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Combien sont-ils ? Sur le million de Français que comptait l'Algérie
coloniale (pour neuf millions et demi de musulmans), cent cinquante
mille sont partis avant 1962 et six cent cinquante et un mille pendant
l'année 1962. Que sont devenus les deux cent mille pieds-noirs encore
présents en Algérie en 1963 ? « L'histoire de ceux qui sont restés n'a
pas été écrite », constate l'historien Benjamin Stora. Emprisonnés dans
une histoire officielle dictée par le Front de libération nationale
(FLN), les historiens algériens n'ont jamais osé s'intéresser à cette
question. « Après 1962, il n'y a plus eu de nouvelles vagues de
départs, mais un flux continu vers la France », soutient Bruno Etienne,
lui-même présent en Algérie en tant que coopérant « pied-rouge (1) »
entre 1963 et 1974. Des gens dont toute la famille et les amis étaient
partis, et qui se sont sentis trop seuls. D'autres qui, ayant perdu
leur clientèle, n'ont jamais réussi à relancer leurs affaires. Des
vieux, aussi, dont les enfants vivaient en France, et qui, passé un
certain âge, avaient du mal à s'en sortir seuls. « Dans les années
1980, le consulat incitait fortement toutes les personnes âgées à
partir finir leurs jours en France dans des maisons de retraite », se
souvient M. Roby Blois, ancien conseiller aux affaires sociales de
l'ambassade de France en Algérie de 1984 à 1992. « Pourtant, j'ai connu
tant de vieilles dames choyées par leurs voisins arabes comme jamais
elles ne l'auraient été en France ! » Et puis, il y a tous ceux qui
sont morts de vieillesse.
Selon la chercheuse Hélène Bracco, ils
étaient encore trente mille en 1993. Puis la guerre civile larvée de la
« décennie noire » a fait fuir un grand nombre de ceux qui étaient
devenus des « Algériens d'origine européenne », particulièrement visés
par les menaces des islamistes — sans qu'aucun n'ait cependant été tué
(2). Aujourd'hui, les chiffres, difficiles à établir, diffèrent d'une
source à l'autre. Ils seraient « autour de quatre mille cinq cents »
selon M. Guy Bonifacio, président de l'Association des Français de
l'étranger (ADFE) d'Oran, mais seulement trois cents selon M. Francis
Heude, le consul français à Alger.
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Pierre Daum (Le Monde Diplomatique)
(1)
Le mot « pieds-rouges » désigne les Français de France, politiquement
très à gauche (« rouges »), engagés en faveur de l'Algérie algérienne,
et venus en 1962 aider le nouvel Etat à se construire.
(2) Aucun
des sept moines de Tibhirine enlevés par les islamistes dans la nuit du
26 au 27 mars 1996 puis assassinés n'était pied-noir. Tous étaient
arrivés en Algérie dans les années 1970 et 1980.
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