Un intellectuel avant l’heure
Au début de 1830, année funeste pour notre pays, le gouvernement français représenté par le roi charles X, était décidé à appliquer un plan mûrement réfléchi : celui d’occuper ce qu’on appelait -- à l’époque --la Régence d’Alger. Cette dernière était sous l’autorité de celui qui sera le dernier dey : Hussein et qui signera après la prise de la ville Blanche le pacte de la reddition conclu avec le chef du corps expéditionnaire français, le maréchal de Bourmont.
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Une longue et minutieuse préparation
En vérité, Alger a été de tout temps la cible de nombreuses tentatives d’occupations par les puissances européennes, surtout depuis l’implantation des Turcs à partir de l’année 1518, quand, aidés par les habitants de la ville de Sidi Abderrahmane Bou Quabrine, ils parvinrent à chasser les Espagnols du pénon qu’ils avaient érigé justement en face de la ville et de ses superbes murailles. Les Algériens avaient entrepris avec les nouveaux arrivants ottomans de libérer les autres villes de la domination ibérique telles que Mostaganem, Ténés, Dellys, Béjaïa, Djidjelli etc.
D’autres nations du Vieux Continents, animées de l’esprit de croisade et de la haine envers l’Islam avaient elles aussi dirigé de nombreuses expéditions toutes mises en échec les unes autant que les autres (Angleterre, les Etats italiens, Hollande, France...).Cette dernière, on s’en souvient, quand Napoléon Bonaparte dirigeait ses affaires après son coup d’Etat contre ses institutions issues de la grande Révolution du 14 juillet 1789, il avait envoyé secrètement un espion pour une première reconnaissance des côtes algériennes. Ce dernier avait réussi à établir un plan, en 1806),qu’il remit au ministère de la Guerre. Mais Bonaparte étant occupé à guerroyer contre les puissance de l’Europe Centrale (Prusse, Autriche, Russie tsariste) avait négligé de l’appliquer et ce plan finalement fur oublié dans les tiroirs durant une période de vingt ans, bien après la chute du dictateur à l’issue de la mémorable bataille de Waterloo (Belgique, 1814).
Au cours des premières années de la période suivante appelée la Restauration (1818-1848), quand le roi Charles X succéda à son frère Louis XVIII, en 1824, le gouvernement français, pour plusieurs raisons, économiques, politiques et sociales, entre autres, ressortit le plan de débarquement de Boutin pour le mettre en œuvre. Ce fut, alors, la mascarade du coup de l’éventail; suivie des sommations, de tentatives d’intimidation et des menaces pour affaiblir le pouvoir du dey Hussein. Ce n’était que des prétextes pour déclencher l’agression sur notre pays et assouvir les ambitions du royaume de France et de rétablir son prestige et celui de la dynastie des Bourbons auprès de l’opinion intérieure, d’abord, et celui des Etats européens, ensuite.
Fin janvier 1830 : les préparatifs étaient fin prêts. Un corps expéditionnaire réunissant plus de 36 000 soldats, une flotte militaire et de transport comprenant au-delà de 500 navires, des centaines de canons, des munition en quantités considérables étaient dirigés vers la côte algérienne, y débarqua, prit la ville d’Alger que les soldats français occupèrent en se livrant à des atrocités abominables comme cela fur aussi le sort de tout le pays quelques années plus tard.
En 1833, l’opposition en France avait contraint le nouveau gouvernement de Louis-Philippe (1830-1848) à envoyer une commission d’enquête appelée la Commission africaine qui rencontra un grande personnalité éclairée, représentant de l’élite du pays qui défendit sa nation algérienne: tel est Hamdane ben othmane Khodja.
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Une personnalité remarquable
Né en 1772 (ou 1773), à Alger, Hamdane appartenait à l’une des familles algéroise les plus anciennes et des plus instruites aussi. Son père était un éminent jurisconsulte et son oncle maternel un «amin el-secca» (haut fonctionnaire chargé des finances).De plus, sa famille était une famille d’aristocrates qui possédait de nombreuses terres. Il apprit le Coran ainsi que quelques notions de théologie auprès de son père puis entama des études primaires qu’il réussit brillamment. En récompense, son père l’envoya avec son oncle maternel effectuer un séjour à Istambul, la grande capitale ottomane, en 1784. Ensuite, il apprit la théologie, la philosophie et les sciences de son époque.
Après la mort de son père, il exerça à sa place comme enseignant en théologie pendant une courte période puis activa avec son oncle au commerce dans lequel il réussit, devenant ainsi l’un des notables les plus connus d’Alger. Son aisance matérielle lui permit d’effectuer de nombreux voyages en Europe, au Moyen-Orient, à Constantinople et apprendre plusieurs langues parmi lesquelles le français et l’anglais, devenant un polyglotte avéré. Cela l’aida à avoir une certaine ouverture d’esprit, à élargir ses horizons, à connaître les us et coutumes ainsi que les systèmes politiques en vigueur dans différents pays et nations.
Après l’expédition militaire française sur Alger, il contribua par tous les moyens à la défense de la ville et de tout le peuple algérien.
Il devint membre du conseil municipal d’Alger et là, il essaya de préserver ce qui restait du patrimoine des Algériens. C’est ainsi qu’il refusa de céder aux Français un certain nombre d’édifices religieux, cela fut un prétexte pour les démolir et installer à leur place des institutions et des voies publiques.
Hamdane Khodja participa également à la commission française d’indemnisation des personnes dont les biens avaient été démolis pour cause d’utilité publique selon l’euphémisme employé par le colonialisme français. Il fit de son mieux au sein de cette commission pour défendre les intérêts de ses frères algériens mais en vain.
Par la suite, il servit d’intermédiaire entre Ahmed Bey et les Français et adressa au général Soult (ministre français de la Guerre) un mémoire dénonçant les exactions commises par les troupes françaises en Algérie.
L’un des résultats de ce mémoire -- conjugué à l’opposition interne en France -- fut la création de la Commission africaine d’enquête citée plus haut, sur la situation en Algérie.
D’autre part, il demanda au sultan ottoman d’intervenir pour sauver le peuple algérien du drame qu’il vivait sous l’invasion. Découragé, il quitta l’Algérie pour Constantinople où il mourut vers 1843 (certains affirment qu’il était mort en 1843, d’autres en 1845).
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Un intellectuel d’exception
Hamdane Khodja a laissé des œuvres scientifiques d’une valeur inestimable qui sont considérées comme une source précieuse pour l’étude de la fin de la Régence d’Alger et les débuts de la colonisation française. Elles donnent également une idée générale du niveau intellectuel dans le monde musulman de l’époque.
L’essentiel de ses œuvres dont la plus importante est le Miroir, est constitué de récits, biographie, mémoire et correspondances.
On peut considérer les contacts et correspondances de Hamdane Khodja avec les personnalités françaises, anglaises et ottomanes comme un travail de sensibilisation de l’opinion publique aux conséquences engendrées par la conquête de l’Algérie. Son ouvrage le Miroir, paru en français, dévoile la réalité tragique du fait colonial, et a eu un large écho dans les milieux politiques libéraux de France et d’Angleterre. Il constitue également le premier manifeste politique contre la politique française en Algérie. Le voyage qu’il entreprit dès 1833 à destination de la France s’inscrit dans ce cadre. Il lui permit d’attirer l’attention des milieux politiques libéraux en France et en Angleterre sur la gravité de la situation de son pays suite aux abus commis par les troupes coloniales françaises. A partir de la capitale française, il tissa un réseau de relations qui lui permit de soulever la question de la conquête d’Alger auprès des autorités occupantes, s’assurer du soutien des milieux libéraux tant en France qu’en Angleterre. A cet égard, Hamdane Khodja fit un travail publiciste qui fut remarquable. Il suscita à travers ses écrits une polémique au sujet de la gravité de la situation de la régence suite aux abus commis par les troupes coloniales. Il a mis tout son savoir et son ingéniosité pour convaincre ses interlocuteurs français, britanniques et ottomans installés à Paris de l’urgence d’une intervention de leurs pays respectifs, seule à même de mettre fin à l’occupation coloniale française.
Cet ouvrage, le premier écrit par un Algérien sur l’occupation française, a été rédigé en arabe dès 1833 et aussitôt traduit et publié en français. Il n’est pas au sens strict un récit historique ou une description monographique, même s’il en présente certaines caractéristiques, mais un manifeste idéologique, un livre de combat qui mobilise les données historiques, les informations socio-économiques et le discours libéral aux fins de produire une démonstration rigoureuse, logique et convaincante, de la nécessité pour la France de quitter l’Algérie ainsi que du droit et de la capacité des Algériens à se constituer en Etat-nation.
Mais s’il peint un tableau particulièrement noir et sans nuance de la présence française, il ne présente pas les exactions commises à Alger comme le résultat d’une contradiction qui opposerait la France à l’Algérie mais comme contraires aux principes libéraux français et donc contraires à l’Etat français lui-même. Dans cette perspective, la France n’est pas considérée comme une entité homogène mais se divise en une France idéale , celle des Lumières et des droits de l’Homme, une France étatique qui en est l’incarnation au moins partielle mais qui a des intérêts économiques et politiques à défendre, et une France occupante .
Toute la stratégie d’écriture du Miroir consiste à isoler cette France
colonisatrice et à la combattre en faisant coïncider le point de vue
des Algériens avec les points de vue des autres France .
Notons, enfin, que le texte de Hamdane Khodja fut suivi d’une
Réfutation écrite par les amis du maréchal Clauzel, gouverneur de
l’Algérie, et d’une Réponse à la réfutation.
Dans cette remarquable œuvre, écrite dans la tourmente de l’invasion française, avec une très grande lucidité et une grande probité morale, Havane Khodja s’est évertué à montrer aux autorités françaises l’impossibilité pour la France d’occuper le pays éternellement, non seulement à cause de la résistance acharnée qui leur sera opposée, mais aussi pour d’autres nombreuses raisons : religieuses, démographiques, linguistiques, sociales etc...
En 1960, parut aux Editions de Minuit, l’Histoire d’un parjure de
Michel Habart, qui a consacré une grande place au Miroir. C’est la
narration de la trahison du gouvernement de Charles X et de ses
ministres, ainsi que du chef de l’armée d’invasion qui avaient promis,
en prenant à témoin la chrétienté que les soldats français quitteraient
l’Algérie aussitôt que le dey Hussein serait parti. C’est ce qui a été
imprimé dans les fameux tracts répandus et distribués à la population
et aux tribus algériennes quelques semaines avant l’expédition. Michel
Habart, alors que la guerre d’Algérie battait son plein, a voulu rendre
hommage à Hamdane Khodja et à ses idées prémonitoires sur l’avenir de
l’occupation française du pays. Ainsi, il rend un très grand hommage
posthume à cette grande personnalité algérienne restée,
malheureusement, méconnue.
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06-08-2008
Mihoubi Rachid
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