.
Une femme couverte de noir de la tête aux pieds, portant un foulard ou tchador, marche dans une rue européenne ou nord-américaine, entourée d'autres femmes en dos-nus, minijupes et mini shorts. Elle passe devant d'immenses affiches sur lesquelles des femmes se pâment d'extase, se courbent en petite tenue ou s'étirent langoureusement, quasiment nues. Ce tableau pourrait-il être plus représentatif de l'embarras de l'Occident vis-à-vis des moeurs de l'Islam, et inversement ?
Le corps des femmes est souvent au coeur des combats idéologiques ; et l'islamophobie occidentale ne fait pas exception à la règle. Quand la France a interdit le port du foulard à l'école, elle a utilisé le hijab comme faire-valoir des valeurs occidentales en général, y compris du statut de la femme. Lorsque les Américains se préparaient à envahir l'Afghanistan, les talibans étaient diabolisés notamment parce qu'ils refusaient que les femmes se maquillent ou se teignent les cheveux ; quand les talibans ont été renversés, les observateurs occidentaux ont fréquemment constaté que les femmes avaient ôté leur foulard.
Mais l'Ouest n'interpréterait-il de façon totalement erronée les moeurs musulmanes, en particulier ce que cela signifie pour nombre de musulmanes d'être voilée ou de porter le tchador ? Sommes-nous incapables de voir nos propres marqueurs d'oppression et de contrôle des femmes ?
Pour les sociétés occidentales, le port du voile est une forme de répression de la femme et de suppression de sa sexualité. Pourtant, au cours de mes voyages dans des pays musulmans, invitée à prendre part à des discussions dans des cadres strictement réservés aux femmes, j'ai appris que les attitudes des Musulmans envers l'apparence et la sexualité des femmes ne se fondaient pas sur la répression, mais sur un sens aigu de ce qui relève du public et du privé, de ce que l'on doit à Dieu et de ce qu'on doit à son mari. L'Islam ne nie pas la sexualité : il la canalise de façon très développée - vers le mariage, lien qui maintient la vie familiale et attachement qui consolide le foyer.
Hors des murs des demeures typiquement musulmanes que j'ai visitées au Maroc, en Jordanie et en Égypte, tout n'était que réserve et pudeur. Mais à l'intérieur, les femmes musulmanes étaient tout aussi intéressées par l'allure, la séduction et le plaisir que les femmes partout ailleurs dans le monde.
Chez elles, dans l'intimité conjugale, lingerie fine, mode élégante et produits de toilette abondaient. Les vidéos de mariage qu'on m'a montrées, notamment de la danse sensuelle apprise par la mariée, entre autres choses qui font d'elle une épouse merveilleuse, et qu'elle danse fièrement pour son mari, laissaient entendre que la sensualité n'est pas étrangère aux Musulmanes ; mais plutôt que le plaisir et la sexualité, tant masculins que féminins, ne devraient pas être étalés de façon légère - et éventuellement destructrice - aux yeux de tous. En effet, nombre de Musulmanes avec lesquelles j'ai parlé ne se sentaient pas soumises par le port du hijab. Au contraire, elles étaient plutôt libérées de ce qu'elles ressentaient comme un regard occidental indiscret, bassement sexualisant et faisant d'elles un objet. La plupart de ces femmes m'ont dit en substance : « quand je porte des vêtements occidentaux, les hommes me regardent et me voient comme un objet ; ou encore, je passe mon temps à me comparer aux filles des magazines, modèles difficiles à suivre - et bien plus à mesure qu'on vieillit, sans parler des efforts déployés pour être le plus à notre avantage, tout le temps. Quand je porte le foulard ou le tchador, les gens me voient comme une personne, non un objet : je me sens respectée ». Certes, cette vision des choses ne correspond pas tout à fait au féminisme occidental, pourtant, on y retrouve un ensemble de sentiments correspondants.
J'en ai fait l'expérience moi-même. J'ai porté un shalwar kameez et un foulard au Maroc pour me rendre au souk. La chaleur qui m'était témoignée était probablement due à la surprise de voir une occidentale ainsi vêtue, mais alors que je me promenais dans ce marché - les courbes de ma poitrine couvertes, la forme de mes jambes cachée, mes cheveux longs attachés -, j'ai ressenti une sérénité et un calme nouveaux. Dans un certain sens, oui, je me sentais libre.
Par ailleurs, il n'y a pas que les Musulmanes qui adoptent une certaine vision de la sexualité. La tradition chrétienne occidentale la décrit, et même dans le domaine conjugal, comme immorale. L'Islam et le Judaïsme n'ont jamais évoqué la même séparation entre corps et esprit. Alors, dans les deux cultures, la sexualité est canalisée dans le mariage et la vie familiale est considérée comme une source de grande bénédiction, autorisée par Dieu.
Cela explique probablement pourquoi les Musulmanes et les Juives orthodoxes décrivent non seulement un sentiment de libération grâce à leurs vêtements modestes et à leurs cheveux couverts, mais aussi un niveau plus élevé de jouissance sensuelle dans leur vie conjugale que la plupart des Occidentaux. Quand la sexualité reste de l'ordre du privé et relève du sacré - et quand un mari ne voit pas sa femme (ni d'autres femmes) à moitié nue toute la journée -, au moment où tombe le foulard ou le tchador dans l'inviolabilité du foyer, on ressent une forte intensité.
Chez les jeunes hommes en Occident, qui grandissent avec l'imagerie pornographique et sexuelle à chaque coin de rue, la diminution de la libido est une épidémie croissante. Il est donc facile d'imaginer le pouvoir de la sexualité dans une culture plus modeste. Il est nécessaire de comprendre les expériences positives de femmes et d'hommes dans des cultures où la sexualité est régie de façon plus conservatrice.
Je n'ai pas l'intention de dévaloriser la
lutte des nombreuses femmes influentes du monde musulman qui
considèrent le voile comme un moyen de contrôle exercé par les hommes.
Ce qui compte, c'est d'avoir le choix. Néanmoins, les Occidentaux
devraient reconnaître que lorsqu'une femme en France ou en
Grande-Bretagne choisit de porter le voile, il ne s'agit pas
nécessairement d'un signe de sa répression. Et, plus important encore,
lorsqu'une femme choisit de porter une minijupe et un dos-nu - dans une
culture occidentale où les femmes ne sont pas si libres de vieillir,
d'être respectées en tant que mères, travailleuses ou êtres spirituels
et de faire fi du monde de la publicité -, il serait judicieux de
réfléchir de façon plus nuancée au sens de « liberté de la femme ».
.
.
par Naomi Wolf
Cofondatrice de l'American Freedom Campaign,
mouvement américain pour la démocratie.
Traduit de l'anglais par Magali Adams
04-09-2008
Les commentaires récents