son voyage officiel en Algérie. L'ouvrage, l'Algérie : le Martyre d'un Peuple, de Sophie Vidal de Magarinos, uruguayenne et passionnée de la langue, la culture et la civilisation française, est une réponse cinglante, un témoignage exhaustif et une évaluation, on ne peut plus claire, sur les soi-disant « Bienfaits de la colonisation française ». Forte de cette culture française et nourrie d'un esprit rationnel et critique, Sophie Vidal s'est vue confrontée à d'autres réalités face à la vision unilatérale du monde qu'incarnait l'opinion française par rapport au conflit algéro-français. Le problème de l'Algérie n'était plus, pour elle, le monologue d'une puissance civilisatrice, représentative de la Culture, de la Liberté et du Progrès, condamnant du haut de sa tour, la rébellion criminelle d'un groupe minoritaire de bandits en haillons, poussés par le communisme. Au moment même où Sophie Vidal sombrait dans un état perplexe et troublée par toutes sortes de questionnement sur le problème algérien, elle recevait une invitation du gouvernement français pour visiter l'Algérie. Celui qui lui avait adressée cette invitation n'ignorait pas sa sympathie pour la cause rebelle ni son amour pour la France, nous disait-elle. Finalement, son compromis consistait donc à un pari exemplaire de foi et de sincérité en affirmant : « je peux affirmer, sous ma parole d'honneur, que tous les faits et les affirmations sont absolument véridiques, que toutes les impressions et les observations sont très sincères... ». Et elle ajouta : « en dernière instance, je défie quiconque qui puisse accuser de faux un seul des faits évoqués... ». Voila donc l'engagement qu'avait pris Sophie Vidal avant même de visiter l'Algérie, invoquant la phrase du prophète Jésus : « qu'il n'y a pas pire couardise que de voir et de se taire ». Il est à souligner, cependant, que le témoignage sur les événements de l'Algérie, apporté ici par Sophie Vidal, nous a paru digne puis dénudé de tout préjugé. Ses connaissances et informations sur la question du conflit franco-algérien, étaient déjà bien acquises à partir de l'hexagone où elle résidait. Son voyage officiel en Algérie, suite à l'invitation des autorités françaises, avec un groupe de journalistes latino-américains, n'a fait que lui offrir l'occasion idéale pour aller observer de visu et pouvoir enfin, évaluer sur le terrain même, l'état d'esprit des deux communautés ainsi que la situation militaire qui prévalait à un moment crucial de l'évolution du mouvement indépendantiste du pays. Ce voyage l'avait aidée, sans aucun doute, à mieux comprendre l'affrontement social, l'exil forcé opéré sur les paysans, la force de frappe des révolutionnaires, la pratique de la torture exercée sur les nationalistes et l'incompréhension existante entre les « pieds-noirs » et le gouvernement de Paris. Tous ces aspects sont vécus crûment par Sophie Vidal, qui allait pouvoir conforter davantage encore, ses pressentiments et confirmer par là même sa vision d'un combat réel et juste pour la lutte de libération. Sa minutieuse enquête à l'intérieur du territoire algérien, son périple à travers les villes frontières et ses diverses rencontres, enrichies et approfondies à Tunis, par des entretiens auprès de Ferhat Abbas et de personnes responsables, lui ont permis de dresser un tableau exhaustif sur l'état des lieux pour apporter, enfin, un éclairage authentique, original et inédit à la fois. Son courage et sa passionnante aventure d'angoisse et de douleur, partagées avec la terrible misère des populations algériennes dont la condition infrahumaine, offrait un spectacle macabre de désespoir et d'amertume. Cette démarche engagée, digne d'une latino-américaine, imprégnée fortement de la culture française et d'un catholicisme inébranlable, sera mise à profit pour servir une cause juste et humaine pour la défense des droits des peuples opprimés et colonisés. Son compromis est sans doute atteint, d'autant plus que son seul objectif consistait à vérifier ce processus de violence et ce schéma de vérités unilatérales aux affirmations sans répliques, qui ont tellement encombré son esprit. Elle pourra en fin de compte, répondre justement à ces nombreuses interrogations et doutes sur cet événement qui avait embrasé la situation en Algérie et arriver à dire ainsi, « la vérité, seulement la vérité, mais aussi toute la vérité » en son âme et conscience. Ce fut le principe fondamental pour lequel Sophie Vidal avait engagé sa parole d'honneur et accepté l'invitation de se rendre en Algérie. Les contacts et conversations avec des personnalités et personnes qu'elle avait rencontrées durant son séjour en Algérie, l'avaient éclairée énormément sur la situation. Son voyage en train jusqu'au Maroc, puis par avion vers la Tunisie à la quête d'informations lui avaient permis de découvrir le spectacle macabre des camps de réfugiés des algériens près du hameau de Sakiet Sidi Youcef, bombardé et rasé par l'aviation française. Face à des images stupéfiantes et des scènes insupportables d'enfants en haillons amaigris, Sophie Vidal préfère transcrire quelques articles parus dans la presse européenne pour préserver son intégrité morale : « - Nous sommes nous rapprochés - écrit « Le Monde » du 3 mars 1958 - de l'un des ces trous et nous avons vu une vingtaine de femmes en haillons, déchaussées... la vision des ces femmes apeurées, des enfants qui grelottent, des hommes idiotisés, n'est rien à côté de ce qu'ils nous racontent ». « La correspondante d'un journal suédois, « Vecko Journalem », du 21 mars de cette même année, termine ainsi, sa lugubre description : « J'ai vu beaucoup de ces journalistes endurcis, qui ont participé à des guerres et révolutions, déclarer en pleurant que ce qu'ils voyaient et entendaient était trop insupportable et terminaient par fuir devant ce spectacle de tant d'atrocité.. ». Ces révélations, témoignages et incroyables représentations de l'oeuvre de Sophie Vidal ne sont qu'un petit prélude de l'horreur et la terreur que le peuple algérien subissait depuis la conquête de l'Algérie en 1830. Le sommaire est plus révélateur du contenu de cette oeuvre qui reproduit en détail tout le voyage et séjour de Sophie Vidal au Maghreb : La Capitale. Les « pieds-noirs » - Visite Officielle - Les « Camps de regroupements » - « Aveux spontanés » - Le « Plan de Constantine » - Les » Fils Barbelés » - De l'autre côté de la Barrière » - « Opération peigne fin » Les camps de réfugiés » -Ferhat Abbas - Les Adieux de Tunisie »... Enfin, conscient de la valeur historique et l'intérêt considérable que représente l'oeuvre de Sophie Vidal pour notre histoire et mémoire, et vu l'importance de son précieux témoignage, soutenu par une vision rigoureuse, une analyse pertinente et une foi inébranlable dans la recherche qu'elle avait menée à terme, pour atteindre un objectif aussi noble qu'humain au profit des peuples opprimés, j'ai décidé de la traduire pour lui rendre, à cette occasion, un grand hommage pour la tâche qu'elle a accomplie avec audace et ténacité, afin de répondre, inconsciemment et vigoureusement, quarante-quatre années plus tard.
1:Sophie Vidal de Magarinos, Argelia : El Martirio de un pueblo, Edit. Siglo ilustrado Montevideo, 1er. Noviembre 1961. 89 p 2: Colloque organisé par le Centre CEFRESS, Université de Picardie Jules Verne, à l'initiative de Nadir Marouf, professeur de sociologie et ancien directeur du CEFRESS. 3: Des collègues chercheurs et moi-même au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC), avons participé à cette rencontre scientifique, à travers nos différentes interventions. Voir publication des Actes du Colloque : Le Fait colonial au Maghreb, Ruptures et Continuités, sous la direction de Nadir Marouf, Université de Picardie, Jules Verne, C.E.F.R.E.S.S, L'Harmattan. 2007 |
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Nov 20,2008 00:00 Par : AHMED ABI-AYAD *
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