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Yasmina Khadra : ''Ce que le jour doit à la nuit''
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Le dernier roman de Yasmina Khadra :
Parution : 21 août 2008
ISBN 978-2-260-01758-5
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Avec Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra place la rentrée littéraire sous le signe de la générosité. L'auteur de L'Attentat nous offre un grand roman d'amour sur fond de guerre d'indépendance algérienne. Une saga magistrale. Rencontre chez lui, à Paris, sa nouvelle ville d'adoption.
Après trois romans campés au
cœur de l'actualité moyen-orientale, vous placez votre nouveau récit au
cœur l'histoire algérienne. Qu'est-ce qui vous a motivé pour retourner
ainsi sur votre terre natale ?
C'est tout à fait naturel :
je suis Algérien. Et l'Algérie n'a pas été totalement racontée. Il
reste beaucoup de choses à dire sur ce pays de miracles et de mirages.
Ce livre était une promesse que je m'étais faite il y a plus de deux
décennies. Et puis je le devais à mon lectorat qui m'a suivi dans des
récits atroces, L'Attentat, Les Hirondelles de Kaboul, Les Sirènes de Bagdad. Il était de mon devoir de lui offrir une saga romanesque, un grand moment de lecture.
Ce que le jour doit à la nuit
est effectivement une grande fresque romanesque qui court des années
1930 à nos jours. Qu'est-ce qui vous attirait dans ce genre littéraire
de longue haleine. Qu'avez-vous aimé dans cet exercice ?
Exactement ce que j'ai aimé en lisant les grands romans d'amour comme Docteur Jivago, Anna Karenine, Autant en emporte le vent...
Ce sont des livres qui m'ont tellement apporté dans ma solitude, qui
m'ont tellement éclairé sur le monde, sur les gens, l'inconsistance des
certitudes, la fragilité des convictions. A mon tour j'essaie de faire
partager ces initiations aux autres.
Était-ce un plaisir d'écriture différent ?
Absolument.
J'ai écrit 22 livres et c'est le seul qui m'a fait pleurer, de bonheur.
J'ai l'impression d'avoir écrit tous mes livres pour mériter d'écrire
celui-là, phrase par phrase, pendant un an. Quand on sait que j'ai
écrit L'Attentat en deux mois, Les Hirondelles de Kaboul et Les Sirènes de Bagdad
en quatre mois, une année c'est énorme. Je suis très fier de ce livre.
Vous ne pouvez pas imaginer comme je suis heureux. J'ai le sentiment
d'être un enfant qui a réussi à avoir son meilleur cadeau de Noël. Ce
cadeau, je veux le partager avec mes lecteurs qui m'ont toujours
soutenu dans les moments les plus difficiles. Pour moi, ce roman, c'est
celui de la gratitude que je leur dois, de l'amour que j'ai pour eux.
En intitulant votre roman Ce que le jour doit à la nuit, nous dites-vous que la lumière est redevable à la noirceur ?
Le
jour ne se fait pas comme ça. Cette lumière qui nous éclabousse, qui
nous éclaire, qui nous donne envie de courir, d'oser, de rêver,
d'espérer n'est pas une fabulation ou un leurre. Elle est une réalité
jalonnée de sacrifices, de peines, de concessions, de serments
indéfectibles... Appuyez sur un commutateur et d'un seul coup vous avez
la lumière chez vous. Pourtant, ce geste banal, ce réflexe, l'homme a
mis des millions d'années pour l'atteindre. Des gens ont passé leur vie
dans des laboratoires uniquement pour améliorer notre sort. Des êtres
splendides ont donné leur vie pour nous permettre de vivre libres. Or,
nous savourons nos moments de grâce comme si c'était un don du ciel...
Oui, le jour qui nous émerveille doit beaucoup à la nuit qui a rendu
les rêves possibles.
Prenons le personnage central de
votre roman : Younes, arabe de sang, "adopté" par la communauté
pied-noir. Il est écartelé. Peut-on le voir comme le véhicule de votre
horreur du manichéisme, comme le représentant d'une hybridation
identitaire qui n'est amenée qu'à se développer dans un monde de plus
en plus mondialisé ?
Une identité unique est un leurre. Je
trouve même que c'est arbitraire de vouloir réduire l'homme à une
ethnie ou à une identité. Nous avons une terre en partage. Cette terre
devrait nous rassembler autour d'un même idéal. Essayer de vivre
pleinement notre vie, là où l'on est avec tous les gens que l'on
rencontre sur son chemin. C'est tellement facile de bien vivre. Au lieu
de cela, on préfère la discorde, le rejet systématique de l'autre. Nous
nous laissons tous les jours diluer dans notre instinct grégaire,
ramenant l'univers à notre territoire communautaire, tribal, clanique,
familial, personnel. C'est fou ce nous perdons au change. Au lieu
d'aller à la conquête de tous les bonheurs de la Terre, on se contente
de se replier sur soi, de se retrancher derrière ses frontières,
derrière sa porte.
N'est-ce pas un brin angélique ?
J'aimerais
demeurer angélique. C'est un grand défi. Continuer d'aimer et de croire
dans un monde de haine et d'abjuration, au milieu de ces frénésies
prédatrices, de ces tsunamis de la cupidité et de la violence, là est
le vrai défi, la belle performance... Tout est défiguré de nos jours.
Les valeurs humaines se sont disloquées. La morale est devenue une
vieille chipie, l'angélisme une attitude débile, le courage une
grossière manœuvre. Résultat : c'est la jungle tous azimuts. L'absence
de ces repères d'antan nous fragilise, fait qu'aujourd'hui nous
n'arrêtons pas de nous égarer, de nous éloigner de nous-mêmes, des
choses simples de la vie.
Vous couchez de très belles lignes sur la femme. J'ai lu que vous la considérez supérieure à l'homme...
(Rires)
Elle l'est en tout. Elle est plus lucide que l'homme. Elle est plus
proche de la vie que l'homme. Elle est plus belle que l'homme. Et puis,
elle est l'idéal de l'homme. Un idéal est toujours supérieur à celui
qui s'engage, qui s'investit pour lui. Si l'homme voulait être heureux
un jour, il lui faudrait d'abord apprendre à mériter la femme.
Vous
vous inscrivez par là dans une longue tradition littéraire d'ode à la
femme avec un grand F. On pense entre autres à l'amour courtois...
La
femme est l'inspiratrice de nos fantasmes, faiseuse de rêves,
l'instigatrice de nos exploits. Elle fait le poète et le tyran, le
rebelle et le soldat, les mythes et les désastres. Je suis persuadé que
l'homme n'a appris à écrire que pour la chanter ou la cerner. C'est
donc naturellement que je m'installe dans cette vocation millénaire.
Qu'est-ce qu'un écrivain sinon la somme de tous les écrivains qu'il a
lus. On ne peut pas devenir écrivain ex-nihilo. Nous sommes tous les
néophytes de nos aînés. On n'a rien inventé. Tout vient d'eux. Des
anciens. Ce sont eux qui nous ont inculqué l'amour du verbe, l'amour de
l'imaginaire, de la poésie, des femmes. Ce sont eux qui nous ont
initiés à la vie. Je suis redevable de tous les écrivains que j'ai lus.
Chacun m'a appris à aimer une héroïne issue de sa générosité ; tous ont
peuplé mes grandes solitudes.
L'écriture est-elle une rédemption ?
Absolument.
La littérature, c'est une rédemption perpétuelle ... Chaque livre nous
réconcilie avec l'humain, nous apprend des choses sur nous-mêmes, nous
familiarise avec nos vérités. C'est l'extension du domaine de
l'expérience. La vie ne suffisant pas à nos curiosités et à nos besoins
de conquête, nous avons créé l'imaginaire. Pour franchir certaines
portes dérobées vers un ailleurs sans cesse renouvelable. La
littérature, c'est quelque chose que l'on invente et à laquelle on
finit par croire plus que tout au monde. C'est magique : vous inventez
un monde et ce monde finit par compter à vos yeux plus que tout autre
chose.
Votre livre est tiré à 60 000 exemplaires. Un des
plus gros tirages de la rentrée. A quoi attribuez-vous ce succès
exponentiel ? Qu'éveillez-vous chez les lecteurs ?
Sans
doute l'amour. J'écris par amour et je pense que les gens le
perçoivent. Vous savez il y a beaucoup de gens qui disent : on n'arrive
pas à cerner ce bonhomme, on ne sait pas qui il est... Pour moi ces
gens-là n'ont rien à voir avec la littérature. Car tout est dans le
livre. Le livre, c'est la transparence par excellence de son auteur.
C'est la vérité toute nue, absolument nue de l'écrivain. Quand je lis
quelqu'un, je sais qui il est, comment il est pendant qu'il écrit. Je
devine même les moments où il s'est levé pour aller fumer une cigarette
ou traquer une idée récalcitrante. Il s'agit de savoir lire. Savoir
connaître l'autre, le comprendre, le sentir, le reconnaître entre
mille. C'est un art la lecture. Elle est l'aptitude à adhérer à une
fiction, à accéder à une œuvre. J'ai la chance d'être bien perçu par
mes lecteurs. Ce que j'éveille en eux est exactement cette émotion,
cette raison qui m'a amené à écrire : le besoin de partager, de se
solidariser, de grandir, d'être humain.
Quel regard portez-vous sur la rentrée littéraire. Avez-vous déjà fait votre choix ?
La
déferlante pourrait occulter des livres majeurs. Chaque année des
livres sublimes sont oubliés, des auteurs naissants sont étouffés dans
l'œuf. Les libraires ne peuvent pas tout défendre, et les critiques non
plus. J'ai lu quelques livres de cette rentrée, mais c'est trop tôt
pour faire un choix. Par ailleurs, en dirigeant le Centre culturel
algérien, je m'applique à lire les Algériens pour les introduire dans
notre programme. Nous avons d'excellents romanciers qui ne demandent
qu'à élargir leur audience.
L'Attentat va être adapté à Hollywood et Les Hirondelles de Kaboul au cinéma français. Dites-nous en plus...
Les
Américains vont commencer le tournage dans quelques semaines,
probablement en Israël, en langue hébraïque avec des acteurs arabes et
israéliens. Le scénariste est Jeremy Brook, celui qui a écrit le
dernier roi d'Ecosse... Côté français, je suis aussi très confiant pour
Les Hirondelles de Kaboul. J'ai rencontré le réalisateur
Sébastien Tavel, les producteurs et l'ancien ambassadeur afghan à
Bruxelles, devenu le conseiller à la sécurité du président Karzaï. Tous
sont enthousiastes et veulent absolument que le film se fasse à Kaboul.
Par ailleurs, j'ai un petit scoop pour vous : la télévision américaine
s'intéresse au commissaire Llob. Des négociations sont en cours avec
Zodiak International pour l'achat des droits TV sur Double blanc.
Finalement,
ce n'est pas très étonnant que vous séduisiez le grand et le petit
écran. Votre écriture passe facilement à l'oralité...
Je
suis un Bédouin, un fils de l'oralité. Les gens du Sahara sont des gens
de l'oralité. Je n'ai aucun mérite, sinon celui d'être à la hauteur de
ce que m'ont légué les poètes de ma tribu.
Lorsque vous
avez dévoilé votre masculinité en 1999 puis votre visage en 2001. Vous
avez déclaré : "Je vais enfin pouvoir me connaître. Vous n'imaginez pas
à quel point je m'ignore". Vous connaissez-vous aujourd'hui ?
Oui, je crois que je commence à me connaître : je suis quelqu'un de bien (rires).
Vos livres vous ont-ils révélés à vous-même ?
Sincèrement,
j'ai toujours su qui j'étais. Mais c'était un jugement assez subversif.
Il me fallait des épreuves, des situations conflictuelles pour prouver
la teneur de mes convictions. J'ai été copieusement servi dans ce sens.
Maintenant, je sais que je ne me suis pas trompé sur moi-même.
Comment
vivez-vous votre passé de militaire aujourd'hui. Est-ce une autre vie ?
Quelque chose que vous tentez d'oublier ? Ca a suscité pas mal de
polémiques quand on découvert votre identité. Vous avez dû vous
défendre d'être vous...
On parle de mon passé militaire
comme d'un passé honteux, un crime de jeunesse. J'ai beaucoup de
tendresse pour ce passé. Beaucoup de fierté aussi. J'ai servi mon pays
en toute honnêteté. L'habit ne fait pas le moine, l'uniforme pas le
soldat. Sous chaque vêtement, chaque déguisement, il y a notre vérité.
Et j'aime regarder la mienne avec les yeux grands comme des soucoupes.
Car elle est celle de quelqu'un d'intègre, de brave. Mes livres le
prouvent de façon très claire. Les gens veulent savoir plus, au-delà de
votre talent, de votre générosité. Certains finissent pas s'incliner
devant votre probité, d'autres refusent d'admettre ce qui pourtant
crève les yeux. Le monde est ainsi fait.
Ces questions vous gênent-elles ?
Ce
qui me gêne, ce sont les stéréotypes, les clichés, les raccourcis. Ce
qui me gêne, c'est cette cécité qui empêche les gens de voir le
parcours exceptionnel d'un enfant. Mon histoire, c'est une très belle
histoire littéraire, c'est un conte de fée. Il était une fois un enfant
de 9 ans que son père enferma dans une caserne pour faire de lui un
officier. Et cet enfant de 9 ans rêvait par-dessus tout d'écrire. En
évoluant dans un pays allergique à la culture, et dans une institution
aux antipodes de la vocation littéraire, il réussit quand même à
devenir un écrivain traduit dans 32 langues, dans 34 pays, salué par
des Prix Nobel et les plus grandes plumes de la planète, en Inde comme
au Brésil, aux USA comme au Japon, et de Bruxelles à Singapour.
N'est-ce pas merveilleux, la plus belle revanche sur le destin, le plus fabuleux pied de nez adressé à l'adversité ?
Sur
les forums de journaux algériens, vos détracteurs se lâchent. Parmi
ceux-là certains disent que vous donnez à l'Occident ce qu'il attend :
une vision exotique de l'orient. Quand je prends les occidentaux par la
main en Afghanistan, ils me font confiance parce qu'ils savent que je
suis quelqu'un de sincère et de lucide. Ceux qui disent que je fais
dans l'exotisme sont généralement des gens qui ne me lisent pas. Ils
partent d'un principe simpliste : quand on est encensé par la presse
occidentale, c'est que l'on est forcément un traître. La presse
arabophone de mon pays me qualifie de « mensonge littéraire fabriqué
par la France ». Quand j'ai reçu la Légion d'honneur on a crié que
Sarkozy m'a récupéré. Quand j'ai accepté de diriger le Centre culturel
algérien, on a crié que le président Bouteflika m'a dévoyé. Nous sommes
carrément dans la schizophrénie. Et cela ne date pas d'aujourd'hui.
Rappelez-vous Camus, et ses contingents de détracteurs. Sartre le
traitait de « philosophe pour classe de Terminale ». D'autres lui
déniaient le droit d'être un génie. L'excellence a toujours remué les
hostilités, la réussite et le courage ont toujours dérangé les
partisans du moindre effort. Ce qu'il m'importe désormais est de
mériter la confiance et le soutien de ceux qui me lisent. Ils sont de
vrais amis, ma vraie famille, et ils ne seront jamais déçus.
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Propos recueillis par Baudouin Galler
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